Dissolution de la communauté : pas de reprise systématique des sommes reçues par donation
La reprise de sommes d’argent reçues par donation par un époux pendant le mariage suppose qu’elles existent encore et soient demeurées propres à la dissolution de la communauté.
Cass. 1re civ., 2 mai 2024, no 22-15238
Il ne suffit pas de recevoir des fonds à titre gratuit pendant le mariage pour être certain de les reprendre à la rupture du couple marié sous le régime légal. C’est ce que précise l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 2 mai 2024. Deux époux s’y opposent, après leur divorce, sur le sort de sommes données à Madame par ses parents. Considérant qu’elles lui sont propres, la cour d’appel de Bordeaux lui reconnaît un droit de reprise pour leur montant nominal dans un arrêt du 14 décembre 2021. Monsieur conteste cette nature à la dissolution de la communauté et forme un pourvoi en cassation. La question portait donc sur les conditions de la reprise, à la dissolution de la communauté, de sommes reçues à titre gratuit par un époux pendant le mariage. Le 2 mai 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel au visa de l’article 1467, alinéa 1er, du Code civil et renvoie l’affaire et les parties devant la cour d’appel de Bordeaux autrement composée. Elle reproche aux juges du fond de ne pas avoir au préalable constaté que les sommes d’argent, dont la reprise était demandée, existaient encore et étaient demeurées propres à l’épouse donataire à la dissolution de la communauté.
L’arrêt offre la particularité de traiter de la reprise des biens propres, étape préalable au partage des biens communs à la dissolution du régime matrimonial légal, en interrogeant sur le sort d’une somme d’argent donnée à un époux. Il présente l’intérêt d’en poser les conditions, en exigeant non seulement que les fonds aient été reçus à titre de propre mais aussi qu’ils le soient restés, ce qui implique qu’ils ne soient pas tombés en communauté. Malgré l’affirmation du droit à reprise par un époux de ses fonds propres (I), son effectivité est ainsi subordonnée à la persistance de cette nature à la dissolution de la communauté (II).
I – Affirmation du droit à reprise des sommes données à un époux
L’article 1467, alinéa 1er, du Code civil prévoit que lorsque la communauté est dissoute, chacun des époux reprend ceux des biens qui n’étaient pas tombés en communauté, s’ils existent en nature, ou les biens qui y ont été subrogés. Mariés sans contrat de mariage, les époux étaient en l’espèce soumis au régime légal de la communauté réduite aux acquêts, dissoute par leur divorce. La liquidation de la communauté nécessitait par conséquent de déterminer les biens communs, à partager, et les biens propres, échappant à ce partage, qu’il s’agisse de biens propres par nature1, origine2 ou rattachement à un bien propre3. L’épouse avait en l’espèce bénéficié pendant le mariage de donations de sommes d’argent réalisées par ses parents. L’existence de ces libéralités n’était pas contestée, ni même la nature initialement propre de ces sommes, les fonds acquis par donation constituant des biens propres par origine selon l’article 1405, alinéa 1er, du Code civil. La reconnaissance de leur nature commune ab initio aurait nécessité une stipulation particulière de la libéralité mentionnant qu’ils appartiennent à la communauté ou que la donation soit faite aux deux époux conjointement4, ce qui n’était pas établi en l’espèce. Faute d’une telle preuve, la cour d’appel de Bordeaux avait retenu leur nature propre et en avait automatiquement déduit leur reprise par Madame, faisant ainsi application du droit à reprise en nature des biens qui ne sont pas entrés en communauté, dont bénéficie chaque époux à la dissolution de la communauté.
S’agissant d’une donation reçue par un époux pendant le mariage, la nature propre et la reprise qui en découle ne posent pas de problème lorsque le bien donné figure encore dans son patrimoine à la dissolution de la communauté ou que s’y retrouve un bien subrogé au bien donné, acquis à titre de propre par subrogation réelle. Cependant, la difficulté venait en l’espèce du fait que la donation portait sur une somme d’argent, qui n’avait pas été employée à l’acquisition d’un bien déterminé, empêchant la subrogation réelle de jouer au profit du patrimoine propre de l’épouse. La question du droit à reprise portait ainsi sur la somme d’argent elle-même, ce qui concentrait le litige sur le maintien de sa nature propre. La cour d’appel s’en était tenue à la qualification de bien propre par origine au sens de l’article 1405, alinéa 1er, du Code civil, selon lequel restent propres les biens que les époux acquièrent pendant le mariage par succession, donation ou legs, sans s’interroger sur son devenir depuis la libéralité. Il est pourtant nécessaire que les fonds puissent encore être qualifiés de biens propres à la dissolution de la communauté.
II – Subordination de la reprise des sommes données à un époux à la persistance de leur nature propre
Contestant la reprise de la somme litigieuse par son ex-épouse, l’auteur du pourvoi reproche aux juges du fond de ne pas avoir constaté qu’elle était identifiable et le demeurait au jour de la liquidation de la communauté. Il se prévaut, d’une part, de la fongibilité de la monnaie, la somme ayant été versée sur un compte bancaire, et, d’autre part, de la présomption de communauté posée à l’article 1402 du Code civil, qui répute commun tout bien dont la preuve de la nature propre n’est pas rapportée. Il est en effet vraisemblable que le compte bancaire en question ait été alimenté par d’autres revenus de l’épouse, voire du couple, constituant des acquêts au sens de l’article 1401 du Code civil, et qu’il ne soit plus possible d’identifier les sommes reçues de ses parents, devenues ainsi communes. La réponse de la Cour de cassation montre pourtant que leur identification constitue une condition déterminante de l’exercice du droit à reprise. Explicitant les termes de l’article 1467, alinéa 1er, du Code civil, la première chambre civile affirme sans ambiguïté que les biens doivent exister en nature et être restés propres à la date de la dissolution de la communauté pour pouvoir être repris. Elle reproche ainsi aux juges du fond de ne pas avoir constaté que la somme litigieuse existait encore et était toujours propre à cette date. Conforme à la jurisprudence qui considère traditionnellement, sous le régime de la communauté, que les deniers déposés sur le compte bancaire d’un époux sont présumés, dans les rapports entre conjoints, être des acquêts, sauf preuve contraire5, la solution correspond à l’esprit communautaire du régime matrimonial légal. Elle n’en demeure pas moins sévère pour le conjoint gratifié s’il n’a pas pris soin d’isoler ses fonds propres pour écarter la présomption de communauté. Il appartiendra en l’espèce à la cour d’appel de renvoi de se prononcer sur la persistance de la nature propre de la somme litigieuse à la dissolution de la communauté. Faute de pouvoir être identifiée comme telle, elle ne donnera pas lieu à reprise au profit de l’épouse.
Néanmoins, celle-ci pourra demander une récompense à la communauté si cette dernière en a tiré profit, en se fondant sur l’article 1433, alinéa 1er, du Code civil. Il en est ainsi notamment, quand la communauté a encaissé des deniers propres sans qu’il en ait été fait emploi, selon les termes de l’alinéa 2 de cette disposition. La charge de la preuve pèsera alors sur Madame, réclamant une récompense à la communauté, qui devra en principe prouver non seulement l’origine propre des fonds mais aussi l’enrichissement de la communauté. La preuve en sera facilitée par la jurisprudence considérant que l’encaissement des deniers par la communauté fait présumer le profit réalisé par celle-ci, du moins si les fonds ont été versés sur un compte courant ouvert au nom des deux époux6. Dans le cas contraire, la preuve sera plus difficile puisqu’elle devra prouver que des deniers propres ont effectivement profité à la communauté. Si tel est le cas, l’opération sera alors traitée lors de l’établissement des comptes des récompenses7, avant le partage de la masse commune, et non lors de la reprise des biens propres. La différence est importante puisque la somme donnée ne sera pas récupérée par l’épouse, mais le montant de la récompense sera inscrit au crédit de son compte de récompenses, dont seul le solde donnera lieu à règlement8.
L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 2 mai 2024 permet ainsi de préciser les conditions de la reprise des fonds propres, en exigeant qu’ils existent en nature et soient restés propres à la dissolution de la communauté. Appliquée en l’espèce à des deniers reçus par donation, la solution vaut pour toute somme perçue à titre de propre pendant le mariage.
Notes de bas de pages
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1.
C. civ., art. 1404.
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2.
C. civ., art. 1405.
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3.
C. civ., art. 1406 à 1408.
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4.
C. civ., art. 1405, al. 2.
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5.
Cass. 1re civ., 9 juill. 2008, n° 07-16545.
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6.
Cass. 1re civ., 8 févr. 2005, nos 03-13456 et 03-15384 – Cass. 1re civ., 15 févr. 2012, n° 11-10182 – Cass. 1re civ., 10 juin 2015, n° 14-15608.
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7.
C. civ., art. 1468.
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8.
C. civ., art. 1470.
Référence : AJU014b1