Vade-mecum du contentieux judiciaire

La création de chambres commerciales internationales, outil du renforcement de la place de Paris

Publié le 11/07/2018

Le gouvernement français cherche à saisir l’occasion de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, qui ne bénéficiera plus de la libre circulation des décisions de justice, pour renforcer Paris en tant que place du droit et attirer devant les juridictions françaises des opérateurs qui, jusqu’à présent, soumettaient leurs contentieux aux juridictions commerciales londoniennes. Pour ce faire, le ministère de la Justice a procédé à la mise en place de chambres commerciales internationales auprès du tribunal de commerce et de la cour d’appel de Paris, permettant notamment aux parties non francophones d’utiliser la langue anglaise à toutes les étapes de la procédure.

Alors qu’un très grand nombre de contrats d’affaires sont actuellement conclus en droit anglais et soumis aux juridictions londoniennes, notamment à la Commercial Court de Londres, le Brexit est susceptible de priver le Royaume-Uni des mécanismes européens de reconnaissance mutuelle des jugements prévus par le règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matières civile et commerciale (« règlement Bruxelles I bis »).

Dans ce contexte, le précédent gouvernement avait chargé Guy Canivet, président du Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP), et premier président honoraire de la Cour de cassation, de mener une mission d’étude portant sur la création de chambres commerciales internationales, capables de juger les contentieux économiques et financiers tant en civil law qu’en common law.

Aux termes du rapport remis par le HCJP le 4 mai 2017 au garde des Sceaux, intitulé : « Préconisations sur la mise en place à Paris de chambres spécialisées pour le traitement du contentieux international des affaires », il a notamment été recommandé que des juridictions spécialisées soient compétentes pour le contentieux du droit des affaires présentant un élément d’extranéité, y compris pour les recours en matière de sentences arbitrales internationales, et devant lesquelles les parties non francophones pourraient employer la langue anglaise à tous les stades du procès, tant en ce qui concerne la production des preuves, le dépôt d’écritures que lors des audiences de procédure ou de plaidoiries.

Ces propositions ont été concrétisées par la signature, le 7 février 2018, de protocoles relatifs à la procédure devant le tribunal de commerce et la cour d’appel de Paris, par la première présidente de la cour d’appel de Paris, la procureure générale près de la cour d’appel de Paris, le président du tribunal de commerce de Paris et le bâtonnier de Paris, en présence de la ministre de la Justice1.

En vertu de ces protocoles, applicables aux instances introduites à partir du 1er mars 2018, ces chambres sont compétentes pour connaître des « litiges [qu’ils soient soumis au droit français ou au droit d’un autre pays] de nature économique et commerciale à dimension internationale », étant précisé que la chambre internationale de la cour d’appel de Paris est également compétente pour connaître des « recours exercés contre les décisions prononcées en matière d’arbitrage international ».

Devant ces chambres, « les actes de procédures sont rédigés en français » mais « les pièces en langue anglaise peuvent être versées aux débats sans traduction ».

Les audiences, quant à elles, se tiennent en français mais les protocoles donnent la possibilité aux parties, témoins, techniciens, experts et conseils des parties, lorsqu’ils sont étrangers mais habilités à plaider devant le tribunal de commerce ou la cour d’appel de Paris, de s’exprimer, s’ils le souhaitent, en langue anglaise.

Aussi, « les débats en français peuvent faire l’objet d’une traduction simultanée, pour le confort d’une des parties, par un interprète qu’elle choisit ». De même, lorsqu’une des parties, un expert ou un témoin souhaite s’exprimer dans une langue autre que le français, « une traduction simultanée est assurée par un traducteur choisi d’un commun accord entre les parties ».

Enfin, dans le but de respecter les dispositions de l’ordonnance Villers-Cotterêts – qui impose de rédiger tout acte officiel en langue française –, ces chambres rendront leurs décisions en langue française en les accompagnant d’une traduction jurée en anglais.

Si l’impact réel de ces mesures est aujourd’hui encore difficile à mesurer, une telle initiative ne peut qu’être saluée.

Rappelons en effet que dans d’autres États, il est déjà possible de décider que la procédure devant une juridiction étatique se déroulera dans une langue autre que la langue officielle. Tel est le cas, par exemple, en Suisse où en vertu de l’article 54-1 de la loi sur le tribunal fédéral (LTF), devant ce dernier « si les parties utilisent une autre langue officielle [autre que celles officiellement reconnues par le pays – allemand, français, italien, roman], celle-ci peut être adoptée ».

De surcroît, d’autres pays européens, tels la Belgique, s’apprêtent à se doter, à l’instar de la France, de juridictions spécialisées permettant l’utilisation de la langue anglaise.

Ainsi, dans le contexte actuel de concurrence internationale juridique et judiciaire auquel la France est confrontée et plus particulièrement la place de Paris, une telle mesure marque une volonté claire d’ouverture à l’international et constitue un signal fort en direction des acteurs économiques étrangers qui ne pourra que renforcer la visibilité de Paris comme place centrale du droit en Europe.

Notes de bas de pages

  • 1.
    http://www.avocatparis.org/system/files/editos/protocoles_signes_creation_juridiction_commerciale_internationale_1.pdf ; http://www.avocatparis.org/system/files/editos/protocoles_signes_creation_juridiction_commerciale_internationale_2.pdf.
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