Renforcement de la lutte contre les abus sexuels commis au sein des familles d’accueil

Publié le 07/12/2022
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Un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme le 3 novembre 2022 a mis l’accent sur l’importance de favoriser l’amélioration de la protection des enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance qui, comme tous les autres enfants, peuvent être victimes de violences, notamment sexuelles, au sein de leur famille, même quand il ne s’agit que d’une famille d’accueil.

CEDH, 3 nov. 2022, no 59227/12  : https://lext.so/XByh9i

Cette affaire révèle certains dysfonctionnements de la protection de l’enfance, insistant sur le fait que tous les abus sexuels doivent être repérés et que leurs auteurs doivent être sanctionnés, pas seulement à propos des violences au sein de la famille créée par le mariage ou les liens filiaux mais aussi au sein de la famille d’accueil (I).

Il est essentiel de rappeler également que, dans le domaine de la protection de l’enfance, la mission de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et des assistants familiaux consiste à élever l’enfant de la manière la mieux adaptée à sa situation, en le protégeant surtout contre toutes les formes de violence y compris les violences sexuelles (II).

I – Toutes les violences sexuelles doivent être sanctionnées

En l’espèce, la requérante née en 1971 avait été placée en famille d’accueil après avoir été confiée à l’ASE. Elle a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), estimant ne pas avoir été protégée par cette institution alors qu’elle avait été victime d’abus sexuels au sein de la famille chez laquelle elle avait été placée. En l’espèce, son idée n’était pas de mettre fin à l’accueil car elle avait largement dépassé l’âge de la majorité mais de mettre l’accent sur la mauvaise gestion de la protection des mineurs confiés à l’ASE.

À partir de ses trois ans, des mesures d’assistance éducative en milieu ouvert avaient été prises et, en 1976, le juge des enfants l’avait confiée à l’ASE. À cinq ans, orientée d’abord dans un foyer, fin décembre 1976, elle avait été prise en charge par une famille d’accueil.

Selon ses propos, elle fut rapidement victime d’abus sexuels de la part du mari de son assistante familiale, faits qu’elle dénonça à l’âge de 14 ans à une membre de la congrégation des Témoins de Jéhovah de Moissac, qui informa les responsables de cette congrégation, mais aucune suite ne fut donnée.

En 1999, elle déposa une plainte auprès du procureur de la République pour dénoncer des faits de violences sexuelles et d’atteinte à la pudeur. Lors de son audition, elle fit connaître les maltraitances qu’elle avait subies car, lors de son arrivée au foyer de l’assistante familiale, alors qu’elle dormait dans le salon sur un lit d’appoint, le mari lui avait bandé les yeux pour lui mettre son sexe dans la bouche sous prétexte de lui faire manger une tomate, fait que ce dernier a reconnu, relevant qu’il avait voulu jouer avec elle, qu’elle s’était débattue et qu’il avait effleuré ses lèvres avec son sexe, mais ne reconnaissant rien d’autre. La requérante a, quant à elle, relevé qu’il avait plusieurs fois exhibé son sexe devant elle quand ils étaient seuls et qu’à son adolescence, il avait touché sa poitrine. Le 10 février 2000, elle fut avisée d’un classement de l’affaire sans suite en raison de la prescription des faits.

En 2001, elle déposa une plainte avec constitution de partie civile pour viols et agressions sexuelles commis par l’époux de l’assistante familiale à laquelle elle avait été confiée. L’homme fut mis en examen mais le juge d’instruction conclut là encore à l’extinction de l’action publique en raison des règles de la prescription applicable à l’époque des faits.

Elle a ensuite saisi le tribunal administratif de Toulouse en 2004, les juges condamnant l’État à l’indemniser pour les préjudices moraux subis. Ce jugement a toutefois été infirmé par la cour d’appel de Bordeaux, sur appel du préfet, les juges rejetant la demande d’indemnisation au motif que le service de l’ASE agissait au nom et pour le compte du département. La requérante a alors engagé une procédure contre le département du Tarn-et-Garonne mais les juges ont rejeté son recours et, en 2012, le Conseil d’État a refusé d’admettre en cassation le pourvoi de la victime. C’est à la suite de ces différentes prises de position que celle-ci a saisi la CEDH.

Il est beaucoup question de problèmes liés à l’inceste dans l’actualité mais toutes les formes de violences sexuelles sont condamnables, en particulier quand elles visent des mineurs, ce qui a conduit au vote de la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste1.

Suivant cette piste, afin de renforcer la lutte contre toutes les formes de violences sexuelles, la CEDH a rendu le 3 novembre 2022 un arrêt condamnant la France dans l’affaire de l’enfant victime d’abus sexuels au sein de sa famille, en l’occurrence famille d’accueil, dans les années 1970-1980, dans le Tarn-et-Garonne. La Cour a jugé que les autorités nationales avaient failli à leur obligation de protéger la fillette qui avait subi des caresses et fellations imposées. Les autorités françaises n’ayant pas « mis en œuvre les mesures préventives de détection des risques de mauvais traitements prévues par les textes », la France est condamnée à verser 55 000 € à la requérante en réparation du « dommage moral ».

La Cour a par ailleurs conclu à la violation de plusieurs articles de la Convention européenne des droits de l’Homme, à savoir celle du droit à un recours effectif (violation de l’article 13), de l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants (violation de l’article 3) et de la liberté de pensée, de conscience et de religion (violation de l’article 9). En effet, rien n’a été fait pour assurer le respect de la clause de neutralité religieuse (issue d’une famille de confession musulmane, la requérante a effectivement été élevée dans la foi pratiquée par les membres de sa famille d’accueil, Témoins de Jéhovah, lesquels avaient interdit, lors d’une hospitalisation en lien avec un accident de la circulation, qu’un produit sanguin soit administré à la fillette). Dans cet arrêt, l’essentiel tient au fait que les autorités ont failli à leur obligation de protéger les mineurs contre des mauvais traitements au cours de leur placement en famille d’accueil.

II – Tous les enfants doivent être protégés pour éviter qu’ils ne soient victimes de violences sexuelles

La requête de la victime est entendue par la CEDH qui fait état de carences par les autorités dans le suivi d’une fillette placée en famille d’accueil.

Les juges estiment qu’avoir rejeté la demande en raison de la prescription des faits a fait preuve d’un formalisme excessif et incompatible avec l’exigence du droit à un recours effectif conformément à l’article 13 de la Convention. Il aurait fallu prendre en considération le fait que c’est seulement en 1999 que la requérante avait eu connaissance de son dossier de placement et des carences des autorités nationales (il importe de tenir compte de la date à laquelle la victime dispose d’indications lui permettant de considérer que son dommage est imputable à l’Administration2) : pour mieux soutenir les victimes, la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 a modifié les règles, plaçant le point de départ du délai de prescription à la majorité de la victime (CPP, art. 7 et CPP, art. 8) et prolongeant le délai à 10 ans en cas d’agression sexuelle sur un mineur ou 20 ans s’il s’agit d’une jeune victime n’ayant pas encore atteint l’âge de 15 ans et 30 ans pour un viol sur un mineur.

Surtout, leur raisonnement tient au fait que les autorités nationales n’ont pas fait le nécessaire pour agir préventivement contre des mauvais traitements et plus particulièrement des abus sexuels, violant l’article 3 de la Convention. Elles ont failli à leur obligation de protéger les enfants placés car il aurait fallu que les services de l’ASE assurent un suivi régulier de la fillette, alors qu’il ressort du dossier que six visites ont seulement été organisées durant une période d’une douzaine d’années.

Par principe, les personnes vulnérables doivent être protégées et il fallait tout mettre en place pour soutenir un enfant en bas âge et surtout confié à l’ASE, donc privé de soutien parental. Le placement d’un enfant doit être mieux organisé car c’est une période sensible et cruciale pour le mineur.

Il aurait fallu aussi que les services de l’ASE soient plus à l’écoute de la jeune victime et que la place de sa parole soit renforcée.

Lorsque des mesures d’assistance éducative sont à mettre en place, il est indispensable d’assurer un soutien efficace du mineur car il était en danger, raison pour laquelle il a été confié à l’ASE mais il est regrettable que le confier à une famille d’accueil débouche sur d’autres risques.

Depuis la loi n° 84-422 du 6 juin 1984, il faut que les services de l’ASE transmettent tous les ans un rapport sur la situation du mineur au juge des enfants mais, en l’espèce, la surveillance opérée par les équipes n’a pas été bien menée, personne n’ayant repéré les abus sexuels dont la requérante a été victime, faute d’entretiens réguliers avec elle.

En l’absence de protection efficace et si l’on peut se prévaloir de la violation d’articles de la Convention, la partie lésée a droit à une indemnisation (article 41 de la Convention). Vu les circonstances de l’espèce en lien avec des carences dans le suivi par les autorités nationales d’une fillette placée en famille d’accueil, les juges de la CEDH octroient à la victime la somme de 55 000 € au titre de son préjudice moral.

Tout ceci permet d’insister sur le fait que la protection d’un mineur particulièrement vulnérable n’a pas été bien organisée. Une fillette placée en famille d’accueil aurait dû être mieux soutenue et mieux entendue. Certes, il est souvent question de violences incestueuses dans le débat public actuel mais il ne faut pas écarter pour autant les graves retombées de toutes les violences sexuelles3, même si elles sont subies par un mineur dans sa famille d’accueil.

La France est condamnée dans l’affaire Loste c/ France pour avoir failli à son devoir de protection (arrêt non encore définitif car pendant trois mois toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la grande chambre conformément aux articles 43 et 44 de la Convention européenne des droits de l’Homme). La requérante ne souhaitait pas que l’on mette fin à son placement dans cette famille car elle avait largement dépassé l’âge de la majorité mais que l’accent soit mis sur la mauvaise gestion de la protection des mineurs confiés à l’ASE.

Mieux protéger les enfants contre les violences fait précisément partie des objectifs poursuivis par le législateur dans la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants4. Dans ce cadre le législateur a aussi tenu compte du cas des enfants placés5. Il a créé un fichier national visant à contrôler les assistants familiaux, revu les conditions de l’agrément (l’abrogation de l’agrément en cas d’abus sexuels exercés par l’un des membres de la famille d’accueil était déjà prévue par le passé6), précisant aussi qu’il faut tenir compte de l’âge de la famille d’accueil et de sa composition familiale. Lorsque des mesures d’assistance éducative sont prises, il faut être particulièrement vigilant pour éviter toute forme de maltraitance7.

Il est dommage que la victime ne se soit pas exprimée plus tôt ce qui permet d’insister sur le fait qu’il faut mieux entendre la parole des enfants. Il est aussi très pertinent de les inciter à s’exprimer, ce qui implique notamment de leur parler des abus sexuels pour qu’ils comprennent que certains adultes profitent d’eux.

Un enfant qui a été informé sur les risques d’abus sexuels se confiera plus facilement si jamais il en est victime. L’objectif n’est toutefois pas de lui donner l’impression que tout le monde est dangereux, mais plutôt de lui délivrer des informations sur les risques d’abus sexuels car il sera mieux préparé et plus apte à refuser tout geste à connotation sexuelle. Cette affaire montre bien que pour prévenir les abus sexuels il est important d’en discuter, même avec un enfant placé à l’ASE.

En outre, il est effrayant de relever que, alors que l’on retire un enfant à sa famille pour mauvais traitements, ce dernier peut être ensuite confié à une famille d’accueil qui le met aussi en danger. Il est pourtant indispensable de lui assurer un placement sécuritaire. Certes les familles d’accueil sont bienveillantes mais certaines sont dangereuses. Il faudrait renforcer les contrôles car ces familles doivent demeurer des actrices de la protection de l’enfance. Il est honteux qu’une famille d’accueil puisse profiter des subsides de l’État et du fait d’avoir un enfant sous la main (tel serait aussi le cas en programmant une adoption).

Assurer la protection des enfants contre les violences sexuelles doit conduire à surveiller tous les adultes qui entourent les enfants, y compris lorsqu’un enfant est confié à une famille d’accueil même s’il ne paraît pas évident de penser aux questions de sexualité dans le cadre du placement familial.

N’oublions surtout pas que le placement a pour but de créer de nouvelles relations affectives en vue de favoriser le développement et l’épanouissement de l’enfant et qu’il faut bien tenir compte de la souffrance des enfants.

Notes de bas de pages

  • 1.
    JO, 22 avr. 2021.
  • 2.
    CE, 11 juill. 2008, n° 306140, M. J. M. – CE, 14 déc. 2016, n° 387182, M. B.
  • 3.
    Les rapports font régulièrement état d’un nombre très important de mineurs victimes d’abus sexuels : F. Capelier, « Actualité de la protection de l’enfance, plainte pour violences sexuelles », AJ fam. 2022, p. 405.
  • 4.
    JO, 8 févr. 2022 : I. Corpart, « Nouvelles avancées en matière de protection des enfants », Dalloz actualité, 14 févr. 2022 ; Y. Favier et A. Gouttenoire, « La loi du 7 février 2022 relative à la protection de l’enfant : une réforme pragmatique », Lexbase Hebdo 24 mars 2022, n° 899, éd. Privée générale.
  • 5.
    C. Blanc Chardan et S. Brenet, « L’impact de la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants sur les services de placements familiaux », AJ fam. 2022, p. 320.
  • 6.
    H. Rihal, « Les assistants familiaux dans la protection de l’enfance », RDSS 2017, p. 821.
  • 7.
    L. Gebler, « Les droits du jeune enfant en assistance éducative », AJ fam. 2022, p. 253.
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