Droits de l’enfant : chronique d’actualité législative et jurisprudentielle n° 15 (2e partie)
S’il faut retenir un mot des débats publics les plus enflammés qui ont dominé la fin d’année 2017, c’est assurément celui de « consentement » : le consentement donné par l’enfant à une relation sexuelle avec un adulte peut-il être libre ? En droit civil, le consentement du mineur est aussi un grand sujet : il vient limiter le pouvoir de décision des titulaires de l’autorité parentale. Si les enjeux de la question du consentement de l’enfant diffèrent logiquement en droit pénal et en droit civil, les deux branches du droit se retrouvent sur un principe élémentaire : la capacité de consentir suppose la capacité de discerner, à laquelle certains textes font produire des effets spécifiques, dans un but de protection de l’enfant, parfois détournés par les parents…
I – La dignité de l’enfant en fin de vie
II – L’intégrité de l’enfant
A – L’intégrité corporelle de l’enfant
1 – Les vaccinations obligatoires
L. n° 2017-1 836, 30 déc. 2017, de financement de la Sécurité sociale pour 2018, art. 491 et D. n° 2018-42, 25 janv. 2018, relatif à la vaccination obligatoire2. La presse juridique comme la presse généraliste ont largement relayé la réforme qui a été au cœur de nombreux débats. Aux trois vaccins obligatoires pour les enfants de moins de 2 ans3 se sont ajoutés depuis le 1er janvier 2018 huit nouveaux vaccins obligatoires4. Le droit français a par conséquent imposé au jeune enfant onze valences obligatoires regroupées dans des vaccins combinés pour éviter de démultiplier les injections. Il ne s’agit pas ici de prendre position sur l’opportunité ou non de la démarche de vaccination mais plutôt de proposer une approche légistique du corpus textuel : que prévoient les textes nouveaux mais surtout quel est leur objectif et quels moyens se donnent-ils pour les atteindre ? Voici quelques-unes des questions qui retiendront notre attention.
Les arguments officiels mobilisés au soutien de la présentation de cette réforme sont connus : l’insuffisance de la couverture vaccinale en France d’une part5 et la réapparition d’épidémies d’autre part. Une question se profile cependant rapidement : quels intérêts cherche-t-on véritablement à protéger via cet élargissement des vaccinations obligatoires ? Ceux de l’enfant soumis aux vaccinations ? Ceux des parents ? Ceux de la société dans un objectif de santé publique (l’éradication de maladies infectieuses graves voire mortelles) ? Ceux de l’État qui s’est révélé incapable de fournir les trois vaccins obligatoires seulement avant l’entrée en vigueur de la réforme et qui s’est fait rappeler à l’ordre par les juges ? Ceux des laboratoires pharmaceutiques ?
Le dispositif nouveau entré en vigueur au début de l’année est résolument chargé en paradoxes. En effet, la loi rend obligatoire mais ne sanctionne plus, du moins en apparence (I). En outre, si la loi nouvelle entend redonner confiance, elle refuse de faire confiance (II).
I. La loi rend obligatoire mais ne sanctionne plus… du moins en apparence
La loi nouvelle a supprimé la distinction entre vaccins obligatoires et vaccins recommandés au profit du « tout obligatoire » (A) mais paradoxalement, elle a fait disparaître la sanction spécifiquement prévue en cas de refus de vaccination. Cette disparition de la sanction pénale n’est cependant qu’une façade dès lors que des sanctions indirectes mais réelles trouveront à s’appliquer en cas de refus de respect des obligations vaccinales (B).
A. La fin de la distinction entre vaccins obligatoires et vaccins recommandés
La distinction critiquée, au point d’être supprimée en 2018, est pourtant issue de la loi. Historiquement, les premiers vaccins ont d’abord été rendus obligatoires en 1938 pour la diphtérie, en 1940 pour le tétanos et en 1964 pour la poliomyélite. Il semblait important à l’époque d’impulser la politique de vaccination pour lutter contre des fléaux sanitaires et de ne pas forcément laisser le choix alors que les enjeux n’étaient pas nécessairement parfaitement maîtrisés par tout un chacun6. Les vaccins suivants – dits « de seconde génération » – n’ont fait l’objet « que de recommandations malgré une efficacité et une importance comparable voire supérieure aux vaccins obligatoires »7. À l’aube de la réforme, différents professionnels ont affirmé que la distinction entre vaccins obligatoires et vaccins recommandés aurait été mal interprétée par les parents : ces derniers n’auraient pas perçu l’importance de ces nouveaux vaccins. À la vérité, il semble délicat de reprocher a posteriori aux parents d’avoir librement pris position sur la vaccination de leur enfant dès lors que les vaccinations n’étaient que recommandées. Les mots ont un sens. En tout état de cause, la distinction a surtout été malmenée par la pratique et l’approvisionnement en vaccins qui n’a pas toujours permis un choix libre des parents. Ces questions d’approvisionnement insatisfaisant auprès des laboratoires pharmaceutiques qui commercialisent plus volontiers des vaccins groupés ont d’ailleurs entraîné la condamnation de l’État français par le Conseil d’État8. Les juges administratifs ont rappelé que les vaccins obligatoires devaient être commercialisés de manière indépendante (il ne faut pas contraindre les parents à soumettre leur enfant à d’autres vaccinations, non obligatoires). Ce faisant, le Conseil d’État a rappelé l’obligation pour le ministre d’user des pouvoirs qu’il détient pour assurer la mise à disposition de vaccins permettant de satisfaire aux seules obligations vaccinales.
Le choix opéré par le législateur a finalement été celui d’une évolution vers le « tout obligatoire ». Rappelons que l’obligation de vaccination a été validée dans son principe par le Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a jugé, en mars 2015 que la vaccination obligatoire des enfants était conforme à l’exigence constitutionnelle de protection de la santé9. Les sages ont considéré qu’il revenait au législateur de définir sa politique de vaccination et qu’il ne lui appartenait pas « de remettre en cause, au regard de l’état des connaissances et des techniques, les dispositions prises par le législateur ni de rechercher si l’objectif de protection de la santé que s’est assigné le législateur aurait pu être atteint par d’autres voies dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé ». On soulignera que le Conseil constitutionnel n’entreprend curieusement aucun contrôle de proportionnalité en la matière, pas plus qu’il n’aborde la question de l’articulation de l’obligation de vaccination avec la liberté individuelle et le droit au respect de l’intégrité. Dans le prolongement des possibilités offertes par la jurisprudence, l’élargissement de l’obligation vaccinale est désormais acté par la loi ce qui soulage l’État français d’un éventuel bras de fer avec les laboratoires pharmaceutiques.
B. Des sanctions indirectes mais réelles
La sanction prévue dans l’hypothèse d’un refus de se soumettre à une obligation vaccinale, avant la réforme, à l’article L. 3116-4 du Code de la santé publique (CSP) et s’élevant à 6 mois d’emprisonnement et 3 750 € d’amende a été supprimée à la faveur de la réforme. N’est-il pas surprenant de renforcer une obligation en élargissant son champ d’application tout en la dépénalisant ? On pourrait être tenté de s’interroger : quel est dès lors le sens d’une obligation sans sanction ? Cette interrogation fondée sur une première approche rapide est cependant trompeuse. Les sanctions des règles de droit ne sont pas que pénales. Une règle peut parfaitement être obligatoire en tirant sa force contraignante d’autres types de sanctions. C’est le cas dans notre espèce. Sont prévues des sanctions – moins évidentes au premier abord mais tout aussi dissuasives –. Ces sanctions sont même potentiellement pénales.
Au premier rang de ces sanctions, il faut évoquer l’impossibilité d’inscription, ou plus précisément l’exclusion des structures d’accueil et de garde d’enfants. Si les premières vérifications n’auront lieu qu’à partir du 1er juin 2018, cette crainte d’une exclusion notamment du système éducatif devrait parvenir à convaincre les parents récalcitrants. L’article R. 3111-17 du Code de la santé publique devenu l’article R. 3111-8 suite au décret n°2018-42 du 25 janvier 2018 précise en effet que l’admission du mineur dans tout établissement d’enfants, à caractère sanitaire ou scolaire (cf. liste), est subordonnée à la présentation soit du carnet de santé, soit des documents mentionnés à l’article D. 3111-6 et attestant de la situation de l’enfant au regard des vaccinations obligatoires. À défaut, les vaccinations obligatoires sont effectuées dans les trois mois de l’admission à titre provisoire. La production du carnet de santé ou de tout autre document attestant du respect des obligations vaccinales conditionne l’admission de l’enfant dans les structures d’accueil collectives (crèches, jardins d’enfants, écoles, centres de loisirs, colonies de vacances, etc.). La charge de la preuve incombe aux parents. Le délai de régularisation de 3 mois qui leur est offert court à partir de l’admission provisoire dans un établissement scolaire ou toute collectivité (un enfant doit donc être admis provisoirement, même si sa situation n’est pas régularisée au regard des vaccinations obligatoires, mais elle devra l’être pour que son maintien au sein de l’établissement soit permis).
Il est également possible d’envisager l’engagement de la responsabilité pénale des parents non seulement pour mise en péril de leur enfant, mais également le cas échéant pour usage de faux. L’article 227-17 du Code pénal incrimine en effet la soustraction d’un parent – sans motif légitime – à ses obligations légales compromettant la santé (…) de son enfant mineur. Il s’agit d’un délit passible de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende. La ministre – Mme Agnès Buzyn – a d’ailleurs précisément évoqué ce scenario en soulignant qu’« un enfant qui se trouverait avec un handicap en raison d’une absence de vaccin aurait ainsi le droit de mettre en cause pénalement ses parents ». Peut également être envisagée la mise en jeu de la responsabilité des parents qui se serviraient d’un faux certificat pour apporter la preuve de l’accomplissement des formalités vaccinales. En effet, conformément aux prévisions de l’article L. 3111-2, II, du Code de la santé publique, « les personnes titulaires de l’autorité parentale ou qui assurent la tutelle des mineurs sont tenues personnellement responsables de l’exécution de l’obligation prévue au I ». Le texte ajoute que « la preuve que cette obligation a été exécutée doit être fournie, selon des modalités définies par décret, pour l’admission ou le maintien dans toute école, garderie, colonie de vacances ou autre collectivité d’enfants ». La tentation pourrait être grande pour les parents de produire un faux certificat de vaccination. Dans cette hypothèse, le professionnel de santé complaisant verrait ses responsabilités disciplinaire (potentielle radiation), civile mais également pénale engagées. Sur le volet pénal notamment, l’article 441-8 du Code pénal punit le faux d’une peine pouvant aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende. Les parents faisant usage de ce faux certificat pourraient quant à eux être poursuivis pour usage de faux, sur le fondement de l’article 441-1 du Code pénal et risqueraient 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende. On pourrait même envisager un engagement de la responsabilité des parents de l’enfant non vacciné dans l’hypothèse de la contamination d’autres enfants par des maladies qui auraient pu être évitées grâce à la vaccination. On le voit bien lorsqu’on approfondit la réflexion : la dépénalisation n’est que de façade. La menace pénale est réelle.
II. La loi doit redonner confiance mais refuse de faire confiance
L’objectif poursuivi par le législateur était de redonner confiance en la vaccination en vue de parvenir à un taux de couverture optimal permettant d’envisager l’éradication des épidémies et maladies gravissimes. Il n’est pas certain que les moyens mis en œuvre permettent d’atteindre cet objectif (A) d’autant que la réforme s’inscrit dans une démarche de défiance à l’égard des principaux concernés (B).
A. Une loi pour redonner confiance ?
La crise de confiance à l’égard de la vaccination est particulièrement marquée en France. La restauration de la confiance avait déjà été présentée comme l’un des enjeux de la concertation citoyenne organisée sur la question de la vaccination par la précédente ministre de la Santé (14 sept.-14 nov. 2016). L’enjeu de la confiance a également été au cœur du rapport du Comité d’orientation sur la vaccination remis à la ministre de la Santé en novembre 2016 et qui préconise d’obliger pour mieux convaincre10. Le droit français n’est pas le seul à s’être engagé dans cette voie. D’autres États, touchés par la méfiance antivaccinale tels que l’Italie11, ont fait ce même choix de rendre obligatoire plus de vaccins.
On peut cependant émettre quelques doutes sur la nécessité de rendre obligatoire davantage de vaccins, notamment à l’aune de contre-exemples de droit comparé. L’obligation vaccinale peut apparaître comme à contre-courant des politiques de santé actuelles. Au sein des pays européens, 15 pays n’imposent aucune obligation vaccinale12. La plupart des vaccins sont recommandés et le taux de couverture vaccinale n’est pas forcément plus mauvais.
Si le législateur avait vraiment voulu redonner confiance, il aurait sans doute dû davantage prendre en considération les inquiétudes exprimées autour de la question des adjuvants. Cette controverse a été balayée assez rapidement. Pourtant c’est sans doute sur ce point qu’il fallait mettre l’accent pour redonner confiance. Le Haut conseil de la santé publique a publié un rapport très détaillé en 2014 sur le sujet13. L’Académie nationale de médecine a aussi publié un rapport qui conclut à leur innocuité14. Pourtant, cette question des adjuvants est revenue de manière prégnante à la faveur de la consultation citoyenne de 2016.
B. Une loi de défiance
La loi nouvelle en appelle à la confiance des parents et des professionnels de santé. Elle refuse cependant de faire confiance. Ainsi, la réforme ne permet pas aux titulaires de l’autorité parentale de prendre les décisions qu’ils considèrent conformes à l’intérêt de leur enfant. Le droit impose : ceci peut sembler constituer une atteinte aux prérogatives d’autorité parentale, plus précisément à la liberté des parents de choisir ce qui est bon pour leur enfant. L’argument de la santé publique balaye sur son passage les mécanismes traditionnels de prise de décisions au sein de la cellule familiale, de même que la plupart des principes portés par la loi du 4 mars 2002.
La défiance se traduit plus encore dans le refus du jeu des clauses de conscience, clauses dont l’admission était pourtant préconisée par le rapport du Comité d’orientation sur la vaccination15. Il n’existe donc pas d’exemption possible à l’obligation vaccinale. Ce choix s’explique sans doute en partie par des expériences de droit comparé dont le droit français a souhaité tirer les enseignements et notamment par l’échec de la politique vaccinale américaine qui admet les clauses d’exemption, notamment religieuses. Le constat qui y est fait aujourd’hui est celui d’une dégradation de la couverture vaccinale.
On comprend mieux, dès lors, les réactions vives que la réforme a pu susciter et les craintes de dérives qui accompagnent l’entrée en vigueur du nouveau dispositif. Si certains parents persistent dans leur opposition – ce qui n’est pas une hypothèse purement théorique, loin s’en faut – il est alors à craindre que les sanctions prononcées (exclusion des structures d’enseignement et de loisirs et/ou condamnations pénales) portent aussi et surtout préjudice à l’enfant. Difficile dans ces conditions d’envisager que l’intérêt de ce dernier ait été au cœur des préoccupations du législateur.
Cathy POMART
2 – Circoncision et intersexualité
CA Paris, 1er juin 2017, n° 15/08139 et résolution n° 2191 (2017) Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe16. Selon Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient ». Par ce célèbre aphorisme, l’auteure avançait la théorie selon laquelle c’est la société qui façonne l’enfant en homme ou femme accompli. Bien qu’elle ne l’évoque pas dans son œuvre, on trouve une corrélation avec les mutilations sexuelles faites sur mineur.
Ainsi, la circoncision et les mutilations génitales féminines (MGF) sont une illustration des plus concrètes de la manière dont la société forge le genre. En effet, au-delà de considérations religieuses accessoires17, ces pratiques témoignent d’un « processus initiatique de passage de l’enfance à l’âge adulte ou d’intégration dans un groupe social restreint »18. Les mutilations sexuelles apparaissent alors comme une manière d’identifier l’enfant en tant qu’homme ou femme par le corps social tout entier19.
À côté de ces mutilations rituelles qui participent à la catégorisation du mineur dans la répartition sociétale dichotomique, on observe un autre type de mutilations : le cas des personnes mineures intersexuées20 qui, a contrario, participent à la remise en cause de cette systémisation21.
Dès lors, sans vouloir comparer l’incomparable22, il faut constater que l’on retrouve une finalité d’identification aussi bien dans la question des mutilations génitales coutumières23 que dans celle des mineurs intersexués24. L’atteinte à l’intégrité physique apparaît alors comme un outil de différenciation du genre.
Mais, au vu de la place de plus en plus prégnante de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’appréhension de ces atteintes pourrait bien subir l’influence du droit européen qui demeure plus ferme que le droit français. Ainsi, même si la jurisprudence française dans son arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 1er juin 201725 semble camper sur ses positions, la récente résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe adoptée le 12 octobre 2017 portant sur la promotion des droits humains et l’élimination des discriminations à l’égard des personnes intersexes26 relance le débat des atteintes à l’intégrité physique sur mineur. Cette résolution fait d’ailleurs écho à sa résolution de 2013 relative au droit des enfants à l’intégrité physique27.
La condamnation des atteintes à l’intégrité physique commises sur mineurs apparaît alors comme une injonction européenne (I) qui est corroborée par la prescription du recours à des solutions alternatives à ces atteintes (II).
I. La condamnation des atteintes à l’intégrité physique sur mineurs comme injonction européenne
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe l’a énoncé28 : « les MGF », « la circoncision de jeunes garçons pour des motifs religieux » et « les interventions médicales à un âge précoce sur les enfants intersexués » sont des violences ! Même si cette déclaration peut sembler une évidence, il n’est pas anodin qu’elle le réaffirme pour ne pas dire le scande. En effet, bien que la protection du mineur soit devenue le fer de lance du droit pénal, de nombreuses atteintes invisibles demeurent29. Toutefois, sur le plan interne, il existe une sous-mobilisation des dispositifs répressifs existants (A) qui entre en contradiction avec l’impératif européen d’encadrement de ces mutilations par le biais de la nécessité médicale (B).
A. Le constat d’une sous-mobilisation des dispositifs répressifs nationaux existants
Une observation s’impose, en pratique, les MGF et la circoncision ne font pas l’objet d’un même traitement judiciaire. Là où les MGF seront poursuivies du chef de violences volontaires ayant entraîné une mutilation aggravée car commise sur mineur30 voire d’homicide involontaire31, la circoncision ne fait l’objet d’aucune poursuite pénale32. A contrario, comme le rappelle la cour d’appel de Paris dans son arrêt en date du 1er juin 201733, le juge judiciaire est confronté à un contentieux lié à cette pratique34 : la circoncision s’appréhende comme un acte non usuel qui nécessite dès lors l’accord des deux parents. Ainsi, bien que le droit civil semble reconnaître que cet acte n’est pas anodin, on ne retrouve pas de traduction pénale de ce constat35.
Pourtant ces pratiques36, en ce qu’elles recoupent la notion de mutilation37, sont bel et bien des atteintes à l’intégrité physique. Elles sont donc théoriquement passibles de tomber sous le coup de la qualification de violences volontaires38. Ces dernières sont prohibées, sur le plan théorique, aussi bien au niveau européen39 qu’au niveau interne40.
On ne peut donc que saluer la position prise au sein de la résolution n° 1952 consistant à décrire les mutilations sexuelles coutumières comme une catégorie de violations de l’intégrité physique des enfants particulièrement préoccupante41.
Mais l’absence de nuance dans l’affirmation de l’Assemblée parlementaire soulève des interrogations. Elle semble ainsi mettre sur une même échelle de valeur les différentes atteintes coutumières. Or bien que les MGF et la circoncision puissent être étiquetées de violences, ces deux pratiques n’entraînent pas le même préjudice. Cette gradation est pourtant bien présente au sein de la jurisprudence européenne42 qui qualifie les MGF de traitements inhumains et dégradants alors qu’il n’en est rien pour la circoncision.
De même, il semble paradoxal que la résolution mette sur le même plan les différentes mutilations sexuelles. Même si la question des mineurs intersexués n’est pas à prendre à la légère et s’analyse bien comme une atteinte à l’intégrité physique43, il n’en demeure pas moins que ce type de violence peut être justifié par un intérêt thérapeutique voire parfois médical. Ce qui, pour les mutilations rituelles, n’est pas forcément évident.
B. L’impératif d’encadrement par le biais de la nécessité médicale
De manière très classique, l’Assemblée parlementaire rappelle que toute atteinte à l’intégrité physique ne saurait trouver de justification hors des cas médicalement justifiés44. L’acte médical ne doit pas faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté45. Dès lors, l’atteinte au corps humain n’est justifiée que par « la sauvegarde d’un intérêt supérieur » qui n’est autre que la santé du patient voire sa vie46.
Or l’ensemble des violences sus-citées sont souvent présentées « comme un bienfait pour les enfants, en dépit d’éléments présentant manifestement la preuve du contraire »47. Dans le cas des MGF, l’absence flagrante d’avantages a permis de condamner sans appel cette pratique48. Cependant, concernant la circoncision, la question est plus délicate puisqu’elle est parfois pratiquée à des fins médicales49. Il est vrai que, « contrairement à l’excision ou à l’infibulation, elle ne comporte pas, du moins a priori, de risques majeurs pour la santé physique de l’enfant »50. A priori, et seulement a priori car comme tout acte chirurgical, la circoncision demeure risquée51. L’argument consistant à admettre la circoncision rituelle parce qu’elle se pratique également pour des raisons médicales s’avère bancal. À partir du moment où la nécessité médicale disparaît de la balance des intérêts, celle-ci ne peut que pencher en faveur de l’exclusion d’une prise de risques disproportionnée52. La distinction de ces deux types de circoncisions est confortée par la jurisprudence civile qui ne les catégorise pas de la même manière comme le rappelle l’arrêt de la cour d’appel de Paris sus-cité53.
La question n’est pas non plus évidente en ce qui concerne les opérations de normalisation. Même s’il arrive que la nécessité médicale soit flagrante54, la plupart du temps, la dimension vitale de l’intervention ne sera pas présente. Cependant, à titre exceptionnel, ce n’est pas le bénéfice médical qui est pris en compte mais l’intérêt thérapeutique55. Ainsi, cette intervention aurait pour but de permettre une meilleure intégration sociale de ces enfants56. Mais l’équilibre existant entre cet avantage thérapeutique et le risque encouru est contestable57. Le désagrément ne serait pas assez important pour effectuer des opérations qui sont, en effet, très risquées58.
Ce qui rejoint la position du Conseil de l’Europe59 qui préconise qu’aucun enfant ne soit soumis à des traitements médicaux ou chirurgicaux « non cruciaux pour la santé ». Cela ne signifie pas qu’elle prohibe ces traitements mais uniquement qu’elle estime qu’il faut attendre que le mineur puisse pleinement consentir aux risques encourus au vu des bénéfices qu’il estimera lui-même rechercher.
Même si l’Assemblée parlementaire met en exergue l’importance primordiale de l’existence d’un impératif vital ou la recherche d’un bien-être psychologique pouvant justifier cette atteinte, le problème demeure qu’il n’existe aucun consensus sur le bénéfice de ces opérations60. Ce constat explique le fait que la résolution apporte des solutions permettant de ne pas pratiquer trop précocement ces atteintes.
II. L’existence de solutions alternatives aux atteintes à l’intégrité physique sur mineurs comme prescription européenne
Bien que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe considère ces mutilations sexuelles comme des atteintes à l’intégrité physique qui ne peuvent être justifiées hors nécessité médicale61, ses recommandations62 font preuve de pragmatisme. Ainsi, elle ne prohibe pas frontalement ces pratiques mais donne des solutions alternatives permettant de les encadrer via la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant63. Lesdites résolutions européennes mettent ainsi en exergue la nécessité de recueillir le consentement éclairé du mineur (A) mais expriment également l’apodictique volonté de sensibilisation des acteurs entourant ces mutilations (B).
A. La nécessité de recueillir le consentement du mineur
La résolution64 précise que les actes chirurgicaux et autres traitements pratiqués sur les enfants intersexués ne peuvent être réalisés sans leur consentement éclairé. L’intérêt supérieur de l’enfant se concrétiserait donc dans la recherche de son consentement. Ce qui rejoint l’idée de l’article 371-1, alinéa 3, du Code civil qui prescrit aux parents d’associer l’enfant « aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».
Cette position semble également conforme à celle adoptée par un tribunal allemand65 qui a condamné un médecin pour avoir procédé à l’ablation des organes reproducteurs d’une personne intersexuée sans son consentement. Et, dans la même logique, le fameux arrêt du tribunal de Cologne66 a clairement argué que la légalité de la circoncision nécessitait d’attendre que l’enfant soit en âge de consentir de manière libre et éclairée à l’intervention67.
Toutefois, cette volonté de l’Assemblée parlementaire ne se concrétise pas sur le plan national. Il semble qu’aucun médecin n’ait été condamné à la suite d’une opération de normalisation68. De même, la prise en compte du consentement en tant que condition de la licéité de l’acte de circoncision semble n’être en droit français que l’exception69 : la pratique de la circoncision rituelle sur un enfant serait possible sauf dans le cas où l’enfant, « suffisamment mûr » exprimerait son opposition70.
Un autre écueil émerge de l’absence d’indication de l’âge auquel l’enfant serait en mesure de consentir. Et pour cause, à l’instar de l’engagement de la responsabilité pénale du mineur, l’âge de discernement s’établit au cas par cas71. Les mutilations sexuelles étant majoritairement effectuées à un âge précoce72, on ne peut que remettre en doute la possibilité de recueillir ce consentement et ce d’autant plus au vu du contexte de pression sociale73.
Mais alors pourquoi insister sur la nécessité de ce consentement, mis à part à l’évidence, du fait du caractère risqué et irréversible de ces opérations ? Tout simplement car, dans le cadre de la circoncision rituelle, cet acte marque l’appartenance de l’enfant à une religion déterminée74, tandis que pour les mineurs intersexués le risque d’une intervention précoce s’exprime dans le potentiel « sentiment d’avoir été dépossédé du choix de leur sexe avant que leur identité de genre n’ait pu s’affirmer »75.
L’Assemblée parlementaire place ainsi le débat sur la manière d’appréhender ce consentement. Pourtant, l’approbation de la victime n’est et n’a jamais été une cause d’irresponsabilité pénale. Il est donc paradoxal de rechercher l’accord du mineur pour justifier une atteinte à l’intégrité physique non justifiée médicalement, sauf à admettre que le consentement de la victime puisse être pris en compte dans une certaine mesure en fonction d’un seuil de gravité en dessous duquel l’atteinte serait acceptable76.
Dans le but de faire prendre conscience de l’ensemble de ces enjeux, l’Assemblée parlementaire met l’accent sur la nécessité de cette mise en lumière, qui suppose, d’après elle, un travail de sensibilisation et d’information autour de ces atteintes.
B. L’apodictique volonté de sensibilisation des acteurs
L’Assemblée parlementaire préconise de former les différents acteurs77 aux risques que ces pratiques présentent pour la santé physique et mentale des enfants78. Il s’agirait de sensibiliser « précisément là où des informations peuvent être communiquées aux familles de façon optimale »79. Ce qui a partiellement été traduit par la loi du 4 avril 2006 qui a ajouté les mutilations sexuelles à la liste des faits pouvant être révélés sans violation du secret professionnel80. Pour les mineurs intersexués, il s’agirait d’amener à une meilleure compréhension de ce phénomène, non pas en tant que pathologie mais comme « résultat de variations naturelles du développement sexuel » qui « n’ont pas en tant que tels à être modifiés »81. Cette position est à nuancer en ce qu’il existe, en l’espèce, une réelle contrainte thérapeutique voire médicale82. Il demeure souhaitable que tout acte irréversible ne soit pas effectué trop précocement83 mais l’exclure totalement n’est pas envisageable. L’effectivité de ces recommandations84 demeure contestable puisqu’il avait déjà été préconisé de mener des recherches complémentaires85.
Cette sensibilisation pourrait s’envisager par le biais de la dimension expressive du droit pénal86. La question de la pertinence de la création d’un texte spécifique pour ces mutilations a d’ailleurs déjà été soulevée. Bien entendu, elle n’apparaît pas cohérente pour les opérations de normalisation sexuelle qui relèvent plus du débat de l’âge à laquelle il faudrait faire cette opération que de sa prohibition. A contrario, elle l’est pour les pratiques rituelles87.
En ce qui concerne les MGF, bien qu’elles soient poursuivies de manière effective par le ministère public, le recours à ces pratiques barbares est encore trop fréquent88, ce qui démontre la nécessité de faire apparaître, au sein du Code pénal, le terme de MGF89. Ainsi, il est regrettable que la CNCDH n’y voie aucun intérêt juridique90, le texte actuel ne jouant pas son rôle de vecteur des valeurs démocratiques.
La sensibilisation autour de la circoncision est plus délicate. Et pour cause, alors que sur le plan pénal elle est théoriquement prohibée, l’absence de poursuites pénales témoigne d’une tolérance91. Dès lors, comment sensibiliser socialement sur un sujet qui n’est pas juridiquement réglé ? La question reste alors tout entière, va-t-on vers une prohibition absolue de l’ensemble des mutilations coutumières à l’instar de l’Islande qui s’apprête à condamner la circoncision rituelle92 ou doit-on espérer une réponse plus nuancée prenant en compte les spécificités de chacune de ces atteintes à l’intégrité physique ?
Roxanne ALLAIN
3 – Droit d’asile et examen médical de non-excision
B – L’intégrité sexuelle de l’enfant
C – L’intégrité psychique de l’enfant
1 – L’intégrité psychique altérée : l’admission de l’enfant en établissement de santé mentale
2 – L’intégrité psychique en formation ou la question du discernement
a – L’irresponsabilité pénale de l’enfant
b – La parole de l’enfant manipulée
c – L’endoctrinement terroriste de l’enfant
III – La liberté de l’enfant
A – La détention, facteur de vulnérabilité du mineur
1 – La responsabilité de l’État à raison du suicide d’un détenu mineur
2 – La responsabilité de l’État en raison des violences commises par un détenu mineur
B – La privation de liberté des mineurs en question
(À suivre)
Notes de bas de pages
-
1.
JORF n° 0305, 31 déc. 2017.
-
2.
JORF n° 0021, 26 janv. 2018.
-
3.
Diphtérie, tétanos et poliomyélite.
-
4.
Coqueluche, haemophilus influenzae b, hépatite B, méningocoque C, pneumocoque, rougeole, oreillons, rubéole.
-
5.
selon l’OMS, 95 % de la population doit être vaccinée pour éradiquer une maladie.
-
6.
Première génération de vaccins : diphtérie, tétanos, poliomyélite, variole, tuberculose.
-
7.
V. not. le rapport du Comité d’orientation sur la vaccination, 30 nov. 2016, p. 27.
-
8.
V. CE, 1re-6e ch. réunies, 8 févr. 2017, n° 397151 : Lebon 2017 ; AJDA 2017, p. 898 et p. 320.
-
9.
V. Cons. const., 20 mars 2015, n° 2015-458 QPC : JCP G 2015, 634, note Foucher K. et Rachet-Darfeuille V.
-
10.
V. le rapport du Comité d’orientation sur la vaccination, 30 nov. 2016, p. 27 : « La levée de l’obligation vaccinale est l’objectif à atteindre » mais pour y parvenir sans doute faut-il passer par « un élargissement temporaire du caractère obligatoire des vaccins recommandés de l’enfant » .
-
11.
L’Italie vient d’étendre l’obligation vaccinale chez les enfants scolarisés à 12 vaccins.
-
12.
Autriche, Chypre, Danemark, Estonie, Finlande, Allemagne, Islande, Irlande, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Espagne, Suède, Royaume-Uni. V. note DGS ministère des Solidarités et de la Santé, 5 juill. 2017, « Vaccination. Obligations vaccinales en Europe ».
-
13.
V. le rapport du Haut conseil de la santé publique, « Aluminium et vaccins », 2013.
-
14.
V. le rapport de l’Académie nationale de médecine, « Les adjuvants vaccinaux : quelle actualité en 2012 ? ».
-
15.
V. le rapport du Comité d’orientation sur la vaccination, 30 nov. 2016, p. 32.
-
16.
De Beauvoir S., Le deuxième sexe, t. II, 1949, Gallimard, Folio essai, p. 13.
-
17.
Gonzales C., Circoncision et excision des mineurs. De la politique criminelle à la prévention sociale, thèse, Culioli M. (dir.), 1998, Université Nice-Sophia-Antipolis, p. 123-127 : les MGF et la circoncision musulmane ne sont pas imposées explicitement par le Coran. A contrario, la circoncision juive trouve son fondement dans le discours biblique.
-
18.
Ibid., p. 25.
-
19.
Ibid., p. 126 ; Vasseur F., « Une étrangère ne peut être renvoyée dans son pays d’origine où ses filles risqueraient d’être excisées », D. 1998, p. 304.
-
20.
L’intersexualité, anciennement nommée hermaphrodisme, s’illustre par la naissance de l’enfant avec à la fois des ébauches d’attributs génitaux mâles et femelles, nécessitant qu’un choix soit fait (v. Gogos-Gintrand A., « Intersexualité : binarité des sexes, médecine et droit », RDSS 2016, p. 922).
-
21.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 2191, « Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes », texte adopté par l’Assemblée le 12 octobre 2017 (35e séance), § 1 : « Les personnes intersexes naissent avec des caractéristiques sexuelles biologiques qui ne correspondent pas aux normes sociétales ou aux définitions médicales de ce qui fait qu’une personne est de sexe masculin ou féminin ». Mais cette problématique a amené à se poser la question de l’abandon de cette répartition traditionnelle au profit soit d’une absence de différenciation soit d’une classification tripartite avec l’ajout d’un sexe neutre dit « troisième sexe ».
-
22.
La problématique des mineurs transsexuels ne saurait être mise au même niveau que les MGF qui induisent des problématiques supplémentaires. Entre autres, celle de l’utilisation de ces mutilations comme instrument de soumission de la femme (v. Vasseur F., « Une étrangère ne peut être renvoyée dans son pays d’origine où ses filles risqueraient d’être excisées », D. 1998, p. 304). Ou encore l’atteinte à la liberté de religion, en ce sens que ces mutilations reviendraient à imposer à l’enfant sa religion, même si cela fait débat au sein de la doctrine (v. Grossholz C., « La circoncision infantile en cause : la décision du tribunal de Cologne du 7 mai 2012 », RDFA 2012, p. 843).
-
23.
Gonzales C., Circoncision et excision des mineurs. De la politique criminelle à la prévention sociale., thèse, Culioli M. (dir.), 1998, Université Nice-Sophia-Antipolis, p. 123-127 ; Vasseur F., « Une étrangère ne peut être renvoyée dans son pays d’origine où ses filles risqueraient d’être excisées », D. 1998, p. 304.
-
24.
Gogos-Gintrand A., « Intersexualité : binarité des sexes, médecine et droit », RDSS 2016, p. 923 : l’auteur parle du sexe légal comme vecteur d’affirmation du sexe social.
-
25.
CA Paris, 3-3, 1er juin 2017, n° 15/08139.
-
26.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 2191, préc.
-
27.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 1952, « Le droit des enfants à l’intégrité physique », texte adopté par l’Assemblée le 1er octobre 2013 (31e séance).
-
28.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 1952, préc., § 1 et § 2.
-
29.
Ibid, § 1.
-
30.
C. pén., art. 222-9 et C. pén., art. 222-10 ; Cass. crim., 20 août 1983, n° 83-92616 : Bull. crim., n° 229 ; RSC 1984, p. 73, obs. Levasseur G.
-
31.
C. pén., art. 222-6 : hypothèse où la jeune fille meurt des suites de complications survenues post mutilation.
-
32.
Grossholz C., « La circoncision infantile en cause : la décision du tribunal de Cologne du 7 mai 2012 », RDFA 2012, p. 846.
-
33.
CA Paris, 3-3, 1er juin 2017, n° 15/08139.
-
34.
Il s’agit d’une jurisprudence constante : Cass. 1re civ., 26 janv. 1994, n° 92-10838 : D. 1995, p. 226.
-
35.
Ce propos est à nuancer dans le sens où, bien que l’ensemble de ces mutilations ne soient pas poursuivies en tant que violences volontaires, il faut tout de même noter que le droit pénal souligne indirectement la gravité de ces actes par le biais de l’article 226-14 du Code pénal qui écarte le secret médical pour permettre la dénonciation des mutilations sexuelles commises sur mineur. Ce qui est intéressant c’est que le texte ne distingue pas la circoncision et les MGF.
-
36.
En effet, la circoncision qui consiste en « l’ablation circulaire du prépuce qui correspond à la peau mobile recouvrant le gland de la verge » (v. Gonzales C., Circoncision et excision des mineurs. De la politique criminelle à la prévention sociale., thèse, Culioli M. (dir.), 1998, université Nice-Sophia-Antipolis, p. 29) est une atteinte à l’intégrité physique au même titre que les MGF. Ces dernières devant s’entendre comme « toutes les interventions incluant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou autre lésion des organes génitaux féminins pratiquée à des fins non thérapeutiques » (v. OMS, « Éliminer les mutilations sexuelles féminines », 2008, Déclaration inter-institutions, p. 4).
-
37.
V.« Mutilation », in Cornu G., Vocabulaire juridique, 2011, 9e éd., PUF, Quadridge, p. 669 : « Atteinte irréversible à l’intégrité physique d’une personne, notamment par perte, ablation ou amputation d’un membre, qui constitue un grave préjudice corporel ».
-
38.
V. « Violence », op. cit. : tout « acte d’agression de nature à porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la personne contre laquelle il est dirigé ».
-
39.
Conv. EDH., art. 2.
-
40.
Comme expliqué supra : sous couvert de la qualification de violences ayant entraîné une mutilation.
-
41.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 1952, préc., § 1 : l’enfant subira une modification corporelle permanente et irréversible.
-
42.
CEDH, 8 mars 2007, n° 23944/05, Collins et Akazebiec c/ Suède : AJDA 2007, p. 1918, obs. Flauss J.-F.
-
43.
L’acte de normalisation sexuelle consistant à effectuer une modification corporelle irréversible.
-
44.
Règle qui se trouve consacrée, sur le plan national, au sein de l’article 16-3, alinéa 1er du Code civil.
-
45.
CSP, art. L. 1110-5 ; CSP, art. R. 4127-41 et CSP, art. R. 4127-43 ; Code de la déontologie médicale, art. 2, 8 et 22.
-
46.
Hennion-Jacquet P., « Le paradigme de la nécessité médicale », RDSS 2007, p. 1038.
-
47.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 1952, préc., § 2.
-
48.
Les MGF provoquent, entre autres, de vives douleurs tout au long de la vie de la femme.
-
49.
Choain C., « La Convention franco-algérienne relative aux enfants issus de couples mixtes concerne les seuls enfants légitimes. Refus du droit de visite et d’hébergement à un père algérien pour des motifs graves », D. 1995, p. 227 : la circoncision est pratiquée comme remède au phimosis et présenterait également le bénéfice de limiter la transmission des infections sexuellement transmissibles.
-
50.
Gonzales C., Circoncision et excision des mineurs. De la politique criminelle à la prévention sociale, thèse, Culioli M. (dir.), 1998, Université Nice-Sophia-Antipolis, p. 29.
-
51.
Gonzales C., Circoncision et excision des mineurs. De la politique criminelle à la prévention sociale, thèse, Culioli M. (dir.), 1998, Université Nice-Sophia-Antipolis, p. 30 et 100 : l’auteur explique qu’il y a un risque de complications mais également une modification de la perception, de l’image sociale de l’enfant pouvant conduire à des séquelles physiques voire psychologiques. Il ajoute que la circoncision peut avoir des répercussions à vie sur la sexualité.
-
52.
Grossholz C., « La circoncision infantile en cause : la décision du tribunal de Cologne du 7 mai 2012 », RDFA 2012, p. 844 : « La seule circonstance que des enfants soient décédés des suites de circoncisions, même pratiquées dans les règles de l’art médical, c’est-à-dire sans qu’aucune faute ne soit commise, suffit d’ailleurs à démontrer qu’il s’agit d’une intervention chirurgicale risquée dont l’exécution, en l’absence de nécessité médicale, soulève des problèmes éthiques ».
-
53.
Un acte usuel pour la circoncision médicalement nécessaire et un acte non usuel pour la circoncision rituelle.
-
54.
Gogos-Gintrand A., « Intersexualité : binarité des sexes, médecine et droit », RDSS 2016, p. 925 : les enfants intersexes sont, en l’absence de traitement hormonal, sujets à des crises surrénaliennes avec perte de sels minéraux qui mettent leur vie en danger. De l’opération dépend alors leur vie ou leur bon développement physiologique.
-
55.
C. civ., art. 16-3, al. 1 : on distingue ainsi le bénéfice médical qui revêt un caractère vital de l’intérêt thérapeutique qui semble plus tourner vers la dimension psychologique du soin.
-
56.
Gogos-Gintrand A., « Intersexualité : binarité des sexes, médecine et droit », RDSS 2016, p. 926 : en les protégeant des troubles psychologiques pouvant découler d’une ambiguïté du sexe.
-
57.
id..
-
58.
Ibid : l’auteur explique que ces opérations provoquent des douleurs chroniques dues aux tissus cicatriciels, peuvent supprimer tout plaisir sexuel voire rendre la personne infertile lorsque les gonades sont enlevées. Et alors que l’opération s’effectue dans un but de bien-être psychologique, elle entraîne parfois un traumatisme psychologique important.
-
59.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 1952, préc., § 7.5.3.
-
60.
À l’exception de l’excision dont l’absence de bénéfices est flagrante.
-
61.
V. supra.
-
62.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 2191, préc., § 2 et § 7.1.2 ; assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 1952, préc., § 3.
-
63.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 1952, préc., § 3.
-
64.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 2191, préc., § 2 et § 7.1.2
-
65.
Tribunal du district de Cologne, 6 févr. 2008, Az. 25 O 179/07, affaire rapportée in Droits de l’Homme et personnes intersexes, Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Document thématique, juin 2015, spéc. p. 54.
-
66.
Tribunal de Cologne, 7 mai 2012, 151 Ns 169/11 ; Grossholz C., « La circoncision infantile en cause : la décision du tribunal de Cologne du 7 mai 2012 », RDFA 2012, p. 843 : « Cette solution repose sur une nette distinction entre le consentement des parents et celui de l’enfant ».
-
67.
CA Liège, ch. jeun, 9 avr. 1981, cité par Choain C., « La Convention franco-algérienne relative aux enfants issus de couples mixtes concerne les seuls enfants légitimes. Refus du droit de visite et d’hébergement à un père algérien pour des motifs graves », D. 1995, p. 227 : la cour d’appel de Liège opte pour une solution plus radicale, attendre la majorité du mineur.
-
68.
Gogos-Gintrand A., « Intersexualité : binarité des sexes, médecine et droit », RDSS 2016, p. 926.
-
69.
CA Lyon, 25 juill. 2007, n° 07/00186: RTD civ. 2008, p. 99, obs. Hauser J. : « qu’un tel acte, lorsqu’il intervient sans nécessité médicale, suppose non seulement l’accord des deux parents, mais encore le consentement de l’enfant ». Même si cet arrêt va dans le sens dudit arrêt de 2012, sa portée est à nuancer car, dans les faits, l’enfant était âgé de 11 ans et s’opposait fermement à sa circoncision.
-
70.
Grossholz C., « La circoncision infantile en cause : la décision du tribunal de Cologne du 7 mai 2012 », RDFA 2012, p. 845.
-
71.
À noter qu’il existe tout même un seuil de référence pour engager la responsabilité pénale d’un mineur qui est de 7 ans. On pourrait par analogie, même si ce raisonnement n’est pas en théorie valable en droit pénal, utiliser ce seuil pour le consentement du mineur à l’atteinte.
-
72.
Les opérations de normalisation se font sur des enfants très jeunes voire des nourrissons (v. Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 2191, préc.). L’excision quant à elle s’effectue parfois dès les premiers jours de la vie, ou à défaut, dans la préadolescence (v. Gonzales C., Circoncision et excision des mineurs. De la politique criminelle à la prévention sociale., thèse, Culioli M. (dir.), 1998, université Nice-Sophia-Antipolis, p. 24). Tandis que la circoncision est pratiquée 8 jours après la naissance pour la circoncision juive et à partir de 7 ans pour la circoncision musulmane (v. Choain C., « La Convention franco-algérienne relative aux enfants issus de couples mixtes concerne les seuls enfants légitimes. Refus du droit de visite et d’hébergement à un père algérien pour des motifs graves », D. 1995, p. 228).
-
73.
Gonzales C., Circoncision et excision des mineurs. De la politique criminelle à la prévention sociale., thèse, Culioli M. (dir.), 1998, université Nice-Sophia-Antipolis, p. 29 : contrainte due à la mort sociale qui découle de la non mutilation.
-
74.
La question se place au niveau de la mise en balance des libertés. La liberté d’éducation des parents dont l’éducation religieuse est une composante ne saurait avoir pour effet de porter une atteinte disproportionnée au droit fondamental de l’enfant (V. Grossholz C., « La circoncision infantile en cause : la décision du tribunal de Cologne du 7 mai 2012 », RDFA 2012, p. 843). La cour d’appel de Liège sus-citée précise quant à elle que l’intérêt de l’enfant impliquerait de prendre en compte l’éducation religieuse que l’enfant a reçu jusqu’à présent.
-
75.
Gogos-Gintrand A., « Intersexualité : binarité des sexes, médecine et droit », RDSS 2016, p. 926.
-
76.
CEDH, 1re sect., 17 févr. 2005, n° 42758/98 et 45558/99, K.A. et A.D. c/ Belgique : l’absence de prise en compte du consentement de la victime comme cause d’irresponsabilité pénale pour des atteintes graves à l’intégrité physique a ainsi été rappelée dans le domaine des pratiques sadomasochistes. Cet arrêt sous-entend que le consentement peut être pris en compte dans le cadre de violence légère. Toutefois, il s’agissait de violences sadomasochistes et non de violences rituelles.
-
77.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 1952, préc., § 7.4 : « engager un débat public, y compris un dialogue interculturel et interreligieux, afin de dégager un large consensus sur le droit des enfants à la protection contre les violations de leur intégrité physique compte tenu des normes des droits humains ». Il s’agirait d’informer aussi bien les professionnels que l’opinion publique par le biais de campagnes de sensibilisation.
-
78.
V. supra p. 5.
-
79.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 1952, préc., § 7.2 : entre autres le secteur médical, les établissements scolaires ou encore les communautés religieuses.
-
80.
C. pén., art. 226-14.
-
81.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 2191, préc., § 7.1.6.
-
82.
V supra note de bas de page n° 37.
-
83.
Dans le milieu médical, le recours à l’opération de normalisation de manière précoce semble être la norme. Et pour cause, « l’inscription d’un sexe à l’état civil, celui désigné, le sera le plus souvent au prix d’une inscription médicale, voire chirurgicale, dans les corps » (v. Gogos-Gintrand A., « Intersexualité : binarité des sexes, médecine et droit », RDSS 2016, p. 921).
-
84.
Ces recommandations, en tant que soft law, n’ont aucune valeur contraignante pour les États.
-
85.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution n° 1952, préc., § 7.5.3 : « afin d’augmenter les connaissances de la situation spécifique des personnes intersexuées ».
-
86.
En effet, depuis plusieurs années, on observe un mouvement qui a conduit à déplacer le curseur du droit pénal de la répression vers la prévention. Or cette dernière ne s’exprime pas uniquement au travers d’une répression anticipée sur l’iter criminis mais également par l’utilisation renforcée de la dimension prescriptive du droit pénal.
-
87.
Grunvald S., « La répression des mutilations sexuelles féminines : une mise à distance de principe de la diversité culturelle. Brèves remarques à propos de l’avis de la CNCDH du 28 novembre 2013 », Arch. pol. crim. 2014/1, n° 36, p. 82 : « Plusieurs pays européens ont fait le choix de qualifier dans un texte spécial les mutilations sexuelles féminines, tandis que la France préfère engager l’action judiciaire sur les textes généraux ».
-
88.
Andro A., Lesclingand M. et Pourette D., Rapport final de l’enquête qualitative ExH, janv. 2009.
-
89.
Ainsi, à l’instar de l’inceste, le législateur pourrait créer un texte à valeur symbolique permettant d’étiqueter les violences volontaires aggravées de MGF. Toutefois, le terme d’excision, bien qu’il ne recoupe pas l’ensemble des pratiques, semble plus ancré dans le langage courant. La solution serait alors de parler de MGF tout en citant les différents types de mutilations dont l’excision fait partie. De plus, une loi du 5 août 2013 a amorcé cette référence aux MGF au sein de l’article 227-24-1 du Code pénal. Même si le texte parle de « mutilation sexuelle », les débats parlementaires ont précisé qu’il vise particulièrement le cas de l’excision (v. Grunvald S., « La répression des mutilations sexuelles féminines : une mise à distance de principe de la diversité culturelle. Brèves remarques à propos de l’avis de la CNCDH du 28 novembre 2013 », Arch. pol. crim. 2014/1, n° 36, p. 83-84).
-
90.
CNCDH, Avis sur les mutilations sexuelles féminines, Assemblée plénière du 28 novembre 2013.
-
91.
Le caractère légal de l’acte de circoncision rituelle s’exprime par la possible indemnisation du préjudice découlant de cet acte via l’engagement de la responsabilité du service public hospitalier.
-
92.
Hivert, A.-F., « L’Islande se prépare à interdire la circoncision », Le Monde, 27 mars 2018 (consulté sur http://lemonde.fr le 14 juin 2018).