Intérêt du majeur protégé et désignation du tuteur

Publié le 19/12/2022
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En privilégiant la désignation d’un professionnel mandataire judiciaire à la protection des majeurs au détriment d’un membre de la famille du protégé désigné par le mandat de protection future, la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle la primauté à accorder à l’intérêt du majeur protégé.

Cass. 1re civ., 13 juill. 2022, no 20-20863

1. Le juge du contentieux de la protection statuant en matière des tutelles peut-il refuser de nommer le membre de la famille du majeur protégé désigné par le mandat de protection future en qualité de tuteur au profit d’un mandataire judiciaire à la protection des majeurs ? Telle a été la question soulevée devant la première chambre civile de la Cour de cassation le 13 juillet 20221. Par arrêt de rejet, la haute juridiction a répondu par l’affirmative. D’après cette dernière, l’intérêt de la majeure protégée commandait de confier l’exercice de la tutelle à une personne extérieure à la famille. L’analyse de cette décision requiert de rappeler brièvement les faits ayant donné lieu au contentieux. Madame O. est placée sous curatelle simple depuis le 1er décembre 2015. Par jugement rendu le 8 février 2018, sa curatelle simple est transformée en curatelle renforcée. En date du 29 avril 2019, l’UDAF du département de l’Ain, désignée curatrice de Madame O., sollicite une aggravation de la mesure de protection c’est-à-dire le prononcé d’une mesure de tutelle. C’est alors que la fille de la majeure protégée, Madame D., demande à être désignée tutrice. Le litige est porté devant la cour d’appel de Lyon. Pour Madame D., sa désignation en qualité de tutrice de sa mère est justifiée. En effet, cette désignation est conforme au mandat de protection future signée le 29 octobre 1994 entre sa mère et elle. En tant que telle, cette désignation s’impose au juge, conformément à la loi. En revanche, selon les appelants – notamment l’UDAF et les autres enfants –, cette désignation n’a pas lieu d’être, car il existe un conflit notoire opposant ses enfants, lequel conflit a un impact sur la santé de Madame O. Par arrêt du 30 juillet 2020, la cour d’appel souligne que « l’intérêt de la majeure protégée commandait toujours de confier l’exercice de la tutelle à une personne extérieure à la famille ». Cette solution est approuvée par la première chambre civile de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi formé. Cette décision rendue par la haute juridiction apparaît importante (I) du fait qu’elle met en avant le rôle majeur d’un organisme tutélaire extérieur à la famille du protégé dans la gestion d’une mesure de protection. Cette décision nous semble également pertinente (II) compte tenu du fait qu’elle privilégie l’intérêt du majeur protégé.

I – L’importance de la décision

2. Le dispositif de l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation est clair et précis. En rejetant le pourvoi formé par la fille de la majeure protégée, la Cour de cassation marque une indifférence (A) à la désignation de celle-ci en qualité de protectrice suivant les termes du mandat de protection future. Cette attitude a eu pour corollaire la désignation d’un organisme tutélaire extérieur, signe d’objectivité et de professionnalisme de celui-ci (B).

A – L’indifférence de la désignation faite par le mandat de protection future

3. Le mandat de protection future est une innovation de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007. Inscrite aux termes de l’article 477 et suivants du Code civil, c’est une convention qui permet à chacun d’organiser les conséquences d’une altération de ses facultés mentales, en évitant l’ouverture d’une mesure judiciaire de protection des majeurs2. Une personne proche est alors désignée par le mandat de protection. C’est elle qui sera chargée d’assurer la gestion de la personne et du patrimoine du futur protégé. Dans le cadre de l’affaire soumise devant la Cour de cassation, la fille de la future majeure protégée avait été désignée le 29 octobre 2014 suivant les termes du mandat de protection future. La question qui mérite d’être soulignée à ce niveau est la suivante : le mandat avait-il déjà été mis en exécution ? Si aucun élément d’information ne permet de confirmer ou d’infirmer la mise en exécution du mandat de protection future, il est toutefois notable de souligner qu’à partir de décembre 2015, Madame D. avait été placée sous protection judiciaire. La situation demeure ambivalente. Aussi, d’après l’article 483-1 du Code civil, « le mandat mis en exécution prend fin par (…) son placement sous une mesure de protection (…) » sauf décision contraire du juge. En revanche, d’après l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 4 janvier 20173, en l’absence de mise à exécution du mandat lors de l’ouverture de la curatelle, cette mesure n’a pas pour but d’y mettre fin.

Quoi qu’il en soit, d’après les faits du litige, les mesures de curatelle concernant Madame D. se sont succédé d’une part, et d’autre part, des conflits et mésententes d’ordre familial portant manifestement atteinte à l’intérêt de la majeure protégée ont été révélés. Ceci n’a aucunement contribué à la sauvegarde des droits et intérêts de la majeure protégée. D’où l’indifférence de la Cour de cassation vis-à-vis des termes du mandat de protection future, en l’occurrence la désignation d’un organisme extérieur à la famille.

B – La désignation d’un organisme tutélaire extérieur à la famille

4. Dès qu’il est saisi d’une procédure de mise sous protection judiciaire, le juge du contentieux de la protection statuant en matière de tutelles se fonde sur des moyens de droit pour prendre sa décision. Cette dernière n’occulte guère la situation et les faits réels qui lui ont été soumis. La décision rendue dans le cadre de l’affaire du 13 juillet 2022 est importante. Les juges ont bel et bien tenu compte de l’altération des facultés telle qu’indiquée par l’article 425 du Code civil. Ils ont exclu la fille de la majeure protégée parce qu’il existait un conflit manifeste dans la fratrie concernant aussi bien la gestion du patrimoine que la gestion de la personne de Madame D.

Dans cette affaire, l’UDAF de l’Ain a donc été désignée. Au-delà de ce conflit de famille, qu’est ce qui fonde la désignation d’un organisme tutélaire ? La réponse à cette question requiert de rappeler les termes de la décision de la Cour : l’intérêt de la majeure protégée commandait de confier « l’exercice à une personne extérieure à la famille ». En qualité d’organisme tutélaire, l’UDAF de l’Ain est une personne morale externe à la famille de Madame D. En d’autres termes, cet organisme ne dispose pas de rapports ou liens avec les membres de la famille, gage de son objectivité dans l’exercice de la mission qui est la sienne. Par ailleurs, comme tout organisme tutélaire, l’UDAF est une structure professionnelle qui travaille avec des procédés notoires4. Lui confier l’exercice d’une mesure de protection au détriment d’un membre proche de la famille, fût-il désigné par le mandat de protection, nous semble parfaitement justifié. En effet, au-delà d’exercer convenablement la mesure de tutelle de Madame D. suivant les règles professionnelles, l’UDAF de l’Ain aurait la faculté d’assurer, par exemple, la médiation au sein de cette famille désunie et ce, pour l’éventuel bien-être de leur ascendante.

5. Au regard de ce qui précède et au vu du contexte, la décision qui confie l’exercice de la tutelle à un organisme tutélaire extérieur à la famille apparaît importante. En préservant l’intérêt de la majeure protégée, cette décision est également pertinente.

II – La pertinence de la décision

6. En rejetant le pourvoi formé, la première chambre civile de la Cour de cassation a repris la motivation des juges de la cour d’appel de Lyon : « L’intérêt de la majeure protégée commandait toujours de confier l’exercice de la tutelle à une personne extérieure à la famille ». Cette motivation soulève une interrogation majeure. À quoi renvoie l’intérêt de la majeure protégée ? Le concept « intérêt » peut être appréhendé sous un double angle : l’intérêt patrimonial (B) et l’intérêt personnel (A).

A – L’intérêt personnel de la majeure protégée

7. Afin de mettre en lumière sa prétention, la demanderesse au pourvoi a excipé la violation, par la cour de Lyon, de l’article 448 du Code civil qui impose au juge statuant en matière des tutelles la désignation de la personne indiquée dans un mandat de protection future. Ce texte de loi, qui est légitime dans son fondement, admet cependant des exceptions. La personne désignée ne pourra pas assurer le mandat de protection future si elle le refuse, si elle est dans l’impossibilité de le faire, et enfin, si l’intérêt de la personne protégée commande d’écarter sa mission. L’intérêt ici est double : patrimonial et personnel.

L’intérêt de la majeure protégée a un caractère personnel lorsque sa vie, sa personne, son quotidien et surtout sa santé sont mis à mal. Rappelons-le, la personne protégée est mise sous protection du fait de la dégradation de son état de santé liée à l’altération de ses facultés soit mentales, soit corporelles.

Dans l’espèce rapportée, Madame D. avait plusieurs enfants et la désignation d’une de ses filles, Madame O., a été une source de conflit grave : il y avait en effet mésentente au sein de la fratrie s’agissant des soins à prodiguer à Madame D.

Dans la même lancée, il est important de souligner qu’à l’initiative de sa fille, la majeure protégée a changé plusieurs fois de lieu d’hébergement, ce qui a eu un impact négatif sur son état de santé. Cette instabilité de lieu d’hébergement aurait dégradé son état de santé en lien avec sa pathologie.

Au regard de ce qui précède, il convient de s’interroger : la fille désignée par le mandat de protection future est-elle animée, dans ses agissements, de l’intention de nuire à la majeure protégée ? Aucunement. Au contraire, généralement, les proches, familles et aidants des personnes protégées s’investissent pleinement pour le bien-être des protégés. Toutefois, dans le cas d’espèce, en raison de l’environnement familial et du contexte dans lequel évolue la protégée, la décision d’exclure la désignation de Madame O. au profit d’un organisme tutélaire extérieur à la famille demeure pertinente afin de préserver le patrimoine de la protégée.

B – L’intérêt patrimonial de la majeure protégée

L’article 425 du Code civil édicte un principe fondamental. La personne qui est dans l’impossibilité de défendre seule ses intérêts en raison de l’altération de ses facultés mérite de bénéficier d’une mesure de protection judiciaire. L’alinéa 2 de ce texte de loi apporte une précision importante : « La mesure est destinée à la protection tant de la personne que des intérêts patrimoniaux de celle-ci (…). » Il convient alors de relever que la problématique de l’intérêt patrimonial d’une personne protégée est centrale. Une personne dite vulnérable est protégée au même titre que son patrimoine. En ce qui concerne la protection de son patrimoine, elle est faite à l’ouverture de la mesure de protection5, durant l’exécution de la mesure de protection6 et à la fin de la mesure de protection7. Les juges de la première chambre civile de la Cour de cassation, dans l’affaire rendue le 13 juillet 2022, le soulignent dans leur motivation : « Le conflit grave portant sur la gestion du patrimoine de Madame D. (…) continuait d’opposer ses enfants (…). » De ce qui précède, il apparaît donc que l’opposition des enfants de la majeure protégée était continuelle sur la question de la gestion de son patrimoine. Une telle situation n’aurait-elle pas conduit la haute juridiction à maintenir Madame O. comme tutrice légale de sa mère et un membre de la famille (sœur ou frère) opposé à Madame O. comme subrogée curatrice ou subrogé curateur ? Ceci aurait mis en place un contrôle réciproque du patrimoine de Madame O. par les membres de sa famille. La logique de la Cour de cassation a été différente. D’après cette dernière, il était indispensable d’exclure le membre de la famille désigné comme tuteur de la protégée, ce qui préserve véritablement l’intérêt du majeur protégé de manière générale et l’intérêt patrimonial de manière spécifique.

En conclusion, cette décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation présente un intérêt avéré vu sous le prisme du protecteur et/ou sous le prisme du protégé. En tant que telle, elle emporte notre totale adhésion. Primo, la décision est conforme à la législation applicable en matière tutélaire. Elle constitue une bonne application de l’article 448 du Code civil. Secundo, la décision privilégie « l’intérêt » de la personne protégée. Cet intérêt, rappelé par la même juridiction8, est quelquefois mis en difficulté par les proches et familles de cette personne. Tertio, la décision valorise les missions et, de manière indirecte, l’investissement9 quotidien des organismes tutélaires10 œuvrant pour les personnes protégées.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 13 juill. 2022, n° 20-20863 : AJ fam, p. 441, note V. Montourcy.
  • 2.
    P. Courbe et F. Jault-Seseke, Droit des personnes, de la famille et des incapacités, 11e éd., 2020, Dalloz, p. 208.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 4 janv. 2017, n° 15-28669 : D. 2017, p. 191, note D. Noguero ; JCP 2017, n° 200, note N. Peterka.
  • 4.
    Les procédés et outils en interne et les procédés en externe.
  • 5.
    À l’ouverture, l’on peut citer le mécanisme de l’inventaire des biens mobiliers et des biens immobiliers dans un délai déterminé. À ceci, il faut adjoindre les procédés FICOBA et FICOVIE.
  • 6.
    Durant l’exécution de la mesure, on pourrait évoquer l’actualisation des biens du protégé, les comptes annuels de gestion, etc.
  • 7.
    À la fin de la mesure, notamment au transfert ou à la main levée, il faudra remettre les derniers comptes de gestion…
  • 8.
    Cass. 1re civ., 2 avr. 2014, n° 13-10758 – C. Gamaleu Kameni, « Entre l’intérêt du majeur protégé et le maintien de sa relation familiale : la Cour de cassation opère un choix ! », LPA 11 déc. 2021, n° LPA157v0, note ss Cass. 1re civ., 24 juin 2020, n° 19-15781 – Cass. 1re civ., 27 juin 2018, n° 17-20911, F-PB : BPAT 5/18, inf. 196.
  • 9.
    Il n’est pas excessif de parler de professionnalisme.
  • 10.
    Les UDAF et les associations tutélaires.
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