Yvelines (78)

Lauriane Pinard : « Nous constatons une augmentation de 25 % des violences sur les mineurs dans les Yvelines » !

Publié le 20/03/2023

En France, une personne sur dix a subi une agression sexuelle avant ses 15 ans, d’après la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, créée en 2021 par le président de la République. Dans les Yvelines (78), les violences subies par les mineurs ont augmenté en moyenne de 25 % ces dernières années. Dans ce contexte, le tribunal judiciaire de Versailles et la préfecture des Yvelines ont décidé d’organiser un Comité local d’aide aux victimes (CLAV) dédié aux mineurs. La première réunion s’est tenue le 5 janvier 2023. L’objectif est de coordonner les actions des différents acteurs du territoire pour lutter contre les atteintes aux mineurs. Depuis 2018, un CLAV se réunit déjà deux fois par an concernant la lutte et la prise en charge des violences conjugales. Lauriane Pinard, substitut du procureur au tribunal judiciaire de Versailles est référente au sujet des violences intrafamiliales. Elle revient sur cette première réunion et explique la prise en charge actuelle des mineurs victimes de violences.

Façade du tribunal judiciaire de Versailles

Nicolas Dendri

Actu-Juridique : Globalement, quelles sont les missions du Comité local d’aide aux victimes (CLAV) dans les Yvelines ?

Lauriane Pinard : Dans les Yvelines, le Comité local d’aide aux victimes (CLAV) a été créé en 2018. Il est concentré principalement sur les violences intrafamiliales, depuis le Grenelle sur les violences conjugales lancé en 2019. Ce comité réunit deux fois par an entre 60 et 80 personnes. Il rassemble de nombreux partenaires privés et publics comme la police, la gendarmerie, la protection judiciaire de la jeunesse, les services sociaux, l’Agence régionale de santé, l’éducation nationale, des intervenants sociaux ou encore de nombreuses associations. Grâce aux réunions, nous faisons un bilan assez large des actions menées par chacun. L’objectif est de permettre une meilleure connaissance des acteurs et des dispositifs existants dans le département. Chacun peut se rencontrer, se connaître pour ensuite mieux travailler ensemble pour lutter contre les violences conjugales. Ensuite, le CLAV permet aussi de parler de la prise en charge des victimes de manière plus globale. Par exemple, avec la présentation l’année dernière du protocole EVVI au niveau du parquet de Versailles qui permet une prise en charge de toutes les victimes ayant subi un traumatisme.

Actu-Juridique : Quels sont les objectifs et l’intérêt de ce type d’organisation ?

Lauriane Pinard : Dans le département, avec le CLAV, nous avons une très bonne coordination avec les services de la préfecture, à propos de l’aide aux victimes. Ce comité est présidé à la fois par le procureur de la République du tribunal judiciaire de Versailles et le préfet des Yvelines. Sur les violences conjugales, le comité local d’aide aux victimes permet notamment de faire un bilan sur le dispositif des téléphones graves dangers (TGD) qui existe depuis 2013 au sein de la juridiction et d’expliquer à l’ensemble des acteurs le fonctionnement des bracelets anti-rapprochements qui ont été mis en œuvre en 2021. C’est l’occasion aussi de présenter des dispositifs comme les « bons taxis », les places en crèches réservées pour les victimes pendant la durée de leurs démarches judiciaires et toutes les actions mises en place dans le département pour faciliter la prise de plainte ou les accompagnements des victimes de violences par les associations.

Le CLAV est l’occasion pour tous les intervenants d’échanger et de proposer de nouveaux partenariats, pour donner un exemple concret. Le CLAV m’a permis de rencontrer les représentants de l’ordre des médecins. À l’issue de cette rencontre, nous avons travaillé ensemble sur un protocole de transmission des signalements de violences conjugales qui a été signé le 22 septembre 2022.

Actu-Juridique : Un comité local d’aide aux victimes dédié à la prise en charge des mineurs s’est tenu le 5 janvier 2023. Avoir un CLAV dédié aux mineurs est une première en France. Pourquoi avez-vous organisé cette réunion spécifiquement sur ce sujet ?

Lauriane Pinard : Au tribunal judiciaire de Versailles, nous sommes huit magistrats spécialisés sur les questions liées aux mineurs et aux familles. La prise en charge des mineurs fait partie de notre quotidien. Nous recevons des signalements de la cellule du recueil des informations préoccupantes (CRIP), de l’éducation nationale, des hôpitaux, des médecins ou encore des juges pour enfant qui vont constater des infractions. Sur ces dernières années, nous avons constaté une importante augmentation des signalements portant sur atteintes aux mineurs. En 2021, ils atteignaient 1 057 et en 2022, il y a eu 1 373 signalements.

Les mineurs représentent un public particulièrement vulnérable, qui nécessite une prise en charge spécifique. Par exemple, un enfant ne peut pas aller tout seul au commissariat, il n’a parfois même pas conscience d’être victime d’une infraction.

Les agressions sexuelles sur mineurs sont très importantes, d’après le travail de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (https://www.ciivise.fr), une personne sur dix est agressée sexuellement avant ses 15 ans. Les différentes statistiques estiment qu’entre 14 et 20 % des jeunes filles ont été agressées sexuellement durant l’enfance et entre 6,4 et 9 % des garçons.

Il convient également de relever que les enfants en situation de handicap, sont trois fois plus agressés que les autres et qu’ils doivent faire l’objet d’une vigilance accrue.

Face à ce constat, il nous est apparu nécessaire que le comité local d’aide aux victimes de violences soit décliné dans une version à destination des mineurs. Lors du dernier CLAV le 12 mai 2022, nous avons donc commencé à réfléchir sur le lancement d’un CLAV dédié aux mineurs. Nous avons informé la délégation interministérielle de l’aide aux victimes de notre projet qui parallèlement travaillait sur des outils à destination des parquets et des préfectures, lesquels ont été transmis le 21 novembre 2022, afin que les CLAV mineurs soient mis en place partout en France. Nous avons donc réuni le premier CLAV dédié aux mineurs le 5 janvier 2023 auquel Alexandra Louis, déléguée interministérielle à l’aide aux victimes nous a fait l’honneur d’assister.

Actu-Juridique : Quel bilan faites-vous des échanges de cette première réunion ?

Lauriane Pinard : Ce premier CLAV a permis de faire un bilan de l’évolution et des dispositifs qui existent dans le département concernant la prise en charge des mineurs victimes de violences. Cette réunion a aussi permis de réunir les partenaires institutionnels et associatifs qui travaillent au quotidien avec les enfants. Certains ont pu présenter des dispositifs, qui ne sont pas encore très connus. Il y a notamment l’Institut de psychotraumatisme de l’enfant et de l’adolescent (IPEA), qui a ouvert en mai 2022 à Versailles. Ils ont déjà une liste d’attente importante. C’est une vraie avancée car nous n’avons pas assez de moyens pour prendre en charge les victimes mineures. Les centres médico-psycho-pédagogique (CMP) étant complets. L’IPEA permet aussi d’assurer une prise en charge pluridisciplinaire spécifique aux enfants traumatisés. Nous avons également parlé du fonctionnement de l’unité médico-judicaire dédiée aux mineurs, qui est devenue depuis le dernier trimestre 2022 l’Unité d’accueil pédiatrique enfants en danger (UAPED) qui permet en un lieu unique de réaliser les auditions, les examens physiques et psychologiques des mineurs victimes.

Actu-Juridique : Quels sont les types d’atteinte aux mineurs à l’heure actuelle ?

Lauriane Pinard : Ces dernières années, nous constatons une hausse des nouvelles atteintes aux mineurs. C’est le cas notamment sur les réseaux sociaux à travers le cyberharcèlement. Il y a aussi une hausse de la prostitution avec des jeunes filles qui ont en moyenne entre 14 et 18 ans et dont les proxénètes postent les annonces sur les réseaux sociaux. Les procédures de violences et d’agressions sexuelles sur mineurs sont aussi en augmentation. Toutefois ce constat ne traduit pas nécessairement une augmentation des faits mais peut s’analyser comme une évolution de la société notamment par le biais d’une libération de la parole des victimes. Pour les mineurs, il est également nécessaire de mener des actions de prévention et de repérage qui passent par la formation de tous les professionnels en contact des mineurs.

L’augmentation des signalements démontre que les professionnels travaillant avec les enfants sont mieux formés et il y a toute une chaîne avec nos partenaires que nous retrouvons dans le CLAV. Par exemple, aujourd’hui, l’éducation nationale réalise de plus en plus de formations à la vie sexuelle et affective dans les établissements scolaires. Cette sensibilisation permet d’expliquer ce qu’est une agression sexuelle, un acte d’inceste… Suite à ces interventions, les enfants vont aller se confier à l’infirmière scolaire, à la CPE ou encore à leur professeur. Ce phénomène est assez fréquent. De notre côté, au niveau du parquet, nous avons une convention avec l’éducation nationale où nous recevons leurs signalements de manière dématérialisée, directement dans une boîte mail dédiée.

« 90 % des signalements d’atteintes aux mineurs vont faire l’objet d’une enquête »

Actu-Juridique : Quand vous recevez un signalement, comment se déroule la procédure ?

Lauriane Pinard : Au sein de notre section du parquet mineurs-famille, chaque jour nous avons deux magistrats de permanence qui traitent en temps réel les enquêtes pénales et un magistrat qui gère la permanence électronique dédiée aux signalements. Ce magistrat gère notamment la permanence des téléphones graves danger et des bracelets anti-rapprochements ainsi que les signalements qui concernent les mineurs victimes d’infractions. Le traitement est réalisé en urgence et les enquêtes sont confiées soit aux groupes spécialement dédiés des commissariats compétents soit à la brigade des mineurs de la sûreté départementale en fonction de la nature des infractions et de l’âge des enfants.

L’enfant concerné va être entendu et les expertises nécessaires seront requises comme notamment les examens physiques et les expertises médico-psychologiques.

Il est nécessaire d’obtenir très rapidement des renseignements pour savoir si l’enfant est au domicile de l’agresseur et organiser sa mise à l’abri immédiate. L’enquête nous permet aussi de prendre en compte la globalité de la problématique et notamment nous entendons toujours les autres membres de la fratrie pour vérifier qu’ils ne sont pas également victimes directs ou témoins. À ce titre, il convient de relever une évolution législative, puisque les mineurs victimes de violences intrafamiliales sont considérés à part entière comme des victimes.

Nous pouvons mettre en place pour les auteurs des suivis psychologiques, des suivis pour des problèmes d’alcool ou de drogues dans le cadre par exemple d’un contrôle judiciaire.

L’intérêt est d’avoir une réponse multiple. C’est aussi l’intérêt du CLAV de rencontrer l’ensemble des acteurs présents pour développer des réponses cohérentes et complémentaires les unes des autres.

Actu-Juridique : Quelles sont les réponses pénales que vous pouvez apporter dans le cadre d’atteinte aux mineurs ?

Lauriane Pinard : Tout dépend de l’atteinte subie par le mineur.

Pour toutes les violences commises par les parents et qui sont souvent banalisées et parfois qualifiées à tort « d’éducatives », nous faisons systématiquement des enquêtes.

Pour les violences reconnues et qui ne sont pas importantes nous avons des réponses pénales adaptées avec des alternatives aux poursuites comme des stages de responsabilité parentale. Des spécialistes travaillent avec les parents pour leur faire prendre conscience des répercussions de ce type de violences et leur montrer une autre manière d’interagir avec leurs enfants dans leur éducation.

Ensuite, pour des violences plus graves, nous délivrons des convocations devant le tribunal correctionnel. Nous pouvons mettre en place des contrôles judiciaires avant les audiences. Parfois, il faut éloigner l’auteur des violences lorsque les actes sont avérés. Il peut y avoir une éviction du domicile jusqu’à l’audience. Puis, pour des faits encore plus graves comme les viols, nous faisons des ouvertures d’information judiciaire avec une saisine du juge d’instruction et potentiellement une détention provisoire.

Au niveau du parquet de Versailles compétent sur le département des Yvelines, nous constatons depuis 2020 une augmentation de 25 % des violences sur mineurs et de 40 % des violences commises en présence d’un mineur.

Plus de 90 % des signalements vont engendrer une enquête. La majorité de notre réponse pénale est un renvoi devant le tribunal correctionnel car nous sommes souvent face à des faits graves.

Actu-Juridique : Avez-vous un exemple d’une structure importante par rapport aux violences subies par les mineurs ?

Lauriane Pinard : Le CLAV a été l’occasion pour la maison de protection des familles de la gendarmerie nationale de Bois d’Arcy de présenter le fonctionnement de son activité. Cette structure permet d’avoir des auditions de mineurs de qualité. Elles sont réalisées par des professionnels formés car l’enfant ne peut pas être entendu comme un adulte. La formation des officiers de police judiciaire est vraiment nécessaire. Actuellement, il y a trois salles d’audition. Ce sont des salles de jeux adaptées à l’audition des enfants. Les auditions sont filmées. Ainsi, l’enfant n’a pas besoin de répéter son témoignage et l’entretien est fluide. Il y a un officier de police judiciaire accompagné par un psychologue. Toute la situation est expliquée à l’enfant auditionné pour qu’il puisse comprendre.

Actu-Juridique : Quelles sont les réflexions en cours actuellement sur le sujet des atteintes aux mineurs ?

Lauriane Pinard : La majorité des victimes d’infanticide ont moins de sept ans. Ce sont de très jeunes enfants, qui ont moins la capacité de s’exprimer. Les personnes au contact des enfants doivent donc identifier les signes et signaler quand ils constatent une atteinte. Le développement des formations doit donc se poursuivre pour les professionnels de la petite enfance, de l’éducation nationale ou des structures dédiées aux enfants handicapés ou encore pour les forces de l’ordre. L’éducation nationale doit également poursuivre le travail sur la sensibilisation à la vie affective et sexuelle pour tous les âges. Nous allons aussi réfléchir au niveau pénal à nos pratiques et les préconisations intermédiaires réalisées par la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (https://www.ciivise.fr), vont alimenter notre réflexion. Par exemple, la commission préconise que les magistrats visionnent systématiquement les auditions d’enfants victimes de violences sexuelles, ce qui n’est pas encore toujours le cas. Enfin, nous allons poursuivre la réflexion sur l’accompagnement de l’enfant au cours de l’enquête. Dans la grande majorité, les violences et les agressions sexuelles sur mineur sont commises dans un cadre intrafamilial. L’accompagnement dans l’urgence de l’enfant au cours des actes d’enquêtes est donc essentiel ainsi que sa prise en charge médicale après l’enquête pour s’assurer que ce dernier va bénéficier des soins adaptés.

Afin de poursuivre notre travail, un comité de pilotage sur les mineurs en comité plus restreint que le CLAV sera chargé du volet plus opérationnel des améliorations à mettre en œuvre, le prochain comité de pilotage des Yvelines aura lieu en juin 2023.

Plan
X