Prise en considération de la réalité sociologique à l’expiration du délai de forclusion prévu par l’article 333, alinéa 2, du Code civil

Publié le 27/04/2017

La nature du délai de prescription prévue par l’article 333, alinéa 2, du Code civil est un délai de forclusion qui peut être interrompu par une demande en justice, conformément à l’alinéa premier de l’article 2241 du même code, à condition que l’action en contestation de paternité soit dirigée contre le père dont la filiation est contestée et contre l’enfant. Il s’ensuit que n’a pas violé l’article 8 de la Convention EDH, l’arrêt qui estime que le législateur a choisi de faire prévaloir la réalité sociologique à l’expiration d’une période de cinq ans pendant laquelle le père légal s’est comporté de façon continue, paisible et non équivoque comme le père de l’enfant, ce qui ne saurait être considéré comme contraire à l’intérêt supérieur de celui-ci.

Cass. 1re civ., 1er févr. 2017, no 15-27245, FS–PBI

1. Un arrêt rendu le 1er février dernier par la Cour de cassation, promis à une large diffusion, revient sur la question sensible du délai d’action en contestation de paternité qui est l’un des points importants de l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation entrée en vigueur le 1er juillet 2006. Le 25 décembre 2007 naît Noé X qui a été régulièrement inscrit sur les registres de l’état civil comme né de M. X et Mme Y. Puis M. Z a assigné M. X en contestation de paternité le 14 novembre 2012, puis la mère de l’enfant Mme Y, agissant en qualité de représentante légale, le 28 février 2013. Il résulte d’un jugement du 17 décembre 2013 qu’un administrateur ad hoc a été nommé aux fins de représenter Noé X. Les juges d’appel écartent la demande de la mère et du prétendu père qui se pourvoient en cassation aux motifs pris que l’arrêt d’appel a déclaré l’action en contestation de paternité irrecevable, arguant du fait que les délais de prescription comme de forclusion peuvent être interrompus par une demande en justice1.

2. À la lecture de l’arrêt rapporté on constate que la Cour de cassation considère désormais que le délai prévu par l’article 333, alinéa 2, du Code civil relève de la catégorie des délais de forclusion (I). La classification ainsi instaurée par la cour régulatrice conduit à doter l’article 333, alinéa 2, du Code civil d’un régime juridique de l’action en contestation de paternité dont la vérité biologique en demeure le fondement (II).

I – La nature du délai de prescription de l’action en contestation de paternité

3. Sur le premier moyen, la Cour de cassation estime que si le délai de forclusion prévu par l’article 333, alinéa 2, du Code civil (A) peut être interrompu par une demande en justice, conformément à l’alinéa premier de l’article 2241 du même code, l’action en contestation de paternité doit, à peine d’irrecevabilité, être dirigée contre le père dont la filiation est contestée et contre l’enfant (B).

A – Délai pour agir en contestation de paternité

4. Il est aujourd’hui admis en jurisprudence que l’action en contestation de paternité est enfermée dans un délai dont l’écoulement a pour conséquence la forclusion de la demande en justice ou sa prescription2. À cet égard, la circulaire de présentation de l’ordonnance n° 759-2005 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation précise qu’en ce qui concerne la fin de non-recevoir tirée de l’existence d’une possession d’état de cinq ans que : « L’alinéa 2 de l’article 333 institue une fin de non-recevoir erga omnes à l’action lorsque la possession d’état conforme au titre a duré cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été faite postérieurement. Ainsi, la paternité du mari est désormais à l’abri de toute contestation par quiconque, lorsque l’acte de naissance est corroboré par la possession d’état depuis cinq ans »3. La circulaire poursuit en précisant que « le délai de cinq ans constitue un délai préfixe institué à peine de déchéance ». Au cas d’espèce, M. Z était forclos à agir en contestation de paternité car l’assignation du 14 novembre 2012 dirigée contre le seul père légal, à l’exclusion de l’enfant n’ayant pu interrompre le délai de forclusion. À n’en pas douter, le présent arrêt suscitera des commentaires tranchés tant l’effet interruptif de l’article 2241 du Code civil est applicable indifféremment aux délais de forclusion et de prescription4.

B – Interruption du délai pour agir en contestation de paternité

5. L’article 2241 du Code civil prévoit que : « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure ». Tel est le cas pour la demande aux fins d’expertise formée en référé par un époux.

6. En l’occurrence, la haute juridiction estime que : « l’alinéa premier de l’article 2241 du même code, l’action en contestation de paternité doit, à peine d’irrecevabilité, être dirigée contre le père dont la filiation est contestée et contre l’enfant ». Le mécanisme de l’interruption du délai de forclusion a pour effet de faire courir un nouveau délai d’action de même durée que le délai interrompu5. Le conflit portait ici sur l’acte interruptif du délai de forclusion. Le demandeur au pourvoi soutenait qu’« en affirmant que le délai quinquennal prévu par la loi était un délai de forclusion pour en déduire qu’il était insusceptible d’interruption et de suspension et qu’il n’avait donc pu être interrompu par l’assignation délivrée le 14 novembre 2012, la cour d’appel avait violé les articles 333, alinéa 2, et 2241 du Code civil »6. En rejetant le pourvoi, la Cour de cassation considère qu’il « en résulte que l’action était irrecevable, l’assignation du 14 novembre 2012, dirigée contre le seul père légal, à l’exclusion de l’enfant, n’ayant pu interrompre le délai de forclusion ».

7. Le cœur du débat est bien là : l’article 328 du Code civil n’indique pas expressément comment doit être exercée l’action en contestation de filiation d’un enfant mineur7. En effet, l’article 328 du Code civil dispose que « le parent, même mineur, à l’égard duquel la filiation est établie a, pendant la minorité de l’enfant, seul qualité pour exercer l’action en recherche de maternité ou de paternité. Si aucun lien de filiation n’est établi ou si ce parent est décédé ou dans l’impossibilité de manifester sa volonté, l’action est intentée par le tuteur conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 408. L’action est exercée contre le parent prétendu ou ses héritiers. À défaut d’héritiers ou si ceux-ci ont renoncé à la succession, elle est dirigée contre l’État. Les héritiers renonçant sont appelés à la procédure pour y faire valoir leurs droits ». Si tant est que l’interprétation de l’article 328 du Code civil ait du sens, ce qui n’est pas évident, le résultat manque cruellement de cohérence à tel point que la circulaire de présentation de l’ordonnance n° 759-2005 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, se réfère à l’article 328 du Code civil par analogie en estimant que « Lorsque l’action est exercée par l’un des époux, elle est dirigée contre l’autre ou ses héritiers, par analogie avec l’article 328 »8.

II – Régime juridique de l’action en contestation de paternité

8. Pour les hauts magistrats l’action en contestation de paternité est irrecevable, car l’assignation du 14 novembre 2012 est dirigée contre le seul père légal, à l’exclusion de l’enfant (A). De plus, la cour régulatrice fait prévaloir la réalité sociologique au-delà du délai de 5 ans prévus à l’article 333, alinéa 2, du Code civil (B).

A – Action attitrée

9. La réforme d’ensemble du droit de la famille avait créé en 1972 un système complexe d’actions attitrées en droit de la filiation dont les modalités d’attribution ont été élaborées par la doctrine9. C’est ainsi qu’avant l’ordonnance du 4 juillet 2005, le législateur avait consacré aux articles 316 à 317 du Code civil le régime de l’action en désaveu de paternité qui était réservée au mari10. Depuis l’ordonnance du 4 juillet 2005, l’action est, aux termes de l’article 333 du Code civil, attitrée à « l’enfant, l’un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable »11. De plus, la circulaire de présentation de l’ordonnance n° 759-2005 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation considère, à propos de la contestation lorsque le titre est corroboré par la possession d’état, que « l’action est une action attitrée, et seuls peuvent agir l’enfant, ses parents ou celui qui se prétend le véritable parent. Pendant sa minorité, l’enfant est représenté par son ou ses représentants légaux. L’action est dirigée contre le parent dont la filiation est contestée et contre l’enfant. L’action exercée par l’un des parents peut avoir pour effet : soit de contester la filiation établie à l’égard de l’autre. L’action est alors dirigée contre ce parent et contre l’enfant. Soit de contester sa propre maternité ou paternité et l’action est alors dirigée contre l’enfant. Le juge peut faire appeler en la cause l’autre parent. L’action exercée par le parent qui se prétend tel est dirigée contre l’enfant et son ou ses représentants légaux. Les intérêts de l’enfant mineur apparaissent dans tous les cas en opposition avec ceux de ses représentants légaux ; un administrateur ad hoc doit donc être désigné par le juge des tutelles ou celui chargé de l’instance, afin de le représenter (art 388-2) »12.

10. En l’espèce, la haute juridiction estime que : « l’action en contestation de paternité doit, à peine d’irrecevabilité, être dirigée contre le père dont la filiation est contestée et contre l’enfant ; que, la cour d’appel ayant constaté que Noé X n’avait pas été assigné dans le délai de cinq ans suivant sa naissance, il en résulte que l’action était irrecevable, l’assignation du 14 novembre 2012, dirigée contre le seul père légal, à l’exclusion de l’enfant, n’ayant pu interrompre le délai de forclusion ». L’on aurait pu dès lors légitimement douter de la recevabilité de l’action de M. Z. Dès lors, le rejet du pourvoi de ce dernier était inévitable. Pour autant, la haute juridiction prend soin de préciser que, par ce motif de pur droit, substitué, dans les conditions de l’article 1015 du Code de procédure civile, à ceux critiqués, la décision se trouve légalement justifiée de ce chef13. La haute cour balaie également la question de la prééminence de la vérité biologique.

B – La vérité biologique de l’action attitrée tempérée par la réalité sociologique

11. Après avoir affirmé, en réponse au premier moyen du pourvoi, que, si le délai de forclusion prévu par l’article 333, alinéa 2, du Code civil peut être interrompu par une demande en justice, conformément à l’alinéa premier de l’article 2241 du même code, l’action en contestation de paternité doit, à peine d’irrecevabilité, être dirigée contre le père dont la filiation est contestée et contre l’enfant, la première chambre civile de la Cour de cassation considère que le grief soulevé dans le second moyen n’est pas fondé. En effet, l’auteur du pourvoi soutenait que : « (..) la Convention européenne des droits de l’Homme faisait prévaloir, en matière de filiation, la mise en conformité de la filiation juridique à la réalité biologique, et que les règles de prescription ou la conformité du titre et de la possession d’état ne pouvaient faire échec à son droit au recours devant les tribunaux tendant à privilégier la réalité biologique sur la filiation juridique ; qu’en affirmant que n’était pas contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant la décision du législateur qui, à l’expiration d’une période de cinq ans pendant laquelle le père juridique s’est comporté de façon continue, paisible et non équivoque comme le père de l’enfant, avait fait prévaloir la vérité sociologique en ne permettant pas de rechercher quel était le père biologique, sans rechercher si, en vertu de la Convention européenne des droits de l’Homme, celui qui se prétendait être le père avait le droit de faire primer la vérité biologique, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentale ». S’il est désormais acquis que la loi du 3 janvier 1972 a réformé en profondeur le droit de la filiation, en estimant que la filiation juridique doit correspondre à la vérité biologique, il n’en demeure pas moins vrai que l’ordonnance du 4 juillet 2005 a aussi laissé une place certaine à la vérité sociologique14.

12. À l’instar de la jurisprudence interne, la Cour européenne de droits de l’Homme a été saisie à maintes reprises de requêtes tendant à faire condamner la France pour violation de l’article 8 de la Conv. EDH motifs pris que la loi française mettant des obstacles injustifiés à la transcription en filiation juridique des filiations biologiques15. En effet, la Cour EDH a estimé à l’unanimité dans un arrêt Mennesson c/ France que « la France, sans ignorer que les enfants requérantes ont été identifiées ailleurs comme étant les enfants des requérants parents d’intention, leur nie néanmoins cette qualité dans son ordre juridique. Pareille contradiction porte atteinte à leur identité au sein de la société française. Par ailleurs, même si l’article 8 de la Convention ne garantit pas un droit d’acquérir une nationalité particulière, il n’en reste pas moins que la nationalité est un élément de l’identité des personnes. Or, bien que leur père biologique soit Français, les enfants requérantes sont confrontées à une troublante incertitude quant à la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française. Pareille indétermination est de nature à affecter négativement la définition de leur propre identité. En outre, le fait pour les enfants requérantes de ne pas être identifiées en droit français comme étant les enfants des requérants parents d’intention a des conséquences sur leurs droits sur la succession de ceux-ci ». Dans l’arrêt rapporté, la haute instance estime donc que : « le législateur a choisi de faire prévaloir la réalité sociologique à l’expiration d’une période de cinq ans pendant laquelle le père légal s’est comporté de façon continue, paisible et non équivoque comme le père de l’enfant, ce qui ne saurait être considéré comme contraire à l’intérêt supérieur de celui-ci ; que la cour d’appel, qui a ainsi procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ».

13. Nul doute que les hauts magistrats réitèrent16, dans l’arrêt rapporté, leur profond attachement à la réalité sociologique face à la vérité biologique en considérant qu’au-delà de ce délai, la prééminence de la vérité biologique ne saurait être invoquée.

Notes de bas de pages

  • 1.
    « Action en contestation de paternité : quand, comment et contre qui ? », Lamy Actualité, 6 févr. 2017 ; Lonné-Clément A.-L., « Délai de forclusion de l’action en contestation de paternité lorsque la possession d’état est conforme au titre : réalité sociologique versus vérité biologique », Lexbase Hebdo, 3 févr. 2017 ; Martinez A., « Délai d’action en contestation de paternité : précisions », Dalloz Actualités, 17 févr. 2017.
  • 2.
    V. égal. Pratique du droit de la construction : contrats et responsabilité, 2003, LexisNexis, Juris-Compact, p 520, n° 044-24.
  • 3.
    Circulaire de présentation de l’ordonnance n° 759-2005 du 4 juillet 2005, portant réforme de la filiation, http://www.textes.justice.gouv.fr/a.
  • 4.
    Martinez A., « Délai d’action en contestation de paternité : précisions », préc.
  • 5.
    Pratique du droit de la construction : contrats et responsabilité, préc., p 522, n° 044-34.
  • 6.
    Martinez A., « Délai d’action en contestation de paternité : précisions », préc.
  • 7.
    « Action en contestation de paternité : quand, comment et contre qui ? », préc.
  • 8.
    Circulaire de présentation de l’ordonnance n° 759-2005 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, préc.
  • 9.
    Cayrol N., « Action en justice » (n° 373), Rep. civ. Dalloz.
  • 10.
    Dagot M. et Spiteri P., Le nouveau droit de la filiation (loi du 3 janvier 1972), 1972, Librairies techniques, p. 39, n° 60.
  • 11.
    Douville T., « Pas de transmission des actions en matière de filiation au légataire universel », Dalloz actualité, 2 mai 2014.
  • 12.
    Circulaire de présentation de l’ordonnance n° 759-2005 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, préc.
  • 13.
    AJ fam. 2013, p. 712, obs. Viganotti E.
  • 14.
    Dekeuwer-Défossez F. et Desolneux M., 402-13 Problématiques, Le Lamy Droit des Personnes et de la Famille.
  • 15.
    Dekeuwer-Défossez F. et Desolneux M., préc.
  • 16.
    V. égal. : « La possession d’état d’enfant n’induit pas la preuve biologique de la filiation », RLDC 2011/85, n° 4356.
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