Mariage des majeurs protégés et autorisation du juge des tutelles

Publié le 14/10/2019

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 26 juin 2019 revêt une importance manifeste. Il met en lumière les pouvoirs d’appréciation du juge des tutelles en matière de droit fondamental du majeur protégé. Le juge des tutelles peut-il autoriser de manière souveraine le mariage d’un majeur protégé ? En rejetant le pourvoi formé, la haute juridiction a validé l’autorisation à mariage : « Mais attendu que la cour d’appel (…) a souverainement déduit, sans méconnaître l’effet dévolutif de l’appel ni l’autorité de la chose jugée attachée à la décision d’ouverture de la mesure de protection, qu’il convenait d’autoriser la majeure protégée à se marier avec M. X, dont elle partageait la vie depuis plusieurs années ».

Cass. 1re civ., 26 juin 2019, no 18-15830, PB

1. La maladie, le handicap et la vieillesse constituent des motifs valables permettant au juge des tutelles de se prononcer sur la mise sous protection d’une personne physique. Cette décision du juge demeure importante puisqu’à compter de son prononcé, il existe un encadrement des actes du majeur protégé et ce en fonction de la mesure de protection prononcée1. Dans le cadre de la tutelle, le juge des tutelles statue sur les actes et droits fondamentaux du majeur protégé. Cette prérogative lui permet par conséquent soit d’autoriser un acte ou un droit, soit d’en interdire suivant l’intérêt du concerné et de manière souveraine. La souveraineté de son pouvoir a été mise en exergue dans l’affaire rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 26 juin 20192. En l’espèce, Mme X est placée sous tutelle par jugement du 9 novembre 2015 pour une période de 10 ans. L’organisme APASE d’Ille-et-Vilaine est désigné en qualité de tuteur. Cette décision est confirmée par un arrêt du 19 décembre 2017. Mme X sollicite le juge des tutelles afin d’être autorisée à se marier avec son compagnon M. Y. Sur la base d’un certificat médical circonstancié établi en 2016 attestant l’incapacité pour Mme X de donner un consentement libre et éclairé au projet du mariage, le juge des tutelles rend une ordonnance datant du 10 octobre 2016 portant refus d’autorisation de Mme X à se marier avec M. Y. La majeure protégée et son compagnon interjettent appel de la décision devant la cour d’appel de Rennes. Pour Mme X, elle est capable de donner un consentement éclairé pour le mariage. Les enfants et la sœur de Mme X interviennent volontairement dans les débats à la cour d’appel. Pour eux en revanche, Mme X ne saurait être autorisée à se marier. Par arrêt du 27 février 2018, la cour d’appel infirme l’ordonnance du juge des tutelles. Très concrètement, la cour autorise la majeure protégée à se marier sur la base de son souhait exprimé. Un pourvoi est formé contre cette décision par les enfants et la sœur de Mme X. D’après ces derniers, le juge ne saurait autoriser la majeure protégée à se marier. Car d’une part, conformément à la loi, la vérification de l’existence et de l’intégrité du consentement de Mme X n’a pas eu lieu et d’autre part, il y a non-respect de l’autorité de la chose jugée relativement à l’arrêt rendu le 19 décembre 2017. Le pourvoi est formellement rejeté par la première chambre civile de la Cour de cassation. La haute juridiction note : « Mais attendu que la cour d’appel, qui n’était pas tenue de s’expliquer sur les pièces qu’elle décidait d’écarter (…) a souverainement déduit qu’il convenait d’autoriser la majeure protégée à se marier avec M. X, dont elle partageait la vie depuis plusieurs années ». Au vu de ce qui précède, l’on observe que les juges de la première chambre civile de la Cour de cassation, en faisant fi des éléments tel le certificat médical circonstancié, ont autorisé le mariage de cette majeure protégée de manière discrétionnaire. Force est de constater que le mariage du majeur protégé a été subordonné à l’autorisation souveraine du juge des tutelles (I). Cette décision de la Cour de cassation apparaît toutefois désuète au regard de la loi du 23 mars 2019 sur la programmation 2018-2020 et la réforme de la justice (II).

I – La subordination du mariage d’une majeure protégée a l’autorisation souveraine du juge des tutelles

2. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 26 juin 2019 revêt une importance manifeste. Il met en lumière les pouvoirs d’appréciation du juge des tutelles en matière de droit fondamental du majeur protégé. Le juge des tutelles peut-il autoriser de manière souveraine le mariage d’un majeur protégé ? En rejetant le pourvoi formé, la haute juridiction a validé l’autorisation à mariage. En l’espèce, l’autorisation souveraine s’est fondée sur le projet réel de mariage de la majeure protégée articulée d’une part sur le souhait exprimé par la majeure (A), et d’autre part sur la durée et la stabilité de la vie commune avec son compagnon (B).

A – Le souhait exprimé par Mme X lors de son audition

3. Il est notoire de reconnaître qu’avant l’entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2019 sur la programmation 2018-2020 et de réforme de la justice, le juge des tutelles était investi d’une mission importante en ce qui concerne le mariage d’une personne protégée. D’après l’article 460, alinéa 2, du Code civil : « le mariage d’une personne en tutelle n’est permis qu’avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué et après audition des futurs conjoints et recueille, le cas échéant, de l’avis des parents et de l’entourage ». La lecture de ce dispositif permet d’affirmer que l’autorisation du juge des tutelles devrait faire suite à l’audition du majeur protégé. Autrement dit, l’audition du majeur vulnérable est un préalable à la décision d’autorisation à mariage du majeur sous tutelle. Dans le cadre de l’affaire soumise devant la première chambre civile de la Cour de cassation, les juges ont tenu compte de l’audition de Mme X avant d’autoriser son mariage. Mais alors, cette audition est-elle suffisante pour autoriser cette union ? La réponse est négative pour les enfants et la sœur de Mme X car une autorisation à mariage requiert de vérifier l’intégrité et la sincérité du consentement du futur conjoint. Or, la cour de Rennes n’a pas vérifié la volonté matrimoniale réelle de Mme X. Par conséquent, pour les demandeurs au pourvoi, l’effet dévolutif de l’appel prévu par l’article 5613 du Code de procédure civile n’a pas été respecté par les juges. Si l’on part du principe suivant lequel l’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel pour qu’il soit statué à nouveau en fait et en droit, l’on pourrait de prime abord souscrire à la thèse selon laquelle la cour d’appel a contrevenu à la loi. Toutefois, une analyse approfondie de l’arrêt permet d’affirmer que les juges ont fait prévaloir de manière délibérée le souhait exprimé du majeur protégé de se marier au détriment de l’effet dévolutif de l’appel. Comment analyser une telle situation ? Cette situation laisse présager la souveraineté du pouvoir d’appréciation des juges des tutelles. Ce choix des juges serait guidé par la mise en œuvre d’un droit fondamental : le droit au mariage. Il convient alors d’indiquer que même si le droit au mariage de toute personne physique doit respecter la procédure légale, la juridiction compétente n’est pas : « (…) tenue de s’expliquer sur les pièces qu’elle décidait d’écarter (…) » préalablement au prononcé de sa décision. En tenant compte des faits de l’espèce, les juges compétents ont véritablement estimé qu’il convenait d’autoriser la majeure protégée à se marier au vu de l’importance de la mise en œuvre de ce droit pour la vie de la concernée. Ce point de vue est conforté par la durée et la stabilité de la vie commune de la majeure protégée avec son compagnon M. Y.

B – La durée et la stabilité de la vie commune de Mme X avec son compagnon

4. Au même titre que le souhait exprimé par Mme X, la durée et la stabilité de sa vie commune avec son compagnon ont été prises en compte par la juridiction compétente pour apprécier son aptitude au mariage. Doit-on conclure de ce fait que la stabilité d’une relation entre deux êtres constitue le critère fondateur du mariage ? Aucunement. Le mariage demeure l’union entre deux personnes ayant l’intention de vivre en commun et de fonder un foyer. Le mariage est règlementé par le Code civil et requiert différentes conditions4 notamment l’âge et le consentement des futurs conjoints. S’agissant du consentement, lorsque l’un des futurs conjoints est une personne vulnérable, son consentement est conforté par l’autorisation du juge des tutelles. C’est donc dire que l’absence d’autorisation à mariage du juge des tutelles relative à un majeur sous curatelle correspond à un défaut de consentement5. Cette autorisation à mariage est importante. Et tel que l’indique l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 26 juin 2019, le juge, sur la base des éléments factuels, est souverain pour autoriser le mariage d’un majeur. En l’espèce, les opposants à l’autorisation du mariage de la majeure protégée ont soulevé deux moyens de droit : l’effet dévolutif de l’appel et l’autorité de la chose jugée. Ces opposants ont également fait valoir les violences subies par Mme X du fait de son compagnon durant plusieurs années. Bien plus, ils ont relevé que « rien ne démontrait qu’elles avaient cessé au jour où elle [la cour] statuait ». Le rejet du pourvoi formé contre l’arrêt rennais démontre le caractère inopérant de leurs moyens de droit.

5. Force est de constater que la position souveraine du juge des tutelles est fondée sur l’appréciation des faits et de la vie quotidienne de la majeure. C’est ainsi que lors de l’audition, « malgré les rappels qui lui [la majeure protégée] ont été faits de comportements violents (…) à son égard », la majeure protégée a réitéré sa volonté de s’unir à son compagnon. Cette volonté inébranlable de se marier résulte sans doute de la vie en communauté établie depuis plusieurs années avec M. Y. De ce qui précède, la Cour de cassation a décidé que malgré la décision de mise sous tutelle d’une majeure protégée qui a « un besoin absolu d’être protégée dans les actes de la vie civile » et ne peut « en toute indépendance, exprimer sa volonté pour consentir librement à ces actes », l’autorisation du mariage dépend des pouvoirs souverains du juge des tutelles. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2019 sur la programmation 2018-2020 et de la réforme de la justice, cette situation est tombée en désuétude.

II – Une décision désuète au regard de la loi du 23 mars 2019 sur la programmation 2018-2022

6. L’appréhension de la désuétude de la décision rendue le 26 juin 2019 par la première chambre civile de la Cour de cassation requiert au préalable de présenter les textes de loi relatifs au pouvoir du juge en matière d’autorisation du mariage. L’on observe aux termes de l’article 460 du Code civil que la prérogative d’autorisation à mariage des majeurs protégés a été supprimée par la loi du 23 mars 2019 (A). Cette suppression comporte-t-elle des atouts (B) ?

A – La suppression de l’autorisation à mariage légalement confiée au juge des tutelles

7. À la question de savoir si un juge des tutelles peut, de manière souveraine, autoriser un majeur placé sous tutelle à contracter mariage, la première chambre civile de la Cour de cassation, dans sa décision du 26 juin 2019, a répondu sans ambages par l’affirmative. Sans méconnaître l’effet dévolutif de l’appel et l’autorité de la chose jugée, cette décision confère les pleins pouvoirs au juge des tutelles lors de la mise en œuvre de ce droit fondamental. Il est alors notoire de souligner que cette décision est légalement fondée. En effet, elle est conforme à la loi du 5 mars 20076 applicable au moment des faits de l’espèce suivant laquelle : « le mariage d’une personne en curatelle n’est permis qu’avec l’autorisation du curateur ou, à défaut, celle du juge »7. Ici, l’autorisation du juge est fondée sur la vulnérabilité du majeur protégé. Cette autorisation est supprimée depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2019 de programmation pour 2018-2020 et de réforme de la justice. D’après l’article 460 nouveau du Code civil, « la personne chargée de la mesure de protection est préalablement informée du projet de mariage du majeur qu’il assiste ou représente ». Une interprétation de ce texte de loi permet d’affirmer que l’information du tuteur ou curateur se substitue à l’autorisation du juge. Que dire d’un tel changement de cap ? Il nous semble que le législateur a voulu alléger les nombreuses missions incombant au juge des tutelles et parallèlement responsabiliser davantage les mandataires judiciaires à la protection des majeurs investis de l’exercice et du suivi quotidiens des mesures.

8. Peut-on parvenir à la conclusion suivant laquelle le mariage d’une personne placée sous protection juridique n’est plus tributaire des prérogatives d’une autorité ? La réponse est négative. Bien que le législateur ait fait mention d’une information préalable, il a assorti la célébration du mariage des majeurs protégés à l’obtention de cette information. Aussi peut-on lire, les futurs époux devront justifier de l’information faite à la personne chargée de la protection. Bien plus, sur le fondement de l’article 175 du Code civil modifié, la personne en charge de la mesure, c’est-à-dire « le tuteur ou le curateur, peut former opposition, dans les conditions prévues à l’article 173, au mariage de la personne qu’il assiste ou représente ». De ce qui précède, il apparaît que la législation régissant le droit à mariage des majeurs protégés a été révisée. Cela étant dit, la décision rendue par la haute juridiction et conférant souverainement l’autorisation du mariage d’une majeure protégée est désuète. D’où l’importance de s’interroger sur les atouts de cette suppression.

B – Les atouts de la suppression de l’autorisation à mariage confiée au juge des tutelles ?

9. La simplification des procédures relatives à la protection des majeurs vulnérables constitue l’un des objectifs assignés à la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2020 et de réforme de la justice. À travers cette simplification de procédure, l’on peut citer la dispense des autorisations préalables dans la gestion du patrimoine des majeurs vulnérables et la mise en œuvre de leurs droits fondamentaux sans autorisation préalable du juge des tutelles. Le droit de se marier, de signer un pacte civil de solidarité et subséquemment de rompre une relation, constituent une parfaite illustration. La question qui mérite d’être soulignée est celle de savoir si la suppression de l’autorisation à mariage d’un majeur vulnérable confiée au juge des tutelles est opportune ou risquée. La réponse à cette question demeure ambivalente. Si cette suppression comporte manifestement des atouts, certains risques demeurent.

10. En ce qui concerne les atouts de la suppression, il convient de rappeler qu’une personne bénéficiant d’une mesure de protection juridique est celle qui se trouve dans l’impossibilité de pourvoir seule à la défense de ses intérêts en raison d’une altération médicalement constatée soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à l’empêcher d’exprimer sa volonté, l’autoriser à se marier nécessitant, pour une prise en compte efficiente de ses intérêts, de respecter différentes démarches administratives et/ou légales. Or le déroulement plus ou moins long de ces démarches peut être un obstacle à la réalisation rapide du droit du majeur et ainsi de son épanouissement. Outre la réalisation rapide des droits du majeur, la suppression de l’autorisation constitue incontestablement un facteur visant l’autonomie du majeur vulnérable.

11. La suppression du pouvoir d’autorisation à mariage confié au juge des tutelles peut être assortie de risques. Du fait de leur handicap mental ou physique, les majeurs protégés sont vulnérables et nécessitent une protection assurée par le juge des tutelles8. Et tel que le relève un praticien, pour les majeurs protégés nantis, « le passage par l’antichambre du juge des tutelles dissuadait un grand nombre de prédateurs »9 guidés par l’intérêt et non par la vie commune avec le majeur. Or face à la suppression de l’intervention du juge des tutelles, le majeur se trouve davantage vulnérable au vu des abus de toutes sortes dont il peut être victime avant, pendant et après le mariage. Ceci constitue un risque pour le majeur protégé.

12. En conclusion, une double analyse découle de la lecture de l’arrêt du 26 juin 2019 rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation. D’une part, c’est un arrêt important puisqu’il met en lumière, dans le cadre de la vie matrimoniale d’un majeur vulnérable, les pouvoirs d’appréciation du juge des tutelles à finalité protectrice de l’intérêt de ce dernier. D’autre part, c’est un arrêt obsolète au regard des modifications issues de la loi du 23 mars 2019.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Il existe différentes mesures de protection : la tutelle, la curatelle, la sauvegarde de justice et la tutelle familiale.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 26 juin 2019, n° 18-15830 : Dalloz actualité 15 juill. 2019, p. 1447, note Laher R.
  • 3.
    « L’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel. Il est statué à nouveau en fait et en droit dans les conditions et limites déterminées aux livres premier et deuxième du présent code ».
  • 4.
    Voir les articles 144 et suivants du Code civil pour les conditions relatives au mariage.
  • 5.
    CA Lyon, 4 juin 2009, n° 08/04634 : Dr. famille 2009, n° 161, obs. Maria I.
  • 6.
    Malaurie P., « La réforme de la protection juridique des majeurs, à propos de la loi du 5 mars 2007 », LPA 28 mars 2007, p. 5 et s.
  • 7.
    Article 460 du Code civil.
  • 8.
    D’après Buffelan-Lanore Y. et Larribau-Terneyre V., Droit civil, Introduction, Biens, Personnes, Famille, 17e éd., 2011, Sirey, n° 1265, le juge constitue un des organes judiciaires de protection du majeur protégé aux côtés des organes techniques de protection.
  • 9.
    Montourcy V., « Réformes des tutelles du 23 mars 2019 : De Charybde en Scylla », https://www.legavox.fr/blog/maitre-valery-montourcy/reforme-tutelles-mars-2019-charybde-27164.htm.