La confiscation pénale d’un bien commun est susceptible de faire naître un droit à la récompense pour la communauté

Publié le 19/02/2021

Les biens communs d’époux mariés sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts, saisis puis confisqués, dépendent de leur communauté. Ils appartiennent donc en commun aux époux tant que la liquidation de la communauté n’est pas intervenue, si bien qu’il ne peut être déterminé la quote-part de chacun des époux sur les biens communs aux fins de restitution au profit de l’époux non condamné.

Cass. crim., 9 sept. 2020, no 18-84619, ECLI:FR:CCAS:2020:CR01342, FS–PBI

Lien original entre le droit civil et le droit pénal. Le droit des régimes matrimoniaux connaît des échos nombreux en droit pénal, notamment autour des dettes délictuelles commises par un époux commun en biens. L’espèce1 concerne le sort d’un bien commun appartenant pour moitié en pleine propriété à un époux marié sous le régime de la communauté légale réduite aux acquêts et coupable d’abus de confiance. La cour d’appel a ordonné la confiscation à titre de produit indirect de l’infraction d’un appartement situé à Rennes, ainsi que d’une maison d’habitation située à Vern-sur-Seiche, appartenant au condamné et à Mme X son épouse. En effet, la cour d’appel de Rennes a « limité les effets de la confiscation des immeubles saisis à la seule quote-part indivise de M. Y et a ordonné la restitution à Mme Y des droits indivis qu’elle détient sur lesdits immeubles ». Le procureur général près la cour d’appel de Rennes forme un pourvoi en cassation pour violation de la loi2 en estimant que « les biens saisis puis confisqués dépendent de leur communauté et appartiennent donc en commun aux époux, que, tant que la liquidation de la communauté n’est pas intervenue, il ne peut être déterminé la quote-part de chacun des époux sur les biens, que, en limitant les effets de la confiscation à la seule quote-part indivise de M. Y et en ordonnant la restitution à Mme Y de ses droits indivis sur les biens immobiliers communs confisqués, la cour a procédé à une liquidation anticipée partielle de la communauté alors même que celle-ci n’est pas dissoute ». La Cour de cassation censure les juges du fond aux visas des articles 131-21 du Code pénal, 1417, 1441 et 1467 du Code civil en considérant qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que les immeubles confisqués constituaient des biens communs, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés. On sait que lorsque le bien confisqué constitue un bien indivis appartenant à la personne condamnée et à un tiers, ce bien est dévolu en situation d’indivision à l’État, de sorte que les droits du tiers de bonne foi sont préservés3. En revanche, lorsque le bien confisqué constitue un bien commun à la personne condamnée et à son conjoint, le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs (I). Pour autant, cette dévolution ne méconnaît pas les droits de l’époux non condamné pénalement, puisqu’un droit à récompense pour la communauté lors de la dissolution de celle-ci est possible (II).

I – Bien commun confisqué durant le fonctionnement du régime de la communauté légale réduite aux acquêts

Obligation à la dette. En application de l’article 1413 du Code civil, le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs (A). Ce faisant une dette commune née d’une infraction pénale commise par un seul époux est poursuivie sur les biens communs (B).

A – Application de l’article 1413 du Code civil

L’article 1413 du Code civil et les exceptions prévues aux articles 1414 et 1415 dudit code. L’article 1413 du Code civil précise que le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, sauf la récompense due à la communauté s’il y a lieu, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier. L’article 1413 du Code civil a vocation à jouer, en principe, pour toutes les dettes nées pour quelque cause que ce soit durant la communauté sauf trois exceptions. À titre d’illustration le tableau suivant indique les exceptions à la règle.

Dette commune

Dette propre

Article 1413 du Code civil : Fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier.

Non

Oui

Article 1414 du Code civil : Obligation non solidaire au regard de l’article 220 du Code civil.

Non

Oui

Article 1415 du Code civil : Un cautionnement ou un emprunt contracté sans le consentement exprès de l’autre conjoint n’engage pas ses biens propres.

Non

Oui

Symétrie entre la gestion active et passive de la communauté. L’absence de personnalité morale de la communauté entre époux rend complexe le sort des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté. Il en résulte que les dettes communes sont celles que l’époux a fait entrer en communauté4. En effet, l’article 1418 du Code civil énonce que lorsqu’une dette est entrée en communauté du chef d’un seul des époux, elle ne peut être poursuivie sur les biens propres de l’autre. On sait que les sociétés jouissent de personnalité morale dès leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Ainsi les associés de SARL ne sont responsables qu’à hauteur de leur apport si bien que leur patrimoine personnel est protégé vis-à-vis des créanciers de la société5. En revanche, en matière matrimoniale, les créanciers de la communauté bénéficient d’un droit de poursuite (droit de gage maximal) qui s’étend généralement sur les biens de la communauté mais également sur les biens propres de l’époux débiteur6. En d’autres termes, comme le relève Janine Revel : « chacune des masses propres a un propriétaire qui a sur ses biens des droits et pouvoirs exclusifs ; la masse commune a deux gérants qui ont vocation à la partager à la dissolution du régime matrimonial. Or, une dette est toujours par une personne, l’un ou l’autre des époux, ou les deux ensembles : elle ne peut jamais l’être par la communauté qui n’a pas la personnalité »7. L’absence de personnalité juridique de la communauté matrimoniale implique une symétrie entre la gestion active et passive de la communauté. Le pouvoir dont dispose chacun des époux pour accomplir seul un acte sur les biens communs a pour corollaire d’engager ces mêmes biens8.

B – Dette commune née d’une infraction commise par un seul époux

Dettes délictuelles. Constituant le passif provisoire de la communauté et partant de la contribution à la dette, l’article 1417, alinéa 1, du Code civil prévoit que la communauté a droit à récompense, déduction faite, le cas échéant, du profit retiré par elle, quand elle a payé les amendes encourues par un époux, en raison d’infractions pénales, ou les réparations et dépens auxquels il avait été condamné pour des délits ou quasi-délits civils. En l’espèce, M. Y a été condamné pour une infraction d’abus de confiance dont la peine complémentaire a consisté en la confiscation d’un appartement et d’une maison appartenant au condamné et à sa femme, mariés sous le régime de la communauté légale réduite aux acquêts.

Impossibilité d’individualiser les droits des époux avant la dissolution du régime matrimonial. Pour autant, les juges rennais ont limité les effets de la confiscation des immeubles saisis à la seule quote-part indivise de M. Y et ont ordonné la restitution à Mme Y des droits indivis qu’elle détient sur lesdits immeubles, leur décision encourant la censure. En effet, il est acquis que tant que la communauté n’est pas dissoute par l’une des causes prévues à l’article 1441 du Code civil, les droits des époux sur les biens communs ne peuvent pas être individualisés9. En l’espèce, les juges du fond n’ont pas pris en considération cette règle fondamentale du droit des régimes matrimoniaux.

Liquidation anticipée partielle de la communauté non dissoute. Devant la haute juridiction judiciaire, il était reproché aux juges du fond d’avoir procédé à une liquidation anticipée partielle de la communauté alors même que celle-ci n’est pas dissoute. Au vrai, aucune procédure de divorce n’était engagée par les protagonistes10. Certes, les juges rennais ont ordonné la restitution à Mme Y de ses droits divis sur les biens immobiliers communs confisqués. On ne peut qu’exprimer sa perplexité devant une telle analyse du droit des régimes matrimoniaux.

Maison en pièce de puzzle en bois avec une main d'homme la séparant en deux
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II – Confiscation d’un bien commun faisant naître un droit à récompense

Retour à l’équité : la théorie des récompenses. L’arrêt rendu par la Cour de cassation ne méconnaît pas les droits de l’époux non condamné pénalement puisque les magistrats du Quai de l’horloge rappellent que l’article 1417 du Code civil fait naître un droit à récompense au profit de la communauté (A). En revanche, en l’espèce, la Cour de cassation n’a pas estimé devoir poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne à propos de l’article 6 de la directive n° 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 (B).

A – Naissance d’un droit à récompense pour la communauté lors de la dissolution de celle-ci

La corrélation entre la contribution à la dette et l’obligation à la dette. En ce qui concerne l’obligation à la dette, la répartition est fondée sur la corrélation entre actif et passif. C’est ainsi que les dettes grevant les successions recueillies sont personnelles11. En ce qui concerne la contribution à la dette, la corrélation entre l’actif et le passif peut se vérifier. C’est ainsi que le paiement d’une dette afférente à un bien propre incombe en définitive à l’époux propriétaire de ce bien12.

Absence de corrélation entre la contribution à la dette et l’obligation à la dette. Selon le professeur André Colomer : « On comprend dès lors que l’article 1417 du Code civil ne fasse figurer que dans le passif provisoire de la communauté les dettes délictuelles et quasi délictuelles civiles, non moins que les amendes encourues en raison d’infractions pénales ». Il poursuit en précisant que « l’absence de corrélation entre l’obligation et contribution à la dette est légitime : seul le souci de protéger les tiers justifie leur droit à agir sur les biens communs, il n’est que juste que dans ces conditions, que la communauté puisse réclamer une récompense »13. En l’espèce, la Cour de cassation indique clairement que la confiscation, qui constitue une pénalité évaluable en argent, est susceptible de faire naître un droit à récompense pour la communauté lors de la dissolution de celle-ci, déduction faite du profit retiré par elle, en vertu de l’article 1417 du Code civil.

Profit subsistant et dette délictuelle. La théorie des récompenses n’a de sens que lorsque le patrimoine propre d’un époux s’est enrichi indûment au détriment de la communauté ou lorsque, à l’inverse, la communauté s’est enrichie au détriment du patrimoine propre d’un des époux. À y regarder de plus près, dans l’hypothèse du paiement au moyen de deniers communs d’une dette consécutive à une condamnation pénale ou civile de l’époux, il n’existe pas de profit subsistant14 car la dépense ne concerne pas un bien propre ou commun du couple. Il est acquis d’ailleurs qu’« il faut en déduire que lorsque le profit subsistant n’existe pas, la comparaison voulue par le texte ne peut avoir lieu et il faut alors retenir la dépense faite comme montant de la récompense »15. Au cas d’espèce, la solution se comprend aisément car comme l’observent les auteurs : « La communauté a droit à récompense chaque fois qu’elle a acquitté une dette personnelle à l’un des époux quant à la contribution, c’est-à-dire incombant à cet époux. Il en est ainsi du paiement d’une indemnité délictuelle ou quasi délictuelle, d’une dette existant au jour du mariage ou recueillie par succession ou par donation »16.

B – Refus de la Cour de cassation de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne

Directive n° 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne17. On sait que l’article 6 de la directive n° 2014/42/UE dispose que « 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de produits ou de biens dont la valeur correspond à celle des produits qui ont été transférés, directement ou indirectement, à des tiers par un suspect ou une personne poursuivie ou qui ont été acquis par des tiers auprès d’un suspect ou d’une personne poursuivie, au moins dans les cas où ces tiers savaient ou auraient dû savoir que la finalité du transfert ou de l’acquisition était d’éviter la confiscation, sur la base d’éléments ou de circonstances concrets, notamment le fait que le transfert ou l’acquisition a été effectué gratuitement ou en échange d’un montant sensiblement inférieur à la valeur marchande. 2. Le paragraphe 1 ne porte pas atteinte aux droits de tiers de bonne foi ». S’il n’est pas douteux alors que le premier paragraphe de cette directive impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour permettre la confiscation des produits d’une infraction transférés à des tiers par un mis en cause, le second paragraphe de ladite directive prévoit sans conteste que ces mesures ne sauraient porter atteinte aux droits de tiers de bonne foi18. En l’espèce, la haute juridiction estime qu’il n’y a pas lieu de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, contrairement à ce qui est soutenu au mémoire en défense, dès lors que l’époux non condamné pénalement, qui est titulaire de droits sur l’éventuel avantage économique tiré de l’infraction commise par son conjoint par le seul effet du régime matrimonial, et n’a donc pas acquis, ni ne s’est vu transférer, directement ou indirectement, ce produit, n’est pas un tiers au sens de l’article 6 de la directive n° 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014, lequel n’est donc pas applicable. Dans la même veine, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 27 juin 2018, publié au Bulletin, dans lequel elle refuse de transmettre au Conseil constitutionnel une question portant sur la conformité au droit de propriété de l’article 481 du Code de procédure pénale, qui permet de refuser la restitution du produit de l’infraction19. À l’inverse, la Cour de cassation a récemment censuré les juges du fond20 qui ont méconnu le sens et la portée notamment de l’article 6, paragraphe 2, de la directive n° 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014.

Conclusion. Une fois la loi civile entrée en vigueur dans le but d’organiser le droit des régimes matrimoniaux, le juge pénal dispose d’un outil supplémentaire tel que la confiscation d’un bien commun afin de sanctionner l’auteur d’une infraction commise au cours du fonctionnement du régime légal. Pour autant, l’office du juge ne pouvait s’abstraire du devoir de protéger l’époux non condamné pénalement. Le procureur général a, à bon droit, par des appréciations juridiquement pertinentes, estimé que tant que la liquidation de la communauté n’est pas intervenue, il ne peut être déterminé la quote-part de chacun des époux sur les biens. Gageons que l’épopée judiciaire s’arrêtera là !

Notes de bas de pages

  • 1.
    Monégier L., « L’époux de bonne foi ne peut pas empêcher la confiscation d’un bien commun », Mieux vivre votre argent, 1er oct. 2020, https://www.mieuxvivre-votreargent.fr/droit/2020/10/01/lepoux-de-bonne-foi-ne-peut-pas-empecher-la-confiscation-dun-bien-commun/.
  • 2.
    Gall-Kiesmann F., « Confiscation pénale d’un bien commun : tout le bien est appréhendé, mais une récompense est possible », La Quotidienne, Francis Lefebvre, 29 sept. 2020.
  • 3.
    Cass. crim., 3 nov. 2016, n° 15-85751: Bull. crim. 2016, n° 289.
  • 4.
    Peterka N. et Guiguet-Schielé Q., Régimes matrimoniaux, 2020, Dalloz, Hyper- cours, p. 281.
  • 5.
    « Quels sont les droits et obligations de l’associé de SARL ? », https://www.legalstart.fr/fiches-pratiques/sarl/associes-sarl/.
  • 6.
    Peterka N. et Guiguet-Schielé Q., Régimes matrimoniaux, 2020, Dalloz, Hyper- cours, p. 281.
  • 7.
    Revel J., Les régimes matrimoniaux, 2020, Dalloz, Cours, p. 191.
  • 8.
    Revel J., Les régimes matrimoniaux, 2020, Dalloz, Cours, p. 191.
  • 9.
    Gall-Kiesmann F., « Confiscation pénale d’un bien commun : tout le bien est appréhendé, mais une récompense est possible », La Quotidienne, Francis Lefebvre, 29 sept. 2020.
  • 10.
    Au demeurant, on sait que l’article 265-2 du Code civil prévoit que les époux peuvent, pendant l’instance en divorce, passer toutes conventions pour la liquidation et le partage de leur régime matrimonial.
  • 11.
    Pillebout J.-F., « Partage de communauté. Communauté entre époux », JCl. Divorce, fasc. 605, n° 136, 10 avr. 2019.
  • 12.
    Pillebout J.-F., « Partage de communauté. Communauté entre époux », JCl. Divorce, fasc. 605, n° 137, 10 avr. 2019.
  • 13.
    Colomer A., Droit civil. Régimes matrimoniaux, 11e éd., LexisNexis, p. 471.
  • 14.
    Bulletin d’information, n° 721, p. 17, https://www.courdecassation.fr/IMG/pdf/Bicc_721.pdf.
  • 15.
    Bulletin d’information, n° 721, p. 17, https://www.courdecassation.fr/IMG/pdf/Bicc_721.pdf.
  • 16.
    « Communauté légale. Dissolution. Liquidation et partage », JCl. Roulois, fasc. 1495, n° 37, 12 juin 2017.
  • 17.
    JOUE L 127/3, 29 avr. 2014.
  • 18.
    « Possibilité pour le propriétaire de bonne foi d’obtenir la restitution d’un bien confisqué », AJ pénal 2019, p. 45.
  • 19.
    Cass. crim., 7 nov. 2018, n° 17-87424 : « Possibilité pour le propriétaire de bonne foi d’obtenir la restitution d’un bien confisqué », AJ pénal 2019, p. 45.
  • 20.
    Cass. crim., 7 nov. 2018, n° 17-87424, PB.
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