Recevabilité de l’action en contribution à l’entretien et l’éducation d’une mère à l’occasion de l’action en recherche de paternité diligentée par sa fille devenue majeure
Cass. 1re civ., 9 nov. 2016, no 15-27246
Dans un arrêt du 9 novembre 2016, la Cour de cassation considère qu’une mère est recevable à agir en contribution à l’entretien et à l’éducation de sa fille, cela, malgré le fait que celle-ci soit devenue majeure. Selon elle en effet, la recevabilité de l’action en contribution à l’entretien n’est pas subordonnée à celle de l’action en recherche de paternité et les effets d’une paternité légalement établie remontent à la naissance de l’enfant. Doit donc être cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui décide que seule l’enfant initiatrice de l’action en recherche de paternité est recevable à agir en contribution.
En l’espèce, une enfant a été inscrite sur les registres de l’état civil comme née le 5 août 1992, les registres indiquant uniquement sa filiation maternelle. Par acte du 19 juillet 2012, la mère et la fille ont assigné le prétendu père devant un tribunal en établissement judiciaire de sa paternité. Après avoir, avant dire droit, déclaré l’action recevable et ordonné une expertise biologique, le tribunal conclut que l’homme est le père et il met à sa charge une contribution à l’entretien et à l’éducation de sa fille, à compter du 19 juillet 2012 jusqu’à la fin de ses études. Il déclare en outre que la mère est irrecevable en sa demande de contribution à l’entretien et à l’éducation de sa fille et rejette sa demande de dommages-intérêts.
Un appel est interjeté et la cour d’appel de Paris, le 8 septembre 2015, conclut de la même façon. Pour justifier sa décision, la cour d’appel retient que, « l’action en recherche de paternité ayant été engagée par l’enfant devenue majeure, la mère de celle-ci est désormais sans qualité pour réclamer une contribution à l’entretien et l’éducation, seul l’enfant devenu majeur pouvant exercer cette action ».
Un pourvoi est formé par la mère qui estime que les effets de la paternité légalement ou judiciairement établie remontent à la naissance de l’enfant et que la règle « aliments ne s’arréragent pas » ne s’appliquant pas à la contribution d’un parent à l’entretien et à l’éducation de son enfant, la cour d’appel a violé les articles 327 et 328 du Code civil, ensemble les articles 331, 371-2, 373-2-2 et 373-2-5 du même code.
Ainsi, la Cour de cassation devait répondre à la question suivante : lorsqu’une action en recherche de paternité est engagée par un enfant majeur, la mère a-t-elle qualité pour réclamer une contribution à l’entretien et l’éducation depuis la naissance de l’enfant ?
La Cour de cassation répond par l’affirmative et casse donc la décision de la cour d’appel au visa des articles 331 et 371-2 du Code civil. Selon elle, la recevabilité de l’action en contribution à l’entretien n’est pas subordonnée à celle de l’action en recherche de paternité (I). Elle rappelle aussi que les effets d’une paternité légalement établie remontent à la naissance de l’enfant et que de ce fait, une mère est recevable à agir en contribution à l’entretien et à l’éducation de sa fille (II).
I – Absence de subordination de l’action en contribution à l’entretien à celle de l’action en recherche de paternité
L’action en recherche de paternité a pour but d’établir la filiation (A), et l’action en contribution n’a qu’un objectif d’ordre financier (B). La Cour de cassation rappelle donc cette distinction comme fondement de sa décision et indique que la deuxième action n’est pas subordonnée à la première.
A – L’action en recherche de paternité : une action ayant pour but l’établissement de la filiation
L’action en recherche de paternité a pour but d’établir la filiation d’un enfant qui en est dépourvu1. En ce qui concerne la filiation, il faut distinguer les enfants nés en mariage de ceux nés hors mariage.
Les enfants nés dans le cadre du mariage sont réputés avoir pour père le mari de la mère, c’est la présomption de paternité. A contrario, lorsqu’un enfant est né hors mariage et qu’il n’est pas reconnu, il peut agir afin de faire reconnaitre sa filiation. Il est seul titulaire de l’action lorsqu’il est majeur. Lorsque l’enfant est mineur, l’article 328 du Code civil dispose que la mère, si la filiation maternelle est établie, a qualité à agir pour le compte de son enfant. Les droits de l’enfant sont une des sources du droit actuel français dans le domaine des actions en recherche de paternité. L’enfant a le droit de connaitre son père biologique, quand bien même celui-ci ne désire pas reconnaitre l’enfant. Ce principe serait même un principe faisant partie de « l’ordre public international »2.
Lorsqu’une telle demande est faite au juge, les parties disposent de différentes possibilités pour apporter la preuve de leurs prétentions. Les juges peuvent ainsi retenir des « faisceaux d’indices », mais dans ce domaine, la preuve principale est la preuve génétique. Elle est aisée à demander, car « l’expertise génétique est de droit en matière de filiation », comme l’a montré à de nombreuses reprises la Cour de cassation3. Particulièrement en matière d’établissement de filiation paternelle, la Cour de cassation a rappelé ce principe, en affirmant qu’il n’est pas nécessaire que d’autres indices soient apportés pour que le juge ordonne l’expertise4.
La Cour de cassation a néanmoins nuancé le principe, en précisant que l’expertise est de droit, sauf s’il existe « un motif légitime de ne pas y procéder »5. Ainsi les juges ont-ils pu considérer, à titre d’exemple, que l’existence d’éléments de preuve suffisants constitue un motif légitime6. Mais le motif légitime est rarement retenu, c’est ainsi que la Cour de cassation, rappelant le principe déjà évoqué selon lequel l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder, a cassé une décision des juges du fond considérant que le motif relatif au « caractère tardif de l’action » est « inopérant », « et alors que l’intérêt supérieur de l’enfant ne constitue pas en soi un motif légitime de refus de l’expertise biologique »7.
En cas de refus de se soumettre à l’expertise, les juges en tirent toutes les conséquences8. À ce sujet, la Cour européenne des droits de l’Homme a eu à se prononcer sur la conformité aux principes conventionnels d’une décision prise par des juges en matière de filiation, décision fondée sur le refus d’une expertise biologique9. La Cour conclut à la validité d’une telle décision. Elle donne ainsi un label de conventionalité à la jurisprudence constante de la Cour de cassation.
En l’espèce, l’enfant est devenue majeure au moment de l’action. Elle a ainsi pu saisir le juge, en même temps que sa mère, dans le but notamment d’établir la filiation paternelle. Le juge ordonne donc l’expertise biologique, avant de dire droit. Celle-ci est acceptée par le père. Les résultats permettent de conclure à la paternité du défendeur. Le défendeur est donc le père de la demanderesse, la filiation est établie.
De cette première demande découle la seconde qui lui est liée : l’action en contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant. Mais la Cour de cassation indique dans sa solution que la seconde action n’est pas subordonnée à la première ce qui permet de déduire que la mère pouvait agir en contribution malgré que l’enfant soit majeure.
B – L’action en contribution à l’entretien et l’éducation : une action à finalité financière
Le but de cette contribution est de permettre l’éducation de l’enfant. Pour ce faire, le parent qui n’élève pas l’enfant ou qui ne l’a pas reconnu peut avoir à verser une somme qui permet à l’autre parent de prendre soin de lui dans de bonnes conditions.
Si les parents fixent une contribution amiablement, il n’est pas nécessaire à ce stade que le juge intervienne. Mais en cas de conflit, l’aménagement de ces modalités peut être arbitré par les tribunaux qui peuvent soit les maintenir, soit les révoquer conformément à l’équité10.
En cas de désaccord, c’est le juge qui fixe le montant de la contribution en prenant en compte plusieurs éléments. L’article 372-1 du Code civil dispose en effet que « chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant ». Pour évaluer la part contributive de chaque parent, le juge doit donc tenir compte des ressources propres de chaque parent, mais aussi des besoins particuliers de l’enfant, qui pourront varier avec le temps11. Il ne peut se fonder sur une table de référence pour évaluer cette part contributive12 celle-ci n’ayant qu’une valeur indicative.
Si l’un des parents ne satisfait pas à cette obligation, l’autre parent a un recours contre lui13.
En l’espèce, la demande initiale était une action en reconnaissance de paternité, paternité reconnue dans la décision du premier juge. Il concluait à la mise à la charge du père d’une obligation de contribution à l’éducation d’éducation et d’entretien d’enfant, à compter de la date de l’assignation, le 19 juillet 2012. Le lien entre la déclaration de paternité et la condamnation à verser une contribution est évident, puisque l’article 331 du Code civil, visé par la Cour de cassation, précise que lorsqu’une action aux fins d’établissement de filiation est mise en œuvre, le « le tribunal statue, s’il y a lieu, sur l’exercice de l’autorité parentale, la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant et l’attribution du nom ». La cour d’appel a donc condamné le père à verser une contribution malgré la majorité de l’enfant et cela jusqu’à la fin de ses études, en application de l’article 372-1, alinéa 2, du Code civil. Mais la Cour de cassation censure la solution des juges d’appel sur un autre fondement.
II – Effets rétroactifs d’une paternité légalement établie et recevabilité de l’action en contribution d’une mère
La Cour de cassation rappelle dans cette affaire que les effets de la paternité légalement déclarée remontent à la naissance de l’enfant (A) et en déduit la recevabilité de l’action d’une mère après la majorité de l’enfant (B).
A – Les effets rétroactifs de la paternité légalement déclarée
La Cour de cassation a consacré le principe selon lequel les effets d’une paternité déclarée remontent à la naissance de l’enfant. C’est ainsi que déjà, en 1994, dans un arrêt rendu le 12 juillet, en sa première chambre civile14, la Cour refuse l’argument selon lequel les sommes dues suite à une demande d’aliments doit courir à partir de la demande.
La Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence en 2006 notamment, dans les mêmes termes que ceux utilisés dans la décision commentée, qu’en ce qui concerne les aliments, les effets d’une déclaration judiciaire de paternité remontent à la naissance de l’enfant15.
C’est une jurisprudence constante qui a été confirmée par un arrêt récent de la première chambre civile le 22 juin 201616. À cette occasion, la haute juridiction rappelle aussi que le principe « aliments ne s’arréragent pas » n’est « pas applicable à l’obligation d’entretien ». En effet, le principe « aliments ne s’arréragent pas » se fonde sur l’idée que les aliments non demandés ne sont pas essentiels pour le créancier, sans quoi il les aurait demandés. Cela évite par ailleurs une demande excessive d’arriérés qui pourrait porter sur une somme très importante. Mais la Cour rappelle que cette règle ne s’applique pas en l’espèce.
Dans la décision du 22 juin 2016, tout comme dans une autre décision rendue par la même chambre le 25 mai 201617 la Cour de cassation va limiter la portée du principe : elle considère que le délai de prescription est de cinq années. Ainsi, si une action peut avoir pour conséquence de faire remonter les effets d’une paternité à de nombreuses années, l’action en paiement de ces aliments n’est possible que pendant une durée limitée. Seules les cinq dernières années pourront être prisent en compte dans le calcul des sommes dues au parent qui a assumé seul l’entretien et l’éducation de l’enfant. Si la solution peut sembler justifiée18, la Cour de cassation limite de la sorte la portée de sa jurisprudence. La solution peut ainsi sembler illogique : les effets de la paternité remontent à la naissance, l’un des effets est le devoir de contribution, mais l’action pour demander cette contribution est limitée à cinq années. La contribution à l’entretien, obligatoire dans le principe, devient ainsi, en certaines circonstances, facultative.
Cette solution doit avoir pour conséquence d’encourager le parent qui prend en charge directement l’enfant à agir en contribution rapidement. Il faut aussi distinguer l’action en contribution résultant de l’action en établissement de filiation de l’action à fin de subside, qui a uniquement pour but de demander une aide pécuniaire à l’homme qui a entretenu des relations avec la mère de l’enfant au moment de la conception. Cette dernière action est constitutive et non déclarative de droit, ce qui implique, selon la Cour de cassation19, que le débiteur n’est pas tenu au paiement de sommes antérieures à la date de l’assignation.
En l’espèce, si les effets de la paternité du défendeur remontent à la naissance, les sommes dues en contrepartie des dépenses assumées par la mère seront limitées aux cinq dernières années. La Cour de cassation considère ainsi que la cour d’appel a violé les dispositions du Code civil en refusant d’accorder la contribution pour la période antérieure à la demande.
B – La recevabilité de l’action d’une mère en contribution à l’entretien d’un enfant devenu majeur
Écartant l’argument de la cour d’appel selon lequel l’action en contribution est subordonnée à l’action en recherche de paternité, la Cour de cassation indique que la mère de l’enfant majeure est recevable pour agir en contribution.
Le titulaire de l’action est donc bien le parent qui aurait dû recevoir une aide pour l’entretien et l’éducation de l’enfant et non pas l’enfant bénéficiant de cette aide. L’article 373-2-8 du Code civil précise que « le juge peut être saisi par l’un des parents ou le ministère public qui peut lui-même être saisi par un tiers parent ou non à l’effet de statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant ». L’article fait référence à une action plus générale qui permet non seulement de déterminer le montant de la contribution mais aussi de définir les modalités d’exercice de l’autorité parentale, lorsque la filiation est établie.
Il faut aussi préciser que l’enfant abandonné peut aussi agir pour recevoir cette même contribution. Ainsi, une cour d’appel a pu considérer que la demande de pension alimentaire de l’enfant majeur à l’encontre de ses parents est recevable, bien que ceux-ci l’aient abandonné à la naissance. En effet, selon la cour, l’abandon seul, non suivi d’un jugement d’adoption plénière, ne rompt pas le lien de filiation20.
En l’espèce, l’enfant agit pour faire établir sa filiation, mais la mère, en parallèle, demande à ce que le père soit condamné à contribuer pour une période antérieure à la date de la demande, ce que la Cour de cassation valide.
Ainsi, même si un enfant est majeur et qu’il intente une action aux fins d’établir sa filiation, une mère a qualité pour agir en contribution à l’entretien pour la période antérieure à l’assignation, les effets de la paternité finalement reconnue remontant à la naissance de l’enfant. Cette solution paraît logique, en ce que c’est la mère qui a assumé seule l’éducation et l’entretien de l’enfant. Elle a évidemment intérêt à agir, dès lors que le lien de filiation est établi. En effet, par l’établissement de filiation paternelle, une obligation juridique est mise à la charge du père. Il doit ainsi assumer cette obligation de contribution, rétroactivement, mais dans une mesure limitée.
Notes de bas de pages
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1.
V. sur l’action en recherche de paternité, Le Guidec R. et Chabot G., Rép. civ., V° Filiation, nos 100 et s.
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2.
Dekeuwer-Défossier F. (dir.), Droit des personnes et de la famille, 2016, Lamy, n° 410-80.
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3.
Cass. 1re civ., 28 mars 2000, n° 98-12806 : Bull. civ. I, n° 103 ; R., p. 328 ; Defrénois 30 juin 2000, n° 37194, p. 769, note Massip J. ; LPA 5 sept. 2000, p. 8, note Nevejans-Bataille.
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4.
Cass. ass. plén., 23 nov. 2007, n° 05-17975 : AJ fam. 2008, p. 36, obs. Chénedé.
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5.
Cass. 1re civ., 28 mars 2000, n° 98-12806.
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6.
Cass. 1re civ., 30 sept. 2009, n° 08-18398 : Bull. civ. I, n° 197 où la Cour retient que la demande d’expertise en cause avait un caractère déstabilisateur sur une personne âgée de 62 ans, et n’était causée que par un intérêt strictement financier, elle considère donc que la cour d’appel a ainsi caractérisé l’existence d’un motif légitime pour ne pas procéder à l’expertise sollicitée.
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7.
Cass. 1re civ., 13 juill. 2016, n° 15-22848, P.
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8.
Jurisprudence constante : Cass. 1re civ., 13 janv. 1993, n° 91-12089 : Bull. civ. I, n° 11 ; Defrénois 15 sept. 1993, n° 35611-85, p. 989, obs. Massip J.
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9.
CEDH, 25 juin 2015, n° 22037/13 : D. 2015, p. 1490.
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10.
V. Hisquin J.-M., note sous Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, n° 12-25301 : LPA 26 déc. 2013, p. 10.
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11.
Pour des détails sur les éléments pris en compte par le juge tant au niveau du créancier de l’obligation que des débiteurs, V. Hisquin J.-M., note sous Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, n° 12-25301, préc.
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12.
Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, n° 12-25301, préc.
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13.
Cass. 1re civ., 6 mars 2003, n° 01-14664.
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14.
Cass. 1re civ., 12 juill. 1994, n° 92-17461.
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15.
Cass. 1re civ., 11 juill. 2006, n° 04-14185 : Bull. civ. I, n° 388, dans lequel la Cour casse une décision qui avait fixé le point de départ de l’obligation du mari à contribuer à l’entretien de son fils à la date du jugement en précisant qu’une mère ne peut pas renoncer au droit de réclamer des aliments pour l’entretien de son fils.
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16.
Cass. 1re civ., 22 juin 2016, n° 15-21783.
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17.
V. au sujet de ces deux arrêts la note du professeur Hauser J., RTD civ. 2016, p. 601.
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18.
V. note ibid.
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19.
Cass. 1re civ., 19 mars 1985, n° 84-10219.
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20.
CA Besançon, 5 juin 2007 : JCP 2008, IV, 1129.