Délai et point de départ de la prescription pour l’action en insanité et l’exception de nullité

Publié le 26/05/2020

En application de l’article 2224 du Code civil, auquel il n’est pas dérogé par l’article 414-2 du même code, l’action en nullité d’un contrat, pour existence d’un trouble mental au moment de l’acte, se prescrit par 5 ans. Le point de départ du délai se situe en principe au jour de l’acte. Doit être déboutée de son action en nullité pour insanité de son engagement la caution ne justifiant pas que le délai de prescription n’avait pas pu commencer à courir dès cette date.

CA Orléans, 19 déc. 2019, no 17-031381

La présente décision d’une cour d’appel se prononce sur la question de la prescription pour insanité, à savoir ses délai et point de départ, par l’action comme par l’exception de nullité. Pour le parfait détail de sa motivation, on ne peut qu’y renvoyer.

Une banque a consenti un prêt immobilier au fils de la mère qui s’est engagée comme caution solidaire à son égard. La déchéance du terme a été provoquée par suite de mensualités non réglées. L’établissement de crédit a conclu un protocole d’accord dit transactionnel avec le débiteur principal et la caution. Ces derniers se sont engagés, sans solidarité, à des règlements échelonnés. Par la suite, le fils a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, puis la mère, qui a cessé les règlements, a été assignée par la banque afin de régler la somme principale encore due ainsi que les intérêts maintenus au taux contractuel initial. Principalement, la mère a demandé au tribunal de prononcer la nullité de l’engagement de caution et du protocole d’accord pour altération de ses facultés mentales. On mettra de côté le fondement subsidiaire du manquement aux obligations de loyauté et de mise en garde pour un cautionnement disproportionné. Le jugement de première instance a débouté la demanderesse de sa demande en nullité pour insanité, ainsi que pour d’autres demandes. Elle a interjeté appel. Elle a fait valoir qu’elle était atteinte de troubles bipolaires et d’une profonde dépression pour lesquels elle a été hospitalisée et a subi un lourd traitement médicamenteux. À l’opposé, la banque mettait en avant que l’action en nullité de l’engagement de caution était prescrite, faute d’avoir été engagée dans les 5 ans de sa signature. De plus, lors du protocole ultérieur, la mère ne s’était pas prévalue de ses problèmes de santé. Elle ne rapportait aucunement la preuve lui incombant d’une altération de ses facultés intellectuelles lors de la conclusion des deux actes.

La cour d’appel d’Orléans se prononce successivement sur la demande de nullité, d’abord du cautionnement, ensuite, plus brièvement, sur celle du protocole d’accord. « L’ancien article 2277 du Code civil dont se prévaut le crédit mutuel n’existe plus depuis que l’article 2224 issu de la loi n° 2008-651 du 17 juin 2008 a ramené à cinq ans le délai de droit commun de la prescription extinctive ». Il s’agissait du texte sur les courtes prescriptions. La cour réoriente convenablement le fondement textuel (CPC, art. 12), en appliquant le droit déjà dit par la Cour de cassation à ce sujet, y compris pour les libéralités. « En application de cet article 2224, auquel il n’est pas dérogé par l’article 414-2, l’action en nullité d’un contrat, pour existence du trouble mental au moment de l’acte, ou pour défaut de cause, se prescrit par cinq ans ». Outre le délai quinquennal pour la durée, le jour de l’acte est classiquement retenu pour point de départ1, qui est celui du décès de l’auteur de l’acte pour les héritiers remettant en cause une libéralité. Il en va ainsi sauf impossibilité absolue d’agir comme a pu le décider la jurisprudence, puis le législateur (C. civ., art. 2234). En l’occurrence, par acte sous seing privé du 17 octobre 2009, l’acte de caution a été signé. Sa nullité a été soulevée « en formant demande reconventionnelle en ce sens devant le premier juge, par conclusions notifiées le 26 novembre 2015, soit plus de cinq ans après le point de départ du délai, qui se situe en principe au jour de l’acte, et sans justifier que le délai de prescription n’avait pu commencer à courir dès cette date ». Implicitement, cette dernière précision conduit à écarter une possible impossibilité d’agir.

En outre, la cour d’appel écarte justement l’exception de nullité, par principe perpétuelle, dont on rappelle qu’elle ne peut jouer en cas d’exécution de l’acte2, serait-elle partielle3. En ce sens, dans la ligne de la jurisprudence antérieure, l’article 1185 du Code civil énonce depuis 2016 : « L’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution »4. Ici, il est constaté que la banque a engagé son action en exécution du contrat litigieux le 26 février 2015, soit après l’expiration du délai quinquennal pour agir. Toutefois, la caution ne peut opposer ladite exception étant donné que « la règle selon laquelle l’exception de nullité est perpétuelle ne joue qu’en cas d’inexécution totale du contrat ». Ce n’est pas la situation puisque la caution, dans ses conclusions (sa demande subsidiaire) – principe de cohérence –, indique avoir réglé une somme d’un certain montant au titre de son engagement de caution, « ce dont il résulte qu’elle a partiellement exécuté le contrat en cause ». Le constat est souverain.

Quant à l’acte du 3 mai 2011, la cour a simplement relevé que « les parties, sans pour autant fournir la moindre explication, n’accordent aucun effet obligatoire au protocole d’accord qu’elles ont conclu ». Néanmoins, étant donné que la banque poursuit la condamnation en paiement de la mère « sur la base, non pas de ce protocole resté partiellement exécuté, mais de l’acte de cautionnement du 17 octobre 2009, la demande de nullité du protocole, sera rejetée comme étant dénuée d’objet ».

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. déjà, sous C. civ., art. 489 anc., Cass. 1re civ., 19 nov. 1991, n° 90-10997 : Bull. civ. I, n° 318 – Cass. 1re civ., 18 févr. 1992, n° 90-17952 : Bull. civ. I, n° 54 ; D. 1993, p. 277, note Massip J. ; Defrénois 1992, n° 35295, p. 734, obs. Massip J. et Cass. 1re civ., 1er juill. 2009, n° 08-13518 : Bull. civ. I, n° 150.
  • 2.
    Cass. 3e civ., 16 mars 2017, n° 16-13063 : Bull. civ. III : « l’exception de nullité ne peut prospérer que pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas encore été exécuté, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre nullité relative et nullité absolue ». – Cass. com., 13 mai 2014, nos 12-28013 et 12-28654 : Bull. civ. IV, n° 84 : « à compter de l’expiration de la prescription de l’action en nullité, l’exception de nullité ne peut faire échec à la demande d’exécution d’un acte qui a déjà reçu un commencement d’exécution par celui qui l’invoque, peu important que ce commencement d’exécution ait porté sur d’autres obligations que celle arguée de nullité ». – Et Cass. 3e civ., 9 mars 2017, n° 16-11728 : Bull. civ. III : « l’inscription d’une hypothèque constitue un commencement d’exécution indépendamment de la personne qui l’effectue ». La perpétuité de l’exception de nullité est déjouée par le commencement d’exécution du débiteur mais aussi du créancier.
  • 3.
    Comp., en matière de testament, Cass. 1re civ., 14 janv. 2015, n° 13-26279 : Bull. civ. I, n° 4 ; D. 2015, Pan., p. 1569, spéc. p. 1570, obs. Noguéro D. ; AJ fam. 2015, p. 169, obs. crit. Casey J. ; RTD civ. 2015, p. 609, obs. Barbier H. – Cass. 1re civ., 25 oct. 2017, n° 16-24766 : Bull. civ. I ; D. 2017, AJ, p. 2206 ; JCP N 2017, 936 ; AJ fam. 2018, p. 53, obs. crit. Casey J. ; Gaz. Pal. 9 janv. 2018, n° 310w4, p. 84, obs. Casado A.-L. ; LPA 27 févr. 2018, n° 133b5, p. 7, note Niel P.-L. ; RTD civ. 2018, p. 192, obs. Grimaldi M. ; Defrénois 7 juin 2018, n° 134e1, p. 37, note Noguéro D. ; D. 2018, Pan., p. 1458, spéc. p. 1459, obs. Lemouland J.-J.
  • 4.
    Application à tout acte juridique, même unilatéral, C. civ., art. 1100-1.
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