Donations entre époux : les textes changent mais les problèmes demeurent
À défaut de démontrer le caractère rémunératoire de la donation, cette dernière est révocable selon le régime juridique en vigueur à l’époque de sa conclusion. En revanche, le délit d’escroquerie contre la société du donataire n’est pas une cause d’ingratitude prévue à l’article 955 du Code civil.
Cass. 1re civ., 19 oct. 2016, no 15-25879
1. Si la loi n° 2004-439 du 26 mai 20041, réformant le divorce, a modifié profondément le régime juridique des donations entre époux en cas de rupture du couple, les dispositions transitoires imposent à certaines d’entre elles d’être soumises à l’ancien régime. On ne compte plus les affaires dans lesquelles la jurisprudence vole littéralement au secours d’un époux qui s’oppose à la demande de restitution en invoquant l’existence d’une donation à son profit2. Nombre de demandeurs se sont appuyés sur la question de savoir si le transfert de valeurs mobilières ou immobilières s’est produit avant ou après le 1er janvier 2005, date d’entrée en vigueur de la loi du 26 mai 2004 modifiant le droit du divorce3. Force est de reconnaître que si la donation entre époux a été conclue avant le 1er janvier 2005, parce qu’à l’époque les donations entre époux de biens présents étaient révocables, le conjoint alors intérêt à invoquer l’existence d’une donation rémunératoire, à condition de rapporter la preuve d’une suractivité professionnelle ou domestique. Depuis le 1er janvier 2005 et conformément à l’article 1096, alinéa 2, du Code civil, dans la mesure où les donations entre époux de biens présents sont devenues irrévocables, il appartient à l’époux bénéficiaire d’une donation de démontrer l’existence de cette dernière afin de conserver les biens transmis4.
2. Notre cas d’espèce5 relève de la première hypothèse. À la suite d’une procédure de divorce des époux séparés de biens, le mari demande que la donation entre époux consentie à Mme X de l’immeuble, sis… soit révoquée. En réplique, l’épouse plaide qu’elle a participé volontairement et gratuitement à l’activité de la société Innov habitat, dirigée par son mari, et que, dans ces conditions, le fait pour celui-ci de payer, en lieu et place de son épouse, la part qui lui incombe dans le prix d’acquisition de l’immeuble constituant le domicile conjugal, s’analyse comme une donation rémunératoire échappant à la révocabilité. De plus, le mari demande la révocation pour ingratitude de la donation consentie à Mme X du terrain de Quincy.
3. Sur le caractère rémunératoire de la donation, la haute juridiction régulatrice censure la décision des juges du fond pour ne pas avoir recherché si l’épouse avait sur-contribué aux charges du mariage (I). Pour autant, la Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que les juges du fond ont souverainement appréciés les éléments de fait permettant d’exclure la révocation de la donation du terrain de Quincy pour cause d’ingratitude (II).
I – Sur le sort de la donation rémunératoire
4. La Cour de cassation affirme que la qualification de la donation rémunératoire (A) exige d’apprécier si le demandeur a excédé son obligation de contribuer aux charges du mariage (B).
A – La notion de donation rémunératoire entre époux
5. La jurisprudence contemporaine a découvert et développé la donation rémunératoire impliquant qu’un transfert de valeurs puisse être réalisé par un époux pour rémunérer la collaboration à venir de son conjoint6. Ainsi, a-t-il été jugé que « pour admettre l’existence d’une donation “rémunératoire” en faveur de l’épouse, il faudrait que celle-ci ait consenti des sacrifices excédant son obligation de contribuer aux charges du mariage ; que tel n’est pas le cas en l’espèce, l’épouse, sans qualification professionnelle, ne s’étant arrêtée de travailler que pendant quatre ans, pour reprendre ensuite un emploi à temps partiel et ne justifiant pas avoir de ce fait compromis son avenir professionnel »7.
6. Au plan des régimes matrimoniaux, la donation rémunératoire défraie pourtant la chronique, les juges hésitant quant à la qualification de cette dernière. En l’espèce, le mari donateur tentait alors d’obtenir la révocation de la donation alors que l’épouse plaidait le fait qu’elle bénéficiait d’une donation rémunératoire échappant à la révocation à défaut d’intention libérale de son mari. La Cour de cassation ne lui donne pas satisfaction en précisant : « qu’en toute hypothèse, le financement par un époux d’une acquisition faite en indivision pendant le mariage ne rémunère la collaboration professionnelle de son conjoint que si celle-ci a excédé sa contribution aux charges du mariage ; qu’en se bornant à relever, pour retenir l’existence d’une donation rémunératoire, que Mme X avait participé gratuitement à l’activité de la société Innov habitat, sans constater que cette participation avait excédé ses facultés contributives, et après avoir relevé qu’elle n’avait pas été d’ampleur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 214 et 1096, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2005, du Code civil ».
B – Sacrifices excédant l’obligation de contribuer aux charges du mariage
7. Le contentieux de la donation rémunératoire a apporté sa pierre à la construction de l’édifice de cette institution qui était déjà connue sous l’Ancien droit. Il n’est pas surprenant que la haute juridiction admette cette dernière. C’est ainsi que dans un arrêt rendu en 2006, la Cour de cassation a pu estimer « que les règlements opérés par M. X de mars 1992 à janvier 1995 et relatifs à des emprunts ayant financé partiellement l’acquisition, par Mme Y, d’un appartement constituant le logement de la famille participaient de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage, n’avait pas à rechercher si la présomption édictée par la clause insérée au contrat de mariage était simple ou irréfragable, dès lors que Mme Y ne la remettait pas en cause ; que le moyen n’est pas fondé ; Par ces motifs : rejette le pourvoi »8.
8. La haute juridiction côtoie régulièrement cette question de la qualification de la donation rémunératoire à l’occasion de deux principales causes des versements litigieux. Le premier versement concerne la rémunération du conjoint pour sa collaboration professionnelle. Le second consiste dans la « rémunération » du conjoint pour son activité dans la direction du foyer. Il ne reste plus qu’à la Cour de cassation de vérifier que dans les deux cas l’activité ait excédé la contribution aux charges du mariage qui incombe à cet époux9.
9. Au cas d’espèce, la haute juridiction rappelle aux juges du fond qu’ils auraient dû constater que la participation de l’épouse avait dépassé son obligation de contribuer aux charges du mariage. Il en résulte que la donation pouvait être remise en cause. Le régime des donations entre époux a évolué depuis la loi du 1er janvier 2005. Rappelons, en effet, qu’il convient d’opérer la distinction entre les donations de biens présents et les donations de biens à venir. En ce qui concerne les premières, le transfert de propriété s’opère au jour de la conclusion de la donation. En l’espèce, la Cour de cassation précise que « (…) la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 214 et 1096, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2005, du Code civil ». Il en résulte que la donation de « l’immeuble sis… », sera librement révocable10. Au surplus, sous l’empire du droit antérieur à la loi du 26 mai 2004, les règles applicables en la matière s’articulaient suivant la typologie des cas de divorce11.
II – Sur le sort de la donation entre époux de biens présents
10. Selon la haute juridiction, la révocation d’un acte de donation pour ingratitude ne peut être prononcée que pour des faits commis à l’encontre du donateur (A) nécessitant une interprétation stricte de l’article 955 du Code civil (B).
A – Causes d’ingratitude susceptibles de faire révoquer un acte de donation entre époux
11. Le Code civil consacre une peine privée comme fondement de la révocation de la donation pour ingratitude. Aussi la donation entre vifs ne pourra être révoquée pour cause d’ingratitude que dans trois cas12. Tout d’abord, si le donataire a attenté à la vie du donateur. Ensuite, si le donataire s’est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves. Enfin, s’il lui refuse des aliments13. Comment apprécier le comportement du donataire pour prononcer la révocation de la donation ? Il ne fait pas de doute qu’il s’agit avant tout d’une question de fait dont les circonstances et les éléments sont souverainement appréciés par les juges du fond.
12. La doctrine dominante admet généralement que le terme « délits » utilisé dans l’article 955 du Code civil recouvre « tous les actes punis par la loi pénale et accomplis par le donataire à condition que les faits soient graves »14, et estiment que les délits « doivent avoir un caractère injurieux pour le donateur qu’ils lèsent dans sa personne ou dans ses biens (escroquerie, abus de confiance, etc.) »15. En l’espèce, la Cour de cassation estime au contraire que les juges du fond ont parfaitement considéré que ce délit n’était pas de nature à constituer l’une des causes de révocation prévues à l’article 955 du Code civil.
13. La notion d’ingratitude est bien différente de celle d’indignité. Certes, les auteurs expliquent avec pertinence que « l’article 727 du Code civil évoquant l’indignité successorale qui suit la condamnation de l’héritier ayant tenté de tuer le successible, l’article 955 du même Code, selon lequel la condamnation pour tentative de meurtre sur la personne du donateur peut provoquer la révocation de la donation pour cause d’ingratitude »16. Alors que l’ingrat perd ses donations révoquées, il demeure héritier pour le reste du patrimoine du de cujus. La sanction est radicale pour l’indigne qui est privé de tous ses droits successoraux.
B – Interprétation stricte de l’article 955 du Code civil
14. Les juges du fond devaient rechercher, comme il leur était demandé, si le délit d’escroquerie commis au préjudice de la société Innov habitat concernait également la personne du donateur, en l’occurrence le mari, qui exerçait des fonctions sociales au sein de celle-ci. Les magistrats considèrent que l’infraction d’escroquerie de l’épouse était commise au préjudice de la société dirigée par le mari. Or, la décision de la cour d’appel de Bourges refusant la révocation de la donation est approuvée par la Cour de cassation qui rejette le pourvoi sur ce point. Cette solution des juges du fond découle du principe de l’interprétation stricte de l’article 955 du Code civil.
15. La jurisprudence paraît ainsi constante en faveur de l’interprétation stricte de l’article 955 du Code civil. C’est ainsi que la cour d’appel de Toulouse a rendu le 26 octobre 2000 une décision, moralement critiquable, sur la non-application de l’indignité successorale aux donations universelles de biens à venir ou institutions contractuelles. Il a été jugé que la disposition de l’article 727 du Code civil ne s’appliquait pas à des droits résultant d’une donation de biens à venir17. Certes, cette décision de la cour d’appel de Toulouse a été rendue avant l’entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 200118 portant réforme du droit des successions qui reste d’actualité car, comme l’écrit fort justement le professeur Jean-Baptiste Donnier : « (…) mais les causes de révocation des donations pour ingratitude, telles qu’elles résultent de l’article 955 du Code civil, ne correspondent pas aux causes d’indignité successorale. L’ingratitude sanctionne des agissements moins graves que l’indignité, tels que le refus d’aliments par exemple. Par ailleurs, et c’est le motif essentiel de la distinction, le domaine de l’indignité est distinct de celui de l’ingratitude, l’indignité successorale étant propre au droit des successions (…) »19.
16. Même si la Cour de cassation condamne les juges du fond pour défaut de qualification de la donation rémunératoire, cet arrêt n’en reste pas moins notable car il permet de s’interroger sur les aménagements conventionnels à la contribution aux charges du mariage.
Notes de bas de pages
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1.
Entrée en vigueur le 1er janv. 2005.
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2.
Fleuriot C., « Le contentieux liquidatif de la séparation de biens », Dalloz actualité, 11 juill. 2011.
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3.
Ibid.
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4.
Ibid.
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5.
V. égal. Louis D., « Précisions sur le sort des donations entre époux », Dalloz actualité, 10 nov. 2016 ; « Causes d’ingratitude susceptibles de faire révoquer un acte de donation », JCP N 2016, n° 43-44, act. 1164 ; Le Gallou C., « Il ne peut y avoir révocation d’une donation pour ingratitude si les faits ont été commis à l’encontre de la société du donateur », Dr. & patr. hebdo, 31 oct. 2016, n° 1075 ; « Les conditions pour révoquer une donation pour cause d’ingratitude sont étroites », 20 oct. 2016, http://www.boursorama.com.
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6.
« Maintien du principe d’irrévocabilité (L. n° 2006-728, 23 juin 2006) », Le Lamy Droit des Régimes Matrimoniaux, Successions et Libéralités, n° 355-45.
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7.
Beignier B., « Donation rémunératoire : ne pas oublier de démontrer les faits qui justifient la requalification », Dr. famille 2006, comm. 152 ; Cass. com., 16 mai 2006, n° 05-15552, F-D : Brémond V., « Donation entre époux mars 2013 (actualisation : janvier 2015) », Rép. civ. Dalloz, n° 42.
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8.
Cass. 1re civ., 14 mars 2006, n° 05-15980.
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9.
Brémond V., « Donation entre époux mars 2013 (actualisation : janvier 2015) », art. préc.
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10.
Pour les donations de biens qui ont été consenties sans contrat de mariage après le 1er janvier 2005, elles sont irrévocables.
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11.
« Révocation de plein droit à l’occasion du divorce (L. n° 2004-439, 26 mai 2004) », Le Lamy Droit des Régimes Matrimoniaux, Successions et Libéralités.
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12.
Égéa V., « Libéralités », Rép. proc. civ., n° 89.
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13.
Ibid.
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14.
Campels C., « La révocation d’une donation pour ingratitude du donataire : l’épineuse question du délai pour agir », RLDC 2011, n° 78.
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15.
Ibid.
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16.
Caron D. – Actualisé par Mélina Douchy-Oudot, Fasc. 30 : « Autorité de la chose jugée – Autorité de la chose jugée au pénal sur le civil », n° 6.
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17.
Patarin J., « Indignité successorale » (C. civ., art. 727). Non-application aux donations universelles de biens à venir ou institutions contractuelles. L’épouse survivante, déclarée coupable d’avoir donné la mort à son mari, peut-elle se prévaloir de la donation universelle de biens à venir consentie par celui-ci pour exiger le paiement intégral d’une créance du mari contre un tiers ?, RTD civ. 2001, p. 404 (CA Toulouse, 26 oct. 2000, D) ; Alric C., « Non-application de l’indignité successorale aux donations universelles de biens à venir ou institutions contractuelles », http://www.legalnewsnotaires.fr.
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18.
L. n° 2001-1135, 3 déc. 2001, relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral.
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19.
Donnier J.-B., « Successions. – Qualités requises pour succéder. – Indignité successorale », JCl. Civil Code, art. 726 à 729-1, fasc. 20.