Devoir conjugal : le mariage obstacle à la liberté sexuelle ?
Selon un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 23 janvier 2025, le devoir conjugal serait contraire à la liberté sexuelle. Cette décision a déclencé une importante polémique. Xavier Labbée s’interroge, que reste-t-il du mariage ?

La cour européenne des droits de l’homme vient de rendre un arrêt important, qui risque de bouleverser un peu plus notre droit de la famille qui n’en avait surement pas besoin.
La cour d’appel de Versailles avait prononcé, le 7 Novembre 2019, le divorce aux torts exclusifs d’une femme parce qu’elle refusait sans raison valable, d’entretenir des relations intimes avec son mari. Il y avait là, pour la juridiction versaillaise, une « violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage ». Cette décision était parfaitement conforme à la jurisprudence habituelle en ce domaine, et d’ailleurs l’épouse vit son pourvoi en cassation rejeté le 17 septembre 2020. Il existe donc bien un « devoir conjugal » entre époux et son manquement constitue une faute. Mais l’épouse saisit la Cour européenne des droits de l’homme aux fins de demander la condamnation de la France aux motifs que le prétendu « devoir conjugal » porterait atteinte à sa liberté sexuelle et à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Et par décision du 23 janvier 2025[1], la Cour européenne des droits de l’homme estime que « le devoir conjugal » tel que défini en France « ne prend nullement en compte le consentement aux relations sexuelles. Tout acte sexuel non consenti est une forme de violence sexuelle » et c’est pourquoi « l’existence d’une telle obligation est à la fois contraire à la liberté sexuelle et au droit de disposer de son corps et à l’obligation positive de prévention qui pèse sur les États contractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles ».
Que penser de cette décision quelque peu surprenante ? On peut dans un premier temps imaginer qu’elle va remettre en cause une partie du contentieux de la nullité de mariage (A). Mais on peut surtout penser qu’elle remet en cause l’institution du mariage elle-même, sa définition et son fondement (B)
Le droit de la nullité de mariage
La décision de la cour européenne ne risque-t-elle pas d’avoir des conséquences dans le contentieux de la nullité de mariage ? Une femme qui pense avoir été manipulée dans le cadre d’un mariage blanc par un homme qui ne recherchait, en réalité que l’obtention d’un visa, peut actuellement valablement plaider la nullité de mariage pour défaut d’intention matrimoniale, en établissant « l’absence de relations sexuelles et de vie sous le même toit »[2]. Désormais, le mari assigné en nullité, va-t-il pouvoir résister à la demande en plaidant, qu’au nom de sa liberté sexuelle, il n’a pas voulu avoir de relations avec celle qu’il vient d’épouser, rappelant par ailleurs que les « époux peuvent avoir des domiciles distincts sans qu’il soit porté atteinte à la communauté de vie »[3] ?
La définition du mariage
Pourquoi se marie-t-on ? Autrefois – c’est-à-dire, il n’y a pas si longtemps – on disait que deux personnes se marient tout simplement parce qu’elles s’aiment et veulent fonder une famille… et que pour cette raison, elles s’engagent à se donner exclusivement l’une à l’autre, l’amour pouvant être défini comme le don inconditionnel et réciproque de soi à l’autre. L’amour rimant avec « toujours », le système était organisé de telle manière que l’union était indissoluble ou presque, (à l’image de ce que dictait le droit canon pour le mariage religieux) et les devoirs issus du mariage étaient d’ordre public, ne pouvant être contournés par la volonté individuelle. C’est ce qui différenciait le mariage du concubinage où l’on ne s’engage pas et où l’on reste libre dans le cadre d’une union précaire. L’amour et la liberté sont-ils bien compatibles ?[4] En tout cas, avec une telle définition, il ne paraissait pas incongru pour un époux marié de pouvoir attendre de l’autre une relation sexuelle. Sinon pourquoi se marier ?
Il ressort de l’arrêt de la Cour européenne une tout autre définition : un mariage est avant tout l’union de deux personnes jalouses de leur individualité et de leur liberté. Et qui finalement ne s’engagent en réalité à rien. De plus, tout mari devient un violeur présumé. Mais alors que va-t-il se passer si l’épouse ne veut plus – au nom de sa liberté sexuelle – avoir de rapports intimes avec son mari alors que lui – au nom de cette même liberté – voudrait légitimement en avoir ? Va-t-il pouvoir recourir à une tierce personne qui sera chargée de remplir l’obligation de son conjoint cocontractant défaillant ?
En d’autres termes, que va devenir le devoir de fidélité que beaucoup voudraient d’ores et déjà supprimer[5] ? Des tribunaux avaient jugé il y a une vingtaine d’années que le devoir de fidélité n’était plus d’ordre public et que les époux pouvaient conventionnellement s’en délier[6]. Ne faut-il pas aller plus loin ? Si le mariage n’est rien d’autre qu’un accord de volonté contractuel, ne peut-on à tout le moins admettre qu’un époux est en droit de soulever l’exception non adimpli contractus de l’article 1219 et qu’il peut en conséquence « notifier dans les meilleurs délais » à son conjoint qu’il « suspend l’exécution de son obligation » de fidélité « dès lors qu’il est manifeste que » son conjoint ne veut pas exécuter son devoir conjugal ?« Ma chérie, puisque tu ne veux plus avoir de rapports intimes avec moi, je t’indique par le présent courrier recommandé que je suspends mon devoir de fidélité ». Et finalement, un époux qui commet l’adultère ne fait-il pas qu’exercer sa liberté sexuelle qui doit être absolue ? Que reste-t-il du mariage ? Jusqu’à ce jour, on répondait : « pas grand-chose ». Maintenant, on peut répondre : « plus rien ». Le mariage n’est-il pas une entrave à la liberté sexuelle ?
La liberté est-elle bien synonyme de l’expression « je fais ce que je veux » ? L’individualisme n’est-il pas synonyme d’égoïsme qui ne conduit qu’à la solitude ? Comment construire une famille durable sur la règle du « chacun pour soi » proche de la défiance ? Pendant longtemps, le christianisme (auquel nul n’a jamais été obligé d’adhérer) a inspiré le droit civil en prônant l’amour comme fondement de toute vie familiale et sociale. Aimez-vous les uns les autres. Mais aujourd’hui, c’est différent. Dans notre société déchristianisée qui ignore l’amour[7], on ne peut pas échapper à la religion civile libertine diffusée par les grands prêtres de la CEDH. Elle ne conduit pourtant qu’à l’isolement et la solitude, mais elle s’impose par la sanction.
Et le sexe ?
Pour un homme, vouloir avoir un rapport sexuel avec une femme devient aujourd’hui une opération à haut risque. Il faut s’assurer du consentement sexuel de l’autre si l’on ne veut pas se retrouver devant le tribunal correctionnel ou pire encore, devant le tribunal des médias. Le consentement n’est jamais présumé même dans le mariage (la présente décision le rappelle) et « qui ne dit mot ne consent pas ». D’ailleurs comment apporter la preuve du consentement et surtout de son étendue (car on peut consentir jusqu’à une certaine limite) ? L’autre est-il d’ailleurs bien majeur ? Y a-t-il une appli à défaut d’un notaire pour constater « le contrat sexuel »[8] ? Comment avoir un rapport sexuel en toute tranquillité ? Le mariage n’est plus une garantie. La question du consentement interpelle cependant : comment garder la tête froide au moment où il semble légitime de vouloir la perdre ? Toutes ces questions peuvent briser les ardeurs de tout candidat et ôter tout intérêt à l’opération.
Les nouvelles technologies apportent heureusement une solution et leurs progrès sont fulgurants. Les robots sexuels féminins, alimentés par l’IA, arrivent sur le marché pour combler tous les désirs du célibataire en détresse. Les huit meilleurs modèles pour 2025 ont été présentés chez AIMOJO TRIBU[9] qui rappelle – aussi – que l’industrie de la sex Tech rapporte aujourd’hui 30 milliards de dollars, qu’elle est en pleine expansion et qu’elle a « beaucoup d’amour à partager » (sic). Le concepteur présente ses robots « qui ne sont pas de simples poupées » mais des « merveilles de technologie humanoïde, mêlant intelligence artificielle et robotique » pour créer des compagnes réalistes. Le robot Marvella se présente ainsi[10] et nous comprenons à la lecture de la notice que, plus il est utilisé et plus il apprend de choses sur son utilisateur. Car son intelligence artificielle raisonne et progresse au fur et à mesure des rencontres. Nous n’en sommes plus au temps où Brassens chantait avec malice que « pour l’amour, on ne demande pas aux filles d’avoir inventé la poudre »[11]. Marvella est délicate sensible et cultivée et comprend ce qu’aime son partenaire. De telle sorte qu’une réelle addiction peut se créer chez l’utilisateur qui peut finir par éprouver un véritable sentiment pour sa machine. Illusion d’amour ? Le robot humanoïde, plus beau et plus intelligent que son homologue humain, reste avant tout une chose dotée d’un propriétaire qui peut donc impunément le détruire sans risque d’être poursuivi pour violences ou féminicide ou qui peut plus simplement encore le mettre au placard s’il ne veut plus le voir.
Dans peu de temps, ces robots extraordinaires auront acquis la totale autonomie et il est fort probable qu’on préférera leur compagnie à celle des humains. Se posera alors sérieusement la question : puis-je épouser la femme robot extraordinaire que j’ai achetée et dont je suis propriétaire ? Ce jour-là, les rapports d’appartenance et d’obligation seront devenus synonymes et le droit des personnes et des biens seront confondus.
Cette confusion traduira notre sortie de l’humanité[12].
À lire aussi, en faveur de la décision de la CEDH, l’analyse de Me Michèle Bauer.
[1] HW/contre France Requête n°13/805/21
[2] (TGI Toulouse 5 Avril 1994 JCP 1995 II 22462°
[3] Article 108 C.Civ
[4] Xavier LABBEE Le droit, l’amour, la liberté DALLOZ 21 Septembre 2023
[5] CHAUVET Le fidélité dans le mariage : un devoir en voie de disparition AJF 2016 148
[6] TGI LILLE 26 Novembre 1999 D 2000 p 254 Note LABBEE
[7] Le mot amour ne figure ni dans le code civil, ni dans la Déclaration des droits de l’Homme.
[8] Xavier LABBEE Le contrat sexuel La gazette du Palais 3 Janvier 2018
[9][9] https://aimojo.io/fr/ai-powered-female-sex-robots/
[10] « En tant que robot avancé alimenté par l’IA, j’incarne le mélange parfait de beauté, d’intelligence et de sensualité.
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[11] Brassens Une jolie fleur (dans une peau d’vache)
[12] Xavier Labbee La confusion des personnes et des choses, un péril mortel pour l’humanité. L’Harmattan 2022
Référence : AJU496134
