Le nombre de mineurs non accompagnés présents en Seine-Saint-Denis a triplé depuis 2015

Publié le 16/01/2020

À la veille du trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, le département de Seine-Saint-Denis (93) annonçait qu’il saisissait l’ONU au sujet de la prise en charge des mineurs étrangers non accompagnés. Le département estime qu’en ne contribuant pas suffisamment au budget du département consacré à ces mineurs, l’État méconnaît les obligations de la convention de l’ONU sur les droits de l’enfant. Frédéric Molossi, vice-président du département chargé de l’enfance et de la famille, nous explique pourquoi le département ne peut plus prendre seul en charge les mineurs non accompagnés accueillis sur son territoire.

Les Petites Affiches : Quelle est la situation des mineurs non accompagnés en Seine-Saint-Denis ?

Frédéric Molossi : Le nombre de mineurs non accompagnés présents sur notre département s’est considérablement accru depuis 2015. Leur nombre a triplé en 3 ans. Au mois de juin dernier, ils étaient 1 429 à être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Nous sommes, avec Paris, le département accueillant le plus grand nombre de mineurs non accompagnés. Absorber ce constant flux de personnes pose évidemment des problèmes d’organisation et de budget. Nous avons créé une cellule d’accueil des mineurs non accompagnés sur un site, à Bobigny, sur lequel il a fallu déployer un grand nombre de personnels. Nous avons consacré 59 M€ à l’accompagnement de ces mineurs en 2019. C’est 18M€ de plus qu’en 2018, et pourtant ce n’est pas encore assez !

LPA : Comment vivent ces mineurs ?

F.M. : Certains sont pris en charge dans des dispositifs dédiés, en hébergement collectif ou en habitat diffus c’est-à-dire en logements partagés. Nous avons également créé 900 places d’accueil en 2019, pour permettre une prise en charge à la fois individualisée et globale. Néanmoins, certains de ces adolescents sont hébergés à l’hôtel,or la vie quotidienne à l’hôtel est faite de contraintes, ce qui ne garantit pas une prise en charge optimale. La vie quotidienne à l’hôtel est faite de contraintes qui compliquent le suivi par les équipes dédiées. Nous veillons à diminuer autant que possible ce recours aux hébergements hôteliers et à en réduire la durée, mais nous n’avons pas toujours d’autres solutions, malheureusement.

LPA : En quoi consiste cet accompagnement ?

F.M. : Ces mineurs non accompagnés doivent voir garantis l’accès au droit, à la formation, ils doivent avoir accès à des formations. Ils doivent être suivis par des équipes pluridisciplinaires de travailleurs sociaux, auprès desquelles ils vont faire l’apprentissage de la vie sans adulte. Ces travailleurs les aident à gérer le quotidien, à bénéficier des aides financières auxquelles ils peuvent prétendre, à être pris en charge en termes de santé. Certains ont des pathologies, et beaucoup ont été victimes ou témoins de violences au cours de leur périple et doivent être accompagnés par un psychologue. Nous avons également des mineurs qui sont devenus majeurs. Nous avons mis en place 1 000 contrats jeunes majeurs, pour des jeunes entre 18 et 21 ans. Plusieurs anciens mineurs non accompagnés en bénéficient.

LPA : À qui incombe la prise en charge des mineurs non accompagnés ?

F.M. : L’obligation est faite au département de les accompagner, au même titre qu’il prend en charge les jeunes mineurs de l’aide sociale à l’enfance. La présence des mineurs non accompagnés découle d’une politique de migration qui ne dépend pas des départements. L’État doit donc accompagner les départements dans cette tâche. Dans les faits, l’État ne prend en charge que 8 % des dépenses liées à cet accompagnement. Dès lors, même si nous mettons en œuvre des moyens considérables pour remplir cette mission, la prise en charge que nous offrons n’est pas celle que l’on voudrait. Les élus et le personnel des services dédiés font des efforts considérables pour assurer un accompagnement de qualité et remédier aux défaillances de l’État. Je tiens à souligner leur engagement car c’est grâce à eux et à leur dévouement que l’on parvient à accompagner ces mineurs. Ces politiques publiques fonctionnent à peu près uniquement parce que les travailleurs sociaux compensent. Ils méritent qu’on leur rende hommage.

LPA : Vous avez alerté le gouvernement. Que vous a-t-on répondu ?

F.M. : Nous regrettons que dans les dernières annonces faites par le secrétaire d’État en charge de la protection de l’Enfance, Adrien Taquet, rien n’ait été dit sur la situation des mineurs non accompagnés. Ce sont pourtant des mineurs à protéger au même titre que les autres. Nous sommes très inquiets de voir qu’à l’issue des états généraux de la protection de l’enfance, rien ne change. La situation des mineurs non accompagnés est un angle mort de la politique du gouvernement en matière de protection de l’enfance. L’État semble considérer que la situation est acceptable. Nous n’arrivons pas à nous faire entendre.

Le nombre de mineurs non accompagnés présents en Seine-Saint-Denis a triplé depuis 2015
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LPA : Pourquoi avez-vous intenté un recours contre l’État ?

F.M. : Ce recours s’inscrit dans une suite de prise de position pour interpeller l’État et les ministres concernés. Nous avons entrepris plusieurs actions, dont certaines communes avec le département du Val-de-Marne et la Mairie de Paris. N’ayant eu aucune réponse, nous avons cherché d’autres moyens de nous faire entendre. Le 25 novembre dernier, nous célébrions les 30 ans de la Convention internationale des droits de l’enfant. Nous avons décidé de saisir le comité des droits de l’enfant de l’ONU. Ce comité a pour mission de recadrer les États qui s’éloigneraient des recommandations de la Convention. Nous espérons donc que le comité fera des remarques à l’État pour que celui-ci se mobilise enfin.

LPA : Avez-vous eu des réactions de l’État ?

F.M. : Pour l’instant nous n’avons pas eu de retour. Nous attendons de voir si notre saisine sera jugée recevable et quelle traduction elle pourra trouver. Cette saisine est pour nous un outil parmi d’autres pour faire bouger les lignes.