Les droits fantomatiques des personnes nées d’une PMA dont le tiers donneur est décédé

Sur l’application de la loi Bioéthique de 2021 par la CAPADD
Publié le 18/12/2023
Les droits fantomatiques des personnes nées d’une PMA dont le tiers donneur est décédé
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La loi Bioéthique de 2021 avait notamment pour ambition d’atténuer les conséquences de l’anonymat absolu des donneurs de gamètes sur les personnes nées de dons, privées d’une part de leur identité. La levée de l’anonymat du don sera effective en 2040, à la majorité des personnes nées de dons postérieurs à cette loi. Toutes celles nées avant doivent se contenter d’un dispositif qui n’est pas exempt de critiques : quid, par exemple, de l’anonymat complet encore opposé aux personnes nées d’un don, en raison du décès du tiers donneur ?

Les données du tiers donneur décédé doivent-elles être communiquées à l’enfant né d’une assistance médicale à la procréation (AMP ou PMA), alors que son consentement à cette transmission, du fait du décès, n’a pas pu être fourni ?

Une réponse négative a été fournie ces derniers mois par la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD), qui est chargée de l’application de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021, relative à la bioéthique. Cette Commission a, en effet, considéré qu’en l’état actuel du droit aucune donnée, qu’elle soit identifiante ou non identifiante, ne pouvait être transmise sans l’accord préalable du tiers donneur, que celui-ci soit vivant ou décédé.

Pour rappel, les données identifiantes couvrent le nom de naissance, les prénoms, le sexe, la date et le lieu de naissance ; les données non identifiantes sont l’âge, l’état général, tel qu’il le décrit au moment du don, les caractéristiques physiques, la situation familiale et professionnelle, le pays de naissance et les motivations du don, rédigées par ses soins.

Cette interprétation en faveur des droits des tiers donneurs décédés apparaît pourtant comme déséquilibrée au regard du respect de la vie privée des personnes nées d’une AMP et de l’importance, bien connue, pour ces dernières d’obtenir des renseignements sur leurs origines. La question de sa pertinence et de sa légalité au regard du droit européen et des droits et libertés protégés par la Constitution se pose avec d’autant plus d’acuité au regard de la nature des données dites « non identifiantes » et dont la transmission est donc insusceptible de porter atteinte à la vie privée du donneur.

Quelques éléments de réflexion d’une avocate.

I – Pas de révolution pour les enfants issus d’une AMP en cas de décès du tiers donneur

De nombreuses personnes ayant demandé la transmission des données identifiantes et non identifiantes se sont vu opposer le décès du tiers donneur par la CAPADD : la lettre de réponse de la Commission indiquant que le tiers donneur était décédé « sans avoir préalablement exprimé son consentement à la communication de ses données » et qu’en conséquence, « en l’absence du consentement exprès et personnel du donneur, en l’état actuel de la législation », la commission ne pouvait transmettre les données identifiantes et non identifiantes de ce tiers.

Dans ce cas, avec plus d’acuité que dans d’autres hypothèses, se pose la question de l’équilibre des droits du tiers donneur décédé et de l’enfant né d’une AMP.

Et le législateur semble avoir ignoré ce cas de figure…

Il faut rappeler ici que depuis le 1er septembre 2022 l’article 5 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021, relative à la bioéthique, permet aux personnes majeures nées d’une AMP avec tiers donneurs – c’est-à-dire des personnes ayant effectué soit un don de gamète (spermatozoïdes ou ovocytes), soit un don d’embryons, utilisé dans le cadre d’une AMP – de formuler une demande d’accès à l’identité et aux données non identifiantes de ces tiers. Cette demande doit être adressée à la CAPADD.

C’est en application de ce texte que près de 434 personnes nées d’une AMP avant l’entrée en vigueur de la loi1 ont fait une demande pour obtenir les données relatives à leur tiers donneur, à qui le consentement à cette transmission était demandé.

En dépit de l’avancée certaine représentée par cette loi, qui a radicalement modifié le dispositif français d’anonymat des donneurs jusqu’alors protégés par un secret absolu, le premier bilan dressé par la CAPADD dans son rapport annuel de 2022-20232 est pourtant mitigé. Et le dispositif semble ignorer le cas des tiers donneurs décédés.

La loi prévoit, en effet, un dispositif dual, qui distingue les cas de dons avant et après l’entrée en vigueur de la loi.

Ainsi, depuis le 1er septembre 2022, les donneurs doivent, préalablement au don, consentir à la communication de leurs données aux personnes nées de ce don qui, à leur majorité, demanderont à y accéder. Faute de ce consentement, le don ne peut avoir lieu.

Afin de ne pas porter atteinte aux situations établies, s’agissant du cas plus particulier du consentement du tiers donneur non soumis aux dispositions de la loi au moment du don, deux cas ont été prévus à l’article R. 2143-7 du Code de la santé publique :

• une transmission spontanée. Les tiers donneurs « peuvent, à tout moment, s’adresser à la commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs, afin de consentir auprès de celle-ci à la communication de leur identité et de leurs données non identifiantes » ;

une transmission lors dune demande de la CAPADD. Les tiers peuvent « exprimer ce consentement auprès de la commission lorsque celle-ci les contacte après avoir été saisie d’une demande d’accès à leurs données d’identité ou non identifiantes en application du D du VIII de l’article 5 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique ».

Il est précisé que les tiers donneurs peuvent revenir sur leur refus de consentir à la communication de leurs données de manière ultérieure en s’adressant directement à la CAPADD (CSP, art. R. 2143-8).

Rien ne semble donc avoir été prévu dans l’hypothèse très spécifique du décès du tiers donneur avant l’entrée en vigueur de la loi de 2021, ce qui a laissé la porte ouverte aux refus envoyés par la CAPADD ces derniers mois.

II – Vie privée des tiers donneurs décédés versus vie privée des enfants nés d’une AMP : un équilibre à réexaminer

En se fondant sur les textes applicables issus de la loi n° 2021-1017, la CAPADD considère que le décès du tiers donneur fait opposition à la transmission de ses données à l’enfant issu de l’AMP qui le demande, en l’absence de consentement exprès.

Dans son application de la loi, la CAPADD fait ainsi prévaloir une obligation de recueillir le consentement du tiers donneur à la transmission des données identifiantes et non identifiantes, alors même que :

ce tiers donneur est décédé, sans pouvoir exprimer son consentement ;

les données non identifiantes ne permettent, par nature, aucune identification du tiers donneur et ne peuvent donc attenter à sa vie privée.

Il n’est donc opéré aucune distinction, au regard du droit au respect de la vie privée, entre les donneurs en vie et les donneurs décédés, mais plus encore entre les données identifiantes et les données non identifiantes.

Il est difficilement compréhensible que le décès du donneur puisse faire obstacle à la communication de ses données identifiantes et non identifiantes pour les dons faits avant l’entrée en vigueur de la loi de 2021, alors que l’objectif poursuivi par le législateur est précisément d’assurer un équilibre entre l’anonymat du don et la possibilité pour la personne née du don d’avoir un accès à certaines données.

Alors que la survenue du décès du donneur devrait conduire à faire prévaloir les intérêts du demandeur, qui est lui encore en vie, cette circonstance s’avère être à l’inverse un obstacle à la transmission de toute information, face à l’impossibilité de rechercher le consentement du donneur.

Cette situation est encore plus déséquilibrée encore s’agissant des données non identifiantes d’un donneur décédé, pour lesquelles aucun obstacle juridique n’empêche leur transmission à un demandeur.

Or, un schéma qui tient compte du décès du donneur n’est pas inconnu du droit positif (v. par exemple les dispositions du Code de l’action sociale et des familles applicables à l’accouchement sous X).

Et cette position est conforme à celle de l’ensemble des États qui offrent un droit d’accès à l’identité du donneur.

C’est ce que rappelle la CEDH, dans son arrêt très récent du 7 septembre 2023 dans l’affaire GauvinFournis et Silliau contre France3 : « La plupart des États qui offrent un droit d’accès à l’identité du donneur le permettent à la majorité de l’enfant. Néanmoins, certains d’entre eux ouvrent cet accès avant l’âge de 18 ans. Le seuil d’âge est fixé à 16 ans en Allemagne, aux Pays-Bas et en Suède pour l’identité du donneur ainsi qu’au Royaume-Uni pour les données non identifiantes, à 15 ans en Norvège, à 14 ans en Autriche, voire 12 ans aux Pays-Bas pour les seules données non identifiantes (Étude du CDCJ, pp. 27-29) ».

C’est ce que rappelle aussi l’étude d’impact de loi du 2 août 2021, qui observait qu’« au Royaume-Uni, les enfants conçus par don peuvent accéder, à partir de 16 ans, à des données non identifiantes sur le donneur et ceux nés d’un don postérieur au 1er avril 2005 peuvent, à partir de 18 ans, accéder à l’identité du donneur en s’adressant à la HFEA (Human Fertilisation and Embryology Authority) ».

En France pourtant, la CAPADD ne fournit aucune donnée à un enfant né d’une AMP sans le consentement du tiers donneur et, quand il est décédé, son consentement est réputé manquant. Et ce, alors que de nombreuses instances en France se sont prononcées en faveur de la transmission des données non identifiantes et, en premier lieu, le Comité consultatif national d’éthique, qui a rappelé, à diverses reprises, qu’« il faut chercher, dans la complexité de chaque type de situation, l’équilibre le plus adapté au bien de l’enfant (…) ».

L’absence de transmission des données identifiantes, mais aussi et surtout non identifiantes dans le cas des tiers donneurs décédés pose la question de la conformité du dispositif national au droit européen et à la Constitution.

Il s’agit bien d’une méconnaissance excessive du droit à la vie privée tel qu’il se dégage de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme, les droits du donneur décédé prévalant sur ceux de la personne née du don, encore en vie.

Quelles raisons justifieraient que la loi interdise la transmission des données identifiantes du donneur décédé et plus encore, des données non-identifiantes ?

Sans même qu’il ne soit question de revendiquer un droit d’accès aux origines, cet état du droit soulève la question du respect du droit à la vie privée de la personne née du don, qui suppose un accès aux éléments essentiels qui forgent son identité, en ayant connaissance d’informations minimales, non-identifiantes, du donneur.

Le sujet n’a pas été réglé par la CEDH dans sa décision GauvinFournis et Silliau contre France du 7 septembre 2023, puisqu’elle s’est uniquement penchée sur les données médicales non identifiantes.

Elle devra donc être réglée par les juridictions nationales, avant que la CEDH puisse à nouveau se prononcer sur la conformité du dispositif national.

À lire également

« On continue à concevoir des enfants sans leur garantir un accès à leurs origines » !, interview d’Audrey Kermalvezen, avocate, fondatrice de l’association Origines

Notes de bas de pages

  • 1.
    Il faut rappeler ici qu’on estimait à environ 70 000 en 2019 le nombre d’enfants nés en France à l’issue d’une AMP avec tiers donneurs.
  • 2.
    CAPADD, Rapport annuel 2022-2023, 15 sept. 2023, https://lext.so/i-ks6b.
  • 3.
    CEDH, 7 sept. 2023, nos 21424/16 et 45728/17.
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