Droits de l’enfant : chronique d’actualité législative et jurisprudentielle n° 15 (Suite et fin)

Publié le 02/10/2018

S’il faut retenir un mot des débats publics les plus enflammés qui ont dominé la fin d’année 2017, c’est assurément celui de « consentement » : le consentement donné par l’enfant à une relation sexuelle avec un adulte peut-il être libre ? En droit civil, le consentement du mineur est aussi un grand sujet : il vient limiter le pouvoir de décision des titulaires de l’autorité parentale. Si les enjeux de la question du consentement de l’enfant diffèrent logiquement en droit pénal et en droit civil, les deux branches du droit se retrouvent sur un principe élémentaire : la capacité de consentir suppose la capacité de discerner, à laquelle certains textes font produire des effets spécifiques, dans un but de protection de l’enfant, parfois détournés par les parents…

I – La dignité de l’enfant en fin de vie

II – L’intégrité de l’enfant

A – L’intégrité corporelle de l’enfant

1 – Les vaccinations obligatoires

2 – Circoncision et intersexualité

3 – Droit d’asile et examen médical de non-excision

B – L’intégrité sexuelle de l’enfant

C – L’intégrité psychique de l’enfant

1 – L’intégrité psychique altérée : l’admission de l’enfant en établissement de santé mentale

2 – L’intégrité psychique en formation ou la question du discernement

a – L’irresponsabilité pénale de l’enfant

b – La parole de l’enfant manipulée

c – L’endoctrinement terroriste de l’enfant

III – La liberté de l’enfant

A – La détention, facteur de vulnérabilité du mineur

1 – La responsabilité de l’État à raison du suicide d’un détenu mineur

2 – La responsabilité de l’État en raison des violences commises par un détenu mineur

B – La privation de liberté des mineurs en question

Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), Avis sur la privation de liberté des mineurs, 27 mars 2018. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme tire la sonnette d’alarme en matière de privation de liberté des mineurs. Par un avis sollicité par le garde des Sceaux et publié le 1er avril 2018, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) dresse un tableau alarmant concernant le recours accru à la privation de liberté alors qu’un constat de stabilisation de la délinquance juvénile est constaté.

L’ensemble des textes internationaux1 ratifiés par la France et la philosophie de la législation nationale rappellent de manière pérenne que la privation de liberté des mineurs constitue une mesure d’ultima ratio qui doit être d’une durée la plus courte possible. En dépit de la particulière vulnérabilité de l’enfant et du souci de protection comme obligation positive des États, la France incarcère un nombre toujours plus important de mineurs, sous le régime de la détention provisoire en particulier. Le choix de la neutralisation temporaire des jeunes individus semble alors assumé ou du moins, cherche-t-il à combler les besoins de sécurité apparente de la société civile.

D’un point de vue juridique, la constitutionnalisation du droit pénal des mineurs à travers la reconnaissance par le Conseil constitutionnel2 d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République de spécificité de la justice des enfants semble bien insuffisante et si peu contraignante3 pour contenir le virage sécuritaire porté par les multiples réformes de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante4.

L’abrogation du tribunal correctionnel pour mineurs5 par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 et la suppression des peines planchers par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 n’ont que peu d’effets sur l’idée d’un recours plus mesuré à la privation de liberté, exprimé par un panel varié de structures allant des établissements pénitentiaires, jusqu’aux centres éducatifs fermés en passant par les centres de rétention administrative, dont les régulières condamnations en font l’angle mort de la protection des droits de l’Homme.

Malgré les témoignages de l’Histoire qui ont révélé les effets limités de la privation de liberté en matière de réinsertion, le législateur actuel s’obstine à revoir à la hausse les centres éducatifs fermés sur fond d’une ordonnance de 1945 devenue complexe, empilant un nombre important de mesures dont la subtilité échappe également aux professionnels.

Plus qu’une réforme procédurale du droit des mineurs, c’est un changement de paradigme qui s’opère depuis plusieurs années, puisque la diminution de l’empreinte protectionnelle propre à la justice des mineurs correspond de nos jours à l’expression assumée voire décomplexée d’un traitement pénal du mineur de plus en plus proche de celui du majeur6.

D’ailleurs, la CNCDH relève que l’excuse de minorité, concernant en particulier les mineurs âgés de 16 à 18 ans est de plus en plus écartée, créant « un abaissement insidieux de la majorité pénale à 16 ans »7.

À une ordonnance de 1945 devenue indigeste et peu cohérente8, répond un recours très inégalitaire à la privation de liberté, selon la nature des structures habilitées à accueillir des mineurs et les finalités envisagées.

Un recours inégal à l’enfermement selon la structure carcérale

L’avis de la CNCDH met l’accent sur un aspect intéressant : l’absence d’une base de données centralisée sur le nombre de mineurs privés de liberté. En effet, ces informations sont éclatées à travers les administrations responsables de la gestion des structures accueillant les mineurs, ce qui ne favorise guère l’accès à l’information. Si les difficultés pour obtenir ces chiffres existent, le système français présente toutefois des qualités de traçabilité, ce qui n’est pas le cas de tous les pays. Ainsi, le projet d’une étude mondiale sur les enfants privés de liberté vise notamment à comptabiliser le nombre exact d’enfants incarcérés dans le monde, celui-ci étant actuellement inconnu9.

En France, si les chiffres existent, ils méritent toutefois une plus grande transparence et une plus grande conformité avec la réalité puisqu’ils sont, selon l’avis publié, troublés par les transferts de détenus d’un établissement à un autre, décidés en raison de la majorité atteinte, pour des raisons disciplinaires, voire pour des stratégies de désencombrement des établissements10. Ces deux derniers axes justifiant les rotations de détenus interpellent, concernant leurs effets, sur le principe de continuité de la prise en charge éducative et l’éloignement géographique pouvant nuire au maintien des liens familiaux.

Un chiffre a été particulièrement commenté en août 2017 : 885 pour le nombre de mineurs incarcérés en détention provisoire.

Concernant le recours à la détention provisoire, les chiffres-clés de l’administration pénitentiaire révèlent depuis plusieurs années une part toujours plus importante de mineurs prévenus que de mineurs condamnés. Au 1er janvier 2013, 60,3 % des mineurs sont prévenus sur un total de 724 mineurs incarcérés. Une tranche évoluant entre 60 % à 70 % de mineurs prévenus est constatée ainsi selon les années.

L’avis souligne également le maillage géographique du recours à la privation de liberté, influencé par les politiques pénales mises en œuvre par les parquets des différents tribunaux. La question de la temporalité, centrale en matière de détention des mineurs, est également abordée par la CNCDH. Si les durées des détentions provisoires et des peines privatives de liberté sont balisées par le Code de procédure pénale, l’allongement constaté par l’avis peut s’articuler avec précaution selon deux hypothèses : la tendance pour les magistrats à prononcer des peines plus proches des seuils définis par le législateur et/ou une tendance à une qualification juridique des faits plus sévères11.

L’analyse par la CNCDH des causes du recours accru à la privation de liberté des mineurs

L’intérêt de l’avis publié repose également sur l’analyse développée par la CNCDH pour identifier les causes structurelles et conjoncturelles de l’augmentation des décisions judiciaires d’emprisonnement ferme12. Les nouvelles mesures créées par le législateur au sein de l’appareil pénal sont l’objet, dans l’avis, d’explications sur leurs finalités, ce qui offre un caractère pédagogique au document.

L’avis revient sur les grandes vagues de changements ayant atteint le cœur de la justice juvénile.

Les réformes successives de l’ordonnance du 2 février 1945 vers plus de sévérité et de célérité participent à un large mouvement de despécialisation de la justice pénale des mineurs13. En effet, la particularité de la justice pénale des mineurs reposait sur une appréhension particulière de la temporalité permettant à chaque acteur de procéder à des investigations, tout en observant l’évolution du mineur soumis à des mesures éducatives pré-sentencielles. Plus récemment, la problématique du coût, de l’efficacité et de la performance de la justice pénale s’est traduite par un accroissement des prérogatives du parquet, figure incontournable dans la rapidité voulue des procédures, qui peut proposer des mesures telles que la composition pénale14 au mineur avec l’accord de ses représentants légaux.

Par ailleurs, la perte d’incarnation de l’ordonnance du 2 février 194515 est également liée à une autre tendance du législateur à multiplier les circonstances aggravantes de certaines infractions comme les violences commises à proximité d’un établissement scolaire ou dans un lieu de transport public. D’autres modalités concourent à ce changement comme la création des nouveaux modes de saisine du juge et de jugement. Ainsi, à titre d’illustration, la loi n° 95-125 du 8 février 1995 a créé la convocation par officier de police judiciaire (COPJ) devant le juge des enfants à des fins de mise en examen ; la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a ajouté quatre nouvelles sanctions éducatives ; la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs rend l’excuse de minorité facultative sous certaines conditions ; la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 permet de cumuler le prononcé de sanctions éducatives avec des peines. Elle introduit aussi à l’article 14-2 de l’ordonnance la présentation immédiate du mineur (PIM) récidivistes âgés de 16 à 18 ans à des fins de jugement.

Le taux de poursuites pénales envers les mineurs est, depuis plusieurs décennies, plus important que celui concernant les majeurs. En 2017, selon la commission, la réponse pénale est de 94 % pour les mineurs et 70 % pour les majeurs16.

Face à un système destiné à apporter une réponse pénale à chaque acte, le taux d’incarcération s’accroît proportionnellement à travers le recours à la détention provisoire, qui peut intervenir, pour les mineurs âgés de 13 à 16 ans, dans le cadre de la violation d’une obligation du contrôle judiciaire, d’une assignation à résidence sous surveillance électronique, ou si la peine encourue est de nature criminelle. Pour les mineurs âgés de plus de 16 ans, un cas supplémentaire s’ajoute aux précédents : si la peine encourue est supérieure ou égale à 3 ans17.

De manière certaine, les choses ont bien changé puisque le droit positif multiplie les possibilités de placer un mineur en détention provisoire, quand la législation antérieure à la loi Perben 1 du 9 septembre 2002, confirmée par la loi n° 200-1354 du 30 décembre 2000 excluait expressément la détention provisoire des mineurs âgés de 13 à 16 ans en matière correctionnelle. La despécialisation juridictionnelle est portée par un magistrat non spécialisé, le juge des libertés et de la détention, créé par une loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 et compétent pour prononcer les placements en détention provisoire18.

La CNCDH n’oublie pas dans son analyse une autre catégorie d’établissement, de nature non carcérale, mais qui englobe toutefois une dimension d’enfermement : les centres éducatifs fermés (CEF). Établissements restrictifs de liberté, créés par la loi Perben 1 de 2002, les CEF entrent dans le champ de compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui a déjà soulevé dans ses rapports de nombreux dysfonctionnements ayant entraîné la fermeture, provisoire ou non, d’établissements19. Les CEF sont pensés comme des alternatives à l’incarcération (placement pré-sentenciel, peine ou aménagement de peine) dont le non-respect entraîne théoriquement l’incarcération du mineur.

Pointant le manque de formation des professionnels de la PJJ y exerçant leurs missions et le turn-over important, la CNCDH parle d’une « tendance à la carcéralisation » en raison du cadre particulièrement strict qui est imposé aux mineurs et la violence qui en jaillit. Elle considère que les CEF « sont les antichambres de la prison comme l’ont été les établissements fermés qui ont existé jusqu’en 197920 ». Preuve qu’en la matière, la créativité du législateur est toute relative.

Un regard porté sur des catégories particulières de personnes

Avec une approche globale, l’avis de la CNCDH s’intéresse à des catégories de personnes dont la vulnérabilité suppose un accompagnement adapté et renforcé. Les mineures privées de liberté, les mineurs étrangers non accompagnés et les mineurs poursuivis pour des actes en lien avec le terrorisme sont au centre d’un état des lieux accablant en termes de moyens insuffisants déployés par les autorités pour favoriser leur insertion.

La prise en charge pénitentiaire des mineures

Sans surprise, l’incarcération des filles continue de poser problème au regard des conditions concrètes liées à leur détention21.

Depuis des décennies, leur faible nombre justifie l’absence d’élaboration de dispositifs spécifiques. Si certains établissements pénitentiaires pour mineurs sont mixtes, il est regrettable de constater l’incarcération des adolescentes au sein de quartiers de femmes dans les maisons d’arrêt. Cette situation porte atteinte au principe fondamental de séparation des mineurs et des majeurs et porte également atteinte au droit à une prise en charge éducative de qualité. Afin de réduire la promiscuité entre les filles et les femmes détenues, l’isolement des mineures semble être une solution, pourtant considérée comme néfaste et contre-productive surtout en présence d’un nombre très faible de mineures dans l’établissement. En dehors des maisons d’arrêt, les rédacteurs de l’avis précisent que la mixité reste globalement un enjeu difficile à satisfaire, d’où le nombre important d’établissements refusant la mixité. Celle-ci, quand elle est prévue par les règlements et projets de service, se déploie dans un environnement où la prédominance masculine produit souvent une inégalité dans l’accès aux activités22 et dans le suivi éducatif puisque des lacunes sont constatées en termes d’adaptation de l’action selon les particularités des mineures23. La question de la prise en charge des mineures détenues semble chronique tant le maillage géographique des structures pénitentiaires les recevant est épars et que l’adaptabilité de la prise en charge n’est pas suffisamment aboutie.

La pertinence du rapport s’apprécie également à travers l’intérêt porté sur une catégorie particulière de détenus : les jeunes majeurs, incarcérés pour des faits commis durant leur minorité24.

La CNCDH qualifie leur situation de « zone grise », puisque, d’un point de vue statistique, il n’existe pas de base chiffrée concernant le nombre exact de personnes concernées. Finalement, l’interrogation s’étend à une autre question, celle des études de cohortes qui permettent de suivre le parcours des personnes après leur prise en charge par le service public de la justice pendant leur minorité, mais elles restent relativement restreintes et non systématiques.

Le maintien de mineurs en centre de rétention administrative

La présence d’enfants retenus avec leurs parents dans les centres de rétention administrative a fait l’objet de plusieurs condamnations de la France par la Cour EDH25. Malgré cinq arrêts rendus le 12 juillet 201626 sanctionnant sévèrement la France pour sa pratique de rétention des enfants, le Défenseur des droits souligne que quarante enfants sont présents dans les zones d’attente avec leurs parents en 2017. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté interpelle les autorités sur une augmentation inquiétante : entre 2014 et 2015, le nombre d’enfants placés en centre de rétention administrative avec leurs parents est passé de 45 à 105, soit une hausse de 133 %27. Au sein d’un environnement hostile et anxiogène, les enfants présents dans ces centres ne profitent pas d’un aménagement adapté des locaux offrant un minimum d’épanouissement et de jeux pour satisfaire, au moins partiellement les besoins de ces enfants. Pourtant, une circulaire du 6 juillet 201228 propose de privilégier l’assignation à résidence des familles en cas de préparation d’une mesure d’éloignement du territoire afin de préserver l’intérêt de l’enfant et le droit à une vie familiale.

Ce texte est un obstacle bien fragile face à l’augmentation exponentielle du nombre de placements de familles en centre de rétention administrative.

Le rapport 2016 de la Cimade pointe également des conditions de détention attentatoires aux droits fondamentaux. Selon l’avis de la CNCDH, la France comptabilise 24 centres de rétention (CRA) et 26 locaux de rétention administrative (LRA). Il est fait état d’une absence de respect du principe de non-éloignement des mineurs étrangers non accompagnés (MENA) puisque la CNCDH, se référant au rapport de la Cimade précité, évalue à 4 285 le nombre de MENA qui sont passés en 2016 par le CRA de Mayotte.

Concernant les mineurs isolés, la situation n’est guère satisfaisante en métropole puisque les associations retiennent 277 MENA retenus en 2016 dans un CRA, ce qui est en totale contradiction avec la législation en vigueur.

Une problématique non négligeable concerne la surpénalisation des MENA29. Ce phénomène apparaît devant la saturation de certains services d’aide sociale à l’enfance auprès des conseils départementaux qui vivent d’importantes difficultés pour assurer leurs missions de mise à l’abri et de prise en charge des MENA. Il n’est plus rare que le contrôle exercé par le juge administratif aboutisse à une condamnation de certains départements30. Les contentieux se cristallisent en particulier sur la répartition du coût financier entre les départements et l’État.

Certains MENA se retrouvent accablés par des procédures « surpénalisées » concernant une délinquance de subsistance qui les conduisent à être suivis par la PJJ, qui mettra en œuvre la mesure d’hébergement décidée par le juge des enfants, permettant alors de donner une solution de mise à l’abri à connotation pénale, contournant l’encombrement des services d’hébergement et d’accompagnement assurés par l’ASE. Toutefois, le passage du MENA par la PJJ ne lui épargne pas le passage par la prison puisque les éducateurs sont peu ou mal formés à ces problématiques, rendant le travail éducatif lacunaire.

Sur certains territoires, la commission met en lumière ce mouvement de surpénalisation par la pratique de certains magistrats d’incarcérer les MENA à défaut de structure d’accueil disponible. Cette situation constitue une atteinte grave au principe de la privation de liberté comme mesure d’ultima ratio : l’exception devient ici le principe ! Ce paradoxe est souligné par la commission, qui note que l’incarcération « permet de garder ces mineurs sous mains de justice, de les écarter des réseaux pendant le temps de l’incarcération ainsi que de commencer un travail de sevrage en cas d’addiction »31. Curieusement, la prison viendrait protéger les MENA, ce dont on peut naturellement douter, en lisant le constat affligeant dressé par la commission sur l’évolution des MENA en détention et leur difficile promiscuité avec les autres détenus.

L’ensemble du dispositif, y compris les tentatives de contournement, n’est pas satisfaisant devant des mineurs particulièrement vulnérables, sujets à la violence, la mendicité, la drogue et la prostitution.

Se référant aux chiffres avancés par la mission bipartite de réflexion sur les MENA dans son rapport du 8 janvier 2018, la commission s’inquiète de la solitude de ces MENA qui sont par défaut, placés dans des hôtels ou retournent à la rue, sans qu’un administrateur ad hoc soit désigné (cette désignation est plutôt rare et demande, au regard des besoins, à être généralisée). Cette solitude devient chronique pour ces mineurs puisque les sorties « sèches » de dispositifs (souvent pénitentiaires) sont fréquentes. Si les associations fournissent une aide précieuse, il revient à l’État, pour rejoindre la commission, d’assumer ces drames humains en élaborant des véritables structures adaptées puisque « la problématique principale de ces mineurs n’est pas la délinquance »32.

Le traitement judiciaire des mineurs poursuivis pour des faits de terrorisme

La CNCDH s’est déjà inquiétée des risques d’atteintes aux droits de l’Homme pour les personnes accablées par des affaires liées à des actions terroristes, sur fond d’état d’urgence « intégré »33.

Si le terrorisme sur le territoire français n’est pas nouveau, les nouvelles problématiques issues d’idéologies extrêmes à connotation religieuse concernent un nombre limité de mineurs.

La juridiction de Paris est compétente, depuis 198634, en matière de terrorisme à travers l’existence de pôles anti-terroristes composés de juges d’instruction spécialisés. En raison de cette centralisation, ces derniers sont donc compétents pour instruire les mineurs mis en examen pour ces chefs d’accusation. La commission souligne qu’il existe un recul du recours à l’incarcération de ces mineurs, qui était systématique pour devenir aujourd’hui plus mesuré. Néanmoins, les durées des privations de liberté restent longues, malgré la correctionnalisation des faits35. Dès lors, ces mineurs seront souvent jugés lors de leur majorité, relevant de la « zone grise » caractérisée par la commission.

Sous un angle plus large, la commission interroge l’apport éducatif dans la prise en charge de ces mineurs poursuivis pour apologie du terrorisme ou association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste (AMT). Elle constate que les éducateurs de la PJJ rencontrent des difficultés dans la prise en charge de ces mineurs, en raison d’une appréhension délicate des prescriptions liées au secret professionnel qui amènent à une mauvaise circulation de l’information, voire à un blocage de celle-ci vis-à-vis des représentants légaux dont l’association devient très étroite. L’imprégnation sécuritaire atteint donc le contexte d’accompagnement éducatif. Enfin, la commission souligne que la mise en place d’une mesure judiciaire d’investigation éducative (MJIE), assurée par une équipe pluridisciplinaire, est souvent confrontée à un temps d’évaluation du mineur et de son environnement jugé trop court (une durée de 6 mois non renouvelable).

Comme en ce qui concerne la majorité des justiciables de droit commun, les mineurs poursuivis pour AMT ne profitent pas d’une préparation renforcée à la sortie du dispositif carcéral car ils sont régulièrement placés en CEF ou sous surveillance électronique, dispositifs présentant également des limites. La commission défend l’idée que le travail éducatif, éminemment lié au temps, soit davantage respecté par tous les acteurs judiciaires et par la société civile.

Sans détour, l’avis rendu public de la CNCDH appelle l’urgence d’une intervention coordonnée et bienveillante des pouvoirs publics pour rendre aux mineurs la justice singulière qui a été pensée pour eux. Les treize recommandations contenues dans le document supposent un effort important pour revenir à l’essence d’un principe fondamental, celui de primauté de l’éducatif sur le répressif.

L’avis se conclut sur des annexes offrant une présentation claire et synthétique de certains établissements visités, en mettant en lumière les efforts accomplis et les difficultés qui y subsistent. L’économie du document intégral en fait un outil de réflexion essentiel sur la question de la privation de liberté des mineurs.

Nadia BEDDIAR

Notes de bas de pages

  • 1.
    Pour les textes internationaux les plus connus, v. la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU n° 40/33 du 29 nov. 1985 portant ensemble de règles minima des Nations unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (règles de Beijing) ; la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU n° 45/113 du 14 déc. 1990 portant sur les règles des Nations unies pour la protection des mineurs privés de liberté (règles de La Havane) ; l’article 37 de la Convention internationale des droits de l’enfant.
  • 2.
    Cons. const., 29 août 2002, n° 2000-461 DC.
  • 3.
    De Lamy B., « Droit pénal des mineurs : une singularité limitée », RSC 2008, p. 133.
  • 4.
    Ord. n° 45-174, 2 févr. 1945, relative à l’enfance délinquante, JORF, 4 févr. 1945, p. 530.
  • 5.
    De Luigi J., « Le glas des tribunaux correctionnels pour mineurs ? », Gaz. Pal. 26 juill. 2016, n° 272h2, p. 8.
  • 6.
    De Lamy B., « Droit pénal des mineurs : une spécificité toujours limitée », RSC 2012, p. 227 ; Attias D., « France, entends-tu les cris sourds des enfants qu’on enchaîne ? », Gaz. Pal. 16 juin 2011, n° I6165, p. 5 ; Brière C., « Réflexions sur le droit pénal des mineurs : de l’éducatif au répressif », LPA 20 déc. 2002, p. 4.
  • 7.
    CNCDH, Avis sur la privation de liberté des mineurs, 27 mars 2018, p. 6.
  • 8.
    Gallardo E., « Les incohérences du droit pénal des mineurs contemporain », RSC 2017, p. 713.
  • 9.
    https://www.un.org/press/fr/2016/sg2234.doc.htm.
  • 10.
    Note DACG-DAP-DPJJ, 9 janv. 2017, relative aux transferts de mineurs aux fins de régulation des effectifs.
  • 11.
    Selon la Commission, cette hypothèse est en partie liée au recours massif aux déferrements qui conduisent dans l’immédiateté le juge à prendre en compte en premier lieu les actes plutôt que la personnalité du mineur.
  • 12.
    CNCDH, avis préc., p. 20 et s.
  • 13.
    Beddiar N. (dir.), 70 ans de justice pénale des mineurs : entre spécialisation et despécialisation, 2017, L’Harmattan, 192 p.
  • 14.
    Ord., 2 févr. 1945, art. 7-2.
  • 15.
    Milburn P., Quelle justice pour les mineurs ? Entre enfance menacée et adolescence menaçante, 2009, ERES, 238 p.
  • 16.
    Avis, p. 21.
  • 17.
    Ord. n° 45-174, 2 févr. 1945, art. 11.
  • 18.
    Leblois-Happe J., « Le placement en détention provisoire : description du mécanisme », AJ pénal 2003, p. 9.
  • 19.
    V. les différents rapports de visite des CEF par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ; Kleitz C., « Quel bilan pour les centres éducatifs fermés ? », Gaz. Pal. 21 nov. 2013, n° 154y5, p. 3.
  • 20.
    CNCDH, avis préc., p. 31.
  • 21.
    D’un point de vue historique, les mineures ont souvent fait l’objet d’un traitement moins équitable que les mineurs. V. Yvorel E., Les enfants de l’ombre : La vie quotidienne des jeunes détenus au XXe siècle en France métropolitaines, 2008, PUR ; v. égal. Bessin M. et Vuattoux A. « Les rapports d’âge dans les pratiques judiciaires. L’expérience institutionnelle des jeunes filles confrontées à la justice », vol 74, 2016, Agora débats/jeunesses, p. 101-112, n° 3.
  • 22.
    CNCDH, avis préc., p. 13.
  • 23.
    Le « kit d’hygiène » spécialement conçu pour les mineures comprenant des produits intimes adaptés ou des vêtements tel qu’un soutien-gorge ne sont pas toujours disponibles en détention. Sur ces dotations, V. la Circ. DAP, 17 mai 2013, relative à la lutte contre la pauvreté en détention, NOR : JUSK1340023C.
  • 24.
    V. par ex., Cass. crim., 21 juin 2006, n° 06-82516 : AJ pénal 2006, p. 412, « Détention provisoire du mineur devenu majeur ».
  • 25.
    V. en particulier, CEDH, 19 janv. 2012, nos 39472/07 et 39474/07, Popov c/ France ; Beddiar N., « La justice ne saurait s’arrêter à la porte des centres de rétention, à propos de l’arrêt Popov », LPA 12 août 2013, n° 160, p. 10.
  • 26.
    CEDH, 12 juill. 2016, n° 11593/12, A.b. et a. c/ France ; CEDH, 12 juill. 2016, n° 68264/14, R.k. et a. c/ France ; CEDH, 12 juill. 2016, n° 24587/12, A.m. et a. c/ France ; CEDH, 12 juill. 2016, n° 76491/14, R.c. et v.c. c/ France ; CEDH, 12 juill. 2016, n° 33201/11, R.m. et a. c/ France.
  • 27.
    Rapport d’activité CGLPL, 2016, p. 36.
  • 28.
    Circ. n° NOR INTK1207283C, 6 juill. 2012, sur la mise en œuvre de l’assignation à résidence prévue à CESEDA, art. L. 561-2 en alternative au placement des familles en rétention administrative sur le fondement de CESEDA, art. L. 551-1, NOR : INT/K/12/07283/C.
  • 29.
    Saas C., « Les avatars de la pénalisation du droit des étrangers », AJ pénal 2011, p. 492.
  • 30.
    V. par ex., CE, 27 déc. 2017, n° 415436 ; CE, 22 déc. 2017, n° 416530 ; CE, ord., 12 juin 2017, n° 410903.
  • 31.
    Avis, p. 38-39.
  • 32.
    CNCDH, avis préc., p. 41.
  • 33.
    Fourment F., « Le droit pénal et la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme », Gaz. Pal. 23 janv. 2018, n° 308t5, p. 66 ; Dupic E., « Sécurité intérieure : une nouvelle loi renforçant les prérogatives du préfet pour lutter contre le terrorisme », Gaz. Pal. 7 nov. 2017, n° 306p9, p. 14 ; Denizot A., « Fin de l’état d’urgence, prolongation des incohérences », RTD civ. 2018, p. 238.
  • 34.
    L. n° 86-1020, 9 sept. 1986, relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État (JORF n° 0210, 10 sept. 1986, p. 10956).
  • 35.
    CNCDH, avis préc., p. 33.
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