L’application jurisprudentielle des critères du délaissement parental

Publié le 16/03/2023
Enfant, divorce, famille
ronstik/AdobeStock

Pour la première fois, la Cour de cassation se prononce dans une affaire ayant trait au délaissement parental « nouvelle mouture », tel que réécrit par le législateur de 2016.

Cass. 1re civ., 30 nov. 2022, no 20-22903

La déclaration judiciaire d’abandon est morte, vive la déclaration judiciaire de délaissement parental ! Tel pourrait être résumée de façon simpliste l’abrogation de l’article 350 du Code civil au profit de l’introduction des articles 381-1 et 381-2 du Code civil.

Mesure datant de la réforme de l’adoption de 19661, la rédaction de la déclaration judiciaire d’abandon n’a jamais semblé convaincre le législateur puisque pas moins de cinq changements rédactionnels2 – ajouts ou suppressions3 – sont dénombrés et que des modifications ont été évoquées à chaque nouvelle proposition de loi relative à l’enfance4. En 20165, il a donc mis un terme à la déclaration judiciaire d’abandon pour la remplacer par la déclaration judiciaire de délaissement parental. La mesure, dans son ancienne comme dans sa nouvelle version, vise la situation d’enfants dont les parents sont absents de la vie quotidienne. Au bout d’un an de délaissement, celui qui assume la prise en charge physique du mineur – souvent le service départemental de l’aide sociale à l’enfance – doit déposer une requête au tribunal judiciaire pour faire constater le manque de relations entre les parents et l’enfant. Le prononcé de la mesure aboutira, d’une part, à une délégation de l’autorité parentale au profit de la personne qui assurait déjà la charge du mineur et, d’autre part, à conférer à ce dernier le statut d’enfant adoptable6. Si la Cour de cassation avait déjà rendu deux avis7 au sujet de cette « nouvelle » mesure, elle n’avait jamais eu encore à se pencher sur les nouveaux critères du délaissement. C’est chose faite dans cet arrêt en date du 30 novembre 20228 où elle a validé le délaissement constaté par les juges d’appel : l’affaire opposait le président du conseil départemental du Var, à l’origine du dépôt de la requête visant le délaissement d’un enfant de huit ans par ses deux parents, et la mère de ce dernier contestant la réunion des conditions exigées.

Cette décision marque l’occasion de rappeler les changements marquants de la nouvelle mouture du délaissement parental (I) avant d’évoquer l’application jurisprudentielle des nouveaux critères de délaissement parental (II).

I – Les principaux changements apportés par la nouvelle version du délaissement parental

Un des points de blocage au prononcé de l’ancienne déclaration judiciaire d’abandon résidait dans l’amalgame entre la mesure et l’adoption de l’enfant. Cette confusion n’était pas étonnante dans le sens où c’est à l’occasion de réformes concernant l’adoption que le législateur retouchait les règles relatives à la déclaration judiciaire d’abandon9. Conséquence de l’association des deux mesures : des rejets de requêtes en déclaration judiciaire d’abandon sous prétexte de l’inexistence d’un projet d’adoption10 malgré la réunion des conditions textuelles pour prononcer la mesure, ce qui n’incitait pas les services départementaux de l’aide sociale à l’enfance à introduire de telles requêtes lorsqu’un projet d’adoption n’était pas envisageable pour le mineur. Afin de distinguer le délaissement parental et l’adoption, le législateur a déplacé la nouvelle mesure du titre du Code civil intitulé « De la filiation adoptive » à celui relatif à l’autorité parentale, plus propice à favoriser l’intérêt d’une constatation du délaissement parental en dépit de l’absence de projet d’adoption.

Le second frein à l’application de l’ancien article 350 du Code civil était dû au fait que la déclaration judiciaire d’abandon ne pouvait être retenue que si les deux parents s’étaient manifestement désintéressés de leur enfant, ce qui aboutissait parfois à des situations de blocage11. Depuis 2016, la déclaration judiciaire de délaissement parental est une mesure individualisée : c’est de cette nouveauté dont il était question dans les avis de la Cour de cassation rendus en 201912. La Cour régulatrice avait précisé les conséquences du délaissement parental retenu à l’encontre d’un parent sur les droits de l’autre parent et sur le statut de l’enfant. En effet, l’enfant ne peut pas devenir pupille de l’État lorsque l’autre parent est présent dans sa vie et, si l’autorité parentale du parent délaissant est déléguée à la personne qui assume la prise en charge de l’enfant, l’autorité parentale de l’autre parent demeurera intacte ; il y aura donc délégation-partage.

Autre obstacle à l’effectivité de feu la déclaration judiciaire d’abandon : la subjectivité des termes utilisés pour qualifier l’abandon puisqu’il était question d’un désintérêt manifeste des parents envers leur enfant. Désormais, le texte de l’article 381-1 du Code civil permet aux magistrats de s’appuyer sur des critères plus objectifs pour décider ou non de prononcer la mesure puisqu’il définit le délaissement parental comme le fait pour les parents de ne pas avoir entretenu avec leur enfant les relations nécessaires à son éducation ou à son développement. Cette faveur à la nouvelle mesure est néanmoins tempérée par l’ajout d’un élément : il ne faut pas que « les parents aient été empêchés par quelque cause que ce soit » d’être présents dans la vie de leur enfant. Avec cette formulation large, la loi donne toute latitude aux juges de décider de l’existence ou de l’absence de cet empêchement13, ce qui n’est pas sans rappeler la condition prétorienne ajoutée à la déclaration judiciaire d’abandon, à savoir le caractère volontaire du désintérêt14. Ainsi, l’existence de troubles psychiatriques avait pu conduire les juges à considérer que l’abandon n’était pas volontaire et, par conséquent, à rejeter la requête15. Dans le même sens, les services départementaux devront également, désormais, apporter la preuve que des moyens ont été mis en œuvre pour rétablir la relation parents-enfant avant qu’une requête en déclaration judiciaire de délaissement parental soit déposée16, comme des visites médiatisées, par exemple, auxquelles les parents se seraient soustraits volontairement17. Ces tempéraments ont pu servir le raisonnement des juges d’appel de Paris18 pour ne pas déclarer un enfant délaissé alors même que le parent n’exerçait plus ses droits de visite : les services départementaux n’apportaient pas la preuve suffisante des mesures de soutien apportées pour la reprise des relations. Cet arrêt pouvait faire craindre l’échec de la nouvelle version du délaissement. Avec cet arrêt de la Cour de cassation du 30 novembre 2022, les partisans de l’intérêt de la nouvelle mesure peuvent être rassurés : il semble que la Cour de cassation soit plutôt encline à retenir le délaissement parental dès lors qu’il en est de l’intérêt de l’enfant.

II – L’appropriation jurisprudentielle des critères du délaissement parental

Dans cette affaire, la mère de l’enfant souffrait de troubles psychiques : il est relevé un « certain retard mental », « une forte immaturité affective » ou encore des « passages dépressifs la conduisant à être hospitalisée en psychiatrie ». Or, dans l’arrêt de la cour d’appel de Paris précité19 rejetant la requête en déclaration judiciaire de délaissement parental, la mère avait aussi été hospitalisée pour des soins psychiatriques ; cet argument ayant pu servir ses intérêts. Il est vrai que, face à des problèmes de santé mentale, les juges n’ont pas toujours réagi de manière uniforme : certains considérant que le caractère involontaire du désintérêt ne pouvait être déduit du seul placement de l’intéressé en curatelle renforcée20 alors que d’autres ont retenu le fait qu’une majeure protégée était nécessairement dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts21. Ce qui est intéressant dans l’arrêt commenté, c’est que les juges d’appel vont avoir une approche un peu différente et vont partir de l’intérêt de l’enfant. Ainsi, après avoir caractérisé la réunion des conditions pour prononcer le délaissement, à savoir l’absence des relations nécessaires à l’éducation et au développement de l’enfant, la durée d’un an de délaissement et l’absence d’empêchement, ils vont ajouter que le comportement de la mère et les démarches entreprises pour restaurer ou favoriser la reprise du lien parent-enfant n’ont pas été bénéfiques pour le mineur. En effet, la mère ne correspondait avec son fils que par textos et ne s’était saisie ni du droit de visite octroyé à la naissance de l’enfant (ce droit de visite avait ensuite été suspendu), ni du droit de correspondance médiatisé accordé depuis. C’est pour cela qu’il convenait de le libérer du lien avec sa famille biologique ; d’ailleurs, des progrès étaient constatés depuis la fin des visites obligatoires. Si l’intérêt de l’enfant avait pu servir d’argument pour refuser le prononcé d’une déclaration judiciaire d’abandon alors même que toutes les conditions exigées étaient réunies22, en l’espèce, la cour d’appel a inversé le raisonnement et se sert de cet intérêt, qui doit – doit-on le rappeler – être la considération primordiale dans toute décision concernant les enfants23, pour retenir le délaissement24. Ce n’est pas la première fois que les juges du fond procèdent de la sorte25 mais c’est la première fois que ce positionnement inversé est validé par la Cour régulatrice. Cette décision a le mérite de dépasser la question de l’incidence des troubles psychiques sur le désintérêt et prioriser l’intérêt de l’enfant.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 66-500, 11 juill. 1966, portant réforme de l’adoption : JO, 12 juill. 1966, p. 5956.
  • 2.
    L. n° 76-1179, 22 déc. 1976, modifiant certaines dispositions concernant l’adoption (simplification) : JO, 23 déc. 1976, p. 7364 – L. n° 93-22, 8 janv. 1993, modifiant le Code civil relative à l’état civil, à la famille et aux droits de l’enfant et instituant le juge aux affaires familiales : JO, 9 janv. 1993, p. 495 – L. n° 94-629, 25 juill. 1994, relative à la famille : JO, 26 juill. 1994, p. 10739 – L. n° 96-604, 5 juill. 1996, relative à l’adoption : JO, 6 juill. 1996, p. 10208 – L. n° 2005-744, 4 juill. 2005, portant réforme de l’adoption : JO, 5 juill. 2005, p. 11072.
  • 3.
    Par ex., lors de la réforme de l’adoption de 1996, le législateur avait prévu que la déclaration judiciaire d’abandon ne devait pas être prononcée si les parents se trouvaient en situation de grande détresse. L’exception de grande détresse a ensuite disparu avec la loi de 2005.
  • 4.
    V. les propositions de loi déposées à l’Assemblée nationale en 2010 (P. Verdier, « La proposition de loi visant à améliorer le dispositif de la déclaration judiciaire d’abandon. Encore une réforme de l’article 350 du Code civil », RAJS févr. 2011, n° 302, p. 6-7), en 2011 ou en 2012 (A. Niemiec, « “Petite loi” sur l’enfance délaissée et l’adoption, adoptée le 1er mars 2012 par l’Assemblée nationale (texte n° 468 2011-2012) transmis au Sénat le 7 mars 2012 », LPA 12 août 2013, p. 6).
  • 5.
    L. n° 2016-297, 14 mars 2016, relative à la protection de l’enfant : JO, 15 mars 2016.
  • 6.
    C. civ., art. 347, 3° – CASF, art. L. 224-4, 6° (lorsque l’enfant était pris en charge ou confié au service départemental de l’aide sociale à l’enfance).
  • 7.
    Cass. 1re civ., avis, 19 juin 2019, n° 19-70007 – Cass. 1re civ., avis, 19 juin 2019, n° 19-70008 : GPL 1 oct. 2019, n° GPL360g3, note M. Galvez ; LEFP sept. 2019, n° DFP112f3, note A. Batteur.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 30 nov. 2022, n° 20-22903 : AJ fam. 2023, p. 48, obs. B. Mallevaey et L. Gebler.
  • 9.
    L. n° 76-1179, 22 déc. 1976, modifiant certaines dispositions concernant l’adoption (simplification) : JO, 23 déc. 1976, p. 7364 – L. n° 96-604, 5 juill. 1996, relative à l’adoption : JO, 6 juill. 1996, p. 10208 – L. n° 2005-744, 4 juill. 2005, portant réforme de l’adoption : JO, 5 juill. 2005, p. 11072.
  • 10.
    CA Lyon, 18 juin 2012, n° 12/00605 – Cass. 1re civ., 3 déc. 2014, n° 13-24268 : JCP G 2015, II, p. 137, note A. Zelcevic-Duhamel ; LPA 3 août 2015, p. 15, note A. Niemiec ; RJPF 2015/3, n° 22, p. 26, note I. Corpart – CA Aix-en-Provence, 19 févr. 2015, n° 14/01729.
  • 11.
    CA Lyon, 17 sept. 2013, n° 13/00760 : LPA 7 août 2014, p. 16, note A. Niemiec. Dans cet arrêt, l’un des parents avait consenti à l’adoption de son enfant tandis que l’autre s’en désintéressait.
  • 12.
    Cass. 1re civ., avis, 19 juin 2019, n° 19-70007 – Cass. 1re civ., avis, 19 juin 2019, n° 19-70008 : GPL 1 oct. 2019, n° GPL360g3, note M. Galvez ; LEFP sept. 2019, n° DFP112f3, note A. Batteur.
  • 13.
    V., dans ce sens, I. Corpart, « Le renforcement du dispositif de protection de l’enfant par la loi du 14 mars 2016 : de nouvelles perspectives dans la continuité », Dr. famille 2016, p. 30 ; F. Eudier et A. Gouttenoire, « La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance. Une réforme “impressionniste” », JCP G 2016, étude 479, p. 814 ; M.-C. Le Boursicot, « Beaucoup d’efforts…pour seulement une toute “petite loi” relative à la protection de l’enfant », RJPF 2015/3, n° 26, p. 35.
  • 14.
    CA Paris, 6 janv. 1977 : JCP G 1977, II 18762, obs. A.-M. Fournié.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 23 nov. 2011, n° 10-30714 : JCP G 2012, chron. 31, p. 53, obs. Y. Favier ; RTD civ. 2012, p. 109, obs. J. Hauser.
  • 16.
    C. civ., art. 381-2.
  • 17.
    Les juges étaient déjà sensibles aux mesures mises en place par les services de l’aide sociale à l’enfance. V., dans ce sens, CA Versailles, 23 juin 2016, n° 15/05424.
  • 18.
    CA Paris, 6 oct. 2016, n° 16/04118 : LPA 2 août 2017, n° LPA128r1, note A. Niemiec.
  • 19.
    CA Paris, 6 oct. 2016, n° 16/04118 : LPA 2 août 2017, n° LPA128r1, note A. Niemiec.
  • 20.
    CA Paris, 19 févr. 2015, n° 14/14890.
  • 21.
    CA Douai, 2 avr. 2015, n° 14/00208.
  • 22.
    CA Bordeaux, 8 mars 2016, n° 15/05116 – CA Paris, 9 juin 2016, n° 15/10567.
  • 23.
    CIDE, art. 3-1.
  • 24.
    B. Mallevaey et L. Gebler, « Déclaration judiciaire de délaissement parental et intérêt de l’enfant », AJ fam. 2023, p. 48.
  • 25.
    CA Aix-en-Provence, 14 mars 2017, n° 15/17131 – CA Paris, 20 avr. 2017, n° 16/08578 : LPA 19 déc. 2018, n° LPA141n0.
Plan
X