Du nouveau en matière d’obligation alimentaire : l’impact de la loi du 8 avril 2024 relative au « bien vieillir » sur les débiteurs d’aliments

Publié le 03/10/2024
Du nouveau en matière d’obligation alimentaire : l’impact de la loi du 8 avril 2024 relative au « bien vieillir » sur les débiteurs d’aliments
LIGHTFIELD STUDIOS/AdobeStock

La loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 apporte des modifications non négligeables en matière d’obligation alimentaire : d’une part, en allongeant les situations d’indignité parentale, d’autre part, en restreignant la liste des débiteurs d’aliments pouvant être sollicités dans le cadre de l’aide sociale à l’hébergement des personnes âgées.

Si la loi du 8 avril 20241 ne semble pas être la « grande loi » attendue sur le grand âge, promise lors du premier quinquennat du président Emmanuel Macron, elle comporte tout de même un certain nombre de dispositions intéressantes comme celles relatives au respect des droits des résidents en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) avec la garantie du droit de visite ou le droit d’accueillir des animaux de compagnie, la coordination des acteurs du vieillissement de la population avec le nouveau service public départemental de l’autonomie, ou encore la lutte contre la maltraitance envers les personnes âgées. Cette loi va également avoir un impact en matière de solidarité familiale : en effet, le texte de l’article L. 132-6 du Code de l’action sociale et des familles prévoit de nouvelles situations de dispense d’obligation alimentaire visant ainsi à renforcer la protection des victimes d’un parent indigne (I) et exclut de la liste des débiteurs d’aliments les petits-enfants indépendamment du comportement du créancier d’aliments mais seulement dans le cadre de l’aide sociale à l’hébergement (II). Ce sont ces deux changements qui méritent aujourd’hui quelques développements, permettant de recenser les personnes exonérées de l’obligation alimentaire mais aussi de pointer les incohérences ou les zones d’ombre laissées par le législateur.

I – L’extension des cas de dispense de l’obligation alimentaire en cas d’indignité parentale

Si l’article 205 du Code civil évoque le fait que les enfants doivent des aliments à leurs parents et autres ascendants dans le besoin au titre de la solidarité familiale, cette obligation est assortie d’exceptions liées au vécu familial. Ainsi, en cas de retrait total de l’autorité parentale, l’enfant pourra être exonéré de participation financière sur le fondement des articles 378 et 378-1 du Code civil (exemples : crime ou délit sur la personne de l’enfant, mise en danger de l’enfant en raison de mauvais traitements, d’alcoolisme, d’usage de stupéfiants…)2. Les pupilles de l’État élevés par le service de l’Aide sociale à l’enfance jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire échappent également à l’obligation légale, à moins que les frais d’entretien occasionnés par le pupille remis ultérieurement à ses parents n’aient été remboursés au département3. En outre, la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l’enfance4 exonérait « les enfants (…) retirés de leur milieu familial par décision judiciaire durant une période d’au moins trente-six mois cumulés au cours des douze premières années de leur vie ». Cette disposition se révélait décevante pour les anciens enfants placés au titre des mesures d’assistance éducative de l’article 375-3 du Code civil lorsque le placement intervenait après l’âge de 12 ans, à cheval entre 11 et 13 ans ou que la période de placement était inférieure à 36 mois. Rappelons que le placement est la mesure de dernier recours en matière de protection de l’enfance : le principe étant que l’intervention judiciaire est subsidiaire par rapport aux mesures administratives5 et que, une fois saisi, le juge des enfants privilégiera l’assistance éducative en milieu ouvert6. Grâce à la loi du 8 avril 2024, désormais tous les mineurs, quel que soit leur âge, ayant fait l’objet d’une mise à l’abri par le juge des enfants seront dispensés de l’obligation alimentaire à condition néanmoins que le placement ait duré 36 mois. Cette limitation appelle deux remarques : la première est qu’il arrive fréquemment que l’intervention judiciaire soit très tardive et que le juge des enfants se retrouve face à une situation déjà très dégradée, l’enfant ayant peut-être bénéficié de plusieurs années de mesures administratives. Or, si le mineur est déjà âgé de plus de 15 ans, la condition de durée de placement ne pourra être remplie. La seconde est que si la protection de l’enfance concerne aussi les jeunes majeurs et qu’elle se matérialise même par une continuité de la prise en charge pour les 18-21 ans dès lors qu’ils ont déjà été pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance et qu’ils ne disposent pas de ressources ou un soutien familial suffisant7, l’exonération prévue à l’article L. 132-6 du Code de l’action sociale et des familles ne leur est pas applicable. Toutefois, bien que la dispense de contribution financière ne soit pas facilitée par l’application automatique des dispositions de cet article, les enfants malmenés par leurs parents pourront se prévaloir de l’article 207 du Code civil qui concerne plus globalement les situations où le créancier d’aliments aura manqué gravement à ses obligations et compter sur le pouvoir d’appréciation du juge aux affaires familiales pour être dispensés d’une quelconque participation financière. Par ailleurs, l’article L. 132-6 du Code de l’action sociale et des familles s’enrichit d’une nouvelle situation de dispense dans la droite ligne de la lutte contre les violences intrafamiliales visant « les enfants dont l’un des parents est condamné comme auteur, co-auteur ou complice d’un crime ou d’une agression sexuelle commis sur la personne de l’autre parent ». Il peut sembler d’abord surprenant que la formulation ne vise que les crimes ou agressions sexuelles commis sur la personne de l’autre parent et non sur l’enfant lui-même mais en réalité, depuis 20208, le législateur avait déjà complété la liste des dispensés en ajoutant à l’article 207 du Code civil l’alinéa suivant : « En cas de condamnation du créancier pour un crime commis sur la personne du débiteur ou l’un de ses ascendants, descendants, frères ou sœurs, le débiteur est déchargé de son obligation alimentaire à l’égard du créancier ». Or, si la modification de 2020 nous semblait déjà inutile9 comptant sur le bon usage de la formulation générale de l’alinéa 2 de l’article 207 du Code civil par le juge face à des situations dramatiques, l’ajout de 2024 l’est encore plus dans la mesure où le nouveau texte vise une situation encore plus restrictive que celle de 2020. Au-delà de contribuer à la surabondance de texte, la place même de cette situation de dispense n’apparaît pas cohérente : les dispositions de l’article L. 132-6 du Code de l’action sociale et des familles ne sont utilisées que dans le cadre d’une demande d’aide sociale, tandis que l’article 207 du Code civil peut être évoqué à l’occasion de toute sollicitation d’obligation alimentaire. Faudrait-il en conclure que dans le cadre d’une demande d’aide sociale, seuls les cas de dispense de l’article L. 132-6 du Code de l’action sociale et des familles peuvent être invoqués et non l’article 207 du Code civil ? Certainement pas.

De plus, le législateur avait déjà prévu que, si dispense il y avait au titre de l’article L. 132-6 du Code de l’action sociale et des familles, elle s’appliquait aussi par ricochet aux descendants des enfants, soit les petits-enfants, les arrière-petits-enfants, etc. contribuant à laisser une zone d’ombre quant aux descendants des enfants dispensés au titre d’une autre disposition du Code civil. En 2024, ce texte est transformé : désormais la dispense s’étend « aux descendants des enfants et des petits-enfants ». D’une part, rappelons au législateur que les descendants des petits-enfants sont aussi les descendants des enfants d’où une précision inutile et d’autre part, que le texte de l’article L. 132-6 du Code de l’action sociale et des familles évoqué à l’occasion particulière d’une demande d’aide sociale prévoit déjà une dispense des petits-enfants qui sera évoquée en seconde partie. En réalité, il aurait mieux valu au sein de l’article 207 du Code civil prévoir qu’en cas de manquement grave du créancier d’aliments la dispense s’applique au débiteur d’aliments mais aussi à ses descendants et à son conjoint, ce qui éviterait des redondances inutiles et clarifierait la situation des proches de la victime reconnue10.

II – L’exclusion des petits-enfants en tant que débiteurs d’aliments dans le cadre de l’aide sociale à l’hébergement des personnes âgées

Lorsqu’une personne âgée11 entre en établissement et que ses ressources ne lui permettent pas de couvrir la totalité du coût de l’hébergement, elle a la possibilité de solliciter de l’aide sociale auprès des services départementaux12. L’autorité départementale pourra alors prendre en charge le différentiel entre les frais d’hébergement et la capacité contributive du résident13. Cette solidarité collective est subsidiaire : la solidarité familiale prime14. Comme déjà indiqué, l’article L. 132-6 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que les obligés alimentaires sont invités à indiquer l’aide qu’ils peuvent apporter au postulant à l’aide sociale, adaptation du principe plus général posé par l’article 205 du Code civil. En l’absence de barème national, chaque collectivité départementale détermine ses propres critères de fixation de la participation alimentaire, voire sa propre liste de débiteurs d’aliments : certains départements sollicitent seulement les enfants, d’autres ajoutent les gendres et belles-filles, voire interpellent les petits-enfants du postulant à l’aide sociale, sachant qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les débiteurs d’aliments15. En fonction du domicile de secours dont dépend le créancier d’aliments16, les obligés alimentaires reçoivent donc un traitement différencié. La loi du 8 avril 2024 rétablit une égalité de traitement à l’égard des petits-enfants : ils sont désormais dispensés d’office d’une quelconque participation financière (et leurs propres descendants également)17, indépendamment du comportement du créancier d’aliments. Cette exonération qui semble assurer aux petits-enfants la conservation d’un certain pouvoir d’achat en ne multipliant pas les potentiels créanciers d’aliments au vu de l’allongement de la durée de vie des individus18, n’est pas sans susciter là aussi quelques remarques ou interrogations. D’abord, elle remet en cause directement la subsidiarité de l’aide sociale par rapport à la solidarité familiale. Si les situations de mauvais traitements de la part du créancier d’aliments doivent permettre une dispense d’obligation alimentaire, le rétrécissement de la liste des débiteurs d’aliments a désormais lieu quel que soit le lien d’affection unissant le petit-enfant à ses grands-parents, voire même le lien financier, si l’on pense aux dispositions fiscales favorables aux donations des grands-parents vers leurs petits-enfants ou dans le cadre de la renonciation d’enfants à la succession de leurs parents au profit de leurs propres enfants. Ensuite, elle implique une dépense plus importante pour les départements qui avaient choisi de faire appel à la contribution des petits-enfants en augmentant le reste à couvrir existant entre les ressources de la personne âgée hébergée en établissement et le coût des frais d’entretien et d’hébergement, le tout dans un contexte d’augmentation des dépenses d’aide sociale19 mais de diminution des recettes liées au ralentissement du marché de l’immobilier20. Enfin, des questions se posent lorsque l’obligation alimentaire a été fixée par jugement indépendamment de la sollicitation de l’aide sociale départementale21. En effet, peuvent saisir le juge aux affaires familiales le créancier d’aliments lui-même, son représentant légal22 mais également l’établissement social ou médico-social23 ou l’établissement de santé24 dans lequel la personne âgée est hébergée et, dans ce cas, les petits-enfants restent tenus de participer en application de l’article 205 du Code civil. Face à un jugement fixant une participation alimentaire des petits-enfants au profit du créancier d’aliments, de son tuteur ou de l’établissement d’hébergement de la personne âgée, que doivent faire les départements ? Restreindre la prise en compte du jugement à la seule participation des enfants, gendres ou belles-filles ou considérer que, comme ce ne sont pas eux qui sont à l’origine de la saisine du juge aux affaires familiales, il convient de prendre en compte également la participation des petits-enfants dans le calcul de l’aide sociale ? Le législateur ne semble pas avoir envisagé cette hypothèse. Il aurait peut-être été plus judicieux de maintenir la participation financière des petits-enfants dans le cadre d’une demande d’aide sociale mais de les considérer comme des débiteurs subsidiaires, avec des ressources mobilisables seulement si celles des enfants, gendres et belles-filles ne s’avèrent pas suffisantes.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2024-317, 8 avr. 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l’autonomie : JO, 9 avr. 2024.
  • 2.
    C. civ., art. 379, al. 2. Cette disposition a été introduite par la loi n° 70-459 du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale : JO, 5 juin 1970, p. 5227.
  • 3.
    CASF, art. L. 228-1, al. 2. La liste des enfants ayant la qualité de pupilles de l’État se trouve à l’article L. 224-1 du Code de l’action sociale et des familles.
  • 4.
    L. n° 2007-293, 5 mars 2007, réformant la protection de l’enfance : JO, 6 mars 2007, p. 4215.
  • 5.
    M.-H. Calvet, « Du cadre en protection de l’enfance », Enfances & Psy 2008/3, n° 40, p. 48.
  • 6.
    C. civ., art. 375-2.
  • 7.
    CASF, art. L. 222-5, 5°, et avant dernier alinéa.
  • 8.
    L. n° 2020-936, 30 juill. 2020, visant à protéger les victimes de violences conjugales : JO, 31 juill. 2020.
  • 9.
    A. Niemiec, « Proposition de loi visant à protéger les victimes des violences conjugales et obligation alimentaire », LPA 9 oct. 2020, n° LPA155z9.
  • 10.
    A. Niemiec, « L’aide sociale à l’hébergement des personnes âgées sous le prisme de l’obligation alimentaire : des règles à revoir ? », Actu-Juridique.fr, 17 janv. 2023, n° AJU006a5.
  • 11.
    La personne est dite « âgée » lorsqu’elle a atteint l’âge de soixante-cinq ans ou l’âge de soixante ans et qu’elle est reconnue inapte au travail (CASF, art. L. 113-1).
  • 12.
    CASF, art. L. 131-1 et s.
  • 13.
    CASF, art. L. 132-1 et s.
  • 14.
    En revanche, lorsque la personne hébergée a le statut de « personne en situation de handicap » (CASF, art. L. 241-1), il n’y a pas d’obligation alimentaire dans le cadre de l’aide sociale à l’hébergement (CASF, art. L. 344-5, 2°, et CASF, art. L. 344-5-1).
  • 15.
    Cass. civ., 2 janv. 1929 : S. 1929, 1, p. 185, note A. Audinet – Cass. 1re civ., 25 avr. 2007, n° 06-12.614 : Bull. civ. I, n° 155 ; AJ fam. 2007, p. 269, obs. F. Chénédé ; D. 2007, AJ, p. 1428 ; Dr. famille 2007, comm. 147, p. 30, note P.-Y. Ardoy ; JCP G 2007, II 10167, p. 21, note J.-F. Eschylle ; RJPF 2007/8, n° 38, p. 31, obs. S. Valory ; RTD civ. 2007, p. 558, note J. Hauser.
  • 16.
    CASF, art. L. 131-1 et s.
  • 17.
    CASF, art. L. 132-6, 3°.
  • 18.
    Même si les capacités contributives de chaque débiteur d’aliments atteignent nécessairement un plafond.
  • 19.
    DREES, Dépenses d’aide sociale des départements : la hausse se poursuit en 2022 dans un contexte d’inflation élevée, 30 avr. 2023, https://lext.so/HByC1w.
  • 20.
    Une partie des recettes des départements est liée aux droits de mutation à titre onéreux. V. P. Tessier et Y. Chérel Mariné, « Baisse des DMTO, les départements réduisent les aides et les investissements », Gazette des Communes, 26 janv. 2024.
  • 21.
    CASF, art. L. 132-7.
  • 22.
    C. civ., art. 475.
  • 23.
    CASF, art. L. 314-12-1.
  • 24.
    CSP, art. L. 6145-11.
Plan