Donner la vie, de quel(s) droit(s) ?Nouvelles réflexions après l’avis du comité consultatif national d’éthique

Publié le 20/09/2017

L’avis attendu, remis en juin 2017, par le comité consultatif national d’éthique (CCNE), relance les réflexions sur les manières existantes de donner la vie. Au-delà des slogans ou raccourcis, employés par les uns ou les autres, cet avis, riche de nombreuses consultations et échanges, de plus de 70 pages, est nuancé, ne décide pas et invite à approfondir la réflexion, avant que le pouvoir politique ne décide du sort à réserver à ces propositions et orientations.

Facebook et Apple pourraient subventionner la congélation d’ovocytes de leurs employées. S’agit-il d’une phrase tirée d’un roman de science-fiction ou d’une réalité imminente, porteuse de progrès ? Ainsi titrait en tout cas un quotidien national1 sur le sujet de la conservation d’ovocytes par de jeunes femmes pour l’avenir.

L’assistance médicale à la procréation (AMP) est le terme générique qui couvre plusieurs domaines techniques et éthiques différents. Le rapport aborde successivement trois champs qui, s’ils ont pour dénominateur commun de concerner l’acte de donner la vie dans ses multiples facettes, comportent chacun des spécificités telles que les réflexions qu’ils suscitent ne peuvent qu’être différemment argumentées.

Il importe de rappeler en premier lieu les techniques existantes afin de remédier à l’infertilité de couples hétérosexuels ; ces techniques étant la base de nouvelles techniques élaborées au fil des capacités techniques et des recherches, parallèlement aux évolutions de la société et des demandes sociétales qui apparaissent dans la période la plus récente.

La première de ces techniques fut l’insémination artificielle avec donneur (IAD) de sperme. Les équipes médicales qui constituèrent les CECOS2 pour organiser ce don, s’attachèrent à élaborer des principes éthiques qui seront repris par le législateur en 1994. Il s’agissait d’apporter une réponse médicale à un problème d’infertilité et de donner à l’enfant qui naîtrait le cadre familial habituel à cette époque3.

Dans un premier temps, le choix du législateur était clair : celui de techniques médicales destinées exclusivement à pallier l’impossibilité naturelle d’un couple constitué d’un homme et d’une femme, de procréer. Ainsi, l’IAD, comme les autres formes d’AMP (aide médicale à la procréation), a été réservée à des couples, « un homme et une femme vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins 2 ans… ». L’article L. 152-2 du Code de la santé publique précisait sans ambiguïté qu’il s’agissait de « remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué. Elle peut aussi avoir pour objet d’éviter la transmission à l’enfant d’une maladie d’une particulière gravité ».

Le choix du législateur dans ce sens strict et ferme s’est accompagné de deux principes directeurs s’agissant du don de gamètes : celui de l’anonymat et de la gratuité. À partir de ces principes, un faisceau de paramètres est venu brouiller la clarté du propos législatif. S’il est un domaine où le fait et le droit ne sont pas toujours synchrones, c’est sans doute bien celui des droits de la vie au sens le plus large du terme.

L’avis du CCNE arrive ainsi à un moment où les techniques médicales progressent, les lois relatives à la notion même de couple ont évolué, les demandes sociétales se multiplient sans trouver de consensus social et enfin, l’internationalisation des échanges conduit l’individu en tant que tel à s’orienter vers d’autres destinations que son lieu de résidence, là où ses choix de vie pourront trouver une réponse technique. Le sujet est éminemment complexe et sensible en ce qu’il mêle la technique et l’éthique, en ce qu’il se situe au cœur de plusieurs acteurs en présence : l’autorité publique, dont la mission est de veiller à la sauvegarde de l’intérêt général, au-delà des intérêts privés, mais aussi dont la mission est d’être à l’écoute des évolutions sociales pour en tirer les conséquences propres à une époque ; les individus désireux de bénéficier des techniques existantes, avec des motivations qu’ils tiennent évidemment pour légitimes ; et, ce qui est cardinal dans la réflexion à mener, l’enfant à naître, dont l’intérêt supérieur doit être protégé.

Ainsi, les trois champs de réflexion analysés et approfondis par l’avis du CCNE sont d’abord la question de la conservation des ovocytes (I), ensuite, celle de la procréation médicalement assistée pour les femmes seules ou les couples de femmes (II) et enfin, la très controversée et sensible gestation pour autrui (III).

I – La question de la conservation des ovocytes : les termes du débat et la solution retenue dans l’avis du CCNE

Cette question peut être perçue soit comme conjoncturelle, soit comme structurelle, avec des conséquences très différentes selon l’option retenue. La question est conjoncturelle si l’on estime que la volonté des femmes de trouver une technique de conservation de leurs ovocytes afin de se ménager le plus de possibilités de procréer « le moment venu », qui peut être lointain, pour de multiples raisons dont les évolutions du travail des femmes, est liée à une époque et ne durera pas. Mais, de conjoncturelle, cette question pourrait devenir structurelle si la tendance à l’allongement des études, aux modes de vie des femmes, conscientes de l’horloge biologique dans un sens, mais dans le même temps, soucieuses d’attendre le bon moment, devait durer.

Sur ce sujet, une phrase contenue dans le rapport du CCNE nous semble bien résumer les enjeux : « Ainsi, les ovocytes prélevés “jeunes” seraient intégrés après leur fécondation dans un corps qui, lui, aurait vieilli »4. Cette phrase, un peu cruelle, mais réaliste, porte implicitement les limites de l’exercice. D’ailleurs, on ne s’étonnera pas, au regard de cette formule d’emblée négative qui ouvre le chapitre du rapport du CCNE sur ce sujet, que ce dernier se prononce défavorablement.

Le rapport rappelle en premier lieu que le principe d’une autoconservation des ovocytes est déjà prévu et fortement encadré par la loi. En effet, en cas de traitement stérilisant ou des maladies auto-immunes menaçant à moyen terme la fertilité des femmes, la cryogénisation est autorisée. En effet, le législateur, en adoptant la loi relative à la bioéthique de 1994, a organisé le don de gamètes en respectant son caractère anonyme et gratuit, et a limité à des personnes ayant déjà procréé la possibilité de réaliser un don. L’objectif de cette limitation était que les personnes donneuses d’ovocytes puissent mesurer la portée de leur geste, ne consentir au don qu’en l’assumant totalement et librement, sans y être incitées par autre chose qu’un sentiment altruiste. Elle évitait aussi le risque que des femmes nullipares, ayant procédé à un don, se retrouvent ensuite dans l’impossibilité d’avoir des enfants.

La pratique de l’autoconservation de gamètes n’était autorisée en France qu’en cas de pathologies ou de traitements affectant la fertilité (traitement anticancéreux stérilisant, maladie génétique ou auto-immune5). En 2011, le législateur a inscrit une nouvelle possibilité : l’autoconservation ovocytaire en contrepartie d’un don d’ovocytes.

Ces cas spécifiques de conservation autorisée doivent être distingués de ce que le rapport nomme de manière lisible, la « conservation de précaution ». Cette volonté de femmes jeunes de conserver des ovocytes pour plus tard se heurte à une série de considérations éthiques, mais aussi médicales, que le rapport met en évidence.

Faut-il en effet aller au-delà et autoriser en France, une pratique qui, s’étant développée dans d’autres pays comme en Espagne par exemple, crée un certain tourisme de la conservation des ovocytes par les femmes ?

Les termes de la demande sociale en la matière sont ainsi résumés par le rapport du CCNE. Pour une femme qui n’aurait pas eu l’opportunité de réaliser son désir d’enfant plus tôt, l’autoconservation de ses ovocytes à un âge où sa fertilité est encore optimale lui permettrait, en cas de souhait tardif de grossesse et de difficulté pour l’obtenir, d’utiliser ses propres ovocytes préservés à un âge jeune. Alors même que son capital folliculaire aurait diminué, le taux de succès de l’AMP serait proche de celui d’une AMP réalisée à l’âge auquel elle a conservé ses ovocytes. L’élément déterminant de ce succès est le nombre et la qualité des ovocytes utilisés, mais le protocole de ponction des ovocytes reste lourd, et le taux de succès n’est pas total6. Comptent aussi pour obtenir la naissance d’un enfant, la capacité utérine d’implantation de l’embryon et les conditions de santé cardio-vasculaire et métaboliques de la mère pour mener à bien la grossesse.

Il est probable que la majorité de ces femmes enfanteraient spontanément et n’auraient finalement pas besoin de recourir à leurs ovocytes cryoconservés. Dans ce cas, et si les femmes acceptaient de les donner, un stock d’ovocytes « jeunes » serait disponible pour l’AMP7.

Une telle évolution porte en elle-même des hiatus que l’on ne peut passer sous silence. Le premier tient dans une disjonction temporelle, entre le moment de la jeunesse des ovocytes et le moment d’un corps plus âgé qui pourrait, le cas échéant, accueillir ces ovocytes conservés préalablement. Il s’agit même d’une certaine disjonction matérielle, par la mise à part d’une partie d’elle-même par la femme concernée, pour la retrouver – peut-être – ultérieurement. À ce sujet, le rapport insiste sur la circonstance que cette démarche de précaution a des chances de ne pas être utilisée, la femme pouvant dans de nombreux cas, finalement procréer naturellement et sans avoir recours aux ovocytes en question.

Outre ces disjonctions, le rapport identifie trois types de nouvelles relations : la relation à soi et la société, la relation au monde médical et enfin le recours à un tiers. Il nous semblerait aussi pertinent d’ajouter une réflexion sur la relation à l’enfant à naître dans ce genre de situation. S’agissant de la relation à soi et à la société, le rapport pointe en filigrane, une certaine illusion que porterait cette méthode autour de l’autonomie recherchée par la femme qui souhaiterait, hors du cadre législatif actuel, avoir recours à ces méthodes. Une telle autonomie ne peut être que relative et incertaine. Elle est relative car la présence d’un homme ou d’un donneur – qui est un homme inévitablement, nonobstant le caractère à ce jour gratuit et anonyme du don de gamètes – est quoi qu’il en soit, nécessaire. Elle est incertaine car le taux de réussite reste de l’ordre de 70 %. Le rapport évoque sur ce thème la notion de « pseudo-assurance »8.

S’agissant de la relation au monde médical, elle serait également modifiée dans un tel contexte, très différent de celui de la conservation dite pathologique. La relation au monde médical se double d’une relation à la société dans la dimension de sécurité sociale qu’elle comporte. Le rapport interroge sur le bien-fondé éventuel d’une prise en charge de ces techniques. Enfin, sur le registre de la relation au monde médical, le rapport rappelle implicitement que le risque médical zéro n’existe pas. Or, quand bien même cette technique serait utilisée, autorisée, pour de jeunes femmes en bonne santé, les techniques utilisées supposent des actes médicaux, notamment de stimulation hormonale, dont les risques futurs sur la santé des patientes ne sont pas connus.

Vis-à-vis du rapport à la société en général, le rapport pointe une série de difficultés posées par une éventuelle généralisation de l’accès à cette technique. Ainsi, se trouve citée la traditionnelle pression de la société sur les femmes afin de les inciter à procréer dans des délais raisonnables. La conciliation de la vie professionnelle et de la volonté de fonder une famille se heurte dans certains cas à des contraintes difficiles à dépasser. La question de la prise en charge par la société est également posée.

Enfin, comme on l’a évoqué plus haut, outre ces diverses relations potentiellement modifiées, une question ne peut être éludée et nous semble mériter d’être posée, à maints égards, celle de la relation entre la mère et l’enfant à naître. Elles sont au moins de deux ordres, biologique et philosophique. D’un point de vue biologique, comme le rapport le souligne, les techniques demeurent incertaines sur les risques qu’elles font peser sur la santé de la mère à moyen et long terme. Qu’en est-il de ces techniques sur la vie future de l’enfant ? D’un point de vue philosophique et éthique, la question de l’accès aux origines est une question très sensible et qui fait partie de la constitution mentale de l’enfant puis de l’adulte. Or si le principe de la conservation dans les cas actuellement autorisée se conçoit, s’entend, et donc s’explique aisément, l’idée de la conservation de précaution est quant à elle, bien plus délicate.

D’ailleurs, dans ses conclusions sur la question de la généralisation de la technique, le rapport montre bien les situations humaines auxquelles cette technique répond, et, donc en creux, à la future relation entre la mère et son enfant. Le rapport souligne en effet la légitime recherche du « bon partenaire » ainsi que la volonté de garder une partie d’existence sans enfant pour des raisons professionnelles ou non. C’est donc bien une relation à l’enfant qu’il reviendra à la mère d’expliquer. Poser la question n’est pas apporter la réponse mais seulement ajouter un élément relationnel à ceux déjà listés dans le rapport. La conclusion du rapport sur ce point s’ouvre ainsi comme suit : « La tendance à repousser l’âge de la grossesse peut venir d’une volonté légitime des femmes de profiter d’un temps de vie sans charge de famille, ou du souhait tout aussi légitime d’avoir trouvé le compagnon qui soit aussi le père souhaité. Le report des maternités s’explique aussi par les difficultés matérielles et les défauts d’organisation de la société qui peuvent détourner les femmes jeunes de la possibilité d’avoir des enfants. Mais ce décalage de l’âge de la grossesse se heurte au déclin de la fertilité dû à la diminution du capital ovocytaire avec l’âge ».

Dans ce contexte, la possibilité d’une autoconservation ovocytaire apparaîtrait comme un espace dans lequel l’autonomie des femmes peut s’exercer sans qu’elles compromettent leur maternité future. Il importe donc d’expliciter clairement les contraintes et les risques de la collecte des ovocytes, ainsi que le succès incertain de la procréation par ICSI rendue obligatoire par la vitrification des ovocytes, et de ne pas présenter cette autoconservation ovocytaire comme une « solution magique » au décalage de l’âge de la grossesse garantissant une maternité une fois le déclin de la fertilité installé.

Il ne faudrait pas que cette technique pallie les difficultés matérielles et se substitue à la recherche par la société de moyens permettant aux femmes, selon leur désir et leur choix de vie, de procréer naturellement et plus tôt, sans considérer comme inéluctable d’avoir à différer l’âge de la maternité. Différer un projet de grossesse à un âge tardif – connaissant les risques de ces grossesses tardives – peut difficilement être considéré comme participant à l’émancipation des femmes face aux limites biologiques. Outre le mésusage et les pressions socioprofessionnelles auxquels cette technique peut exposer, le bénéfice escompté au regard des moyens médicaux et économiques qui devraient être déployés apparaît très faible. Parmi les femmes jeunes, seules concernées par cette proposition, une infime minorité (celles qui n’auraient pas procréé spontanément) aura finalement besoin des ovocytes cryoconservés. Une demande de prise en charge par la société paraîtrait, elle aussi, excessive9.

Dans ce contexte, le rapport souligne qu’il paraît essentiel de développer une information documentée et sérieuse sur l’évolution de la fertilité féminine destinée à l’ensemble de la population jeune et délivrée dans les lieux de formation. Cette sensibilisation devrait également s’appuyer sur les médias et en particulier les magazines féminins, certains ayant tendance à présenter de manière très positive les grossesses tardives sans informer sur l’augmentation des risques auxquels elles exposent les femmes et les enfants. Cette conclusion n’est pas sans rappeler quelques réserves de la part du commentateur. En effet, il n’est pas certain que les médias suffisent à contrecarrer une tendance qui semble assez profonde, liée à une certaine individualisation des comportements, qu’elle soit choisie ou non. Les grandes villes connaissant un important taux de célibat, qui, ajouté à l’allongement de la durée des études, à la situation du marché du travail, les démarches des femmes dans le sens de la conservation de leurs ovocytes n’apparaissent pas a priori comme un choix de confort mais plutôt comme un recours teinté d’un certain degré d’inquiétude sur l’avenir. D’ailleurs, sur ce point, des opinions divergentes ont été émises. Elles s’expriment ainsi : « Bien que partageant des analyses en partie communes avec l’avis ci-joint, nous arrivons à une conclusion différente. Nous estimons en effet que la possibilité de conserver ses ovocytes devrait être accessible aux femmes, au cours des quelques années qui précèdent la baisse du capital folliculaire au-delà de 35 ans. Voici les raisons qui nous paraissent justifier ce point de vue. 1. Il a été démontré que le taux de succès de l’AMP commence à baisser dès l’âge de 35 ans chez les femmes, la baisse s’accentuant après 37 ans. La possibilité pour les femmes de recourir à l’autoconservation ovocytaire est donc une mesure de précaution qui minimise les échecs de la FIV et réduit le nombre des tentatives. La conservation des ovocytes peut être vue pour cette raison comme une manière de réduire l’infertilité des femmes âgées de plus de 35 ans. Comme dans toute démarche de prévention, un conseil et un accompagnement médical sont requis. Plutôt qu’une mesure “de convenance”, la conservation ovocytaire est une mesure de “précaution” ou de “prévention de l’échec d’une AMP après 35 ans”. L’accès à cette possibilité devrait être assorti de règles précises. 2. La proposition d’autoconservation ovocytaire ne concernerait pas toutes les femmes. Seule une minorité de femmes de plus de 35 ans ayant un désir d’enfant qu’elles ne peuvent réaliser dans un avenir proche, pourraient y avoir recours10. 3. La conservation des ovocytes ne paraît aller à l’encontre d’aucune disposition juridique existante, ni ne soulever de problèmes éthiques.

La loi du 7 juillet 2011 a prévu, par une disposition particulière, la possibilité pour une femme jeune nullipare de conserver ses ovocytes si, par ailleurs, elle procède à un don d’ovocytes (au cas où sa fertilité serait affectée). Si la loi a permis cette pratique, c’est donc qu’elle n’est pas contraire à l’ordre public. L’autoconservation ovocytaire ne pose pas non plus de problème éthique : elle ne nuit en effet ni à autrui, ni à la femme elle-même, puisqu’au contraire elle la protège de tentatives de FIV multiples dont les chances de succès sont de plus en plus faibles avec l’âge. La conservation d’ovocytes n’entraîne pas non plus de trouble dans la filiation, ni aucun bouleversement de l’ordre des générations puisque le décalage entre le moment de la conservation et celui de l’implantation est de moins de 10 ans. 4. La possibilité de conserver ses ovocytes contribuerait à alléger les pressions qui pèsent sur les femmes au moment de décider d’une grossesse. Le sentiment d’urgence à avoir un enfant alors qu’on ne se sent pas prête, l’angoisse de ne pas y parvenir si l’on attend davantage n’ont pas à être l’objet d’un jugement moral, non plus que la place que les études ou les ambitions professionnelles occupent dans la vie d’une femme. Sans l’option d’une conservation ovocytaire, la femme est mise devant le dilemme consistant à choisir entre avoir un enfant alors qu’elle estime que ce n’est pas le bon moment, ou bien renoncer à être mère. Il n’y a pas le moindre enjeu moral dans un tel dilemme, et il semble légitime de faire en sorte, dans la mesure où cela est possible, d’en atténuer le caractère pressant.

De manière plus générale, une possibilité nouvelle laissée aux femmes ne se transforme pas aussitôt en une norme, qui s’imposerait à elles et les priverait en conséquence de leur autonomie. Les femmes exercent leur autonomie et délibèrent de façon raisonnable et lucide sur les différentes options qui leur sont offertes. Par là, elles exercent leur autonomie, qui se manifeste aussi bien dans les choix altruistes qu’elles peuvent faire (lorsqu’elles décident de procéder à un don) que dans les choix relatifs à leur propre fécondité. Par ailleurs, si on peut déplorer les « pressions » exercées par la société sur les femmes, ce n’est pas en restreignant l’espace de choix qui leur permet d’y répondre comme elles l’entendent qu’on y remédiera »11.

Cette position a été d’autant plus critiquée non seulement par la presse mais aussi par ce que l’on appelle communément des sachants, dès lors que l’Académie de médecine avait remis un avis favorable12. Cette étude se fonde sur un double constat. D’abord, les couples ont des enfants plus tard qu’auparavant (5 % des accouchements concernent des mères d’au moins 40 ans, contre 1 % en 1980), alors que la fertilité des femmes baisse à partir de 35 ans (l’Académie recommande d’ailleurs de procéder à la vitrification de ses ovocytes avant cet âge). Autant prendre acte de cette tendance et s’éviter ainsi de coûteux traitements quand l’enfant tarde à venir. Ensuite, les Françaises les plus au fait des avancées de la science et les mieux nanties s’adressent déjà depuis plusieurs années à des cliniques étrangères sises dans des pays aux législations plus progressistes, avec comme destination de prédilection l’Espagne et la Belgique – avec les risques de dérive mercantile que ces pratiques induisent. Le résumé du rapport est ainsi formulé : La conservation des ovocytes s’effectue par vitrification, en France depuis 2011, et seules y sont autorisées les conservations destinées à la préservation de la fertilité, donc les indications médicales. Cette technique s’adresse surtout aux femmes atteintes de pathologies malignes, dont un traitement gonadotoxique, par chimiothérapie ou radiothérapie risque de dégrader la fonction ovarienne. Elle concerne pareillement les femmes menacées d’insuffisance ovarienne prématurée. À ces indications se sont ajoutées, depuis quelques années, des demandes dites « non médicales », en fait de palliation de l’infertilité liée à l’avancée en âge. Sans perspective prévisible de grossesse, surtout faute de stabilité de couple, des femmes sensibles à la baisse de la fertilité avec l’âge, souhaitent faire prélever et conserver leurs ovocytes afin d’y avoir éventuellement recours plus tard, par FIV, si elles éprouvaient alors des difficultés à concevoir. Les chances de grossesse dépendent essentiellement de l’âge auquel les ovocytes ont été recueillis, au mieux avant 35 ans. Les risques et les avantages possibles de ces démarches, sont discutés. Non autorisées en France elles sont effectuées par les Françaises dans les centres étrangers. Cependant, la loi Bioéthique du 7 juillet 2011 a étendu aux femmes majeures n’ayant jamais procréé la possibilité de participer au don d’ovocytes. En contrepartie ces femmes peuvent conserver pour elles-mêmes, si leur nombre le permet, une partie des ovocytes recueillis. Ainsi est ouverte la voie légale de la conservation des ovocytes pour palliation de l’infertilité liée à l’âge13.

Ainsi le rapport du CCNE apparaît plus rétif que celui de l’Académie. La critique se lit et s’entend d’autant plus au regard de l’avis favorable apporté à la généralisation de l’assistance à la procréation pour les femmes seules ou couples de femmes. Cet avis fera donc sans doute l’objet de discussion dans le cadre de la révision à venir de la législation. Le deuxième sujet abordé par le CCNE et qui, cette fois, donne lieu à un avis favorable, porte sur l’assistance médicale à la procréation par des couples de femmes et des femmes seules.

II – La question du recours à l’assistance médicale à la procréation par des couples de femmes ou des femmes seules

Sur ce sujet, l’avis porte sur l’insémination artificielle avec donneur (IAD). Sur ce registre, il existe déjà des situations prévues par la loi : pallier des infertilités d’origine pathologique, médicalement constatées, chez des couples formés d’un homme et d’une femme vivants et en âge de procréer. Les évolutions possibles, et étudiées par le rapport, concernent la possibilité de passer des indications médicales de l’IAD à des demandes concernant des couples de femmes ou des femmes seules, dites sociétales.

L’étude sur ce point s’ouvre sur une brève réflexion sur la notion de liberté. De manière qui peut être sujette à discussion, le rapport met en parallèle la liberté de procréer ou non, pour une femme en situation de donner la vie – dans des formes que l’on qualifiera alors de traditionnelles, c’est-à-dire une femme étant en âge de procréer, et un homme, donnant naissance à un enfant – et la liberté de rechercher à donner la vie par la technique. Le droit de regard de la société dans le premier cas est, selon l’étude, inexistant, alors qu’il l’est dans le deuxième cas.

Cela reflète effectivement de profondes mutations de la société que de se pencher sur la question de l’IAD par le prisme de la liberté. Sans porter de jugement de valeur sur le sujet, il semble que les enjeux sont si sensibles et relativement nouveaux pour hésiter à les placer sur le terrain de la liberté. En tout état de cause, les questions ont appelé à la fois prudence et mise en balance des disjonctions par le rapport.

En premier lieu, et comme dans le premier cas étudié, il existe une série de disjonctions inhérente à la perspective d’assistance à la procréation pour une femme seule – qu’elle soit en couple avec une autre femme ou non. La première est la séparation de l’acte de donner la vie de l’acte sexuel. Ce qui est exceptionnel et lié à des situations pathologiques dans des couples constitués d’un homme et d’une femme, deviendrait alors la règle pour la femme seule. Le rapport souligne le fait qu’il n’y aura pas de père socialement présent, ni juridiquement institué dans la vie de l’enfant, et des répercussions potentielles sur les structures familiales dans lesquelles les enfants seront élevés, sur les enfants eux-mêmes, et sur l’organisation médicale de la prise en charge de ces demandes14.

La disjonction entre procréation et filiation n’est pas nouvelle dans son principe : toute IAD amène à distinguer le rôle du donneur ou du « géniteur » et celui du « père » désigné comme tel par le droit de la filiation. Il y a bien ici un géniteur, mais pas d’homme institué juridiquement comme père. Le rapport souligne encore une disjonction entre maternité d’origine ovocytaire (génétique) et utérine (gestationnelle).

L’étude indique que certaines femmes au sein de leur couple souhaitent pouvoir alterner leurs positions de mère et se succéder l’une l’autre dans les grossesses. D’autres choisissent d’avoir recours à une FIV (fécondation in vitro) avec donneur de sperme, de manière à ce que l’une donne l’ovocyte et l’autre porte l’enfant, ce qui est possible dans certains pays étrangers. Ce contexte est ainsi le cadre de nouvelles situations dans la façon de combiner le biologique et la structure de la parenté, et, par conséquent, de la cellule familiale et de la fratrie15.

L’étude menée par le CCNE sur ce point aborde sans détour les questions de liberté, que nous avons déjà soulignées plus haut, mais aussi d’égalité et de désir d’enfant. Si la notion de liberté est à manier avec précaution dans de telles questions hautement sensibles d’un point de vue éthique, celle d’égalité nous semble encore plus périlleuse. En effet, et le rapport ne le dissimule pas, l’argument de l’égalité est certes brandi par des femmes seules ou en couples, au regard des techniques d’IAD déjà autorisées et organisées pour des couples hétérosexuels en situation de difficulté pour procréer. Cependant, cette argumentation pourrait devenir un engrenage. Le rapport résume les risques par la formule suivante : « Dans ce même contexte d’émancipation des personnes, la disponibilité des techniques permet aujourd’hui la réalisation de certains désirs. Certains pensent que ces désirs pourraient se transformer en vouloir, et, de proche en proche, en une contrainte qui s’exprimerait sous la forme “puisque c’est possible, il faut le faire” »16.

C’est toute une nouvelle conception de la sphère familiale qui se mettrait ainsi en place, ainsi que le souligne le rapport. La relation à l’enfant et l’environnement de croissance de l’enfant se trouveraient en effet profondément modifiés. Dans ce cadre de réflexion sur l’enfant, qui doit être central dans la recherche des meilleures solutions législatives à venir, l’étude menée par le CCNE est amenée à apporter une distinction entre les couples de femmes désireuses d’utiliser la technique de l’IAS et les femmes seules. Même si le rapport ne le rappelle pas à ce stade de sa réflexion, il nous semble important de rappeler que l’adoption existe pour les femmes célibataires. D’ailleurs, il faut bien se souvenir que, dans le cadre des agréments à l’adoption pour des personnes célibataires – homme comme femme –, une jurisprudence à la fois européenne et nationale s’est construite afin de veiller au respect du principe de non-discrimination.

Le rapport indique que : « Les situations qui amènent une femme seule à envisager d’avoir recours à la technique pour obtenir la naissance d’un enfant sont multiples, et ne relèvent pas de notre réflexion. Comme les couples de femmes, les femmes seules qui veulent un enfant sans avoir de relations sexuelles avec un homme doivent recourir à un donneur de sperme. Mais, au final, elles seront seules pour accueillir l’enfant et en prendre soin »17.

Or, en soulignant une distinction de temps disponible – une femme seule d’un côté, un couple de femmes de l’autre – il ne faudrait pas susciter l’écueil inverse du précédent, à savoir créer une inégalité entre le couple de femmes et la femme seule dans le recours à la technique de l’IAD. Il nous semble qu’un certain parallélisme peut à cet égard être mené. Si l’on admet – et c’est légalement le cas de longue date – qu’une femme seule puisse adopter – et que l’on ait veillé à ne pas créer de discrimination entre une femme seule sans précision d’orientation sexuelle et une femme célibataire potentiellement en couple avec une autre femme – on ne voit pas comment ne pas admettre le recours à l’IAD pour une femme seule, dès lors que le principe est admis – et cela relèvera du choix du législateur – que la technique de l’IAD peut sortir des frontières qui sont actuellement les siennes.

Outre ces questions de différences de situations des personnes qui pourront faire la demande de recours à l’IAP se pose la question cruciale de l’accès aux origines. Ainsi que le souligne précisément et justement le rapport, s’il existe déjà des situations où l’enfant n’a pas de père connu, pour de multiples raisons possibles, une différence majeure s’instaure si cette absence est légalement organisée ab initio.

On peut citer ici un extrait d’une position exprimée par certains membres du groupe ayant élaboré le rapport, qui nous semble mériter d’être largement prise en compte dans les réflexions à venir. L’enfant est le premier tiers vulnérable. Le premier tiers concerné est l’enfant qui naîtra. Porté par un désir assumé, l’enfant ainsi conçu aura sans aucun doute l’amour de sa ou de ses mères. Toutefois, prévu pour être procréé grâce à un recours au sperme d’un donneur anonyme, l’enfant n’aura, dans son histoire, pas de père identifié, ni biologique, ni « social ». Il n’aura pas non plus accès à ses origines dont on sait qu’elles sont un élément important de son identité. Or, le rôle d’un père, en interaction et coopération avec celui de la mère, est essentiel dans la construction de la personnalité de l’enfant et de son rapport à la diversité de la société, dont l’altérité masculin-féminin. Beaucoup d’enfants vivent aujourd’hui en l’absence de père, non de la volonté qu’il en soit ainsi, mais du fait des aléas de la vie. En cas de décès, de rupture du couple parental, d’abandon, le père existe dans l’histoire de l’enfant, et souvent un père social ou adoptif prend le relais. Alors que la société considère que l’absence de père est un préjudice qu’elle tente, dans certaines circonstances, de pallier, au moins financièrement, et alors que l’on s’inquiète de l’augmentation du nombre des familles monoparentales, il paraît paradoxal d’institutionnaliser, d’organiser en toute connaissance de cause des naissances sans père. L’enfant élevé par un couple de femmes aura deux modèles parentaux et deux lignées parentales, mais une filiation disjointe de la réalité biologique. L’enfant né par IAD d’une femme seule n’aura qu’un seul parent et une filiation incomplète. Dans un cas comme dans l’autre, il aura à gérer dans son environnement immédiat, en particulier à l’école, l’absence de père à laquelle les autres référents masculins possibles ne se substitueront que de façon incomplète. Légaliser ces situations suffirait-il à lutter contre leur marginalisation18 ?

De nouveau, même si l’avis est favorable sur ce point, des discussions et réflexions approfondies devront immanquablement être poursuivies. La dernière question abordée, avec avis négatif, est sans doute l’une des plus controversée au regard des enjeux qu’elle soulève, il s’agit du sujet de la gestation pour autrui.

III – La très controversée question de la gestation pour autrui (GPA)

Précisons d’emblée que le rapport se prononce, sans surprise, de façon défavorable à la gestation pour autrui. Intuitivement, et aux confins du droit et de la morale, chacun conçoit le malaise suscité par l’idée de « mère porteuse » expression plus claire pour évoquer la GPA. Si l’on doit indubitablement tenter de comprendre les démarches existantes en ce sens au regard de la détresse de femmes et de couples ne parvenant pas à concevoir un enfant et se tournant alors vers la GPA, les nombreux écueils contenus dans ces situations doivent être mis en évidence avant toute évolution législative en la matière. Dans le même temps, et comme pour les cas précédents d’aide à la procréation, des paramètres tels la mobilité des personnes, pouvant utiliser les méthodes interdites dans un État, dans un autre État, puis revenir dans l’État initial, doivent tout aussi indéniablement être pris en compte, dans l’intérêt premier de l’enfant.

Il convient de rappeler les législations européennes en la matière. Dans la plupart des pays européens, la GPA est expressément prohibée, ou bien les conventions de GPA sont frappées de nullité absolue. Différents principes généraux du droit sont invoqués : dignité humaine, indisponibilité du corps humain ou de l’état des personnes. La plupart des pays frappent de sanctions pénales les intermédiaires. Mentionnons en premier lieu les pays dans lesquels la GPA est prohibée : l’Allemagne, l’Autriche, la Bulgarie, la Croatie, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, l’Islande, l’Italie, Malte, la Moldavie, le Monténégro, la Serbie, la Slovénie, la Suède, la Suisse. En Allemagne, la GPA est interdite par différents dispositifs (Code civil ; Acte sur la protection de l’embryon 1990 ; Acte sur l’adoption de 2002 et de 2008). En droit civil, une convention de GPA est nulle, et la mère est celle qui accouche. En droit de la bioéthique, le don d’ovocytes est interdit, pour éviter tout ce qui tendrait à une fragmentation de la maternité. Le droit de connaître ses origines est reconnu. Le droit pénal accroît l’effectivité de l’interdiction de la GPA, en sanctionnant tout intermédiaire ou activité professionnelle rattachée à la GPA : amende, prison, qu’il s’agisse d’agences de mise en relation ou d’un médecin qui pratiquerait une GPA. En Espagne, la loi sur la procréation médicalement assistée interdit expressément la GPA et une convention de GPA est nulle de plein droit, qu’elle ait été conclue à titre onéreux ou à titre gratuit. Les participants à une GPA (individus, agences, institutions, centres médicaux) encourent des sanctions. La mère est celle qui accouche. Le père biologique a la possibilité de revendiquer sa paternité selon les règles du droit commun. En Italie, la GPA est interdite expressément par la loi sur la procréation médicalement assistée, ainsi que toute publicité à cet effet. Toute personne qui participe à une GPA, y compris la mère porteuse et les parents d’intention, est sanctionnée par le droit pénal (amende, prison) ; les médecins sont passibles de suspension professionnelle. En Suisse, la Constitution fédérale interdit toutes les formes de GPA.

Dans plusieurs pays, la GPA est légale et organisée. Il existe des pays où la GPA est autorisé, explicitement ou implicitement, à la condition d’être gratuite ou limitée à une indemnisation raisonnable. Trois pays ne prévoient qu’une « indemnisation raisonnable » pour la mère porteuse mais tolèrent, y compris lorsque la question est soumise aux tribunaux, des dépassements qui deviennent de véritables rémunérations, ce qui apparaît comme une jurisprudence allant au-delà de ce que prévoit la loi. Ainsi en Grande-Bretagne, le modèle britannique repose sur un fondement assumé dans l’autonomie personnelle de toutes les parties à la convention. La GPA y est autorisée, traditionnelle ou gestationnelle (The Human Fertilisation and Embryology Act, loi de 1990, amendée en 2008 et 2013). Les parents d’intention peuvent être seuls ou en couple, homosexuels ou hétérosexuels. La seule condition exigée est que l’un des deux soit résident sur le sol britannique.

Il est interdit aux intermédiaires de recevoir des rémunérations et de faire de la publicité. La mère porteuse ne peut recevoir qu’un dédommagement. Comme dans tous les pays européens, accouchant de l’enfant, elle en est la mère. Elle dispose d’un délai pour décider de garder l’enfant ou procéder à son abandon au profit des parents commanditaires ; est alors établi un nouvel acte de naissance. Le Parental Order est une déclaration judiciaire de parenté des parents intentionnels qui ratifie l’abandon par la mère porteuse, et éventuellement son mari, de leurs droits parentaux, annule l’acte de naissance initial, et efface toute trace de la mère porteuse. Il y a peu de gestatrices volontaires en Grande-Bretagne, et les parents d’intention redoutent son droit à garder l’enfant, ce qui amène une forte proportion d’entre eux à aller à l’étranger.

En Grèce, les lois de 2002 puis de 2005 ont défini les conditions de l’AMP et de la GPA en Grèce. Elles autorisent une GPA dite « encadrée » : les indications doivent être médicales, seule la GPA gestationnelle est admise ; elle exclut une rémunération de la mère porteuse et intervient après un accord écrit entre les parties. La mère d’intention doit déclarer sa stérilité et obtenir l’accord d’un juge qui doit vérifier que les conditions (indications médicales, altruisme, consentement éclairé) sont respectées avant de pouvoir procéder à la GPA. Dans la majorité des cas, les mères porteuses sont d’origine étrangère et de condition modeste. Actuellement, la GPA n’est pas autorisée pour les couples d’hommes mais possible pour une femme seule.

En Russie, la GPA est admise par le droit depuis 1996. Les conditions ont été précisées en 2011. Les indications doivent être médicales ; elle ne peut être que gestationnelle. La mère porteuse n’est en principe qu’indemnisée ; toutefois, il est difficile de connaître la réalité juridique dans la Fédération de Russie, dont on dit parfois qu’elle admet la GPA commerciale. La mère porteuse qui accouche est la mère de l’enfant ; elle peut décider de le garder. Mais si la mère porteuse l’accepte, les parents d’intention peuvent immédiatement figurer comme les parents légaux de l’enfant sur l’acte de naissance et le registre d’état civil. Le Portugal n’a autorisé que récemment des conventions de GPA non commerciale (« altruiste »), uniquement gestationnelle, seulement autorisée pour des circonstances médicales exceptionnelles (absence ou incapacité fonctionnelle utérine). L’opposition bloque actuellement les décrets d’application.

Dans certains pays, la GPA commerciale est autorisée : il s’agit de l’Ukraine et de la Géorgie. En Ukraine, la GPA est organisée en détail par la loi d’une façon favorable à la pratique. Elle est autorisée pour les ressortissants ukrainiens ainsi que pour les étrangers, pour les couples homme/femme mariés et pour des indications strictement médicales. Dans les contrats notariés établis entre les demandeurs et la mère porteuse, les parents d’intention sont immédiatement reconnus comme les parents légaux. En principe, ne sont acceptés que des parents d’intention dont la législation n’interdit pas la GPA, ce qui devrait exclure les Français. En Géorgie, la GPA est autorisée depuis 1997 pour des parents d’intention mariés, qui, à partir de contrats (traduits de la langue d’origine des parents d’intention et notariés), sont déclarés les parents légaux de l’enfant. L’acte de naissance ne porte aucune trace de la gestatrice.

Dans certains pays, la GPA n’est pas interdite, elle est donc tolérée en l’absence de réglementation, sans pour autant être facilitée ni même organisée : il s’agit de la Belgique, du Danemark, et des Pays-Bas. En Belgique, la GPA n’est prévue par aucun texte. Elle n’est donc ni interdite, ni subordonnée au respect de conditions. En l’absence de tout texte juridique explicite, quelques hôpitaux la pratiquent de façon très encadrée, gratuite (seuls des dédommagements sont admis) et préférentiellement gestationnelle. Toutefois, le droit de la filiation constitue un obstacle au développement de la GPA. La mère porteuse est considérée comme la mère de l’enfant, et, si elle est mariée, son mari est considéré comme le père. Le père commanditaire peut soit reconnaître l’enfant, si la mère porteuse n’est pas mariée, soit engager une procédure d’adoption. La mère porteuse a deux mois pour envisager de consentir à une adoption de l’enfant par les parents commanditaires. Lors d’une GPA réalisée à l’étranger (Ukraine, Inde, États-Unis) le caractère incomplet ou modifié de l’acte de naissance (ne mentionnant pas la mère porteuse) entraîne des difficultés juridiques diversement jugées par les différentes instances, face aux arguments avancés : paternité biologique ou d’intention, existence d’une vie familiale, intérêt de l’enfant.

Au Danemark, plusieurs lois freinent la réalisation de GPA : la loi sur l’adoption (n° 2009/2015) interdit toute forme d’entremise entre une femme et une autre personne qui souhaiterait devenir le parent d’un enfant mis au monde par cette femme, et interdit toute publicité, entraînant des pénalités (amende, prison). D’après la loi sur l’enfant (2001), les conventions de gestation pour autrui sont nulles (les règles sont donc conçues afin de ne pas favoriser la GPA). Dans ces deux pays, le droit civil limite le développement de la GPA. Comme dans tous les pays européens, l’enfant qui naît est l’enfant de la femme qui en accouche et de son conjoint. Le changement de filiation requiert une adoption. Aux Pays-Bas, la loi procède à l’affirmation d’un principe, avec l’admission d’une exception. Le droit civil pose le principe de l’interdiction de la GPA ; toute activité qui la favorise est punie par le droit pénal (amende, prison). Par exception, si la GPA est la seule possibilité pour une femme de devenir mère, et dans des conditions fixées par le droit médical, une GPA peut être pratiquée dès lors que la mère porteuse ne reçoit aucune rémunération. La mère porteuse est juridiquement la mère de l’enfant et peut décider de le garder.

Plusieurs pays enfin, n’ont pas de réglementation spécifique relative à la GPA, tels l’Andorre, la Bosnie-Herzégovine, Chypre, la Hongrie, l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, Monaco, la Roumanie, Saint-Marin. Il s’agit de pays dans lesquels la pratique de la GPA est sanctionnée, mais par application de dispositions juridiques très générales, ou bien dans lesquels la pratique n’y est pas contrecarrée par l’Administration ou les tribunaux, ou bien dans lesquels la question même du caractère licite ou non de la GPA est incertaine19.

Le CCNE a déjà eu à se prononcer sur cette délicate question. En effet, dans le contexte de la révision de la loi Bioéthique de 2004, le CCNE s’est exprimé par son avis n° 110 sur les problèmes soulevés par la gestation pour autrui (GPA)20. Cet avis concernait la demande de GPA exprimée par des couples composés d’un homme et d’une femme, en raison d’une infertilité liée à l’impossibilité pour la femme de porter une grossesse du fait de pathologies utérines, donc dans le cadre d’indications médicales. Le CCNE avait alors estimé que cette demande de GPA, quoique motivée par des raisons médicales, portait atteinte à l’intégrité des femmes porteuses de grossesse pour autrui, à la fois dans leur corps, dans leur affectivité, dans leur vie familiale. Il indiquait que le désir d’enfant des uns ne constituait pas un « droit à l’enfant » s’il devait passer par des atteintes à l’intégrité des femmes, même volontaires et altruistes dans leur démarche, et aux enfants qui en naîtraient. Que ce désir, pour intense qu’il soit, ne pouvait s’imposer en raison des obstacles éthiques de la pratique de la GPA21.

Depuis cet avis, les demandes ont évolué, ainsi que les pratiques au regard de ce que nous venons de mentionner, selon les législations nationales, prohibitives ou non. Le CCNE, sur cette question comme sur les précédentes, observe la série de disjonctions que comporte une telle méthode. Une première disjonction se lit entre la mère d’intention, qui accueillera l’enfant et la mère porteuse, à partir de son propre ovocyte ou à partir de don d’ovocyte, qui portera l’enfant et le laissera dès la naissance à la mère dite d’intention. Dans la plupart des cas, le père d’intention sera aussi le père biologique. Il s’ensuit une disjonction, quant aux origines génétiques et quant à la généalogie, à plusieurs détentes, à partir de l’origine de la gestation jusqu’à l’accueil de l’enfant. Le rapport résume ainsi cette disjonction à plusieurs détentes : « À l’origine de l’enfant, il peut donc y avoir jusqu’à cinq personnes : un ou deux parents d’intention avec lesquels il sera amené à vivre, une gestatrice, une donneuse/vendeuse d’ovocytes, éventuellement un donneur de sperme en cas de GPA avec double don de gamètes ». À cette liste, il faut encore ajouter une liste d’intermédiaires indispensables à la réalisation de ce que l’on peut appeler une transaction.

Le rapport examine à la fois les candidats à cette pratique et les raisons d’un tel choix. Les candidats sont, selon le rapport, principalement des couples d’hommes. Ceux-ci cherchent ainsi à avoir un lien biologique entre l’enfant à naître et un des membres du couple. Ce peut être aussi un homme seul. Le rapport mentionne aussi la possibilité de femme seule désireuse d’avoir un enfant sans le porter. Les raisons du choix de la GPA par rapport à deux autres méthodes possibles sont explicitées par le rapport selon le raisonnement suivant. L’idée de former un couple de circonstance d’un homme seul ou homosexuel avec une femme peut rebuter l’individu en ce que, dans un tel cas de figure, un partage de garde entre la femme ayant porté l’enfant, qui est le sien et l’homme géniteur sera sans doute nécessaire. Or cela ne sera dans la plupart des cas, selon le rapport, pas le choix de vie d’un couple homosexuel, souhaitant être les seuls parents de l’enfant. La seconde option, souvent écartée est celle de l’adoption, pour des raisons faciles à comprendre liées aux délais et difficultés inhérentes à l’adoption. À cette raison s’ajoute celle de la volonté d’avoir un lien biologique avec l’enfant, volonté satisfaite par le recours à la méthode de la GPA.

La question des intermédiaires et de la situation de la mère porteuse est soigneusement analysée par le rapport. Les risques multiples de déstabilisation de la mère gestatrice sont mis en évidence. Outre ces facteurs humains et psychologiques essentiels à prendre en considération, le rapport souligne l’activité commerciale illégale qui se développe en la matière.

Les termes du sujet sont clairs, mais difficiles à résoudre. En effet, sachant que l’usage de la gestation pour autrui est interdit en France, et que le fait de la GPA est essentiellement organisée par des sociétés commerciales. Celles-ci sont installées dans des États où la GPA est autorisée. Cependant, elles trouvent des moyens d’information dans les pays de prohibition comme la France. Elles utilisent aussi la circulation des « matériaux ». Le rapport résume ainsi le processus : « Les parents d’intention signent un contrat avec l’agence qui va leur proposer différentes mères porteuses possibles, des services médicaux, des achats de gamètes et des services juridiques. Le prix payé par les parents va à l’agence qui répartit les rémunérations entre les différents intervenants22. Ces agences permettent aux demandeurs d’entrer dans une relation organisée avec un ensemble d’acteurs, dans des conditions très diverses. Aux États-Unis, la gestatrice et les parents d’intention se choisissent plus ou moins et font connaissance s’ils le souhaitent ; en Inde, la gestatrice reste généralement inconnue, la relation ne s’établissant qu’avec l’agence. Mais surtout, ce sont les agences qui organisent l’accord entre les parties : nombre de tentatives, nombre d’enfants souhaités, prix, etc. »23.

À ce stade, il importe de distinguer la gestation pour autrui de la procréation pour autrui. La différence réside dans le fait que les ovocytes de la mère porteuse sont utilisés dans le premier cas, alors que, dans le second cas, il y a implantation de l’embryon, qui n’aura alors pas de lien génétique avec la mère porteuse. Le choix se porte de plus en plus sur cette deuxième option, pour limiter les risques d’attachement de la mère porteuse à l’enfant et justifier plus facilement des contrats d’engagement de don de l’enfant à sa naissance.

Le rapport expose ainsi ce choix et les risques de « tourisme » en la matière. « Pour autrui » diminue au profit des « gestations pour autrui ». Cette évolution correspond à ce que préconisent les intermédiaires et les agences, et aussi à ce que peuvent souhaiter les parents d’intention, car le « risque d’attachement » à l’enfant, et donc de conflits entre la mère porteuse et les parents d’intention, y serait moins élevé.

L’enfant n’ayant pas de lien génétique avec la gestatrice, il est plus facile de justifier des contrats qui obligent la gestatrice à transférer l’enfant à la naissance, y compris par la voie judiciaire si elle est récalcitrante. C’est ainsi qu’aux États-Unis, 11 États autorisent le « pre-birth order », déclaration judiciaire de parenté intentionnelle au stade le plus précoce. Cela permet de reconnaître juridiquement les parents d’intention pendant la grossesse et de les désigner comme parents légaux dans « l’acte de naissance », document administratif sur la foi duquel seront établis tous les actes d’état civil subséquents. Dans ces États, l’acte de naissance n’est donc pas conforme au « certificat d’accouchement » rédigé par l’hôpital. C’est cette discordance qui pourrait poser problème lors du retour en France24. Ce qui sera analysé plus bas.

Le rapport observe aussi, ce qui est très important au regard des perspectives ou non de légalisation, la situation des mères porteuses. Il va de soi qu’il existe de très nombreuses situations dans lesquelles une femme peut décider de devenir une mère porteuse. Deux positions intellectuelles s’affrontent en la matière. Aux deux extrémités de la réflexion se trouvent d’un côté la position purement altruiste – rare et trouvant sans doute rapidement ses limites – et de l’autre côté, la recherche mercantile. Selon les situations financière et psychique des femmes concernées, le curseur de la réalité est mobile. Le rapport s’exprime ainsi comme suit sur le sujet : « Les motivations des gestatrices, mieux connues aujourd’hui, vont de la seule motivation financière à la seule motivation altruiste (très rare et quasi réservée aux GPA intrafamiliales), une part importante des mères porteuses évoquant les deux aspects. L’argument de l’altruisme, devenu un leitmotiv dans les revendications en matière de GPA, mérite d’être examiné avec attention ».

Concernant les mères porteuses des pays en développement, les conditions médicales de la gestation sont souvent éprouvantes et risquées dans des pays où la mortalité maternelle reste importante. En revanche, l’apport financier (de l’ordre de 4 000 $) peut être sans commune mesure avec ce que les autres activités de la mère porteuse sont susceptibles de rapporter. Néanmoins, les anthropologues indiennes ont souvent montré que l’apport financier avait finalement peu de capacités à changer radicalement la situation de la porteuse (contrairement au projet initial d’inscription dans une école ou d’amélioration de la maison, l’argent passe souvent en remboursement de dettes, ponctions par la famille, dilapidation25).

Pour les mères porteuses pauvres des pays riches ou des pays comme l’Ukraine, l’apport financier est important et un peu moins soumis aux aléas des pressions familiales. En principe, la situation médicale de la porteuse est mieux assurée, mais des risques spécifiques peuvent exister, les médecins transférant parfois un nombre excessif d’embryons26.

Dans ces deux cas, l’argument financier est l’élément essentiel de l’opération et la solidarité avec les parents d’intention paraît être un élément second, sinon mineur.

Il n’en va pas exactement de même pour les « porteuses » issues des classes moyennes des pays développés. Certaines des lois américaines autorisant la GPA interdisent de prendre comme porteuses les femmes bénéficiant de Medicaid ou d’une autre allocation d’État. Elles sont bien suivies médicalement, même si le risque de toute grossesse ne les épargne pas. La lourdeur des obligations qui leur sont imposées est analysée dans une annexe de l’étude du CCNE27. Si leur motivation altruiste est affirmée, très souvent en relation avec des motivations religieuses de bienfaisance et d’estime de soi, elles évoquent également la motivation financière, pour assumer les coûts des études supérieures de leurs enfants par exemple »2829.

La déstabilisation familiale et psychique de la mère porteuse a été étudiée. Il est prévu, dès l’origine d’un contrat de GPA, que la mère porteuse ne porte pas « son » enfant, mais l’enfant du ou des parents d’intention. Il lui est donc demandé de s’organiser psychiquement pour ne pas établir de lien d’attachement avec le fœtus. Les « porteuses » américaines, qui sont celles qui ont été le plus étudiées dans le cadre de recherches universitaires, témoignent du fait que cela demande un vrai « travail » qui exige de la personne qu’elle aille contre le mouvement d’attachement, biologique et psychique30, caractéristique du temps de la grossesse31. Dans les pays d’Asie du Sud-Est, le rapport souligne qu’il est peu probable que les gestatrices puissent donner un consentement libre et éclairé, à la fois parce qu’elles sont dans une situation économique qui entame leur liberté, et parce que les différences éducatives sont très prononcées entre les parties en présence (intermédiaires, professionnels de santé, parents d’intention), d’où une grande inégalité dans la négociation des contrats avec les agences.

Les paiements dépendent de la réalisation conforme du contrat : la gestatrice n’est que très peu indemnisée, voire pas du tout, si elle fait une fausse couche ; l’argent est versé pour un enfant et non pour le processus de gestation. Plusieurs affaires ayant fait l’objet de l’attention des médias ont montré que des gestatrices atteintes dans leur santé étaient renvoyées chez elles sans indemnité ou que, en cas de décès, leur famille n’obtenait aucune aide.

Enfin, de multiples clauses restreignent les libertés des gestatrices, portant atteinte aux droits humains. En Inde, on a observé le placement dans des maisons spécialisées où les gestatrices doivent vivre pendant la grossesse ; leur liberté de mouvement y est restreinte, ainsi que le droit de visite de leur famille. En outre, depuis que certains États ont fermé la possibilité de GPA pour les étrangers, des femmes destinées à être mères porteuses sont déplacées dans un pays limitrophe où la législation est plus laxiste. Dans tous les États, les contrats imposent de multiples obligations qui portent atteinte à l’autonomie personnelle de la gestatrice et, de manière plus fondamentale, à la liberté de l’avortement ou d’interruption médicale de grossesse (IMG) en cas de problème de santé »32.

Si l’ensemble des questions que nous venons d’aborder est important, sujet à discussion et à l’évidence, aux réponses non encore fixées, le sujet de réflexion majeur doit être celui de la situation de l’enfant. Or le rapport souligne que ce sujet n’a pas beaucoup été étudié. Pourtant les éléments d’interrogation ne manquent pas. Le nœud de la réflexion se situe dans le hiatus entre le corps dans lequel l’enfant se développe jusqu’à sa sortie et le corps de la mère d’intention. Il est des faits biologiques incontestables, que le rapport expose très clairement : « Pendant la grossesse, les relations que la mère porteuse noue avec le fœtus, et donc avec l’enfant à venir, sont étroites et spécifiques. Les échanges sont biologiques et psychiques, avec des marques épigénétiques, et des empreintes de l’environnement auquel la femme – et donc l’enfant – est exposée. Il existe une symbiose entre le fœtus et la mère qui le porte. Il perçoit ses mouvements, ses émotions, les variations de ses rythmes cardiaque et respiratoire, ses phases d’activité/repos ; il est réceptif au type d’alimentation, aux odeurs, aux sons familiers et notamment aux voix maternelle et paternelle33. Or, comme l’indique l’étude du CCNE, la séparation est programmée. Alors que l’enfant a connu, dans sa vie utérine, des odeurs, des sons, une ambiance donnés, il se retrouve dans un environnement qui peut être entièrement différent, en termes de langue, de pays, de culture. Ce sont des faits à connaître et à prendre en considération, sans pour autant mettre en cause la volonté de bien faire des parents d’intention. Certains d’entre eux entendent d’ailleurs garder des liens avec la mère porteuse, tandis que d’autres préfèrent l’éviter. La question des origines de l’enfant né restera une énigme, une interrogation, avec des variantes selon que les ovocytes sont ceux de la mère porteuse, d’une donneuse connue ou encore d’une donneuse anonyme. Ce sont de redoutables questions humaines et éthiques pour lesquelles des études approfondies sur les enfants nés dans ces contextes mériteraient sans doute d’être menées.

Outre les questions d’ordre psychologique, des questions de santé doivent être abordées. En effet, le rapport souligne qu’il arrive que, par souci d’efficacité, soit des grossesses multiples sont recherchées par les implantations, soit, pire encore, plusieurs grossesses sont commencées en même temps pour les mêmes parents d’intention pour pallier les risques d’échec d’une seule grossesse. Ces situations peuvent créer des situations complexes, les grossesses multiples favorisant des naissances prématurées impliquant de ce fait des risques sur la santé de l’enfant né. Dans le cas de plusieurs projets lancés en même temps et arrivant à terme, il n’est pas exclu que des enfants nés soient placés en orphelinat, faute d’accueil.

En somme, par ses risques multiples, de tous ordres, par les variables à plusieurs inconnues, la question de la GPA a suscité beaucoup de craintes. Pour autant, les enfants nés de cette pratique, à l’étranger, revenant sur le sol national, ont dû être pris en compte dans le meilleur respect possible de l’intérêt supérieur de l’enfant. Un équilibre encore instable est ainsi construit par la jurisprudence en l’absence de législation.

Les paramètres juridiques de la GPA réalisée à l’étranger avec retour sur le sol français. Le droit français consacre l’interdiction de la GPA. Le rapport du CCNE rappelle que le choix de ne pas pratiquer de GPA est passé par plusieurs étapes.

  • L’interdiction des associations ayant pour but de mettre en relation des gestatrices et des couples demandeurs dans les années 1980 ;

  • L’illicéité de la convention de GPA, reconnue contraire à l’ordre public dès 1991 par la Cour de cassation34 ;

  • Ces raisonnements ont été consacrés dès la première loi relative à la bioéthique en 199435 ;

  • Devant le développement des GPA, non plus sur le territoire national mais à l’étranger, la Cour de cassation a tenté en 2013 de dresser l’obstacle le plus radical, celui de la fraude à la loi, pour s’opposer à l’établissement d’un lien juridique de filiation entre l’enfant issu d’une telle convention et les parents d’intention36.

L’intervention de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) : celle-ci constate qu’il n’y a consensus en Europe ni sur la légalité de la GPA, ni sur la reconnaissance de la filiation des enfants qui en sont nés37. Elle en conclut que cela ouvre une large marge d’appréciation pour les États qui peuvent aussi bien légaliser qu’interdire les GPA dans leur ordre interne et recourir à la catégorie d’ordre public international lors de l’examen de la situation créée à l’étranger. Toutefois, elle déclare que si les États sont libres d’interdire les contrats de GPA, cela ne doit pas faire obstacle à ce que les enfants puissent jouir de leur droit à la vie privée, ce qui implique la protection de plusieurs éléments censés aider chacun à construire son « identité personnelle ».

La filiation et la nationalité. Pour se conformer aux arrêts de la CEDH, la Cour de cassation a admis, par deux arrêts du 3 juillet 2015, la transcription d’un acte d’état civil étranger résultant d’une GPA, tout en précisant que les allégations de cet acte correspondent à la réalité, le père légal étant le père biologique français et la mère désignée dans l’acte de naissance étant la mère porteuse38.

Les difficultés juridiques et pratiques auxquelles se heurtent les parents de retour avec leur enfant né par GPA sont nombreuses. Lorsque des parents d’intention veulent revenir en France avec un enfant né par GPA à l’étranger, les premières difficultés rencontrées par les parents sur le plan juridique et administratif concernent les conditions de la délivrance de l’acte d’état civil de l’enfant. Les évolutions des jurisprudences européennes et nationales ont limité ces difficultés. Ces évolutions de nature à prendre en compte des situations nées de pratiques illégales en France, mais réalisées à l’étranger, ne remettent en aucun cas en cause la prohibition d’ordre public des conventions portant sur la GPA, selon les articles 16-7 et 16-9 du Code civil.

Le rapport explique qu’à la naissance de l’enfant, la maternité établit un « certificat d’accouchement » à caractère médical, sur lequel figure la femme qui a accouché, et un « acte de naissance »39, de nature juridique. Il peut être rédigé soit par l’officier d’état civil (ambassade ou consulat) de l’État de la nationalité des parents d’intention, soit le plus souvent par les autorités de l’État de naissance, conformément à ses propres règles régissant l’état civil qui, en Californie par exemple, permettent d’inscrire les seuls parents d’intention. Il existe donc deux types d’état civil établi à l’étranger, après une procédure de GPA : (1) un état civil conforme à la réalité, dit « probant », où figurent les noms du père biologique et de la « mère porteuse », sans mention du second parent d’intention ; (2) un état civil où figurent les noms des deux parents d’intention (père biologique et second parent d’intention), sans mention de la « mère porteuse ». Dans ce cas, il y a discordance entre le certificat d’accouchement (médical) et l’acte de naissance (juridique)40.

Une série d’étapes qui peuvent être autant d’obstacles attendent ensuite les parents. Ces étapes sont l’obtention d’une autorisation d’aller en France pour l’enfant ; l’établissement de sa filiation ; l’obtention de la nationalité française. Sur la foi d’un « acte de naissance » du pays où est né l’enfant, et sur lequel figure au moins un parent français, des « documents de voyage » sont établis par l’ambassade ou le consulat, quelles que soient les conditions de la naissance de l’enfant41.

À l’arrivée en France, les parents d’intention demandent une transcription de l’état civil étranger sur l’état civil français au Service central d’état civil (SCEC) à Nantes42, ce qui est possible uniquement lorsque l’état civil étranger est considéré comme « probant »43. Il ne peut être question, comme le souligne le rapport, d’accepter la transcription d’un état civil étranger qui ne correspondrait pas à la réalité de la naissance de l’enfant. Cela correspond à une exigence de transparence et de vérité vis-à-vis de l’enfant concernant ses origines. À ce titre, on mentionnera la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’Homme, du 24 janvier 2017, rendue en Grande chambre, et revenant sur un arrêt de 2015 sur les mêmes faits. Compte tenu de l’absence de tout lien biologique entre l’enfant et les parents d’intention, la courte durée de la relation avec l’enfant, soit environ 8 mois, et la précarité des liens du point de vue juridique, et malgré l’existence d’un projet parental et la qualité des liens affectifs, les conditions permettant de conclure à l’existence d’une vie familiale de facto ne sont pas remplies. Partant, la Cour conclut à l’absence de vie familiale en l’espèce44.

Avoir un lien biologique avec un parent français permet d’obtenir la nationalité française45. Le certificat de nationalité française (CNF ; délivré au Pôle de la nationalité française ou par les tribunaux d’instance) prouve la nationalité française de manière absolue. À partir du moment où un enfant a un CNF, il a droit à un passeport et à une carte d’identité.

L’état civil étranger, quel qu’il soit, peut toujours être utilisé tel quel en France. Cela permet à l’enfant de vivre avec les parents d’intention, d’avoir accès aux soins aussi bien qu’à l’inscription à l’école46. Si les parents d’intention souhaitent un état civil français, il n’y a pas de difficulté de transcription s’il est « conforme à la réalité », c’est-à-dire s’il mentionne la gestatrice. Dans ce cas, le père biologique est père légal et le deuxième parent n’a pas de lien juridique avec l’enfant. Mais il peut être accordé une « délégation d’autorité parentale » à l’épouse ou à l’époux du père biologique (C. civ., art. 377) ; cette situation est conforme à la réalité des origines. Elle satisfait trois conditions : la reconnaissance de la filiation biologique vis-à-vis du père ; une situation légale pour le parent d’intention qui corresponde au vécu social ; l’acquisition de la nationalité française du fait de la filiation paternelle. La CEDH ne devrait, selon le rapport du CCNE donc plus y voir une atteinte à la vie privée de l’enfant. En matière fiscale, la notion d’« enfant à charge » permet de tenir compte de la situation. Quant au droit de succession, c’est l’acte de naissance qui établit la filiation. L’enfant est donc héritier de son père biologique. Vis-à-vis de l’épouse ou du conjoint du père, l’enfant n’a pas de vocation successorale totale, il peut bénéficier d’un legs, à des conditions fiscales défavorables ; toutefois, la direction des affaires civiles et du sceau a demandé au Conseil supérieur du notariat de faire des enfants nés par GPA des héritiers selon les termes du droit commun47.

Le rapport du CCNE est donc très défavorable à toute perspective de reconnaissance légale de la GPA en France. Les raisons sont nombreuses et chacune est conforme aux valeurs fondamentales qui régissent le droit français. La première est celle de l’indisponibilité de la personne. Sur ce principe, deux personnes sont à prendre en considération : en premier lieu, l’enfant, qui, dans le cadre de la GPA devient l’objet d’un contrat, et le simple fait de le mentionner suscite évidemment un fort malaise éthique ; en deuxième lieu, la femme gestatrice, pour laquelle, le rapport souligne, à très juste titre, l’insuffisante prise en considération des risques important pesant sur sa santé, voire sur sa vie, dans les contextes divers de GPA. Si l’on peut saluer les prises de position claires du rapport quant au respect de la dignité de la personne humaine et au principe d’indisponibilité de la personne en tant qu’objet de contrat d’échange, la recommandation affichée dans le sens d’une négociation internationale en vue de la prohibition peut sembler quelque peu illusoire. En effet, les conclusions du rapport sont les suivantes : le CCNE est favorable à l’élaboration d’une convention internationale pour l’interdiction de la GPA et est particulièrement attaché à l’effort diplomatique ; dans le même sens que le rapport d’information concernant la GPA remis à la présidence du Sénat le 17 février 2016, il recommande l’engagement de négociations internationales multilatérales. Concernant la reconnaissance de la filiation d’un enfant né par GPA à l’étranger, lorsqu’est établie par un état civil probant une filiation biologique avec au moins l’un des parents français, le CCNE soutient le choix de la délégation d’autorité parentale en faveur du parent d’intention n’ayant pas de lien biologique avec l’enfant, car elle respecte la réalité des conditions de sa naissance. Il recommande, dans les cas de suspicion concernant la réalité de la filiation biologique d’un enfant né par GPA à l’étranger, que puisse être réalisée une vérification de la filiation génétique par un test ADN avant la transcription d’état civil étranger en état civil français de l’enfant, pour vérifier qu’il existe un lien biologique avec au moins l’un des parents d’intention. Le résultat et la situation devraient être soumis à examen. Au cas où se confirmerait un soupçon de trafic d’enfant, ce dernier pourrait être confié à des fins d’adoption. Il recommande, par ailleurs, que l’état civil des enfants garde la trace et le nom de tous les intervenants à la convention de gestation et que les enfants aient accès au contrat qui a permis leur naissance, aux fins de pouvoir « construire leur identité » et reconstituer l’ensemble de leur histoire48.

En somme, ce rapport a une approche que l’on pourrait qualifier de sage et prudente. On peut aussi l’estimer lucide, mis à part la revendication d’une convention internationale pour laquelle on peut légitimement douter d’avoir des dates de faisabilité. Sa lucidité tient dans l’exposé précis des hiatus successifs que pose chaque demande sociétale. Les questions qui se posent se situent aux confins du droit et de la technique, le premier devant encadrer la seconde afin de préserver les valeurs fondamentales de notre État de droit. Les techniques, associées aux évolutions des modes de vie, elles-mêmes encadrées, ou reconnues, selon les cas par le droit, brouillent plusieurs frontières. La frontière entre le pathologique classique en quelque sorte et la souffrance morale induite par l’impossibilité – non pathologique – d’avoir un enfant n’est pas étanche. La question juridique se fait philosophique lorsqu’on s’interroge sur le rôle de la médecine. Doit-elle être seulement là pour répondre à des pathologies ou bien peut-elle/ doit-elle mettre au service de la population, au nom du principe d’égalité, l’ensemble des techniques, nonobstant l’absence de situation pathologique reconnue comme telle.

Les frontières entre l’individuel et le collectif se brouillent aussi. Car l’individualisme des sociétés contemporaines a pu pousser loin une série de demandes, voire de revendications. Or dans les demandes d’assistance à la procréation, quelles qu’elles soient, l’individu a besoin impérativement du collectif, le collectif du nombre de parties prenantes au processus conduisant à la naissance de l’enfant, le collectif médical. Surtout, l’individu n’est jamais seul lorsqu’il s’agit de mettre au monde un enfant, qui doit demeurer au centre des réflexions. Car comme le rapport le souligne et comme les réflexions sur le sujet l’ont déjà souligné, s’il existe bien des droits de l’enfant qui sont justement à protéger dans le cadre de ces nouvelles discussions, il n’existe nulle part de droit à l’enfant.

De toutes ces réflexions, un sujet de droit majeur nous semble devoir être placé au centre des choix sociétaux que devra faire le législateur. L’intérêt supérieur de l’enfant que l’État de droit français protège, et qui se trouve aussi garanti par la Convention de New York sur les droits de l’enfant nous semble devoir être placé au sommet de cette hiérarchie normative et éthique encore en construction.

Une phrase du rapport et son développement, nous semble essentielle dans la réflexion que nous devons collectivement mener. Cette réflexion revient en effet à « penser le monde qui change ». Un monde nouveau se reconfigure, qu’il s’agit de penser et pas seulement de « normer », en sachant qu’une part d’imprévisible est en jeu, de façon inévitable. Nous sommes en train de vivre des changements anthropologiques majeurs dans de nombreux champs de la vie humaine et notamment dans la façon de concevoir un enfant et de devenir parents. Le monde de la procréation change vite, et certaines limites techniques pourraient être bientôt franchies. Si l’on pense par exemple à la production de gamètes in vitro à partir de cellules souches reprogrammées, à la possibilité de techniques de modifications ciblées du génome dont la précision les rend applicables au zygote, ou encore à la reconstitution ex vivo de certaines étapes du développement embryonnaire, toutes ces techniques, qui sont aujourd’hui l’enjeu de recherches et de discussions, obligeront à effectuer des choix importants. Ce monde qui change nécessite aussi une vigilance éthique, notamment par rapport à la façon médiatique de communiquer sur les résultats de la recherche en prenant en compte le contexte de leur obtention49.

Les sociétés changent, la conception de la famille et le rapport à soi sont dans des processus de mutations profondes. La dialectique entre le fait et le droit se double d’une dialectique entre la technique et les valeurs fondamentales qu’une société se donne. Les équilibres sont fragiles, les discussions très sensibles avec des positions variables selon les convictions intimes de chacun. Au terme provisoire de cette étude et au regard des enjeux de chaque sujet abordé, il semble que deux maîtres mots liés doivent être gardés à l’esprit au regard des données en présence : la recherche de valeurs universelles même si une législation internationale semble peu probable et l’intérêt supérieur de l’enfant.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Le Monde, 14 oct. 2014.
  • 2.
    Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme, les premiers étant à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (94) puis à l’hôpital Necker-enfants malades (Paris).
  • 3.
    Rapp. ici étudié.
  • 4.
    Rapp. ici étudié, préc, p. 5.
  • 5.
    V. A., 12 janv. 1999, relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques en assistance médicale à la procréation et loi de 2004.
  • 6.
    L’annexe du 3 du rapport présente les éléments scientifiques connus en la matière.
  • 7.
    Rapp. ici étudié, p. 10.
  • 8.
    Rapp. préc., p. 11.
  • 9.
    Partie des conclusions du rapp. ici étudié, p. 18.
  • 10.
    Les données de l’Insee montrent que 78,5 % des naissances ont lieu pour des femmes âgées de moins de 35 ans et 17,2 % pour des femmes âgées de 35 à 40 ans. Moins de 5 % des femmes pourraient ainsi bénéficier d’une autoconservation ovocytaire, puisque la stérilité ne survient que dans 25 % des couples.
  • 11.
    Ces développements reprennent une partie des opinions divergentes émises et rendues publiques à la fin du rapp. ici étudié, p. 46, 47.
  • 12.
    L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 13 juin 2017, a adopté le texte de ce rapport avec 54 voix pour, 12 voix contre et 22 abstentions.
  • 13.
    Résumé du rapp. de l’Académie de médecine du 13 juin 2017.
  • 14.
    Rapp. ici étudié, note 20.
  • 15.
    Rapp. ici étudié, p. 20-21.
  • 16.
    Rapp. ici étudié, p. 20.
  • 17.
    Rapp. ici étudié, p. 21.
  • 18.
    Rapp. ici étudié, p. 49.
  • 19.
    On trouve ces informations dans l’annexe du rapp. ici étudié, p. 75.
  • 20.
    Lien vers l’avis 110 du CCNE publié en 2010 : « Problèmes éthiques soulevés par la gestation pour autrui (GPA) ». http://www.ccne-ethique.fr/fr/publications/problemes-ethiques-souleves-par-la-gestation-pour-autrui-gpa#.WQsZZ0Y2Vzk.
  • 21.
    Rapp. ici étudié, p. 30.
  • 22.
    Aux États-Unis, le coût d’une GPA varie de 100 000 à 150 000 $, dont 20 000 $ pour la gestatrice. En Inde, la même opération se situait autour de 30 000 €, dont 3 à 4 000$ pour la gestatrice.
  • 23.
    Rapp. ici étudié, p. 32.
  • 24.
    Ibid.
  • 25.
    « La gestation pour autrui : resituer la France dans le monde », 17-18 nov. 2016, colloque international, Muséum national d’histoire naturelle.
  • 26.
    Les motifs souvent invoqués sont l’augmentation des chances de réussite, et aussi le désir de certains parents d’intention d’obtenir plusieurs enfants simultanément (cas particulier des couples d’hommes qui veulent dans une même grossesse des embryons de chacun des deux pères), mais surtout parce que le prix est consenti pour une grossesse, le surcoût lié à deux enfants étant peu important.
  • 27.
    L’étude compote plusieurs annexes ainsi que la présentation des avis divergents.
  • 28.
    Ceci explique que les reportages montrent souvent des femmes de la classe moyenne, qui mettent en avant la solidarité et le caractère bienfaisant de leur acte. Toutefois, sauf cas exceptionnel, le déclencheur financier est indispensable et doit atteindre un certain montant, comme le montre le cas de la Grande-Bretagne, où la limitation du montant payé à la gestatrice, aux alentours de 10-15 000€, théoriquement seulement destinés au dédommagement des frais, fait que le nombre de femmes volontaires reste faible.
  • 29.
    Rapp. ici étudié, p. 34.
  • 30.
    Ibid.
  • 31.
    Van den Akker O. B, « Psychosocial aspects of surrogate motherhood. Human Reproduction », 2007, Update,13, 53–62.
  • 32.
    Rapp. ici étudié, p. 36.
  • 33.
    Rapp. ici étudié, p. 35.
  • 34.
    Le 31 mai 1991, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a qualifié le contrat de mère porteuse par lequel une « femme s’engage à concevoir et porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance, contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes », processus constituant « un détournement de l’institution de l’adoption ».
  • 35.
    L’article 16-7 du Code civil énonce que : « Toute convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui est nulle » et l’article 16-9 que cette nullité est d’ordre public. Par ailleurs, toute personne, physique ou morale, qui s’entremettrait pour inciter une femme à abandonner son enfant ou qui fait une « substitution volontaire, simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant » est passible de sanctions pénales.
  • 36.
    Dans deux affaires jugées en 2013, la Cour de cassation a utilisé la notion de « fraude à la loi », caractérisée par la réalisation d’une GPA dans un pays tiers où elle est autorisée, et elle a justifié le refus de transcription d’un acte de naissance d’un enfant né par GPA à l’étranger.
  • 37.
    La CEDH caractérise avec précision ce constat. La GPA est expressément interdite dans 14 États du Conseil de l’Europe ; dans 10 autres États, soit elle y est interdite en vertu de dispositions générales, soit elle n’y est pas tolérée, soit la question de sa légalité est incertaine. Elle n’est autorisée, sous diverses réserves, que dans sept États et tolérée de manière exceptionnelle dans quatre autres États. Enfin, dans treize États, il est possible d’obtenir la reconnaissance du lien de filiation avec un enfant né d’une gestation pour autrui régulièrement pratiquée à l’étranger, et de manière moins certaine dans onze autres États.
  • 38.
    Par exemple, l’obligation faite aux services sociaux d’un État de mettre à disposition un certain nombre d’éléments du dossier d’une personne longtemps placée dans des familles d’accueil, pour qu’elle puisse connaître son histoire personnelle, comprendre son enfance et ses années de formation, ce qui lui permettrait d’établir son identité d’être humain (aff. Gaskin, 1989), ou le droit que l’État ne mette pas d’entraves excessives à la possibilité de connaître son origine génétique (aff. Mikulic, 2002).
  • 39.
    Rapp. ici étudié, p. 39. V. sur la jurisprudence de la Cour de cassation, nos articles dans cette revue, LPA 9 juin 2017, n° 126x5, p. 7.
  • 40.
    Informations figurant sur ce certificat : jour, heure, lieu de naissance. Les mentions des père et mère dépendent des États, notamment aux États-Unis. Certains États obligent à faire la déclaration dans leurs propres services d’état civil ; il faut alors en demander une transcription à l’ambassade ou aux services consulaires.
  • 41.
    La différence est, en l’état actuel du droit, essentielle, car la Cour de cassation n’admet la transcription de l’état civil qu’à condition qu’il soit sincère, et la CEDH, qui n’a pas pris parti sur ce point, se montre également très attachée à la réalité de l’état civil de l’enfant, en particulier la réalité biologique. Cité par le rapp. du CCNE ici étudié.
  • 42.
    « Laissez-passer consulaire ». (CJA, art. L. 521-2 ; le juge des référés du Conseil d’État en a fait une obligation par l’Ord. n° 40-1924, 3 août 2016).
  • 43.
    En fait, cette transcription est facultative (Instruction générale relative de l’état civil, art. 509), mais généralement considérée plus commode que l’état civil étranger, et dès lors souhaitée par les parents d’intention.
  • 44.
    Le caractère probant s’apprécie conformément à C. civ., art. 47 : un acte de naissance « fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi », sauf si des éléments « établissent, (…) que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Un problème surgit si « l’acte de naissance » (identité des parents) établi à l’étranger n’est pas conforme aux données consignées sur le « certificat d’accouchement » médical, qui porte l’identité de la mère ayant accouché.
  • 45.
    Arrêt n° 25358-12 de la CEDH, 24 janv., 2017.
  • 46.
    La circulaire JUSC 1301528C du 25 janv. 2013, relative à la délivrance des certificats de nationalité française (CNF) a rappelé que le seul soupçon du recours à une convention, conclue à l’étranger, portant sur la gestation pour le compte d’autrui (GPA), ne pouvait suffire à opposer un refus à une demande de délivrance de CNF, dès lors que le lien de filiation, avec un Français, de l’enfant qui en est issu résulte d’un acte de naissance « probant » au regard de l’article 47 du Code civil. La consultation systématique du bureau de la nationalité du ministère de la Justice pour toutes demandes de délivrance de CNF qui entrent dans le champ de la circulaire du 25 janvier 2013 a été rappelée (dépêche du 23 avril 2015), dans le souci de permettre un traitement harmonisé des dossiers sur le territoire national par les quelque 220 tribunaux d’instance compétents en matière de nationalité (Min. Justice-JO : Ass. nat. du 23 août 2016).
  • 47.
    Les étrangers vivant en France et y travaillant ont droit à la sécurité sociale puisqu’ils cotisent, et leurs enfants peuvent s’y inscrire aussi. C’est la solution préconisée par la mission d’information au Sénat de Yves Détraigne et Catherine Tasca (Sénat, 17 févr. 2016, n° 409). Les auteurs conseillent de confier cette question au législateur et cesser de se défausser sur les juges d’une décision éthique majeure ; et, pour l’enfant, de l’autoriser, et lui seul (même si cette action sera exercée, en son nom, par ses parents), à faire établir sa filiation dans le respect strict des exigences du droit français, donc faire reconnaître sa filiation paternelle biologique. En revanche, l’établissement d’un lien de filiation avec le parent d’intention ne serait pas possible, seule le serait une délégation d’autorité parentale pérenne. L’impératif de prohibition de la GPA serait ainsi respecté. Les rapporteurs recommandent aussi de confirmer qu’aucune autre action (par exemple une adoption ultérieure de l’enfant du conjoint ou une action en possession d’état) tendant à établir une filiation d’intention, en prolongement du processus frauduleux de recours à la GPA, ne puisse prospérer.
  • 48.
    Confirmé par la ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, le 19 mai 2015, cité par le rapp. ici étudié, p. 40. http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-7969QE.htm.
  • 49.
    Rapp. ici étudié, p. 41.
  • 50.
    Rapp. ici étudié, p. 45.
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