Le placement éducatif à domicile n’est pas un placement !
L’avis de la Cour de cassation rendu en février dernier a suscité de nombreuses réactions chez les juristes comme chez les professionnels de la protection de l’enfance. La Cour régulatrice précise ce qu’est le placement éducatif à domicile au regard des textes régissant les mesures d’assistance éducative.
Cass., avis, 14 févr. 2024, no 23-70015
Même si la Cour de cassation n’a exprimé qu’un avis le 14 février 2024, à propos du placement éducatif à domicile, cette décision a provoqué beaucoup de remous dans le monde de la protection de l’enfance. Cette demande d’avis a été initiée par un juge des enfants du tribunal judiciaire de Moulins qui, saisi d’une demande de renouvellement d’une mesure d’assistance éducative pour un mineur, s’interrogeait sur la qualification juridique de la mesure ordonnée initialement, à savoir un placement à l’Aide sociale à l’enfance sous forme de placement externalisé au domicile parental avec intervention d’un Service de Placement Intermédiaire et individuel éducatif à domicile. Or, à l’heure où la protection de l’enfance est pointée du doigt par les médias1, où les instances nationales et les départements réclament des moyens supplémentaires pour mener à bien leurs missions2 et où les voix des professionnels s’élèvent pour dénoncer les conditions de travail dans lesquelles ils exercent leurs métiers3, il semble d’autant plus intéressant de ne pas oublier qu’il existe un cadre instauré par le législateur dans lequel doivent s’inscrire les mesures judiciaires de la protection de l’enfance. Par cet avis, c’est la position qu’adopte la Cour de cassation, faisant fi des pratiques apparues dans certains départements. Ainsi que prévoit le droit au sujet des mesures d’assistance éducative ? Le fait pour un mineur d’être maintenu dans son milieu habituel ne peut être qualifié juridiquement de placement, quel que soit le nom que l’on donne à cette mesure, comme le rappelle la Cour régulatrice (I). Au-delà de cette précision juridique, l’avis de la Cour de cassation amène à se questionner sur l’adaptation du droit aux pratiques initiées sur le terrain de la protection de l’enfance (II).
I – La qualification juridique du placement éducatif à domicile : une mesure qui porte mal son nom
Le placement éducatif à domicile, autrement dénommé service d’adaptation progressive en milieu naturel ou dispositif d’accueil et d’accompagnement à domicile, n’est pas nouveau ; certains services l’ont développé dès les années 19804, mais il est vrai que ce type de prise en charge s’est particulièrement développé ces dernières années5. Pourtant, ce dispositif basé sur une décision du juge des enfants et qui consiste à maintenir l’enfant auprès de ses parents tout en prononçant son placement à l’Aide sociale à l’enfance ne fait pas partie des mesures offertes au juge des enfants en matière d’assistance éducative. En effet, ces mesures consistent soit dans l’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) – accompagnement éducatif qui se déroule sans modifier le lieu de vie habituel du mineur – soit dans le placement du mineur, mesure ultime de dernier recours, qui consiste à déplacer le mineur de son lieu de vie afin de le mettre à l’abri et à le confier à son autre parent, à un membre de sa famille, à un tiers digne de confiance, à l’Aide sociale à l’enfance ou directement à un établissement spécifique, sachant qu’il existe une priorisation au cercle familial ou proche depuis 20226. Entre ces deux mesures, des variantes permettant une sorte de gradation et effaçant la référence binaire domicile/placement sont apparues : ainsi, en 20077, le législateur a introduit de l’hébergement exceptionnel ou périodique à la mesure d’AEMO8 et, en 20229, il est venu préciser que l’AEMO pouvait, si la situation le nécessite, être intensifiée ou renforcée10. En revanche, point de placement éducatif à domicile. Cette mesure, dont la dénomination laisse le juriste dubitatif – qualifiée d’oxymore11, de Kafka en protection de l’enfance12, d’innovation éducative paradoxale13 – est un mélange des mesures existantes : le juge confie l’enfant à l’Aide sociale à l’enfance mais le mineur continue d’habiter avec ses parents grâce à des droits de visite et d’hébergement permanents ; en parallèle, le mineur et sa famille bénéficient d’un accompagnement éducatif soutenu et d’une place de repli dans un établissement ou une famille d’accueil en cas de crise, d’urgence nécessitant une mise à l’abri immédiate. Cette mesure se justifiait pour les enfants pour lesquels l’accueil hors du domicile s’avérait quasiment impossible ou pour préparer un retour à domicile après une mesure de placement classique. Malheureusement, faute de places d’hébergement au sein des établissements d’accueil de mineurs14, elle est devenue un palliatif au désengagement financier de l’État ne permettant plus aux départements d’exercer pleinement leurs missions et a désormais une visée essentiellement économique.
Sollicité pour avis concernant la qualification juridique du placement éducatif à domicile, le juriste ne peut qu’applaudir le raisonnement suivi par les magistrats du Quai de l’Horloge. En effet, la Cour de cassation l’indique clairement : malgré son nom trompeur, il ne s’agit pas d’un placement. Pour commencer, la Cour rappelle qu’aucun texte relatif à l’assistance éducative ne prévoit de mesure par laquelle l’enfant serait confié à l’Aide sociale à l’enfance tout en demeurant quotidiennement (jour et nuit) auprès de ses parents. Aussi, il convient de rechercher si une telle pratique entre dans le champ d’application de l’AEMO ou du placement. Pour les juges, le placement du mineur, qui doit être l’exception, ne peut être ordonné que si justement le mineur ne peut demeurer auprès de ses parents en raison du degré de gravité du danger auquel il est exposé. Aussi, à partir du moment où l’enfant reste auprès de ses parents, la mesure ne peut être assimilée au placement de l’article 375-3 du Code civil. En revanche, la Cour de cassation précise que cette mesure relève du champ de l’AEMO, renforcée ou intensifiée, avec possibilité d’hébergement exceptionnel ou périodique, tel que décrit à l’article 375-2 du Code civil.
II – L’inadéquation de la protection de l’enfance aux réalités de terrain : qui doit s’adapter ?
En pratique, le placement éducatif à domicile n’est pas forcément une « mauvaise » mesure. Il peut être utile pour préparer un placement externalisé, être une mesure d’attente du fait de l’insuffisance de places, servir de transition pour un retour à domicile en douceur ou encore répondre à l’intérêt de certains profils d’enfants inadaptés à l’accueil collectif, comme les enfants en très bas âge ou ceux qui mettent en échec systématiquement tout placement extérieur15, permettant dans toutes ces hypothèses de conserver les garde-fous nécessaires à la sécurité du mineur. En effet, avec cette mesure, le service de l’Aide sociale à l’enfance peut agir rapidement puisque, comme l’enfant lui a été confié judiciairement, il peut modifier son lieu d’accueil sans avoir besoin d’une nouvelle décision judiciaire16. Cependant, sans fondement légal, le placement éducatif à domicile ne pouvait qu’être voué à créer des problématiques juridiques. Ainsi se pose la question de savoir qui est responsable des dommages que pourrait causer le mineur. La loi prévoit que ce sont ses parents qui sont responsables de lui civilement17, même si une mesure d’AEMO a été ordonnée, mais qu’en cas de placement à l’Aide sociale à l’enfance, il y a transfert de responsabilité vers le service départemental18, et ce, même pendant l’exercice des droits de visite et d’hébergement des titulaires de l’autorité parentale. S’il s’agit d’un placement éducatif à domicile, appliquer la règle de transfert de responsabilité ne paraît pas cohérent, les parents assumant en pratique la surveillance quotidienne de l’enfant. De même, qu’en est-il des actes usuels ? En cas de placement, c’est le service gardien qui les accomplit, les parents n’intervenant que pour les actes particulièrement graves ou qui ne s’inscrivent pas dans une pratique établie19. Lorsque ce service confie ensuite l’enfant à une personne physique ou à une personne morale, une liste des actes usuels que cette personne ne peut accomplir sans lui en référer préalablement doit être annexée au projet pour l’enfant20. Comment appliquer cette disposition en placement éducatif à domicile ? Les parents pourraient-ils avoir à solliciter l’Aide sociale à l’enfance pour la réalisation d’un acte usuel alors qu’ils restent compétents pour les actes les plus engageants ? Ce serait une ineptie. En placement éducatif à domicile, se pose également la question de la prise en charge financière de l’enfant. Si les frais d’entretien et d’éducation du mineur faisant l’objet d’une mesure d’assistance éducative continuent d’incomber à ses père et mère sauf décision contraire du juge des enfants21, l’article L. 228-3 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que c’est le département qui assume la charge financière des dépenses d’entretien, d’éducation et de conduite des enfants faisant l’objet d’un placement lorsqu’il le confie à une personne physique, établissement ou service public ou privé. En pratique, le département est souvent le principal financeur, les parents étant rarement contraints au versement d’une participation financière au profit de la collectivité départementale. Quid lors d’un placement éducatif à domicile ? Le département aurait-il à financer la prise en charge du mineur au domicile de ses parents ? Cela serait très étonnant. De plus, la perception des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire fait aussi partie des zones d’ombre du placement éducatif à domicile. La règle prévoit qu’en cas d’enfant placé, c’est le service de l’Aide sociale à l’enfance qui perçoit la part des allocations familiales due pour le mineur22, tandis que l’allocation de rentrée scolaire est conservée à la Caisse des dépôts et consignations pour être restituée à l’enfant à sa majorité, à moins que l’enfant continue de résider au sein de sa famille et d’être à la charge d’un de ses membres, auquel cas la prestation est versée à cette personne physique23. Il ne serait pas juste de priver les titulaires de l’autorité parentale de ces prestations familiales si l’enfant demeure effectivement auprès d’eux et qu’ils en assument la charge financière. Notons enfin la difficulté de compréhension du mineur et de sa famille lorsque le juge des enfants prononce un placement, du fait ne l’oublions pas de l’impossibilité pour le mineur de rester à domicile au vu de la situation de danger encouru, mais qui s’exercera… à domicile24.
Les difficultés posées par le placement éducatif à domicile montrent la dangerosité de la validation d’une pratique – et ce même par les plus hautes instances de la protection de l’enfance25 – ne disposant pas de cadre légal. Le juge des enfants n’est pas là pour « arranger » des départements en manque de places d’hébergement en bricolant des solutions, mais bien comme l’indiquait Montesquieu pour être « la bouche de la loi ». Avec le placement éducatif à domicile, il sort du cadre posé. Il est vrai que la réflexion des professionnels de la protection de l’enfance au plus près des besoins de l’enfant ainsi que les dispositifs expérimentaux des territoires départementaux peuvent aboutir à des modifications : c’est ainsi que le législateur a ajouté un possible hébergement à l’AEMO en 200726 ou a reconnu l’AEMO renforcée ou intensifiée en 202227. Mais il convient de ne pas toujours devancer la loi au risque de faire face à des difficultés pratiques.
À la suite de cet avis, il est légitime de se demander si le législateur pourrait introduire le placement éducatif à domicile dans le panel des mesures d’assistance éducative. De notre point de vue, il n’y en aurait pas d’utilité. Comme l’a indiqué la Cour de cassation, ce placement éducatif à domicile n’est en réalité qu’une AEMO avec hébergement maquillée. Il appartient donc aux départements d’investir la diversité de l’AEMO et non au législateur d’être redondant. Pour cela, il faudra que les juges de la protection de l’enfance soient sensibles à l’avis rendu le 14 février 2024, qui a une portée plus symbolique que contraignante. Finissons sur une piste intéressante, qui aurait le mérite de ne pas déroger au cadre légal : la mesure unique en milieu ouvert, qui permet au service mandaté par le juge des enfants d’intensifier ou de moduler l’intervention en fonction des besoins de l’enfant et de sa famille sans avoir à solliciter l’autorité judiciaire.
Notes de bas de pages
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1.
R. Richardot, « Lily 15 ans, morte dans un hôtel : questions sur un “échec collectif” de la protection de l’enfance », Le Monde, 12 févr. 2024. Pour une analyse de la protection de l’enfance par les médias, v. L. Izzo, « La protection de l’enfance et les médias », Le Média social, 6 avr. 2021.
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2.
ONPE, Plan Marshall pour la protection de l’enfance, https://lext.so/QEZi5N.
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3.
A. Niemiec, « Les professionnels de la protection de l’enfance à bout de souffle », The Conversation, 27 sept. 2022.
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4.
P. Pétry, « Alternatives au placement familial traditionnel. L’expérience du SAPMN de Nîmes », Revue de l’enfance et de l’adolescence, 2014/2, p. 177.
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5.
V. Fleury, « Protection de l’enfance : l’avis sur le placement à domicile peut “tout” ou “rien” changer », Le Média social, 19 mars 2024.
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6.
L. n° 2022-140, 7 févr. 2022, relative à la protection des enfants : JO, 8 févr. 2022.
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7.
L. n° 2007-293, 5 mars 2007, réformant la protection de l’enfance : JO, 6 mars 2007.
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8.
C. civ., art. 375-2, al. 2.
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9.
L. n° 2022-140, 7 févr. 2022, relative à la protection des enfants : JO, 8 févr. 2022.
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10.
C. civ., art. 375-2, al. 1.
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11.
C. Siffrein-Blanc, « Le “placement à domicile”, un oxymore remis en cause par la Cour de cassation », Dr. famille avr. 2024, comm. 53.
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12.
D. Mulliez, « Le placement à domicile ou Kafka en protection de l’enfance », in blog de J.-P. Rosenczveig, Le Monde, 18 févr. 2023, https://lext.so/8dBv6l.
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13.
Titre d’un colloque organisé par la Fondation Droits d’Enfance le 30 mars 2023 à Paris.
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14.
J. Fichaux, « Aide sociale à l’enfance : avant la loi Taquet, quel département avait la meilleure capacité d’accueil ? », Gazette des communes, 16 févr. 2024. En 2021, dix départements disposent d’une capacité d’accueil inférieure à 2012 alors que le nombre d’enfants pris en charge en protection de l’enfance augmente tous les ans.
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15.
IGAS, rapp. Démarche de consensus relative aux interventions de protection de l’enfance à domicile, n° 2019-036R, déc. 2019, p. 59 et s.
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16.
CASF, art. L. 223-3. Le juge des enfants doit néanmoins en être informé.
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17.
C. civ., art. 1242.
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18.
CE, 11 févr. 2005, n° 252169 : RLDC 2005/6, p. 17, note C. Demunck ; Le Lamy Collectivités territoriales - Responsabilités, mai 2009, p. 24, note C. Weisse-Marchal.
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19.
A. Gouttenoire, « La notion d’acte usuel », JDJ 2013/2, p. 11 ; V. Avena-Robardet et C. Siffrein-Blanc, « Actes usuels/non usuels de l’autorité parentale : tableau comparatif », AJ fam. 2022, p. 261.
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20.
CASF, art. L. 223-1-2.
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21.
C. civ., art. 375-8.
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22.
CSS, art. L. 521-2.
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23.
CSS, art. L. 543-3.
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24.
L. Gareil-Sutter, « Assistance éducative : “placement éducatif à domicile”, le mal nommé… », Dalloz actualité, 1er mars 2024.
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25.
Ainsi l’ONED évoque le placement éducatif à domicile comme s’inscrivant dans le cadre général du droit en tant que placement judiciaire. V. https://lext.so/FMk9Pt.
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26.
L. n° 2007-293, 5 mars 2007, réformant la protection de l’enfance : JO, 6 mars 2007.
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27.
L. n° 2022-140, 7 févr. 2022, relative à la protection des enfants : JO, 8 févr. 2022.
Référence : AJU013c6