Divorce et responsabilité solidaire des parents en cas de dommage causé par leur enfant

Publié le 01/10/2024
Divorce et responsabilité solidaire des parents en cas de dommage causé par leur enfant
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La Cour de cassation vient de rendre un arrêt important dans un dossier qui vise le maintien de la coparentalité lorsque les père et mère sont séparés mais qu’ils sont tous les deux concernés par la mise en œuvre de la responsabilité parentale, leur enfant mineur ayant causé de lourds dommages en étant l’auteur de plusieurs incendies dans des espaces boisés.

Dans cette affaire, les parents avaient divorcé et le père de l’enfant n’avait pas été considéré comme responsable par la cour d’appel en 20221 au motif que la résidence habituelle était fixée au domicile maternel, ce pourquoi un pourvoi en cassation avait été formé (I). La Cour de cassation vient de rappeler les conséquences du divorce sur l’exercice de l’autorité parentale et sur la responsabilité civile parentale (II).

I – Responsabilité du parent avec lequel l’enfant réside après le divorce du couple

Au cas d’espèce, le couple parental était séparé et le mineur auteur du dommage résidait uniquement chez sa mère car, conformément à l’article 373-2-9 du Code civil, la résidence peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux. Même si le père bénéficiait d’un droit de visite et d’hébergement – étant donné qu’il n’y avait pas eu de retrait de l’autorité parentale – les juges n’avaient retenu que la responsabilité du parent chez lequel était fixée la résidence habituelle du mineur. Cette solution semblait critiquable, car la responsabilité parentale est prévue en cas de dommage causé par les mineurs2 et celle-ci est encore exercée conjointement par les parents séparés. De fait, considérer que seul le parent, au domicile duquel la résidence habituelle de l’enfant mineur a été fixée, est responsable de plein droit des dommages causés par ce dernier est une réponse juridique qui devait être modifiée.

Quand un mineur cause des dommages, la responsabilité des parents est visée par l’article 1242, alinéa 4, du Code civil : « Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ». En effet, tant que l’enfant n’a pas atteint l’âge de la majorité ou n’a pas bénéficié d’une émancipation, les dommages qu’il cause doivent être pris en charge par ses parents, puisque ces derniers ont pour mission d’élever leur enfant mineur et de le prendre en charge. Si celui-ci cause des préjudices à autrui, ils sont civilement responsables. Il était noté précédemment – le texte précisant « habitant avec eux » – que seul le parent qui continue de cohabiter avec son enfant quand le couple est séparé doit être jugé responsable3.

Dans cette affaire, l’enfant mineur avait provoqué une série d’incendies qui avaient causé de très lourds dommages et, en première instance, ses parents avaient été jugés tous les deux responsables par le tribunal judiciaire. Toutefois le père avait interjeté appel, précisant que la résidence de l’auteur de ces faits était fixée chez la mère et qu’il ne cohabitait donc pas avec l’enfant, n’ayant droit qu’à des temps de présence ponctuels, liés au droit de visite et d’hébergement. La cour d’appel d’Aix-en-Provence avait fait droit à sa demande, lui donnant raison et estimant que seule la mère devait être responsable, raison pour laquelle un pourvoi en cassation avait été formé. Il aurait donc fallu, selon les juges du fond, que le père ait commis une faute personnelle pour que sa responsabilité soit engagée, ce qui n’était pas le cas.

La mère, le mineur et des parties civiles ont ensuite formé des pourvois en cassation, estimant que la notion de cohabitation familiale était mal prise en compte4. Ils ont également déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), considérant que les textes juridiques applicables portaient atteinte au droit de mener une vie familiale normale et à l’égalité entre parents. Plus tard, la chambre criminelle de la Cour de cassation a bien entendu leurs critiques5 et a décidé de renvoyer leur QPC au Conseil constitutionnel le 14 février 2023, afin de revoir la notion de cohabitation6. Néanmoins, le Conseil constitutionnel, dans sa décision rendue le 21 avril 20237, n’a pas partagé ce point de vue, les membres du Conseil ayant estimé que la mesure critiquée par la mère de l’enfant auteur d’un incendie était parfaitement conforme à la Constitution. L’affaire ne s’est donc pas arrêtée, l’arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation étant en attente.

II – Responsabilité des deux parents, malgré leur divorce, en cas de dommage causé par leur enfant

Un revirement était attendu en matière de responsabilité parentale car la différence de traitement entre les parents pouvait paraître injustifiée, mais aussi parce que les victimes du dommage causé par un mineur n’avaient pas la possibilité jusqu’ici de rechercher la responsabilité de plein droit du parent chez lequel la résidence de l’enfant n’est pas fixée.

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a effectivement procédé à des changements et mis en place la résidence parentale solidaire le 28 juin 2024, même si l’enfant ne vit au quotidien qu’avec un seul parent parce que le couple parental s’est séparé, à condition toutefois que la coparentalité soit maintenue, ce qui est par principe le cas depuis la loi n° 2002-305 du 4 mars 20028. En effet, l’article 373-2, alinéa 2, du Code civil mis en place par cette loi prévoit que « la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale ». En l’espèce, malgré leur divorce, les père et mère exerçaient encore conjointement l’autorité parentale, raison pour laquelle la Cour de cassation a estimé que les juges de la cour d’appel avaient violé les articles 1242 du Code civil et 18.1 de la Convention internationale des droits de l’enfant, ce texte imposant aux États d’assurer la reconnaissance du principe de la coparentalité dont le but est de bien élever son enfant et d’assurer son développement. Dans cette affaire, le père était effectivement encore titulaire de l’autorité parentale.

Ce dossier met l’accent sur les conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile des parents divorcés à l’égard de l’attitude critiquable de leur enfant mineur. Il permet de rappeler que le père et la mère auxquels est confiée l’autorité parentale sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux, et qu’il convient par conséquent de ne pas écarter l’un des parents lorsque le couple a divorcé et que la résidence des enfants a été fixée au domicile maternel. Ainsi, les parents séparés sans que la coparentalité soit remise en question sont tous les deux responsables des dommages causés par leur enfant, même quand celui-ci ne réside que chez l’un de ses parents. On peut effectivement parler de cohabitation quand il s’agit d’une résidence alternée mais aussi lorsque la résidence habituelle est fixée chez l’un des parents et que l’autre bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement et se trouve donc toujours titulaire de l’autorité parentale.

Il importe donc de ne pas tenir compte de la mise en place d’une résidence du mineur chez un seul parent pour écarter la responsabilité de l’autre. La responsabilité civile parentale n’est effectivement pas à réduire lorsque le couple parental divorce ou se sépare, le parent qui n’a qu’un droit de visite et d’hébergement n’étant pas voué à se désintéresser de l’éducation de ses enfants, mais aussi de manière à maintenir l’égalité des père et mère. Il faut assurément que la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant soit bien maintenue, mais aussi que l’on puisse garantir l’indemnisation du préjudice subi par la victime.

Cet arrêt du 28 juin 2024 est à saluer car, dans le cadre de la mise en œuvre de la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur, il paraissait inopportun qu’un parent titulaire de l’autorité parentale ne soit pas visé lorsque le couple s’est séparé ou a divorcé et que la résidence habituelle de l’enfant est fixée chez l’autre parent.

La question de la cohabitation, nécessaire pour que les parents soient jugés responsables des dommages causés par leurs enfants mineurs, ne doit plus être rattachée uniquement à la résidence habituelle lorsque les parents se sont séparés comme ce pouvait être le cas précédemment9. Désormais, lorsque les père et mère exercent conjointement l’autorité parentale, la condition de cohabitation est remplie même lorsqu’ils sont séparés et que la résidence habituelle de l’enfant est fixée chez l’un des parents, l’autre parent demeurant civilement responsable des dommages causés par l’enfant tant qu’il est mineur.

Cet arrêt confirme donc la nécessité de mettre en place une responsabilité solidaire entre les deux parents, hormis dans les cas où l’un d’entre eux ne serait plus titulaire de l’autorité parentale si le juge a estimé que cela n’était pas conforme à l’intérêt de l’enfant. En outre, les juges rappellent qu’il n’est pas nécessaire de prouver une faute commise par le mineur pour que ses parents soient responsables mais qu’il suffit que son attitude ait causé le dommage, en l’occurrence des dégâts matériels considérables.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CA Aix-en-Provence, 17 juin 2022, n° 21/06391.
  • 2.
    F. Boulanger, « Autorité parentale et responsabilité des père et mère des faits dommageables de l’enfant mineur », D. 2005, Chron., p. 2245.
  • 3.
    Cass. 2e civ., 20 janv. 2000, n° 98-14479 : Bull. 2000, II, n° 14 ; D. 2000, p. 469, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2000, p. 340, obs. P. Jourdain – Cass. crim., 6 nov. 2012, n° 11-86857 : Bull. crim. 2012, n° 241 ; D. 2012, p. 2658, obs. I. Gallmeister ; RTD civ. 2013, obs. J. Hauser – Cass. crim., 29 avr. 2014, n° 13-84207 : Bull. crim n° 116 ; D. 2014, p. 1620, obs. L. Perdrix ; RTD civ. 2014, p. 639, obs. J. Hauser.
  • 4.
    I. Corpart, « Vives discussions sur la cohabitation », LPA 31 mai 2023, n° LPA202h6.
  • 5.
    Cass. crim., QPC, 14 févr. 2023, n° 22-84760.
  • 6.
    A. Cayol, « Conformité à la Constitution du régime de responsabilité des parents du fait de leurs enfants », Dalloz actualité, 11 mai 2023 ; M. Bleusez, « Responsabilité des parents du fait de leurs enfants : la notion de cohabitation jugée conforme à la Constitution », D. 2023, p. 1787.
  • 7.
    Cons. const., QPC, 21 avr. 2023, n° 2023-1045.
  • 8.
    JO, 5 mars 2002.
  • 9.
    L. Perdrix, « Coparentalité et responsabilité du mineur : l’embarrassant critère de la cohabitation », note ss Cass. crim., 29 avr. 2014, n° 13-84207, D. 2014, p. 1620 ; A. Ponseille, « Le sort de la cohabitation dans la responsabilité civile des père et mère du fait dommageable de leur enfant mineur », RTD civ. 2003, p. 645 ; M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Responsabilité des parents : le glas de la cohabitation », JCP G, 13 avr. 2005, n° 15, p. 737.
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