Droits de l’enfant : chronique d’actualité législative et jurisprudentielle n° 16 (2e partie)

Publié le 18/12/2018

En ces temps de commémoration des événements de mai 68, il est cocasse de rappeler que l’abaissement de la majorité civile – concession faite au mouvement étudiant – a eu pour effet de réduire d’autant le champ temporel des droits de l’enfant. Mais le grand enfant de 18 ans a-t-il les moyens de son autonomie juridique ? – dans notre économie sinistrée, là est toute la question. C’est en tout cas l’occasion, dans cette nouvelle chronique, de s’interroger sur les droits de l’enfant à l’épreuve du passage de la majorité.

Nous publions dans ce numéro la deuxième partie de cette chronique.

I – Le rattachement de l’enfant à ses parents et ses enjeux

A – Problématiques de droit interne

1 – Le droit à la filiation de l’enfant incestueux

2 – Les enjeux de la filiation

a – L’enjeu alimentaire : le droit à l’entretien de l’enfant majeur et l’articulation des compétences du JAF et du JEX

CA Chambéry, 16 févr. 2017, n° 16/00461. La pension alimentaire jouit d’une protection particulière, étant donné qu’elle a vocation à pourvoir aux besoins essentiels de son bénéficiaire. À ce titre, la procédure de paiement direct mise en place par la loi n° 73-5 du 2 janvier 19731 est une des mesures qui garantit la bonne exécution de l’obligation, puisqu’elle permet au créancier d’aliments d’obtenir directement le paiement de sa pension auprès d’un tiers débiteur de son débiteur, dès lors qu’au moins une échéance de la pension n’a pas été payée à son terme. Ce dispositif peut même être enclenché par la caisse d’allocations familiales dans le cadre de la réforme intervenue pour renforcer les garanties contre les impayés de pensions alimentaires par la loi n° 2014-873 du 4 août 2014. Il apparaît ainsi, pour le débiteur alimentaire, particulièrement dangereux d’interrompre de son propre chef son paiement, que ce soit en tout ou partie. Or il peut être tenté de le faire, quand il s’agit d’une pension liée à l’entretien de l’enfant, lorsque ce dernier arrive à sa majorité et montre un début d’autonomie par une activité salariée.

L’affaire venue devant la deuxième chambre de la cour d’appel de Chambéry, le 16 février 2017, en est l’illustration. En 2003, dans le jugement prononçant le divorce des parents, le JAF a fixé la contribution du père à l’entretien de l’enfant à 260 € par mois et par enfant. Par la suite, en 2015, le père interrompt ses paiements pour le compte de l’enfant Tiffany devenue majeure. La mère de celle-ci fait mettre en place une procédure de paiement direct notifiée à l’employeur du père. Le père débiteur saisit immédiatement le juge de l’exécution d’une demande de mainlevée de la procédure et de remboursement des sommes qui auraient été perçues de ce chef par le créancier alimentaire.

Par jugement du 1er mars 2016, le juge de l’exécution du TGI de Thonon-les-Bains rejette une exception d’incompétence formulée par la mère et ordonne la mainlevée de la mesure de paiement direct. Un appel est interjeté à l’encontre de cette décision par la mère.

Les parents s’opposent sur la mention faite dans le jugement de divorce qui « rappelle que la pension alimentaire est due au-delà de la majorité lorsqu’il est justifié que l’enfant poursuit des études dans des conditions normales, notamment par la production de tous documents utiles ou d’une attestation sur l’honneur du déroulement régulier des études et des résultats obtenus ». Cette disposition doit-elle être considérée comme un simple rappel de la loi (renvoi à la règle générale) ou dispose-t-elle par avance (aménagement spécifique) d’un cas d’extinction de la contribution ? De la réponse apportée à cette question dépend la délimitation de la compétence matérielle du juge de l’exécution.

La cour d’appel de Chambéry, dans cette décision, va analyser la mention faite dans le jugement de divorce comme étant un simple « rappel » du maintien de l’obligation au-delà de la majorité, qui n’a pas « décidé par avance » de l’extinction de l’obligation. Cette analyse en rappel du droit positif donne à la disposition une vocation pédagogique (I) qui n’influe pas sur la répartition de la compétence juridictionnelle (II).

I. Une disposition à vocation pédagogique

Selon la cour d’appel, « le jugement (de divorce) a seulement rappelé aux parents, créancier et débiteur de cette contribution, qu’elle avait vocation à être maintenue au-delà de la majorité des enfants, en cas de poursuite des études dans des conditions normales ». Cette disposition n’a-t-elle fait que rappeler la loi ?

A. Un simple rappel de la loi ?

– L’absence d’automatisme de la majorité sur le terme :

La loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 est venue consacrer le principe de l’absence d’automatisme de la majorité sur le terme de l’obligation d’entretien. L’alinéa 2 de l’article 371-2 du Code civil prévoit en effet que « cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l’enfant est majeur ». Le législateur a ainsi, en partie, repris une jurisprudence antérieure qui admettait le maintien de l’obligation d’entretien après la majorité de l’enfant, dès lors qu’il poursuivait des études « sérieuses ». Après avoir été vue de façon restrictive2, la condition de poursuite d’études a été par la suite assouplie3. Lors des débats parlementaires de 2002, la proposition qui visait à subordonner le maintien de la contribution à la poursuite d’études a été écartée, afin d’axer ce devoir d’éducation, non pas sur les études proprement dites, mais sur l’autonomie financière du jeune. Il ressort donc clairement du texte de l’article 371-2, alinéa 2, du Code civil que la majorité n’est pas un facteur qui met automatiquement un terme à l’obligation d’entretien. Mais cela ne veut pas dire que la majorité sera totalement dépourvue d’influence sur l’obligation, dès lors qu’elle est combinée à d’autres facteurs. Et la jurisprudence a longtemps érigé en condition la poursuite des études.

– La condition de poursuite d’études :

La jurisprudence a initialement assis le maintien de l’obligation d’entretien au-delà de la majorité sur l’exigence de poursuite « d’études sérieuses ». Si ce qualificatif s’applique sans problème à la préparation de diplômes reconnus nationalement, des litiges ont pu survenir à propos de stages mis en place par des organismes de formation ou le Pôle emploi4. Actuellement, le sérieux des études s’apprécie davantage en fonction du projet professionnel du jeune majeur et de sa future insertion dans le monde du travail5.

La poursuite des études est devenue un facteur parmi d’autres attestant du manque d’autonomie financière du jeune adulte et n’est plus érigée dans la jurisprudence en condition exclusive. Ainsi, le fait d’être salarié ne constitue pas un obstacle à la poursuite de l’obligation d’entretien, mais la question se porte alors sur la « qualité » de l’emploi occupé6. Le fait d’être au chômage peut justifier également la prolongation de l’obligation d’entretien7, ce qui ne sera pas le cas d’un mode de vie « d’errance et d’oisiveté »8.

Au vu de ces éléments, comment analyser la mention du jugement de divorce qui semble lier « majorité » et « poursuite d’études dans des conditions normales » ? Est-ce un rappel du droit en vigueur ou une disposition spéciale ?

B. Une disposition spéciale ?

– Majorité et poursuite d’études, des conditions liées ?

Le jugement de divorce ne s’est pas contenté de faire référence à la seule majorité de l’enfant, pour rappeler le principe du maintien de la contribution d’entretien, il est venu poser une exigence supplémentaire : « la poursuite d’études dans des conditions normales ». Il semble ainsi avoir restreint les hypothèses de maintien de l’obligation au seul cas du majeur étudiant. Or, le père soulignait que sa fille, salariée par ailleurs, suivait des cours uniquement en soirée. Cette modalité ne constituant pas pour lui des « conditions normales » d’études, il estimait qu’elle ne remplissait pas la condition prévue au jugement selon laquelle l’enfant devait « justifier de poursuivre des études dans des conditions normales, notamment par la production de tous documents utiles ou d’une attestation sur l’honneur du déroulement régulier des études et des résultats obtenus »9.

De la façon dont elle a été rédigée, la mention portée dans le jugement de divorce apparaît effectivement plus restrictive au maintien de la pension du majeur que ne l’est, tant l’alinéa 2 de l’article 371-2 du Code civil, que la construction jurisprudentielle en découlant.

– Autonomie de la disposition ?

L’autonomie de la disposition présente un intérêt particulier dès lors que l’on y voit, à en suivre le juge de l’exécution, l’existence d’une clause prévoyant par avance l’extinction de l’obligation en cas de non-respect de ses conditions.

Le jugement de divorce peut effectivement définir les modalités propres à éteindre l’obligation de contribution. Il a certes, ici, restreint le principe de la prolongation par sa référence à la poursuite d’études et fait peser la preuve de la justification d’études sur l’enfant qui doit fournir un certain nombre d’éléments attestant de la poursuite d’études. Mais pour en déduire un effet extinctif automatique, il faudrait encore que le non-respect des conditions suffise en soi à faire cesser de plein droit l’obligation de contribution.

La cour d’appel de Chambéry n’a pas suivi cette analyse et a préféré donner une portée pédagogique à cette disposition du jugement de divorce en insistant sur le terme « rappel » qui avait été utilisé. C’est certainement la mention : « le jugement rappelle que la pension… » qui a dû emporter la conviction des juges. Peu importe que le « rappel » du droit en vigueur soit partiel, la cour d’appel n’y a vu qu’une portée déclarative qui ne saurait déroger ni au principe de poursuite de l’obligation, ni à la compétence du JAF.

À suivre le raisonnement de la cour d’appel, si le jugement de divorce expose que la contribution à l’entretien de l’enfant a vocation à être maintenue au-delà de la majorité des enfants lorsqu’ils poursuivent des études dans des conditions normales, cela ne signifie pas que le dispositif mis en place doive être interprété comme ayant décidé par avance l’extinction de l’obligation lorsque l’enfant cesserait de poursuivre des études dans des conditions normales. Cette analyse a nécessairement des répercussions sur la compétence juridictionnelle.

II. Une stricte délimitation de la compétence juridictionnelle

Lors du jugement de divorce, le JAF peut-il avoir mis en place un dispositif qui « décide par avance de l’extinction de l’obligation » ? Si le JEX a répondu par l’affirmative en accédant aux demandes du père, la cour d’appel en a décidé autrement.

A. Mainlevée de la procédure et compétence du JEX

Saisi d’une demande de mainlevée de la procédure de paiement direct, le juge de l’exécution a très justement reconnu sa compétence, puisqu’il est en charge des contestations relatives à la mise en œuvre de cette procédure10.

– Procédure de paiement direct :

La loi n° 73-5 du 2 janvier 1973 permet, en cas d’incident de paiement, au créancier d’aliments d’obtenir directement le paiement de sa pension, pour les termes à échoir et les 6 derniers mois échus avant la notification auprès des tiers qui sont eux-mêmes redevables de sommes envers le débiteur d’aliments11.

Pour bénéficier de cette technique de recouvrement simplifiée, il faut être bénéficiaire d’une pension alimentaire (et non d’un capital) ; que cette pension ait été fixée par une décision judiciaire devenue exécutoire (1°), une convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d’un notaire (2°), un acte reçu en la forme authentique par un notaire (3°) ; qu’au moins une échéance de la pension n’ait pas été payée à son terme12.

Le recours à la procédure de paiement direct était parfaitement justifié en l’espèce, puisque la procédure s’appliquait à une pension alimentaire qui avait été fixée dans le jugement de divorce et que depuis janvier 2015, le père avait volontairement stoppé ses paiements dus au chef de l’enfant Tiffany.

Ses conditions remplies, la procédure de paiement direct est simple à mettre en place, puisqu’une sommation d’huissier de justice suffit, exception faite des administrations publiques et de l’organisme débiteur de prestations familiales qui en sont dispensés13. Le tiers à qui le paiement est demandé doit être débiteur de sommes liquides et exigibles, ce qui est le cas, comme ici, de l’employeur qui a l’obligation de s’exécuter14, sous peine d’être personnellement tenu responsable15.

– Pouvoir d’appréciation de la mainlevée :

Lors de la réforme des procédures civiles d’exécution, le législateur a cherché à concentrer les difficultés liées à l’exécution entre les mains d’un seul juge pour limiter les risques de contrariété de jurisprudence. Il a ainsi reconnu au JEX une compétence matérielle étendue16, ce qui lui permet de connaître de manière exclusive « des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit (…) ». Saisi d’une demande de mainlevée de la procédure par le père débiteur, le JEX peut ainsi apprécier le titre exécutoire, voire l’interpréter le cas échéant pour en fixer le sens17. Cette compétence connaît toutefois une limite qui est celle de ne pouvoir « ni modifier le dispositif de la décision qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l’exécution »18. On conçoit donc l’importance de s’interroger sur la mention insérée au jugement de divorce qui aurait pu commander l’extinction de l’obligation par anticipation. Si tel était le cas, le JEX n’aurait fait que tirer les conséquences sur le titre de l’extinction de l’obligation prévue initialement par le JAF lors du divorce.

Si cette lecture a pu être celle du JEX de Thonon-les-Bains, le 1er mars 2016, quand il a ordonné la mainlevée de la mesure de paiement direct, ce n’est pas celle qui a été retenue par la cour d’appel de Chambéry.

B. Bien-fondé de l’obligation et compétence du JAF

– Compétence quant à la révision ou suppression de la contribution :

Le JAF est le seul juge compétent pour réviser ou supprimer une obligation d’entretien prévue par jugement de divorce. Si on se reporte à l’article 371-2, alinéa 2, du Code civil qui pose un principe d’absence d’automaticité du terme de la contribution à la majorité (la pension ne cesse pas de plein droit), cette disposition oblige le parent qui conteste le bien-fondé de la pension alimentaire à saisir le JAF d’une demande de suppression en établissant un fait nouveau qui peut tenir dans l’absence de besoins du jeune majeur19. Ce principe s’impose, qu’il s’agisse de la révision ou de l’extinction de l’obligation initiale, et même face à une demande nouvelle du majeur20. Ainsi, seul l’accord des parties ou une nouvelle décision du JAF pouvait mettre fin à l’obligation qui ne s’éteignait pas de plein droit à la majorité de l’enfant.

En l’espèce, le père débiteur a estimé que sa fille ne poursuivait pas des études dans des « conditions normales » en raison de cours suivis uniquement en soirée et de revenus tirés de son activité professionnelle. Il a de lui-même interrompu le versement de la pension alimentaire à compter de janvier 2015, sans pour autant rechercher un accord avec son créancier ou saisir le JAF d’une demande de suppression de pension. L’absence de paiement de son propre chef est condamnable et même, les contestations élevées devant le JEX sur le titre exécutoire ne suspendent pas l’obligation de payer, qu’il s’agisse du tiers ou du débiteur21.

Il reste toutefois à s’interroger sur la portée du dispositif mis en place par le JAF lors du jugement de divorce. A-t-il décidé par avance de l’extinction de l’obligation que le JEX n’aurait plus qu’à constater ?

– Clause extinctive ?

Dès lors que la clause du jugement de divorce est suffisamment précise, le JEX ne contrarie pas l’autorité de la chose jugée en vérifiant si la validité du titre exécutoire n’a pas été affectée par la condition insérée dans le dispositif du jugement. Il ne fait que tirer les conséquences sur le titre d’une disposition spéciale qui prévoit par avance l’extinction de l’obligation. C’est assurément l’analyse qui a été menée par le JEX, lorsqu’il a prononcé la mainlevée de la procédure. Il a estimé la référence faite à la « justification que l’enfant poursuive des études dans des conditions normales » suffisamment précise pour éteindre la créance par la seule constatation du non-respect de la condition.

C’est cette appréciation qui est contredite par la cour d’appel qui juge que la disposition du jugement n’est « pas un dispositif ayant décidé par avance l’extinction de l’obligation », mais un simple « rappel » du principe selon lequel l’obligation ne cesse pas à la majorité de l’enfant. Même si le JEX peut porter son appréciation sur le fond, pour connaître des difficultés liées à l’exécution forcée, sa « compétence exclusive »22 ne va pas jusqu’à lui permettre de mettre fin à l’obligation elle-même. Seul le JAF est compétent au fond pour décider de sa suppression.

Ainsi, le JEX qui a retenu, à juste titre, sa compétence quant à la demande de mainlevée de la procédure de paiement direct ne peut que faire application du titre exécutoire qui continue à être source d’une obligation à laquelle, en tant juge de l’exécution, il n’a pas le pouvoir de mettre fin.

Une compétence « exclusive » dans son domaine ne signifie pas la multiplication des compétences juridictionnelles croisées.

Dominique Everaert-DUMONT

b – L’enjeu indemnitaire : le droit à réparation de l’enfant orphelin de père in utero

Cass. 2e civ., 14 déc. 2017, n° 16-26687, PB. Le père a perdu sa vie, l’enfant a perdu la vie de son père…

Voilà en quelques mots la teneur de l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 14 décembre 2017. Les juges du droit ont reconnu qu’en enfant peut demander réparation du préjudice moral subi du fait de la mort accidentelle de son père survenue alors qu’il était simplement conçu.

En l’espèce, un salarié intérimaire est mis à disposition d’une entreprise et succombe à un accident du travail le 9 septembre 2008. Marié et père d’un enfant, il laisse son épouse enceinte qui mettra au monde leur second enfant quelques mois après l’accident mortel. Celle-ci décide d’intenter une action en réparation contre l’employeur en son nom personnel et au nom de ses enfants mineurs en sa qualité de représentante légale.

La veuve obtient la réparation de son préjudice et ceux de ses enfants en ce que le tribunal des affaires de sécurité sociale des Vosges a jugé que l’accident était dû à une faute inexcusable de l’employeur. Alors que la société employeur admettait le préjudice de l’enfant aîné, déjà né au moment de l’accident, elle contestait qu’un préjudice puisse être également déclaré pour l’enfant conçu, né après l’accident, interjetant ainsi appel du jugement des premiers juges.

Par un arrêt en date du 23 avril 2014, la cour d’appel de Nancy23 accueille la demande de la société employeur et considère que le préjudice de l’enfant conçu, dû à la rupture brutale d’une communauté de vie avec son géniteur, est inexistant, d’autant que la date de l’existence du dommage dont il est demandé réparation est postérieure à celle de l’accident à l’origine du dommage. Autrement dit, les juges du fond procèdent à une distinction entre les enfants pour évaluer le préjudice moral lié au décès de leur parent. La veuve forme alors un pourvoi en cassation. En raison d’une défaillance procédurale24, la haute juridiction casse et annule l’arrêt de la cour d’appel de Nancy et renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Metz25.

Le 29 septembre 2016, les juges messins reconnaissent l’existence d’un préjudice en confirmant la solution rendue par les premiers juges et considèrent que l’enfant né après la mort de son père souffre de l’absence définitive de ce dernier, admettant alors un préjudice moral au même titre que celui subi par les autres membres de la famille. Insatisfaite de la décision, la société employeur se pourvoit en cassation. Substantiellement, elle faisait valoir que le préjudice n’était ni direct, ni certain. La société employeur ajoutait que la réalité objective de la souffrance du demandeur n’aurait pas été établie par les juges du fond, et qu’il ne présentait, en tout état de cause, aucun lien de causalité entre le décès accidentel d’une personne et le préjudice subi par son fils né après sa disparition.

La question posée aux magistrats du quai de l’Horloge était donc la suivante : un enfant simplement conçu au moment du décès de son géniteur peut-il obtenir réparation de son préjudice moral étant entendu comme la souffrance morale de naître sans père ? Autrement dit, il s’agissait d’interroger la haute juridiction sur l’existence d’un lien de causalité certain et direct ainsi que d’un préjudice certain.

Sur rejet du pourvoi, la Cour de cassation valide le raisonnement des juges du fond en affirmant dans un attendu très lapidaire que « dès sa naissance, l’enfant peut demander réparation du préjudice résultant du décès accidentel survenu alors qu’il était conçu ». En cela, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation reconnaît pour la première fois l’indemnisation du préjudice moral subi par un enfant simplement conçu lors du décès de son père.

La question n’est pas inédite mais l’arrêt brise la jurisprudence traditionnelle26 s’agissant de l’appréciation du lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice moral des victimes par ricochet nées postérieurement à l’accident.

À l’occasion de cette affaire, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation fait le choix de la souplesse dans l’établissement du lien de causalité (I) et admet l’absence définitive d’un père comme un nouveau préjudice reconnu à l’enfant conçu (II).

I. Le choix de la souplesse dans l’établissement du lien de causalité

En mobilisant indirectement la maxime infans conceptus (A), la haute juridiction s’inscrit à l’opposé de sa jurisprudence traditionnelle sur la causalité et prône un assouplissement de celle-ci dans le droit à réparation de l’orphelin de père (B).

A. L’application implicite de l’adage infans conceptus

La naissance, début de la vie autonome de l’être humain27, forme le point de départ de la personnalité juridique. Vie et viabilité s’imposent comme conditions impératives pour que la naissance ne soit pas qu’un évènement isolé mais bien la genèse d’une personne, sujet de droit complet28.

Pour autant, nombreuses sont les difficultés qui apparaissent quant au statut de la vie prénatale29. C’est surtout en matière d’héritage que se sont manifestées sinon des interrogations, du moins des intérêts propres à la situation juridique des enfants à naître. Que l’enfant conçu soit tenu pour né dès lors qu’il y va de ses intérêts, cela lui permet notamment de recueillir à titre posthume la succession de son père ou de sa mère30, en vertu d’une fiction exprimée par l’adage infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur31. Le principe en droit positif français est donc que la personnalité juridique s’acquiert à la naissance viable et que, par faveur pour l’enfant32, les effets de cette personnalité peuvent remonter jusqu’à la conception33.

La règle infans conceptus permet de prendre en considération des faits ayant eu lieu à l’époque de la grossesse, mais alors inopérants car l’enfant n’avait pas encore la personnalité juridique. Après la naissance, l’attribution rétroactive de cette personnalité permet, en conséquence, d’en produire les effets. En l’espèce, lorsque l’enfant est né, sa personnalité juridique rétroagissant à sa conception, la Cour considère rétroactivement qu’il était sujet de droit à l’époque de l’accident mortel de son père et qu’il peut donc, dès sa naissance, intenter une action en réparation de son préjudice en son nom propre et par la voie de la représentation légale34.

La capacité fictive et conditionnelle en matière de successions et de donations35 concernant l’enfant conçu se prolonge dans le domaine de la responsabilité civile. À défaut d’être acteurs de droit, les enfants conçus constituent une véritable préoccupation du droit. En conférant rétroactivement la personnalité juridique, cette maxime infans conceptus enveloppe l’enfant conçu d’une aura de protection renforcée. En conséquence, celui-ci peut demander, dès sa naissance, réparation de son préjudice moral alors qu’il était simplement conçu lors de la perte accidentelle de son père.

L’arrêt commenté permet de renforcer la haute portée juridique et sociale de la maxime infans conceptus, même si la deuxième chambre civile ne s’y réfère pas expressément. Il faut reconnaître que, maintes fois, l’intérêt d’un enfant peut être en jeu avant sa naissance, et que maintes fois, par suite, le législateur a dû lui donner le pouvoir aussi bien que le droit de le défendre36.

Cet arrêt pourrait également renforcer l’idée selon laquelle l’enfant à naître aurait une véritable personnalité juridique dès la conception. Quoi qu’il en soit, l’adage permet de contourner la règle classique de l’indemnisation qui consiste à ouvrir le droit à réparation à compter de la date à laquelle se produit le fait qui est directement la cause du dommage. En l’espèce, le recours implicite à l’adage infans conceptus permet de supprimer la succession des événements dans le temps37. La position de la deuxième chambre civile laisse croire en un revirement de sa jurisprudence en la matière.

B. L’apparence d’un revirement de jurisprudence

Au regard des mentions FS-PBI, la haute juridiction souhaite donner une visibilité certaine à son arrêt du 14 décembre 2017. S’agit-il d’un revirement de jurisprudence ? L’analyse des décisions antérieures permet d’en avoir aisément l’assurance.

L’argumentation du demandeur au pourvoi avait de quoi séduire les juges du droit puisque celle-ci s’inscrivait dans la lignée de la jurisprudence sur la question. Traditionnellement, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation refusait jusqu’alors de reconnaître à l’enfant né vivant la possibilité d’engager la responsabilité contre toute personne qui lui aurait causé un dommage pendant la période de la grossesse même si le fait dommageable s’est produit avant la naissance.

Pour justifier son refus, la deuxième chambre civile se fondait, non pas sur l’absence de personnalité juridique de l’enfant mais sur celle du lien de causalité entre le fait générateur et le dommage résultant du décès38 ou du handicap39. Constatons au passage que les juges du droit se réfugient régulièrement sur ce terrain du lien de causalité pour justifier leur refus d’indemniser le préjudice de la victime par ricochet.

En revanche, dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation revient sur sa position pour admettre l’existence du lien de causalité et rejeter le pourvoi de la société employeur. En cela, la deuxième chambre civile reconnaît, pour la première fois, l’indemnisation du préjudice moral de l’enfant né postérieurement au décès accidentel d’un parent mais conçu avant le fait dommageable.

En outre, la jurisprudence du 14 décembre 2017 a le mérite de conforter le principe du droit à réparation par le trio « fait générateur, dommage et lien de causalité ». Ici, le fait générateur est bel et bien la faute inexcusable de l’employeur ayant entraîné l’accident mortel, le dommage s’apparente au décès du père et le lien de causalité entre les deux précédentes conditions se déduit logiquement en ce que la mort du géniteur ne se serait pas produite sans la faute de l’employeur.

À noter que la chambre criminelle avait quant à elle déjà reconnu, depuis 2010, la réparation du préjudice moral de l’enfant né d’un viol40 laissant alors régner « l’esprit de la jurisprudence Perruche »41. Ainsi, l’enfant né des suites du viol dont sa mère fut la victime immédiate était recevable à se constituer partie civile contre l’auteur du viol.

Ici, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation admet que le décès du père est causal par rapport au fait générateur. En effet, dans l’optique de la théorie de l’équivalence des conditions, la plus commune en droit de la responsabilité civile, le lien causal existe42. Toujours est-il qu’avec ce nouvel arrêt, la deuxième chambre civile passe de la rigidité à l’assouplissement dans l’établissement du lien causal et consacre, dès lors, une nouvelle approche.

Cet arrêt du 14 décembre 2017 a donc toutes les chances de constituer un revirement de jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. Patientons jusqu’à une prochaine décision pour confirmer cette apparence.

II. L’absence définitive d’un père comme préjudice moral reconnu à l’enfant conçu

Alors qu’elle retenait une conception subjective du préjudice, la deuxième chambre civile consacre un nouveau préjudice moral résultant objectivement du fait de naître sans père (A) mais laisse planer l’incertitude quant à la portée de sa solution (B).

A. La consécration d’une vision objective du préjudice

La réparation du préjudice moral est inhérente à l’idée même de réparation ou plutôt, de compensation, puisqu’un tel préjudice n’est pas à proprement parler réparable. Le dommage moral ne saurait en effet, comme le dommage matériel, être considéré dans sa matérialité, si l’on peut dire. Il doit l’être au regard de chaque individu qui en est victime et qui demande réparation. En effet, le rôle du juge est d’évaluer la somme d’argent capable de contrebalancer les sensations douloureuses éprouvées par la victime43.

Dans l’arrêt commenté, l’existence même du préjudice anténatal à l’égard de l’enfant conçu était critiquée par le demandeur au pourvoi. Cette existence pouvait certes être discutable. Par principe, la réparation d’un préjudice permet de replacer la victime dans un état antérieur au fait dommageable. Or comment envisager cette hypothèse à l’égard de l’enfant conçu ? Ici, l’enfant n’avait jamais connu son père et n’avait noué, de facto, aucune relation d’affection avec lui. Quel était donc le préjudice pour cet enfant conçu ? Sauf que, sans cet accident mortel, l’enfant aurait pu bâtir une relation avec son géniteur ; là était la différence pour les juges du droit, de sorte que la réparation ne suppose pas toujours une remise en l’état antérieur d’une situation.

En outre, la nomenclature Dintilhac44, outil de référence en matière d’indemnisation des victimes de dommages corporels, isole deux préjudices extrapatrimoniaux des victimes par ricochet en cas de décès de la victime directe : le préjudice d’affection et le préjudice d’accompagnement. Si le premier concerne la douleur liée à la perte d’un être connu, le second envisage la situation de la victime par ricochet qui accompagne la victime directe atteinte d’une maladie jusqu’à son décès. Or aucune de ces situations n’apparaît dans les faits d’espèce, de sorte qu’il s’agit bien d’un nouveau préjudice reconnu par la deuxième chambre civile ici45. Le préjudice réparé, qui se traduit par l’absence définitive d’un père décédé, existe indépendamment de la connaissance et des liens d’affection qui ont pu naître entre la victime directe et par ricochet46. Finalement, cela conforte la volonté des auteurs de la nomenclature Dintilhac de ne pas la rendre limitative.

La reconnaissance d’un nouveau préjudice moral renforce la portée de cette jurisprudence du 14 décembre 2017. C’est pour apporter à l’enfant le remède ou le soulagement de ses maux47 que l’auteur du décès accidentel du père sera obligé de verser une indemnité à l’enfant. Si la jurisprudence antérieure a pu admettre une conception subjective du préjudice moral48 qui supposait une forme de conscience de la victime, force est de constater qu’elle opte désormais pour une conception objective du préjudice moral. Sans procéder à une analyse approfondie, la Cour admet la réalité du préjudice qu’éprouve un enfant qui ne connaîtra son père qu’au travers de récits des membres de sa famille, outre les répercussions psychologiques évidentes.

Cette nouvelle position jurisprudentielle est d’autant plus pertinente qu’elle s’inscrit parfaitement dans la lignée de la Convention internationale des droits de l’enfant49 qui rappelle que ce dernier a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents. Parallèlement, la cour administrative d’appel de Nantes50 avait eu l’occasion de reconnaître, six mois plus tôt, la privation de vie familiale affective comme préjudiciable. L’arrêt du 14 décembre 2017 a donc le mérite d’aligner les droits privé et public sur la question et on ne peut que se réjouir de cette convergence.

B. La portée de la solution

Sur l’indemnisation du préjudice moral de l’enfant conçu, notons que l’arrêt fait preuve d’humanité en ce qu’il n’instaure pas de différence entre cet enfant et son aîné, âgé d’une année au moment du décès de son père. C’est parce qu’ils subissaient le même dommage que la Cour de cassation les place sur un pied d’égalité quant à leur droit à réparation. Autrement dit, même si l’un d’entre eux n’a jamais connu son père, c’est ensemble que la fratrie subit la perte de la figure paternelle. Une telle solution ne peut être que saluée.

Par ailleurs, qu’en est-il du champ d’application de cette nouvelle jurisprudence ? Si l’accident était dû à une faute inexcusable de l’employeur, la Cour de cassation n’évoque que le « décès accidentel ». Faut-il y voir une volonté d’élargissement de sa solution ? La haute juridiction a probablement et – stratégiquement – préféré conférer au juge sa marge d’appréciation sur ces situations très spécifiques.

Pour autant, cette jurisprudence suscite-t-elle plusieurs interrogations si l’on choisit d’extrapoler la décision de la Cour à la situation de la mère qui souhaite élever seule son enfant et qui n’informe pas le père biologique de sa maternité51 ? Jusqu’où élargirons-nous les préjudices indemnisables ? Faut-il encourager « l’idéologie de la réparation »52 ? L’arrêt commenté permet-il que sa solution s’étende à la réparation du préjudice résultant de la perte de n’importe quel proche avec lequel l’enfant aurait développé une relation affective53 ? Quid des situations résultant de l’effacement du père54 et non plus son décès ? Toutes ces interrogations sont permises, notamment depuis que les questions de bioéthique reprennent le devant de l’actualité juridique. Cette décision du 14 décembre 2017 ranimera le thème de la place du père dans la sphère familiale et l’impact sur l’évolution de l’enfant. On imagine aisément que cette solution sera un argument de plus dans le rang des détracteurs des nouvelles propositions concernant la procréation médicalement assistée55.

Parallèlement, ce changement radical de jurisprudence interroge davantage à l’heure où le droit de la responsabilité civile prévoit de se réformer. Si plusieurs rubriques du projet de réforme56 abordent la question du préjudice57, aucune disposition ne permet de conforter ou non la solution du 14 décembre 2017. Quoi qu’il en soit, la Chancellerie devra clarifier les notions de préjudice et de lien de causalité.

En définitive, l’arrêt de la deuxième chambre civile envisage une des situations en droit de l’enfant à naître et dégage des horizons nouveaux et prometteurs permettant d’ouvrir de nombreuses perspectives de réflexion.

Sarah TOUBAL

B – Problématiques de droit international privé

1 – Droit à la filiation et droit à la réserve : les fluctuations de l’ordre public international français

Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, n° 16-19654 et Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, nos 16-17198 et 16-13151. Ces arrêts, rendus le même jour par la Cour de cassation, ont déjà fait l’objet individuellement de nombreux commentaires auxquels il peut sembler vain de prétendre ajouter quoi que ce soit. Leur importance mérite cependant à tout le moins qu’ils soient relatés dans cette chronique et, tout bien considéré, il n’est peut-être pas sans intérêt d’en esquisser une approche comparative mettant en relief quelques aspects de l’évolution de la notion d’ordre public international en droit de la famille.

Le premier arrêt58 est relatif à la question bien connue de la conformité ou non d’une loi étrangère, qui empêche l’établissement de la filiation paternelle, à l’ordre public international français.

Cette décision constitue l’aboutissement d’une jurisprudence dont l’évolution trouve son origine dans un arrêt rendu en 198859. Elle traduit un net durcissement de l’ordre public international à l’égard des lois étrangères ne permettant pas l’établissement de la filiation paternelle, peu important que l’interdiction ne soit pas générale. En l’occurrence, la loi étrangère n’empêchait l’établissement de la filiation qu’en cas d’inconduite notoire de la mère ou lorsque celle-ci avait entretenu des relations avec un autre homme durant la période légale de conception60.

Les deux autres arrêts61 témoignent d’une évolution inverse dans le sens d’un allégement de l’ordre public international, en matière successorale cette fois. La Cour de cassation décide en effet, en des termes identiques dans les deux décisions, qu’« une loi étrangère (…) qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ». Elle suggère que tel serait le cas si cette loi laissait un héritier « dans une situation de précarité économique ou de besoin ». Il est vrai que, contrairement à la question précédente, le statut de la réserve héréditaire au regard de l’ordre public international n’avait fait l’objet pour ainsi dire d’aucune décision de la Cour de cassation et qu’il divisait la doctrine. Cette absence de jurisprudence s’expliquait par l’existence du droit de prélèvement, qui permettait en pratique de protéger la réserve des héritiers français62. C’est l’abrogation de ce droit par une décision du Conseil constitutionnel en date du 5 août 201163 qui a véritablement fait naître les discussions sur le point de savoir si une loi étrangère ignorant la réserve héréditaire est ou non contraire à l’ordre public international français. La Cour de cassation a donc répondu négativement, du moins sur le principe. Comme la plupart des commentateurs de ces décisions l’ont remarqué, on peut voir dans ces arrêts une application, somme toute banale, du principe de l’actualité de l’ordre public international et de l’idée selon laquelle cette notion agit avec plus ou moins d’intensité selon les liens que la situation entretient avec la France (ordre public dit de proximité).

Au-delà, on peut se demander ce que révèlent ces décisions de l’évolution des fonctions classiques de l’ordre public international qui visent toutes, il faut le rappeler, à assurer la protection de l’ordre juridique français.

S’agissant de l’établissement de la filiation paternelle, c’est sans aucun doute un principe fondamental du droit qui est à l’œuvre : le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant64 qui lui confère un véritable droit d’établir sa filiation paternelle. Ce principe fondamental doit évidemment être mis en perspective avec l’évolution du droit interne, en d’autres termes, combiné avec le principe de l’actualité de l’ordre public international. Le refus de l’établissement de la filiation, qui n’était pas choquant en 1988, l’est devenu aujourd’hui, apparemment de manière absolue. On pourrait bien sûr se demander s’il est toujours de l’intérêt de l’enfant, autre que pécuniaire s’entend, que sa filiation soit établie à l’égard d’un homme qui ne veut pas qu’elle le soit. On pourrait même se demander si la paternité imposée n’est pas contraire à d’autres droits fondamentaux, notamment le droit au respect de la vie privée du père prétendu65. Mais ce genre d’interrogation, quelque peu provocateur, voire hérétique, n’a finalement pas lieu d’être : l’enfant et lui seul est au centre de cette jurisprudence, fondée sur des postulats idéologiques, et l’intérêt de l’enfant est que sa filiation paternelle soit établie. Il apparaît ainsi, somme toute, que sur cette question précise, ordre public interne et international se confondent puisque l’on ne voit pas très bien dans quel contexte une loi étrangère plus rigoureuse que la loi française pourrait recevoir application.

En revanche, l’intérêt de l’enfant n’est pas qu’il hérite de son auteur puisqu’une loi étrangère, désignée par la règle française de conflit de lois, qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international. Et on peut penser que tel sera aussi le cas si le de cujus, décédé en France où il avait fixé sa dernière résidence habituelle66 soumet volontairement sa succession à sa loi nationale qui l’ignore67 afin d’exhéréder ses enfants68. La plupart des auteurs étaient favorables à cette solution. Elle met implicitement en avant une autre fonction traditionnelle de l’ordre public international qui est de défendre les politiques législatives du for, indépendamment de toute considération relative à la question de savoir si cette politique est ou non partagée par d’autres États. Or, les évolutions récentes du droit des successions révèlent, outre l’essor des droits du conjoint survivant (qui accède d’ailleurs en l’absence de descendants à la qualité d’héritier réservataire), un relatif déclin de la réserve (suppression de la réserve des ascendants, renonciation anticipée à l’action en réduction pour atteinte à la réserve, donation-partage transgénérationnelle, libéralités graduelles…). Ce déclin n’est cependant que relatif, car la qualité d’héritiers réservataires des enfants, ainsi que la quotité de leur réserve n’ont pas été modifiées et font toujours l’objet de règles d’ordre public. La réserve héréditaire demeure un pilier du droit successoral français, on ose même dire un principe fondamental du droit successoral français. L’intérêt de l’enfant, quel que soit son âge, ne doit-il pas être pris en considération au titre des effets successoraux de la filiation ? La succession de Johnny Halliday, dont la presse fait ses choux gras, montre bien que les enfants ne sont pas disposés à renoncer aussi facilement à leurs droits successoraux et ce qui vaut pour les célébrités vaut aussi pour les simples particuliers. Certes, la Cour de cassation a posé une limite à la règle selon laquelle un droit étranger, qui ignore la réserve héréditaire et autorise en conséquence l’exhérédation des descendants, n’est pas en principe contraire à l’ordre public international français : l’existence d’une situation de précarité ou de besoin69 de sorte que l’on n’y reviendra pas. Ce qui est décidément frappant, dans le parallèle que l’on peut faire entre ces décisions de la Cour de cassation, est que la solution jadis consacrée en matière d’établissement de la filiation est désormais appliquée dans les mêmes termes à ses effets successoraux. Une loi ignorant la réserve héréditaire n’est pas, en principe, contraire à l’ordre public international français dans la mesure où elle connaît d’autres mécanismes de protection des enfants, tels que les family provisions du droit anglais. En revanche, une loi qui ne permet pas l’établissement de la filiation paternelle est contraire à l’ordre public international. L’ordre public international, devenu tolérant en matière patrimoniale, pourvu que les enfants aient un minimum de droits alimentaires, ne l’est plus du tout en matière extrapatrimoniale. Cette évolution paraîtra sans doute normale à ceux qui relient aujourd’hui l’ordre public international aux droits de l’Homme et qui considèrent, de manière générale, que seuls méritent d’être défendus par cette notion des principes qui peuvent prétendre à l’universalité70. Mais si la notion de réserve héréditaire ne peut prétendre à l’universalité, la possibilité d’établir une filiation paternelle hors mariage non plus. À quoi on répondra probablement que la prétention d’une règle à l’universalisme ne vaut qu’à propos de droits « présentant une certaine homogénéité de valeurs »71. Curieux universalisme qui invite à la tolérance à l’égard des seuls droits étrangers semblables au nôtre… Mais, on le voit, la discussion se perd dans les labyrinthes de la philosophie et déborde largement le cadre d’un sommaire de jurisprudence. Ce que l’on retiendra, pour être pragmatique, est que ce point de vue tend indiscutablement à faire disparaître une des fonctions classiques de l’ordre public international qui est d’assurer la défense des politiques législatives du for, laquelle ne peut de ce fait plus s’appuyer que sur le mécanisme des lois de police.

Éric KERCKHOVE

(À suivre)

2 – Conflit de paternités et principe de faveur

3 – Les accords parentaux sur la loi applicable en matière alimentaire à l’égard des enfants mineurs

II – La protection de l’enfant en danger

A – Les mesures de soustraction de l’enfant à l’autorité parentale

1 – L’appropriation de l’esprit de la loi du 14 mars 2016 par les juges

a – Déclaration judiciaire de délaissement parental et absence de projet d’adoption

b – Refus du retrait total d’autorité parentale et projet d’adoption

2 – Le dévoiement de la loi du 26 juillet 2013 par les juges : les titulaires du recours contre l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État

B – L’assistance éducative : primauté de l’intérêt de l’enfant

1 – L’intérêt de l’enfant avant les contraintes budgétaires : l’allocation « tiers digne de confiance »

2 – avant la sanction de l’attitude dolosive des parents : les conditions de l’isolement justifiant le prononcé d’une mesure provisoire d’assistance éducative

Notes de bas de pages

  • 1.
    JO, 3 janv. 1973.
  • 2.
    La prolongation a été refusée à un jeune majeur qui n’était pas étudiant mais salarié : Cass. 2e civ., 18 juin 1981, n° 80-11718.
  • 3.
    CA Pau, 30 nov. 1988 : LPA 1989, n° 101, p. 11.
  • 4.
    Cass. soc., 9 déc. 1987, n° 85-16390 : RTDSS 1988, p. 347, obs. Monéger F.
  • 5.
    CA Angers, 16 juill. 2012, n° 11/01772 : LPA 12 août 2013, p. 3, obs. Dekeuwer-Défossez F.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 1er févr. 2012, n° 11-11021.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 9 févr. 2012, n° 09-71102.
  • 8.
    CA Caen, 5 janv. 2012, n° 11/00105 : LPA 12 août 2013, p. 3, obs. Dekeuwer-Défossez F.
  • 9.
    V. sur la justification d’études : Cass. 1re civ., 8 avr. 2009, n° 08-13161 : LPA 11 sept. 2009, p. 12.
  • 10.
    CPC exéc., art. R. 213-6, al. 1 et 2.
  • 11.
    Douchy-Oudot M., « Le recouvrement des pensions alimentaires », Dr. & patr. 2013, n° 231, p. 47.
  • 12.
    CPC exéc., art. R. 213-1, modifié par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
  • 13.
    CPC exéc., art. R. 213-5.
  • 14.
    C. trav., art. L. 3252-10.
  • 15.
    Cass. 2e civ., 1er déc. 2016, n° 15-27303 : D. 2016, p. 2580.
  • 16.
    COJ, art. L. 213-6, al. 1.
  • 17.
    Cass. 2e civ., 22 mars 2012, n° 11-13915 : D. 2013, p. 1574, obs. Leborgne A.
  • 18.
    CPC exéc., art. R. 121-1, al. 2.
  • 19.
    Cass. 2e civ., 1er févr. 2012, n° 10-28070.
  • 20.
    Cass. 1re civ., 8 avr. 2009, n° 08-13161 : LPA 11 sept. 2009, p. 12, obs. Massip J.
  • 21.
    CPC exéc., art. R. 213-6 ; CPC exéc., art. R. 121-1.
  • 22.
    CPC exéc., art. L. 213-6.
  • 23.
    CA Nancy, 23 avr. 2014, n° 13/02839 : les juges du fond admettent l’argument suivant : « Un enfant à naître lorsque s’est produit le fait générateur, s’il est légitime à invoquer son droit de succession ou un droit issu d’un contrat dont il est bénéficiaire, ne peut prétendre à réparation d’un préjudice dû à la rupture brutale d’une communauté de vie avec son père, préjudice qui est, par nature, inexistant. C’est donc à tort que les premiers juges ont affirmé que la vie quotidienne [de l’enfant cadet] a basculé le jour de la mort de son père, confondant manifestement ainsi le sort des deux enfants, qu’il convenait pourtant de distinguer. (…) En l’espèce, la date de l’existence du dommage dont il est demandé réparation pour le cadet des enfants du couple est postérieure à celle de l’accident à l’origine de ce dommage et du dommage de la victime principale. En définitive, c’est la naissance de l’enfant qui constitue en l’espèce la cause adéquate de son préjudice, sans laquelle ce préjudice n’aurait pu apparaître, et qui s’intercale entre l’accident et la survenance de l’affection dont peut souffrir l’enfant ».
  • 24.
    L’une des parties n’avait pas été convoquée à l’audience des débats.
  • 25.
    Cass. 2e civ., 10 sept. 2015, n° 14-19891.
  • 26.
    L’argumentation du demandeur au pourvoi s’inscrivait conformément à la position traditionnelle de la jurisprudence, v. infra 1°, b).
  • 27.
    Demolombe C., Traité des successions, t. 1, 4e éd., n° 174 : « l’enfant dans le sein de sa mère n’a pas encore une existence distincte de celle-ci, c’est seulement par la naissance qu’il acquiert une existence indépendante, extra-utérine ».
  • 28.
    Demolombe C., Traité des successions, t. 1, 4e éd., éd. Auguste Durand, p. 42.
  • 29.
    Iacub M., Penser les droits de la naissance, 2002, PUF, p. 11.
  • 30.
    V. C. civ., art. 725.
  • 31.
    « L’enfant conçu est réputé né chaque fois qu’il y va de son intérêt ».
  • 32.
    Bertrand-Mirkovic A., La notion de personne : étude visant à clarifier le statut de l’enfant à naître, thèse, 2003, Paris II, PUAM, p. 275.
  • 33.
    V. C. civ., art. 377.
  • 34.
    En l’occurrence, sa mère.
  • 35.
    V. C. civ., art. 906.
  • 36.
    Lalou R., Étude de la maxime infans conceptus pro nato habetur en droit français, thèse, 1904, Paris, p. 3.
  • 37.
    Bacache M., « Nouveau préjudice moral pour l’enfant conçu au jour du décès accidentel de son père », note sous Cass. 2e civ., 14 déc. 2017, n° 16-26687, D. 2018, p. 386.
  • 38.
    Cass. 2e civ., 4 nov. 2010, n° 09-68903.
  • 39.
    Cass. 2e civ., 24 févr. 2005, n° 02-11999 ; Cass. 2e civ., 5 oct. 2006, n° 05-18494.
  • 40.
    Cass. crim., 23 sept. 2010, nos 09-82438 et 09-84108.
  • 41.
    Jourdain P., « La réparation du préjudice moral de l’enfant né d’un viol ou l’esprit de la jurisprudence Perruche », note sous Cass. crim., 23 sept. 2010, n° 09-82438, RTD civ. 2011, n° 1, p. 132-134. Concernant la jurisprudence Perruche, v. Cass. ass. plén., 17 nov. 2000, n° 99-13701 : Bull. ass. plén., n° 9.
  • 42.
    Stoffel-Munck P., Block C. et Bacache M., JCP G, 26 févr. 2018, p. 446.
  • 43.
    Delmas B., Du préjudice moral, thèse, 1939, Toulouse, p. 108.
  • 44.
    La nomenclature Dintilhac n’a qu’une valeur indicative pour les juridictions.
  • 45.
    À noter que la deuxième chambre civile n’apporte aucune précision quant à la nature du préjudice moral subi par l’enfant.
  • 46.
    Bacache M., « Nouveau préjudice moral pour l’enfant conçu au jour du décès accidentel de son père », note sous Cass. 2e civ., 14 déc. 2017, n° 16-26687, D. 2018, p. 386.
  • 47.
    Ganot J., La réparation du préjudice moral, thèse, 1924, Paris, p. 187.
  • 48.
    Cass. crim., 5 oct. 2010, nos 09-87385 et 10-81743 ; Cass. 2e civ., 22 nov. 2012, n° 11-21031.
  • 49.
    L’article 7, 1° « L’enfant (…) a (…) dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents (…) ».
  • 50.
    CAA Nantes, 4e ch., 7 juin 2017, n° 16NT01005.
  • 51.
    Cayol A., « Reconnaissance du préjudice moral de l’enfant à naître ! », note sous Cass. 2e civ., 14 déc. 2017, n° 16-26687, RJPF 1er mars 2018, p. 35.
  • 52.
    Cayol A., « Reconnaissance du préjudice moral de l’enfant à naître ! », RJPF 1er mars 2018, p. 35.
  • 53.
    Hocquet-Berg S., « Toi, le père que je n’ai jamais eu… », note sous Cass. 2e civ., 14 déc. 2017, n° 16-26687, Resp. civ. et assur. 2018, étude 3.
  • 54.
    Binet J.-R., « Le préjudice de l’enfant conçu privé de son père », note sous Cass. 2e civ., 14 déc. 2017, n° 16-26687, JCP G, n° 8, p. 347.
  • 55.
    V. États généraux de la bioéthique sur la question de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes ou aux femmes seules.
  • 56.
    Projet de réforme du droit de la responsabilité civile, présenté par la Chancellerie le 13 mars 2017. V. not. art. 1235, 1236, 1239, 1258, 1262 et 1269.
  • 57.
    Dupre M., « La perte de l’être cher mais à jamais inconnu », note sous Cass. 2e civ., 14 déc. 2017, n° 16-26687, Gaz. Pal. 23 janv. 2018, n° 311j4, p. 18.
  • 58.
    D. 2017, p. 2518, note Guillaumé J. ; JCP G 2017, 1311, p. 2260, note Gallant E.
  • 59.
    Cass. 1re civ., 3 nov. 1988 : Rev. crit. 1989, p. 495, note Foyer J. ; JDI 1989, p. 703, note Monéger F. – Cass. 1re civ., 10 févr. 1993, n° 89-21997 : Rev. crit. DIP 1993, p. 620, note Foyer J. ; JCP G 1993, I 3688, obs. Fulchiron H. ; Rev. crit. DIP 1994, p. 124, note Barrière-Brousse I. ; D. 1994, p. 66, note Massip J. – Cass. 1re civ., 26 oct. 2011, n° 09-71369 : Dr. famille 2012, comm. 19, note Farge M. ; JDI 2012, p. 176, note Guillaumé J. ; Gaz Pal. 17 mars 2012, n° I9166, p. 30, note Devers A.
  • 60.
    V. dans le même sens l’arrêt du 26 octobre 2011, préc., à propos d’une loi étrangère faisant obstacle à l’établissement de la filiation paternelle lorsque l’enfant est adultérin
  • 61.
    D. 2017, p. 2185, note Guillaumé J. ; JCP G 2017, 1236, p. 2117, note Nourissat C. et Révillard M. ; Defrénois 12 oct. 2017, n° 129w1, p. 23, note Goré M. ; RTD civ. 2017, p. 833, obs. Usunier L.
  • 62.
    Grimaldi M. (dir.), Droit patrimonial de la famille, 2018/2019, Dalloz Action, nos 723-50 et s par M. Goré et R. de Gourcy.
  • 63.
    JDI 2012, p. 135, note Godechot-Patris S. ; JCP N 2011, p. 1236, « Feu le droit de prélèvement », Fongaro E.
  • 64.
    CIDE, art. 3, § 1 ; Eudes M., « La convention sur les droits de l’enfant, texte emblématique reconnaissant l’intérêt de l’enfant… et passant sous silence les droits des femmes ? », Rev. des droits de l’Homme 3/2013, p. 192.
  • 65.
    V. Lassalas C., « La paternité ne peut plus être imposée, question de responsabilité », LPA 16 juin 2016, n° 114n3, p. 6 ; et le refus de transmission d’une QPC par la Cour de cassation : Cass. 1re civ., 9 nov. 2016, n° 15-20547 : RJPF 2017, n° 2, p. 42, note Garé T. V. aussi CEDH, 25 juin 2015, Cannone c/ France : D. 2015, p. 1490 ; Dr et santé 2015, n° 67, p. 729, obs. Vauthier J.-P. L’arrêt décide que le fait d’établir la paternité de l’homme alors qu’il a refusé de se soumettre à un test génétique ne contrevient pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il est vrai que ce refus confortait d’autres éléments de preuve.
  • 66.
    Règl. (UE) n° 550/2012, 4 juill. 2012, art. 21.
  • 67.
    Règl. (UE) n° 550/2012, 4 juill. 2012, art. 22.
  • 68.
    Ce genre de comportement fait naturellement penser à la fraude à la loi ; mais celle-ci n’est pas concevable dans un système qui consacre l’autonomie de la volonté, surtout si elle est limitée à une seule possibilité de choix. On pourrait éventuellement mobiliser la notion d’abus de droit, le choix de la loi nationale n’ayant eu d’autre but que de permettre une exhérédation des descendants. Le recours à cette notion est cependant loin de faire l’unanimité et elle est par ailleurs perçue comme inutile, l’ordre public international ou le mécanisme des lois de police devant suffire à éviter les abus. Sur cette question v. par ex. Clavel S., Droit international privé, 4e éd., 2016, Dalloz, n° 135 ; Audit B. et d’Avout L., Droit international privé, 7e éd., 2013, Economica, nos 235 et 300.
  • 69.
    Une telle situation est envisagée en droit français, au profit du conjoint survivant, à l’article 767 du Code civil selon lequel : « La succession de l’époux prédécédé doit une pension au conjoint successible qui est dans le besoin. (…) La pension alimentaire est prélevée sur la succession. Elle est supportée par les héritiers et, en cas d’insuffisance, par tous les légataires particuliers, proportionnellement à leur émolument. ». Les difficultés de mise en œuvre de ce critère ont déjà été soulignés : Guillaumé J., D. 2017, p. 2518. Adde Sindres D., « Les délices de l’hubris », D. 2017, p. 2544.
  • 70.
    V. par ex. Usunier L., RTD civ. 2017, p. 836.
  • 71.
    Usunier L., RTD civ. 2017, p. 836.
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