Vers une nouvelle protection des mineurs non accompagnés
Quand des jeunes étrangers arrivent sur le territoire français, en étant à la fois mineurs et isolés parce qu’ils ne sont pas accompagnés par leurs parents, ils sont désignés en tant que mineurs non accompagnés, sauf si leur âge se révèle ne pas être le bon.
Du fait de leur nombre croissant, mais aussi de la multiplication des jeunes majeurs se faisant passer pour mineurs, il est beaucoup question actuellement des mineurs non accompagnés (MNA), d’autant plus que la capacité des services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) n’est pas suffisante. Toutefois, si ce sont bien des mineurs, l’État français a pour mission de les soutenir et de respecter les textes relatifs à la protection de l’enfance, mais il est parfois question de mineurs qui commettent des délits devant être sanctionnés.
Par principe, tous les mineurs doivent être protégés, y compris ceux d’origine étrangère qui ne sont pas accompagnés d’une personne majeure, raison pour laquelle deux textes récents, à savoir l’arrêté du 1er janvier 2024 et la proposition de loi n° 241 déposée au Sénat le 16 janvier 2024, envisagent de nouvelles mesures pour les mettre à l’abri.
Ces avancées nécessitent que l’on comprenne quels enfants sont concernés dans ces textes (I) et comment ils sont considérés actuellement par le droit français (II), afin que l’on puisse mesurer l’intérêt des projets qui sont en cours concernant les MNA (III).
I – Les conditions à remplir pour appartenir à la catégorie des MNA
Quand un mineur d’origine étrangère arrive en France de manière isolée, sans être accompagné par l’un de ses parents titulaires de l’autorité parentale ou par un représentant légal, il s’agit d’un MNA. Ces enfants sont souvent porteurs d’histoires lourdes, jalonnées de drames humains, étant partis dans bien des cas parce qu’ils avaient été victimes ou témoins de violences ou avaient souffert de drames dans leur pays. Ils ont traversé de nombreux pays, parfois la mer, les montagnes, en vue de rejoindre la France, espérant y avoir une vie meilleure. L’intérêt supérieur de l’enfant devant être pris en compte par les autorités françaises quand un enfant rejoint le territoire français sans aucun de ses proches, des mesures de soutien doivent être mises en place pour assurer l’exercice de ses droits.
Cette aide est essentielle car le nombre des MNA a augmenté au fil du temps, en raison des drames vécus à l’étranger, notamment dans les pays en guerre. En effet, les mineurs étrangers isolés arrivant en France sont nombreux. Le nombre de mineurs arrivés de l’étranger est croissant et il importe que les collectivités publiques puissent les aider ; néanmoins trouver des places libres est souvent difficile.
Une contribution financière de l’État est essentielle pour subvenir aux besoins des mineurs étrangers déjà présents en France et ceux qui arriveront au fil du temps. Il importe de leur apprendre le français pour qu’ils puissent s’intégrer au mieux dans la société. Tout doit être fait pour tenir compte de l’intérêt des enfants migrants qui arrivent en France en fuyant leurs conditions de vie et qui se retrouvent seuls.
II – La prise en compte des MNA par le droit français
Le droit de la protection de l’enfance s’attache aux jeunes français, mais pour les jeunes étrangers il a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, en assurant leur prise en charge. Lorsqu’aucune personne n’en est responsable légalement sur le territoire national ou ne le prend en charge, il est isolé et il doit bénéficier des dispositifs d’aide sociale à l’enfance (C. civ., art. 388) qui ont été mis en place par les pouvoirs publics1.
Il ressort des articles L. 221-1 et suivants du Code de l’action sociale et des familles que ces missions relèvent de la compétence du président du conseil départemental, raison pour laquelle ce sont les départements qui organisent la prise en charge des MNA. Les responsables départementaux doivent assurer l’hébergement des MNA, répondre à leurs besoins essentiels et les accueillir de manière efficace.
Un dispositif national de mise à l’abri des MNA a été mis en place et les mineurs étrangers présents de manière isolée sur le territoire français sont confiés à l’ASE des conseils départementaux, services qui les prennent en charge. Ils doivent agir car « nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine » (C. civ., art. 16-4) et les pouvoirs publics ont un impératif de dignité, devant prendre des mesures d’urgence pour les MNA.
En effet, depuis la loi du 14 mars 20162, les services départementaux de l’ASE sont responsables de la mise « en place d’un accueil provisoire d’urgence pour une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille ». Depuis cette réforme, l’article L. 112-3 du Code de l’action sociale et des familles (article modifié par la loi n° 2022-140 du 7 février 2022) précise que « la protection de l’enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d’assurer leur prise en charge ». Cette loi a donné un fondement légal au dispositif de répartition des MNA entre les départements et précise que ces enfants relèvent de la protection de l’enfance, raison pour laquelle ce texte vise surtout à leur garantir les mêmes droits qu’à tout autre enfant présent sur le territoire. Il convient donc de mettre rapidement les MNA à l’abri.
La loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale3 a aussi prévu dans son article 17 l’intervention d’un administrateur ad hoc pour représenter les intérêts du mineur étranger qui est arrivé seul sur le territoire français.
Toutefois, pour que ces enfants soient pris en compte, il faut vérifier leur minorité et leur isolement. Il convient donc de consulter leurs documents d’identité, car parfois de prétendus mineurs sont en réalité majeurs, raison pour laquelle ils ne peuvent pas bénéficier du soutien de l’ASE4. Ce sont surtout des examens radiologiques osseux qui sont mis en place pour évaluer s’il s’agit d’une personne mineure ou majeure, notamment lorsque ces personnes arrivent en France sans copie de leur acte d’état civil5. Il est vrai que de nombreux MNA n’ont pas donné leur âge correct : le rapport d’information du Sénat n° 854 déposé le 29 septembre 2021 relevait que 90 % des jeunes migrants se déclarent mineurs, alors qu’en réalité près de 70 % sont évalués majeurs.
Toutefois, estimer l’âge d’un mineur par radiographie est souvent jugé discriminatoire. En effet, l’âge osseux ne correspond pas forcément ni à l’âge civil du patient, ni à son âge statural. Dès lors, un examen radiologique ne peut pas constituer l’unique fondement de la détermination de l’âge d’une personne mineure, et il n’existe aucun procédé médical permettant d’affirmer avec certitude l’âge d’un individu. Les tests de maturation osseuse, dentaire ou pubertaire ne peuvent qu’établir l’évolution du développement et non un âge physiologique. Il faut toutefois, depuis la loi du 14 mars 2016, qu’en l’absence de documents d’identité valables ces expertises soient encadrées. Le législateur a modifié l’article 388 du Code civil pour noter que les examens radiologiques osseux « ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé ».
La prise en charge constitue un défi majeur pour les pouvoirs publics et les départements, sachant que les MNA représentent aujourd’hui entre 15 % et 20 % des mineurs pris en charge par l’ASE. Cette hausse du nombre de mineurs isolés a mis en tension les dispositifs départementaux de protection de l’enfance. Il ressort de la proposition de loi n° 241 du 16 janvier 2024 que le coût moyen de la prise en charge au titre de l’ASE est estimé en moyenne à 50 000 € par mineur et par an, couvrant le logement, la nourriture, les frais d’éducation et de formation.
Il fallait faire avancer les choses pour que leur accueil entre de nouveau dans la capacité de l’ASE. Dans une réponse ministérielle6, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer avait rappelé les avancées opérées par la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection de l’enfance. Elle avait mis en place le versement d’une contribution forfaitaire pour l’évaluation de la situation et la mise à l’abri des personnes se présentant comme mineures privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille (CASF, art. L. 221-2-4) et il avait annoncé que d’autres mesures seraient bientôt prises. En outre, dans une seconde réponse ministérielle7, le ministre a rappelé que le gouvernement est pleinement mobilisé dans l’identification des majeurs se prétendant mineurs et dans la lutte contre la délinquance dont ces individus peuvent être à l’origine et que de nouvelles mesures permettant d’améliorer la situation des enfants en situation de fragilité seraient mises en place prochainement. Il a en outre précisé que, pour préserver les finances des départements particulièrement mobilisés, le gouvernement a octroyé un financement exceptionnel à ceux ayant accueilli davantage de MNA en 2020 qu’en 2019. Par un arrêté du 24 août 2021, le montant de ce financement a été fixé à 6 000 € par jeune pour 75 % des jeunes supplémentaires pris en charge par l’ASE du département. En outre, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a récemment relevé qu’il faut soutenir psychologiquement ces personnes privées de leur famille vivant à l’étranger8.
III – Les tentatives d’amélioration de la prise en charge des MNA
Les mineurs isolés devraient être mieux soutenus prochainement. En effet, deux textes récents devraient permettre de prendre davantage en compte les enfants qui sont arrivés seuls en France. Un changement a déjà été opéré en janvier 2024 car, dans le but que l’État français participe mieux à la prise en charge des MNA, l’arrêté du 1er janvier 20249 a modifié l’arrêté du 28 juin 2019 pris en application de l’article R. 221-12 du Code de l’action sociale et des familles et relatif à la contribution forfaitaire de l’État à la phase de mise à l’abri et d’évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. Ce texte a conditionné une partie de cette contribution à l’organisation de la présentation en préfecture, ainsi qu’à la transmission de la date et du sens des décisions prises en matière de minorité et d’isolement conformément aux dispositions des articles L. 221-2-4 et R. 221-11 du Code de l’action sociale et des familles. Il est prévu dans l’article premier de l’arrêté que « la contribution forfaitaire de l’État s’établit à 500 € par personne évaluée » et que « le montant de la contribution forfaitaire de l’État s’établit à 100 € par personne évaluée dans les situations visées au II de l’article R. 221-12 du Code de l’action sociale et des familles ».
Une autre piste est en cours puisque la proposition de loi relative aux MNA n° 241 a été déposée au Sénat le 16 janvier 2024. Elle relève que, si les départements doivent prendre en charge ces personnes isolées, ils ne disposent d’aucune marge de manœuvre pour réguler les flux entrants de mineurs étrangers et isolés. C’est en effet l’État qui assure le contrôle des frontières. Il faut améliorer les textes : les départements avaient recours à des hébergements en hôtel en raison de l’engorgement des structures d’accueil, mais la loi n° 2022-140 du 7 février 202210, dite loi Taquet, a interdit à compter de 2024 ce type d’hébergement pour les mineurs afin de leur assurer des conditions de logement décentes et adaptées. De plus, l’absence de lieux d’hébergement pour les jeunes mineurs isolés soulève assurément des difficultés dans chaque département, de même que l’existence de déserts médicaux dans certains territoires, ce qui risque d’affaiblir encore plus ces jeunes.
Tout doit être fait pour assurer la protection de l’enfance des jeunes français et des MNA, car le manque de logement stable constitue un traitement inhumain, ce qui vient d’être relevé par la CEDH11. Ils souffrent alors des conditions climatiques, sans disposer d’eau potable, de nourriture et d’accès à l’hygiène. Beaucoup de villes se mobilisent pour fournir à tous un accès à l’hygiène, par exemple des toilettes publiques.
Assurément, il ne faut pas déséquilibrer le fonctionnement de l’ASE, faute de compétences et de moyens adaptés. Pour améliorer la protection des enfants, cette proposition de loi entend créer un statut tiers de « jeune migrant » conduisant l’État à prendre en charge et à assumer le coût de la mise à l’abri des personnes étrangères se déclarant mineures. Avec ce dispositif, les jeunes migrants deviendront MNA dès lors qu’ils auront été évalués en tant que mineurs par les départements, si bien qu’ils seront alors protégés au titre de l’ASE. Il serait pertinent toutefois de tenir compte des règles applicables dans leur pays d’origine, la proposition évoquant un dispositif « donnant-donnant ». La proposition de loi envisage effectivement que le visa de long séjour puisse être refusé au ressortissant d’un État délivrant un nombre particulièrement faible de laissez-passer consulaires, ne respectant pas un accord bilatéral ou multilatéral de gestion des flux migratoires ou ne coopérant pas avec la France.
Ces textes permettent de rappeler qu’il faut secourir tous les enfants en danger, notamment les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et assurer leur prise en charge, même si les départements confrontés à la hausse de leurs dépenses d’aide sociale à l’enfance et au blocage de leurs dispositifs d’accueil des mineurs ont fait connaître leurs inquiétudes. Il est essentiel de protéger le parcours et les droits fondamentaux des MNA sur le territoire français pour que l’on puisse contribuer au vivre ensemble. Il importe donc de mettre en place un dispositif d’accueil, à savoir un accueil provisoire d’urgence de cinq jours quand ces jeunes sont repérés, avant de procéder à l’évaluation de leur minorité et de leur isolement. Ils doivent être mis à l’abri en attendant la vérification des documents d’identité de la personne et éventuellement les résultats des examens radiologiques osseux, sachant que le doute profite à l’accusé. Il faut surtout s’assurer que les documents d’identité transmis appartiennent bien à leur détenteur.
Le fait que nos départements prennent soin de ces enfants privés temporairement ou définitivement de leur famille est un acte de justice mais surtout de générosité, raison pour laquelle il est important que le soutien aux MNA soit renforcé par les textes français dans le cadre de la protection de l’enfance et qu’il n’y ait pas d’atteinte à la dignité humaine.
Notes de bas de pages
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1.
P. Dumas, « L’objectif d’accès des mineurs non accompagnés aux droits sociaux garantis dans le cadre de la protection de l’enfance », RDLF 2020, n° 52.
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2.
L. n° 2016-297, 14 mars 2016, relative à la protection de l’enfance : JO, 15 mars 2016.
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3.
JO, 5 mars 2002.
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4.
Il est vrai que la vérité ne sort pas toujours de la bouche des enfants : I. Corpart, « Le mensonge de l’enfant et à l’enfant », in S. Castilla-Wyszogrodzka et A. Fautré-Robin (dir.), Petits mensonges en famille, 2023, Mare & Martin, p. 137.
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5.
Discussion sur les tests osseux : P. Bonfils et A. Gouttenoire, Droit des mineurs, 3e éd., 2021, Dalloz, p. 586, n° 992 ; C. Rossi-Biancardini, « La preuve de la minorité sous le prisme des droits fondamentaux et du recours aux tests osseux », RJPF 2021-12/2.
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6.
Rép. min. n° 00187 : JO Sénat, 28 juin 2023.
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7.
Rép. min. n° 07093 : JO Sénat, 3 août 2023.
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8.
M. Saulier, « L’assistance psychologique des mineurs non accompagnés, nouvelle obligation des États membres du Conseil de l’Europe ? », note ss CEDH, 31 août 2023, n° 70583/17, MA c/ Italie : RJPF 2023-11/14, p. 23.
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9.
JO, 27 janv. 2024.
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10.
JO, 8 févr. 2022.
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11.
CEDH, 23 janv. 2024, n° 24650/19, O.R. c/ Grèce.
Référence : AJU012w1