Double révolution à la Cour de cassation
L’arrêt Commisimpex, rendu en matière d’immunités juridictionnelles, constitue un arrêt fondamental pour les sources du droit. D’abord, parce que la Cour de cassation procède au revirement spectaculaire d’un précédent revirement de jurisprudence. Ensuite, parce que la Cour procède à ce revirement afin d’anticiper l’application d’une disposition législative inapplicable à l’espèce. Enfin, parce que la Cour motive les raisons de son choix avant de l’appliquer à l’espèce en cause, illustrant par un même arrêt le reflux des deux règles ancestrales : la culture de la motivation brève et l’interdiction de connaître du fond des affaires.
La révolution est un terme polysémique. Son sens premier est tourné vers le passé. La révolution est alors un mouvement dont le point de retour coïncide avec le point de départ. Son sens commun est en revanche tourné vers l’avenir. La révolution est alors la source d’un changement important. L’arrêt Commisimpex rendu par la Cour de cassation le 10 janvier dernier emprunte à l’un comme à l’autre de ces sens : il emprunte au premier s’agissant de sa solution, il emprunte au second, quant à la manière d’y parvenir.
En l’espèce, une société désirait faire pratiquer une saisie-attribution sur les comptes ouverts en France au nom de l’ambassade du Congo. On sait que les États bénéficient d’une immunité de juridiction et d’exécution, mais la société requérante présentait justement une lettre d’engagement par laquelle le ministre des Finances du Congo avait précédemment renoncé définitivement et irrévocablement à les invoquer. Les juges du fond ordonnaient pourtant la mainlevée de la saisie, considérant que la validité de la renonciation était subordonnée à deux conditions : ses caractères exprès et spécial. Le premier caractère ne posait guère difficulté, mais le second faisait manifestement défaut : la renonciation était ici générale, l’État n’ayant pas précisé les biens pour lesquels il renonçait à se prévaloir de son immunité. À la surprise générale, cet arrêt de la cour d’appel de Versailles est cassé le 13 mai 20151 après que la Cour de cassation a décidé de revirer sa jurisprudence. La Cour considère que la renonciation à l’immunité d’exécution n’a pas besoin d’être spéciale pour être valable, il lui suffit d’être expressément stipulée. Saisie sur renvoi, la cour d’appel de Paris se conforme à cette « nouvelle » jurisprudence et valide les saisies effectuées. En bonne logique, l’affaire aurait dû s’arrêter là, mais c’était sans compter sur l’adoption de la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, laquelle incitait l’État du Congo à tenter sa chance et à former un nouveau pourvoi en cassation. En effet, cette loi nouvelle subordonne désormais la validité d’une renonciation à l’immunité d’exécution à la double condition de ses caractères exprès et spécial.
La Cour de cassation se trouvait donc confrontée à une question délicate dont il faut bien cerner les contours. Contrairement à ce que l’on pourrait croire de prime abord, il ne s’agissait pas de déterminer le champ d’application de la loi nouvelle dans le temps. En effet, il est établi que la loi Sapin 2 ne peut, sans être rétroactive, s’appliquer aux mesures d’exécution mises en œuvre avant son entrée en vigueur. Il n’est donc pas contesté que cette loi est inapplicable à l’espèce. La question posée à la Cour était donc plus subtile et concernait le devenir de sa propre jurisprudence. De deux choses l’une : soit la Cour confirmait sa dernière jurisprudence en date, avec cet inconvénient que les mesures d’exécution seraient soumises à des régimes juridiques différents selon qu’elles auraient été engagées avant ou après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle ; soit la Cour décidait d’unifier le régime des mesures d’exécution, mais la loi nouvelle étant dépourvue d’effet rétroactif, il lui fallait alors procéder à un nouveau revirement de jurisprudence.
Finalement, la Cour de cassation cède à la tentation du revirement. La solution se présente ainsi comme un retour vers le passé. La Cour revient à une position originelle par le revirement d’un précédent revirement. En cela, l’arrêt se présente comme la « révolution » d’une solution (I). Mais le fond est loin d’épuiser l’intérêt d’un arrêt qui se distingue également par la manière dont procède notre juridiction suprême. La Cour de cassation décide d’expliquer les raisons de son choix. Elle enrichit la motivation de son revirement avant de l’appliquer à l’espèce. Ce faisant, elle illustre, par un même arrêt, le reflux des deux règles ancestrales : la culture de la motivation brève et l’interdiction de connaître du fond des affaires. Manifestement, l’institution fait sa propre révolution (II).
I – La révolution d’une solution
La solution de la Cour de cassation interroge à deux égards : quant à son fondement d’abord (A), quant à son opportunité ensuite (B).
A – Le fondement de la solution
Le visa de l’arrêt présente une variété de normes d’abord intimidante. La solution se recommande du droit national comme du droit international, du droit écrit comme du droit coutumier. Malheureusement, cette profusion est loin d’être vertueuse. La mobilisation de certaines normes paraît au mieux étonnante, au pire dérangeante.
Constat : on peut comprendre la mention de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, dont certaines stipulations traitent effectivement des immunités étatiques. S’il est ténu2, le lien n’est pas dénué de pertinence. On ne peut pas en dire de même de la référence au droit coutumier international dont la mobilisation confine… à la contradiction. La teneur de ce droit coutumier semblait avoir été décelée par la Cour de cassation dans son arrêt du 13 mai 2015. Selon elle, le droit coutumier international ne subordonnait la validité de la renonciation d’un État à son immunité juridictionnelle qu’à la condition de son caractère exprès. Sauf à imaginer l’hypothèse improbable d’un « revirement de coutume », on peine à comprendre pourquoi la Cour de cassation fonde sa solution sur une norme qui vient la contredire. Mais il y a mieux, car cette mention du droit international coutumier est loin de constituer le seul motif d’étonnement. En effet, la Cour termine son visa par la mention des articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3 du Code des procédures civiles d’exécution. Une telle mobilisation ne se contente plus d’interroger, elle dérange car ces dispositions sont manifestement inapplicables à l’espèce. La Cour de cassation en convient dans ses motifs et le confirme dans sa conclusion lorsqu’elle décide de « revenir à la jurisprudence confortée par la loi nouvelle ». Si la Cour « revient » à sa jurisprudence « confortée » par la loi nouvelle, c’est bien le signe que ces dispositions nouvelles n’ont aucun effet dans l’espèce en cause. Ce n’est pas la loi nouvelle qui s’applique, mais la jurisprudence qui rétroagit.
Explications : si la mention de textes inapplicables dérange, c’est que cette pratique semble renier la fonction assignée au visa. Dans un arrêt de cassation, le visa exerce un rôle particulier hérité de l’histoire : il permet d’identifier les textes dont la violation est sanctionnée. Cette exigence se retrouve d’ailleurs à l’article 1020 du Code de procédure civile aux termes duquel « l’arrêt vise la règle de droit sur laquelle la cassation est fondée ». Il y aurait donc une contradiction flagrante à mentionner les articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3 du Code des procédures civiles d’exécution. Comment fonder une cassation sur des textes inapplicables ?
La contradiction est si flagrante qu’elle invite à imaginer une explication alternative. Et si la Cour avait décidé de modifier la fonction dévolue à son visa ? Après tout, la motivation s’enrichit, pourquoi les visas ne profiteraient-ils pas de cette tendance ? On pourrait très bien imaginer que la Cour mentionne dorénavant dans son visa l’ensemble des textes qui permettent de comprendre l’arrêt et non plus seulement ceux qui fondent la cassation. Telle est d’ailleurs la pratique habituelle du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel pour qui le visa procède, avant tout, d’une démarche informative. Certes, il faudrait encore conjuguer cette évolution avec l’article 1020 du Code de procédure civile, mais il ne s’agit pas vraiment d’une difficulté. Cet article exige de l’arrêt qu’il « vise la règle de droit sur laquelle la cassation est fondée », mais en aucun cas il n’exige que cette règle soit la seule à être mentionnée.
Cette explication permettrait de comprendre la mention, dans le visa, des articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3 du Code des procédures civiles d’exécution. Ces articles ne sont pas applicables à l’espèce, mais il n’empêche que leur adoption constitue la raison profonde de la solution adoptée. Dès l’entame de son arrêt, la Cour nous indique subtilement qu’il constitue un revirement de jurisprudence par anticipation.
B – L’opportunité du revirement
La Cour devait-elle revenir à sa jurisprudence antérieure et anticiper l’application de la loi nouvelle ? Deux raisons, au moins, permettent d’en douter. D’une part, le juge se permet ici une pratique interdite au législateur ; d’autre part, cette solution pourrait d’ici peu s’avérer contraire au droit conventionnel.
Par son visa, la Cour de cassation a clairement affiché le caractère anticipatif de son revirement. Aussi étonnante que soit cette pratique, elle n’est pas nouvelle. Dans un arrêt récent3, la Cour a reviré sa jurisprudence historique concernant la sanction de la violation d’une promesse unilatérale de vente, cela afin de précipiter l’application de la réforme du droit des contrats. La pratique n’est donc pas nouvelle, ce qui n’empêche pas de souhaiter qu’elle demeure exceptionnelle ! Le législateur étant tout à fait compétent pour régler les effets dans le temps de sa loi nouvelle, on peut s’interroger sur la décision du juge de revirer sa jurisprudence par anticipation et de conférer de facto à la loi nouvelle un caractère rétroactif. En effet, de deux choses l’une : soit le législateur ne voulait pas que sa loi présente un caractère rétroactif, soit il ne pouvait pas lui conférer un tel caractère. La solution du revirement de jurisprudence s’avère contestable dans l’un comme dans l’autre cas : soit parce que le juge contrevient à la volonté implicite mais claire du législateur, soit parce qu’il se fait le complice d’une violation des normes supra législatives. Mais c’est déjà aborder la seconde raison qui aurait dû détourner la Cour de cassation de la solution du revirement.
L’affaire Commisimpex pourrait bien donner lieu à une censure de la Cour européenne des droits de l’Homme sur le fondement du droit à un procès équitable : longueur de la procédure, recevabilité douteuse du pourvoi, justification contestable de la nécessité du revirement de jurisprudence… Toutefois, de tels griefs concernent essentiellement le déroulement de l’affaire en cause. Il est sans doute plus intéressant de se concentrer sur une autre contestation : celle de la solution jurisprudentielle elle-même.
La voie constitutionnelle semble fermée, d’abord parce que l’on voit mal devant quelle juridiction une question prioritaire de constitutionnalité pourrait être soulevée, ensuite parce que la constitutionnalité d’une jurisprudence ne peut être contestée que par le truchement de la disposition législative qui la fonde. Or, en l’espèce, les articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3 du Code des procédures civiles d’exécution ne sont pas applicables au litige4, ce qui prive d’assise législative la solution issue du revirement de jurisprudence5.
La voie conventionnelle apparaît en revanche plus sérieuse. La Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens ne subordonnerait la validité des clauses de renonciation qu’à la seule condition de leur caractère exprès. Sitôt que cette Convention entrera en vigueur, le droit français risque d’être frappé d’inconventionnalité. À la réflexion d’ailleurs, il se pourrait que la Cour européenne des droits de l’Homme interprète la Convention européenne à la lumière de la Convention des Nations unies et qu’elle déclare prochainement la jurisprudence française inconventionnelle. L’issue est d’autant plus probable que la Cour européenne des droits de l’Homme regarde les immunités juridictionnelles avec la plus grande circonspection en raison de l’atteinte qu’elles portent au droit à l’accès au juge.
II – Une révolution de l’institution
Le revirement de jurisprudence est remarquable par la manière dont il s’exerce. La Cour de cassation revient sur deux règles séculaires : la motivation brève et l’interdiction de connaître du fond des affaires. Évidemment, ce n’est pas un hasard si l’arrêt du 10 janvier 2018 porte cette mutation. Le fond est nécessairement lié à la manière. La volte-face de la Cour de cassation a non seulement rallongé la procédure, mais elle a également considérablement obscurci la lisibilité du chaînage jurisprudentiel. Il était donc nécessaire que, d’un point de vue jurisprudentiel, la Cour éclaire son revirement d’un surcroît de motivation (A) et que, d’un point de vue juridictionnel, elle mette un terme à l’affaire en cause (B).
A – Révolution de la motivation à la Cour de cassation
Réflexion sur la motivation. Voilà près de 40 ans que l’on discute de la motivation des arrêts de la Cour de cassation. Il est donc appréciable de constater que les réflexions doctrinales ont fini par quitter le monde des idées pour pénétrer la réalité. Il faut dire que la réflexion s’est considérablement intensifiée ces dernières années, tant devant les juridictions administratives6 que, plus récemment, devant la Cour de cassation7. De nombreuses évolutions, au rang desquelles le poids grandissant du droit supranational, la modification de l’office des juges suprêmes ou encore le souci de légitimer l’action du juge, rendaient impossible le maintien de l’imperatoria brevitas dont use traditionnellement la Cour de cassation. Il restait à savoir comment procéder ! L’arrêt du 10 janvier 2018 illustre, après d’autres8, l’une des voies que pourrait emprunter cette fameuse motivation enrichie.
Exposé de la motivation. La motivation de l’arrêt semble suivre le raisonnement de son auteur. La Cour procède par étapes successives avec pour point de départ l’identification d’un élément nouveau : l’adoption en 2016 des articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3 du Code des procédures civiles d’exécution. Une norme législative succède par conséquent à la norme jurisprudentielle, avec cette difficulté que la première contrarie la seconde. Il en résulte qu’à s’en tenir à la solution établie, la renonciation aux immunités étatiques serait soumise à un régime distinct selon la date de mise en œuvre de la mesure d’exécution. Une renonciation expresse serait valable si la mesure d’exécution devait intervenir avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, elle serait nulle pour défaut de spécialité si cette même mesure devait intervenir après l’entrée en vigueur de la loi. Cette rupture d’égalité apparaît difficilement acceptable dans un domaine « touchant à la souveraineté des États et à la préservation de leurs représentations diplomatiques ». Aussi, « l’objectif de cohérence et de sécurité juridique » impose de renoncer à la jurisprudence issue de l’arrêt « isolé » du 13 mai 2015. La Cour préfère revenir à la « jurisprudence confortée par la loi nouvelle », issue des arrêts du 28 septembre 2011 et du 13 mars 2013.
L’opportunité de la motivation. Que penser de cette motivation ? L’attendu est tellement riche que son exégèse dépasserait de loin le cadre d’un simple commentaire9. Il faut donc résister à l’envie de laisser filer la plume et se limiter à l’expression d’un sentiment général. Ce sentiment est celui de l’ambivalence. Cette motivation enrichie séduit et rebute à la fois, selon la fonction que l’on entend lui assigner. Si la motivation enrichie vise seulement à l’information du lecteur sur l’évolution du droit, il ne fait aucun doute que l’arrêt du 10 janvier 2018 constitue un progrès considérable. L’arrêt cite les précédents de 2011 et de 2013, le revirement de 2015, l’adoption de la loi nouvelle en 2016, autant d’informations qui permettent de comprendre le contexte du revirement sans qu’aucune recherche fastidieuse ne soit nécessaire. En revanche, si l’on attend de la motivation enrichie qu’elle livre au lecteur la justification profonde de la solution jurisprudentielle, la déception est alors inéluctable. En effet, c’est un euphémisme de dire que la motivation de la Cour peine à convaincre. Il était déjà contestable de revirer une jurisprudence pour profiter de son effet rétroactif, mais il apparaît totalement invraisemblable de justifier ce revirement par la préservation de la « cohérence et de la sécurité juridique ». Il est indéniable que le revirement de jurisprudence est davantage une source d’insécurité juridique qu’il ne permet de la préserver. La Cour feindrait-elle d’ignorer que son arrêt invalide de facto des renonciations pourtant tout à fait valables au moment de leur émission ? Quant à l’objectif de cohérence, il ne se trouve satisfait qu’au prix d’une profonde illusion : celle que l’arrêt du 13 mai 2015 n’a jamais existé. La Cour ne manque pas, d’ailleurs, de marginaliser son importance en le qualifiant de « doctrine isolée ». S’agissant d’un arrêt de revirement, publié au Bulletin et commenté dans les plus grandes revues juridiques, l’argument a de quoi faire sourire. Finalement, l’extravagance de cette motivation la rend suspicieuse. Loin de livrer les raisons de la solution, la motivation enrichie ne constituerait-elle pas un moyen commode permettant de les camoufler ? Plutôt que de renseigner sur ses intentions, la Cour ne chercherait-elle pas seulement à satisfaire l’obligation de motivation renforcée imposée par la Cour européenne des droits de l’Homme10 ?
B – La révolution de l’office de la Cour de cassation
La loi du 18 novembre 2016 portant modernisation de la justice du XXIe siècle a octroyé à la Cour de cassation la possibilité de statuer au fond « lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie »11. L’objectif de la réforme était clairement affiché : il s’agissait de gagner du temps par l’économie d’un renvoi devant une nouvelle cour d’appel. Toutefois, si l’intérêt pratique de la réforme semblait évident, son impact sur l’office et la nature de la Cour de cassation restait difficile à évaluer. Tout dépendait, finalement, de la manière dont la Cour de cassation se saisirait de ces nouvelles dispositions. L’impact du nouvel article L. 411-3 du Code de l’organisation judiciaire sur l’office de la Cour pouvait osciller entre ajustement et véritable bouleversement.
L’arrêt du 10 janvier 2018 témoigne d’une mise en œuvre plutôt mesurée12. Certes, la Cour s’intéresse à l’intitulé des comptes saisis ainsi qu’à l’identité de leurs titulaires, certes, elle relève l’incapacité du créancier à renverser la présomption qui pèse contre lui13, toutefois, ces éléments de fait ne sont pas le produit de ses propres constatations. La Cour se contente de reprendre les éléments relevés par les juges du fond, sans avoir à procéder à la moindre mesure d’instruction. Finalement, une telle solution aurait même pu s’autoriser des anciennes dispositions, lesquelles permettaient déjà à la Cour de cassation de casser sans renvoi « lorsque les faits, tels qu’ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui permettent d’appliquer la règle de droit appropriée »14.
Est-ce à dire, toutefois, que la réforme n’opère aucun changement ? Une lecture attentive de l’arrêt témoigne du contraire. En effet, la Cour tranche l’affaire au fond en se nourrissant « des énonciations du jugement entrepris » et non pas, comme à l’accoutumée, des énonciations de l’arrêt annulé15. Cette formule subtile traduit une modification de l’office de la Cour suprême qui se positionne davantage comme une cour d’appel de renvoi que comme un juge de cassation.
Il reste évidemment à savoir si la Cour de cassation s’autorisera quelques incursions plus marquées dans l’empire du fait. L’avenir le dira !
Notes de bas de pages
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1.
Cass. 1re civ., 13 mai 2015, n° 13-17751, Commisimpex I : RD bancaire et fin. 2015, comm. 133, note Piédelièvre S. ; RGDI publ. 2015, p. 657, note Tranchant J.-B. ; RDIP 2015, p. 652, note Muir Watt H. ; Gaz. Pal. 5 sept. 2015, n° 236p9, p. 11, note Brenner C. ; D. 2015, p. 1936, note Bollée S. ; D. 2015, p. 2031, spéc. p. 2033, obs. d’Avout L. ; JDI 2016, comm. 4, note El Sawah S., Leboulanger P. ; JCP G 2015, 758, note Laazouzi M.
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2.
On doit toutefois relever que cette convention n’aborde en aucune de ses stipulations la faculté dont disposent les États de renoncer à leur immunité, ni, a fortiori, les conditions auxquelles serait subordonnée cette renonciation.
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3.
Cass. soc., 21 sept. 2017, nos 16-20103 et 16-20104 : D. 2017, p. 2289, note Bauduin B. et Dubarry J. ; AJ Contrat 2017, p. 480, obs. Bucher C.-E. – Cass. 1re civ., 20 sept. 2017, n° 16-12906 : D. 2017, p. 1911 – Cass. com., 5 juill. 2017, n° 16-12836 : AJ Contrat 2017, p. 434.
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4.
On pourrait d’ailleurs se demander si la mention des articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3 du Code des procédures civiles d’exécution dans les visas de la décision les rendent « applicables au litige » et, par conséquent, justiciables de la question prioritaire de constitutionnalité.
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5.
La constitutionnalité de la solution pourrait être discutée au regard du droit à un recours effectif protégé sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Sur ce point, v. not. Cons. const., 6 mars 2015, n° 2014-455 QPC, cons. 3 : JO n° 0057, 8 mars 2015, p. 4313, texte n° 21 : « Aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : “Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution”. Est garanti par cette disposition le droit des personnes à exercer un recours juridictionnel effectif qui comprend celui d’obtenir l’exécution des décisions juridictionnelles ».
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6.
V. not. le rapport du groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative présidé par Philippe Martin et remis au vice-président du Conseil d’État en avril 2012 : www.conseil-etat.fr/Actualites/Communiques/Groupe-de-travail-sur-la-redaction-des-decisions-de-la-juridiction-administrative-rapport-final.
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7.
La Commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation, mise en place par B. Louvel et présidée par Pascal Jean a rendu son rapport en avril 2017. Un chapitre complet est consacré à la motivation des décisions de la Cour de cassation (p. 129 et s.) : www.courdecassation.fr/IMG/Rapport sur la réforme de la Cour de cassation.pdf
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8.
Le rapport d’avril 2017 recense plus d’une cinquantaine d’arrêts à la motivation enrichie entre le 1er janvier 2015 et le 31 mars 2017. Pour une présentation du rapport sur la question de la motivation : Deumier P., « Motivation enrichie, bilan et perspectives », D. 2017, p. 1783.
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9.
Haftel B., « La Cour de cassation, la cohérence et la sécurité juridique », D. 2018, p. 541.
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10.
AJDA 2010, p. 997, Flauss J.-F., à propos de CEDH, 14 janv. 2010, n° 36815/03, Atanasovski c/ ex-République Yougoslave de Macédoine, § 36 et s. : « L’existence d’une jurisprudence établie sur la question en jeu imposait à la Cour suprême l’obligation de donner des raisons substantielles pour expliquer ce revirement de jurisprudence ».
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11.
L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, de modernisation de la justice du XXIe siècle, art. 38.
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12.
Pour une autre illustration de la mesure dont use la Cour de cassation : Cass. com., 5 juill. 2017, n° 15-28114.
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13.
Cette présomption est celle de l’affectation des fonds saisis à l’accomplissement des missions diplomatiques de l’État.
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14.
COJ, art. L. 411-3 dans sa rédaction antérieure au 20 novembre 2016.
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15.
Nous remercions Me Louis Boré, avocat aux conseils, de nous avoir soufflé l’argument.