CEDH : la mort du devoir conjugal annonciatrice de la fin du divorce pour faute ?
L’arrêt de la CEDH qui a condamné la France le 23 janvier dernier sur la notion de devoir conjugal suscite des débats enflammés. Me Michèle Bauer se félicite de cette décision qui sanctionne une « aberration anachronique » et s’interroge au passage sur l’avenir du divorce pour faute.

Un jour, au début de ce siècle, j’exerçais depuis quelques années seulement, un client vient me consulter : « Je veux divorcer, Maître ! Nous n’avons plus de relations sexuelles avec ma femme, elle ne veut plus coucher avec moi, me dit qu’elle n’a pas envie, elle est obligée Maître, non ? C’est une faute de pas coucher avec son mari, elle doit payer, je veux que sa faute soit retenue, je suis malheureux ! »
« Oui, c’est bien une faute, Monsieur ».
Les études n’étaient pas si loin, et je me souvenais des obligations issues du mariage, de l’article 212 et 215 du Code civil, du devoir de secours, du respect, de la fidélité et de l’obligation à une communauté de vie, entre autres.
Le devoir conjugal est pudiquement caché dans la communauté de vie
Le devoir conjugal est une construction jurisprudentielle.
Comme l’a écrit Jean-Michel Bruguière, Maître de Conférence à l’Université d’Avignon, le devoir conjugal est pudiquement caché dans le Code civil derrière la communauté de vie.
Dans les années 1960, 1970, ne pas respecter son devoir conjugal, celui d’avoir des relations sexuelles avec son époux ou son épouse, peut justifier un divorce pour faute, à condition de prouver cette absence de relations sexuelles, par des preuves médicales.
Retour au début des années 2000 : « Monsieur, si vous voulez ce divorce pour faute, car votre épouse ne couche plus avec vous, il faut le prouver, quelles sont les preuves que vous détenez ? »
— Je n’ai rien, rien du tout, on n’est que tous les deux dans la chambre, vous pensez bien, Maître, que l’on n’invite pas les voisins à venir ! »
La difficulté pour l’avocat est toujours de prouver ses prétentions.
Au début du XXIᵉ, il faut l’avouer, lorsque j’ai reçu cet époux, je ne me suis posé que des questions d’ordre technique, le consentement de l’épouse ou l’absence de consentement qu’exige le respect de ce devoir conjugal ne me choquait pas, c’était comme ça, quand on se mariait, on consentait à avoir des relations sexuelles, le consentement est présumé.
Dans les années 1990, les professeurs de droit qui m’ont enseigné le droit de la famille n’ont jamais abordé cette question du consentement, le devoir conjugal ayant pour origine le droit canonique.
Ces vieux professeurs, qui pour certains ont disparu, étaient restés figés au temps du pater familias.
Un archaïsme voué à disparaitre
Pourtant, en 1990, le viol conjugal a été reconnu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation.[i]
Cet arrêt est passé sans doute inaperçu auprès du juge civil qui a continué à considérer que l’abstention prolongée de relations intimes imputées à l’épouse étaient de nature à justifier du prononcé d’un divorce pour faute, la Cour de cassation a confirmé un arrêt de la Cour d’appel d’Amiens, le 17 décembre 1995. [ii]
En 2006, l’infraction de viol entre époux entre dans la loi, l’article 222-22 du Code pénal reconnait le viol entre époux, mais attention, il fait référence à une présomption de consentement jusqu’à preuve du contraire. Il a fallu attendre 2010 pour que cette présomption de consentement disparaisse.
En pratique, au sein de nos cabinets, le divorce pour faute devient très rare, cantonné très souvent, aux violences conjugales.
Le divorce pour faute pour n’avoir pas respecté ce devoir conjugal est comme le monstre du Loch Ness, tout le monde en a entendu parler, mais personne n’a jamais diligenté cette procédure.
Ce devoir conjugal est devenu archaïque, dans une Société qui évolue, dans laquelle la femme s’est émancipée, où des réflexions nombreuses sont menées sur notre Société patriarcale, où le procès de Gisèle Pelicot a permis de s’interroger sur le consentement dans le cadre de l’infraction de viol…
L’arrêt de la CEDH qui a condamné la France est un arrêt qui doit être salué.
La condamnation de la France est justifiée.
L’arrêt de Cour d’appel de Versailles qui a infirmé le jugement d’un juge aux affaires familiales, le 7 novembre 2019, est à la fois une curiosité juridique et une aberration anachronique.
Le juge aux affaires familiales avait statué conformément à une jurisprudence plutôt constante, l’absence de relations sexuelles et le fait de ne pas respecter la communauté de vie justifient un divorce pour altération du lien conjugal et ne justifient plus un divorce pour faute.
Dans cette affaire, l’époux, qui était en demande, avait sollicité le prononcé du divorce sur ce fondement à titre subsidiaire, il devait savoir que la faute fondée sur le non-respect du devoir conjugal risquait de « ne pas passer ».
Madame reprochait à son époux un manquement à ses devoirs de considération et d’affection entre époux et une attitude constante de dénigrement envers les siens.
La Cour d’appel de Versailles, saisie par l’épouse, a rejeté la demande de divorce pour faute présentée par Madame, estimant qu’elle n’apportait pas assez d’éléments probants et que son état de solitude était lié au choix de vie des époux (Madame travaillait loin de sa famille depuis qu’elle était nommée magistrat à la Chambre régionale des comptes).
En revanche, le fait pour Madame d’avoir refusé de consommer le mariage (ce que Madame a reconnu dans une main courante du 9 mai 2014 dans laquelle elle précise ne plus avoir eu de relations intimes avec son époux depuis 10 ans) constitue une faute malgré les éléments médicaux qu’elle produit. [iii].
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’épouse par un arrêt du 17 septembre 2020, l’épouse a déposé un recours devant la CEDH.
Cette dernière a rendu un arrêt qui a fait beaucoup de bruit.
Et le divorce pour faute dans tout ça ?
Par cet arrêt du 23 janvier 2025, la CEDH a considéré « que le devoir conjugal, tel qu’il est énoncé dans l’ordre juridique interne et qu’il a été réaffirmé dans la présente affaire (paragraphes 14 et 19 ci-dessus), ne prend nullement en considération le consentement aux relations sexuelles, alors même que celui-ci constitue une limite fondamentale à l’exercice de la liberté sexuelle d’autrui ».[iv]
La CEDH indique également que l’existence du devoir conjugal est contraire à la liberté de disposer de son corps et à l’obligation positive de prévention qui pèse sur les Etats cocontractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles.
Cet arrêt est le bienvenu et dissuadera les juges de considérer le non-respect du devoir conjugal, qui n’est nullement inscrit dans le Code civil, comme une faute.
Il existait en effet une sorte de schizophrénie juridique à imposer un devoir conjugal au titre des obligations du mariage, d’une part et à réprimer toute contrainte intervenant dans les relations sexuelles entre époux, comme l’a noté Marie Lamarche, Maître de Conférences à l’Université de Bordeaux (Répertoire Dalloz de droit civil).
Au-delà de cette schizophrénie, la CEDH, par cet arrêt, consacre la liberté des femmes, mais aussi des hommes de disposer de leur corps.
Le Professeur Xavier Labbée a pu s’interroger sur cet arrêt et se demander que devient le mariage dans tout cela ?
La question est plutôt : quel devenir pour le divorce pour faute ?
L’obligation de fidélité risque d’être remise en cause sur le même fondement de la liberté sexuelle et celle de disposer de son corps.
Le divorce pour faute n’a-t-il pas vocation à disparaitre ?
Ce divorce n’est pas encore résiduel, il subsiste, je pense, lorsque des violences conjugales fondent la demande.
Ma Consœur Régine Barthélémy, ancienne Présidente du SAF et spécialiste en droit de la famille, s’est interrogée en 2018 : « Le temps est-il venu de supprimer le divorce pour faute ? ». Sa réponse est non, pour elle, supprimer le divorce pour faute impliquerait une modification d’un équilibre global.
Elle a raison, à l’heure de la lutte contre les violences conjugales, du renforcement des dispositifs de l’ordonnance de protection ; si le divorce pour faute disparaît, comment articuler une ordonnance de protection et le divorce ? Ce dernier ne pourra nullement être amiable et même si la faute est faiblement réparée, la condamnation aux torts d’un des époux est importante symboliquement pour l’autre époux.
[i] Cour de cassation, Chambre criminelle 5 septembre 1990, n°90-83.786
[ii] « Mais attendu que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des preuves que la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation a estimé sans inverser la charge de la preuve que l’abstention prolongée de relations intimes imputées à l’épouse n’était pas justifiée par des raisons médicales suffisantes. » Cass.civ 2. 17 décembre 1997, n°96-15.704
[iii] « Considérant toutefois que de tels éléments médicaux ne peuvent excuser le refus continu opposé par l’épouse à partir de 2004 à des relations intimes avec son mari, et ce pendant une durée aussi longue, alors même que dans le cadre de main courante précitée, Mme-relate les sollicitations répétées de son époux à ce sujet et les disputes générées par cette situation ; > -Considérant ces faits, établis par L’aveu de l’épouse constituent une Violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du manage rendant intolérable le maintien de la vie commune ; Considérant que seule la demande en divorce de M. justifiée tant par des preuves suffisantes, le divorce sera prononcé aux torts exclusifs de l’épouse et le jugement infirmé de ce chef » CA Versailles 31 octobre 2019 , Chambre de la Famille, n°RG 18/05762
[iv] CEDH Affaire H.W c. France du 22 janvier 2025 requête 13805/21
Référence : AJU496191
