Les acteurs responsables de la protection juridique des majeurs réclament plus de moyens financiers
Regroupées au sein d’une inter-fédération, les principales associations en charge de la protection juridique des majeurs (tutelle, curatelle et sauvegarde de la justice), viennent de rendre publique une étude évaluant les gains socio-économiques de leurs actions. Elles espèrent ainsi mobiliser les pouvoirs publics quant à une augmentation des moyens qui leur sont alloués. Valérie Bonne, coordinatrice du pôle protection et droits des personnes à l’Union nationale des associations familiales (UNAF), appelle notamment à « une meilleure connaissance et reconnaissance » des mandataires en charge de la protection juridique des majeurs.
Les Petites Affiches : Pour quelles raisons l’UNAF et ses partenaires ont-ils commandé cette étude ?
Valérie Bonne : L’inter-fédération de la protection juridique des majeurs qui regroupe la Fédération nationale des associations tutélaires (FNAT), l’Union nationale des associations familiales (UNAF) et l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales, et de leurs amis (Unapei), a sollicité cette étude auprès du cabinet indépendant Citizing pour concrétiser, une bonne fois pour toutes, une intuition par des chiffres. Nous savons depuis longtemps, en tant que professionnels, que nos services génèrent des impacts positifs pour la société. Or dès que nous réclamons des moyens supplémentaires, les pouvoirs publics nous rétorquent que la protection juridique des majeurs (PJM) représente d’abord un coût économique. Nous avons donc voulu prouver le contraire, que nos métiers entraînaient des gains socio-économiques importants.
LPA : L’étude révèle que les actions des mandataires judiciaires à la protection juridique des majeurs génèrent plus de 1 Md€ de gains socio-économiques. Comment parvenez-vous à un tel montant ?
V.B. : Le cabinet Citizing a dégagé huit impacts qu’il a ensuite monétarisé selon des techniques de recherches académiques éprouvées. L’étude dévoile notamment que l’intervention des mandataires pour le maintien et le recours aux droits sociaux permet d’éviter le basculement de plus de 70 000 personnes sous le seuil de pauvreté. Les démarches requises pour l’accès ou le renouvellement aux droits sont très complexes à réaliser pour des personnes en situation, par exemple, de handicap psychique ou en raison, plus simplement, de leur âge avancé. Si les professionnels en charge de la protection juridique des majeurs n’intervenaient pas dans ce domaine cela occasionnerait 360 Md€ de dépenses supplémentaires pour les finances publiques. Car nous le savons, la pauvreté a un coût élevé pour la société. De la même manière, sans nos interventions, plus de 20 000 personnes deviendraient sans-abri pour un coût estimé à 208 Md€.
LPA : L’étude indique également que votre travail permet d’éviter le suicide de dizaines de personnes (80) parmi les personnes âgées ou qui présentent un trouble psychique. Comment parvenez-vous à mesurer cela ?
V.B. : Les personnes concernées par la protection juridique des majeurs présentent une altération de leurs facultés mentales. Du fait de cette protection, elles bénéficient notamment d’un meilleur accès aux soins essentiels pour leurs difficultés psychologiques ou psychiatriques. Et elles sont, de ce fait, beaucoup moins soumises à une rupture éventuelle de leurs soins qui pourrait être dangereuse et entraîner une hospitalisation, par exemple. Le travail des mandataires permet également de réduire le sentiment d’isolement et aide ainsi à la stabilisation psychologique des personnes.
LPA : Vous réclamez en conclusion plus de moyens financiers : 130 Md€ supplémentaires pour le budget 2021 dédié à la PJM (714 Md€ actuellement). Comment déploierez-vous ce surplus si vous l’obtenez ?
V.B. : Nous aimerions faire un saut qualitatif dans les accompagnements que nous réalisons, aussi bien pour la tutelle que la curatelle. Pour ce faire, nous avons besoin de recruter 2 000 professionnels dans les associations. Notre objectif est de limiter à 45 le nombre de personnes protégées par professionnel contre 60 actuellement. C’est un enjeu doublement essentiel puisque les données portant sur le vieillissement de la population sont claires : le nombre de majeurs protégés pourrait doubler d’ici 2040 !
Nous aspirons également à une meilleure connaissance et reconnaissance de notre activité. Un mandataire débutant, dans une association, ne gagne que 1 300 € nets par mois, ce n’est pas suffisamment attractif pour une personne diplômée d’un Bac +3. Nos mandataires ont par ailleurs des compétences multiples : juridiques bien sûr, mais également dans l’accompagnement de gestion de patrimoine ou social. Ils ont également beaucoup plus de responsabilités depuis la loi du 23 mars 2019 qui renforce la protection et l’autonomie des majeurs vulnérables. Tout cela va de pair avec notre volonté de créer, pour remplacer le certificat national de compétence, un diplôme d’État.
Enfin, nous voulons structurer la politique publique de la protection juridique des majeurs en nommant un délégué interministériel dédié et en créant un observatoire national pour mieux connaître le nombre de personnes protégées ainsi que leurs trajectoires de vie.
LPA : Pour quelles raisons, d’après vous, avez-vous besoin de justifier ainsi votre rôle dans la société ? Cela reflète-t-il une méconnaissance coupable de la part de l’État ?
V.B. : Les personnes protégées et les mandataires qui les aident sont invisibles dans les politiques publiques. La diversité des profils entraîne l’éparpillement de leur prise en charge. Les personnes âgées bénéficient d’une politique publique distincte de celle des personnes en situation de handicap. Or dans ces deux catégories, il y a des personnes protégées. Cela renforce l’invisibilité de la protection juridique des majeurs. Le sujet a été ciblé dès 2012 par l’inter-fédération et la parution d’un livre blanc. Depuis nous demandons une politique interministérielle dédiée.
LPA : Êtes-vous optimiste quant à l’obtention des moyens supplémentaires réclamés dès cette année, dans le projet de loi de finances 2021 ?
V.B. : Oui, il le faut ! C’est urgent et cela fait trop longtemps que nous restons dans l’attente.
La crise sanitaire a montré toute l’importance des mandataires judiciaires. L’action des professionnels s’est révélée essentielle dans l’accompagnement des personnes les plus vulnérables. Je pense, bien sûr, aux démarches pour les droits sociaux mais aussi à la présence physique et à l’accompagnement à distance pour éviter un trop grand isolement pendant le confinement. Nous devons être entendus.