Iman Karzabi : « 20 % des violences conjugales concernent les 20-24 ans en Île-de-France » !

Publié le 08/12/2023

Pour agir contre les violences faites aux femmes, il faut d’abord les connaître et les comprendre. C’est le pari de l’Observatoire régional des violences faites aux femmes, adossé au centre de ressources francilien en faveur de l’égalité femmes-homme Hubertine Auclert. Cette structure, la première en France au niveau régional, fête ses dix ans d’existence. L’occasion de dresser le bilan de son action avec Iman Karzabi, responsable de l’Observatoire. Rencontre.

Actu-Juridique : Comment est né l’Observatoire régional des violences faites aux femmes ?

Iman Karzabi : Ce premier observatoire à dimension régionale en France est né en novembre 2013 de la synergie de la société civile et des élus d’Île-de-France. À l’époque existait déjà l’Observatoire départemental de la Seine-Saint-Denis qui avait montré toute l’importance d’observer et d’agir. L’Observatoire régional s’est inspiré de cette démarche : observer pour agir. Il s’est créé autour de trois missions prioritaires : renforcer la connaissance sur les violences faites aux femmes, accompagner et mettre en réseau les actrices et acteurs franciliens, et enfin sensibiliser les professionnels et le grand public à la lutte contre ces violences systémiques. Dans un premier temps, l’Observatoire produit des chiffres, des études, des enquêtes. Il fait ensuite des préconisations aux pouvoirs publics, propose des formations et des référentiels pour les professionnels, et met en place des campagnes de sensibilisation. Il est reconnu comme maillon important de la lutte contre les violences faites aux femmes.

AJ : Pourquoi fallait-il un Observatoire en Île-de-France ?

Iman Karzabi : La région a des spécificités et les dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes doivent en tenir compte pour être en adéquation avec les besoins. Par exemple, en Île-de-France, la population est plus jeune que dans d’autres régions. Nos enquêtes ont montré que les jeunes femmes sont surexposées aux violences sexistes et sexuelles, y compris au sein du couple. Cela va à l’encontre des représentations générales que l’on peut avoir sur les victimes de violences conjugales, que l’on imagine plus âgées, avec des enfants. Ainsi, les statistiques que nous avons collectées indiquent que 20 % des violences conjugales concernent les 20-24 ans en Île-de-France. Pour nombre d’entre elles, il s’agit d’une première relation. Ces données ont permis d’adapter les dispositifs. Aujourd’hui, en Île-de-France, il y a des dispositifs d’accompagnements à destination des jeunes femmes, qui peuvent avoir plus de mal à franchir la porte de structures qui s’adressent à des femmes plus âgées. Autre spécificité de l’Île-de-France : l’utilisation des transports en commun et la mobilité dans l’espace public, plus forte qu’ailleurs. L’enquête nationale Virage, produite par l’Ined en 2015, montre que les violences sexistes et sexuelles y sont commises très fréquemment. En Île-de-France, où le recours aux transports est quotidien, ces agressions sont importantes : 37 % des Franciliennes de 20 à 65 ans et 68 % des Franciliennes de 20 à 25 ans déclarent au moins un fait de violences, comme le harcèlement sexuel, dans l’espace public dans l’année. Nous avons porté ces chiffres à la connaissance de la Région qui a agi de plusieurs manières : en mettant en place des campagnes d’affichage et des messages sonores pour présenter le 3117, numéro spécifique pour les violences sexuelles dans les transports, et en proposant des formations spécifiques aux agents qui peuvent venir les premiers sur les lieux où sont commises ces violences.

AJ : Quel est le rôle des collectivités locales ?

Iman Karzabi : Il est essentiel du fait de leur proximité avec les habitantes. Le territoire francilien est riche en collectivités investies sur le sujet des violences faites aux femmes. Ces collectivités, membres de l’Observatoire régional, sont des laboratoires d’expérimentation. Elles sont en synergie et partagent leurs retours d’expérience et bonnes pratiques au sein du réseau de territoire francilien que nous animons. Il compte plusieurs observatoires : celui de la Seine-Saint-Denis, pionnier, s’est inspiré de dispositifs internationaux comme l’ordonnance de protection ou le téléphone grave danger, qui ont démontré leur pertinence dans le département et sont ensuite devenus nationaux. D’autres départements se sont également dotés d’observatoires plus : récemment : on en trouve à Paris, dans le Val-de-Marne et dans les Hauts-de-Seine. Il en existe également à l’échelle municipale, à Fontenay-sous-Bois ou Corbeil-Essonnes, par exemple. Il y a également de plus en plus de maisons des femmes, qui réunissent en un lieu unique tous les professionnels qui interviennent pour aider les femmes victimes de violences.

AJ : Quels ont été les principaux rapports de l’Observatoire ?

Iman Karzabi : Notre rôle est de défricher des sujets peu explorés, sur lesquels apporter de la connaissance peut renforcer les politiques publiques. Nous avons produit en 2021 un rapport important sur l’inceste, sujet qui reste encore tabou. Il a mis en évidence l’importance de renforcer les dispositifs de prévention et de formation. Avec le soutien de la Région, nous avons envoyé des affiches dans tous les lycées et mis en place un site internet expliquant les dispositifs d’aide et de soutien. Nous avons coordonné une formation suivie par des professionnels de l’Éducation nationale et des structures jeunesses soucieux de mieux recueillir la parole des victimes. Nous avons étudié les cyberviolences à caractère sexiste et sexuel et rendu visible un constat très important : 9 victimes de violences conjugales sur 10 subissent des cyberviolences, qui vont de l’envoi massif de SMS insultant jusqu’à la cybersurveillance par le biais de logiciels espions ou de caméras connectées. Les logiciels espions, installés sur le téléphone de la victime, permettent non seulement d’avoir accès à tous ses échanges de mail et de SMS, mais aussi d’activer à distance des caméras et des enregistrements audios du téléphone. Ces logiciels ont une existence légale car certains types de surveillance sont autorisés par la loi, par exemple dans le cadre professionnel. Nous préconisons qu’ils indiquent sur leur site que cet usage, pour contrôler une personne à son insu, est interdit. Nous avons également cherché à comprendre leur fonctionnement pour apporter des conseils de protection aux victimes : en effet, des antivirus habituels permettent de les détecter, mais la victime doit savoir que l’agresseur sera notifié de la suppression. Nous continuons à défricher des sujets en lien avec les cyberviolences sexistes et sexuelles et avons lancé une nouvelle étude sur ces violences et les LGBT phobies dans les espaces scolaires dont les résultats seront publiés fin 2024.

AJ : Qu’est-ce qui a changé depuis 10 ans, date de la création de l’Observatoire ?

Iman Karzabi : Il y a eu beaucoup de changements en dix ans. La mobilisation contre les violences faites aux femmes est croissante. Nos publications sont plébiscitées, des dispositifs tels que l’ordonnance de protection et le téléphone grave danger ont été renforcés. La parole des femmes victimes qui existe depuis des décennies est enfin mieux entendue. C’est très positif. Les femmes signalent de plus en plus ces violences aux autorités publiques et aux professionnels. Cependant, il est nécessaire que les politiques publiques continuent à s’adapter à cette évolution : le récent rapport de la Fondation des femmes a démontré que ces femmes victimes ont aujourd’hui plus de mal qu’avant Metoo à trouver une aide ou un hébergement d’urgence car ceux-ci sont débordés de demandes. D’où l’importance de renforcer les budgets consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes.

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