Les frais de recouvrement de créances sans titre exécutoire : quels recours pour le créancier et ses mandataires ?
La constante augmentation du nombre des impayés, notamment des petites créances civiles, invite à renouveler le débat sur les frais de recouvrement de créances sans titre exécutoire. Si le législateur a voulu protéger le débiteur en imposant les frais de recouvrement à la charge du créancier, les recours prévus pour ce dernier et ses mandataires en cas de mauvaise foi du débiteur ne s’avèrent pas toujours efficaces et adaptés à la réalité de la pratique.
Le sort réservé aux frais de recouvrement de créances a déjà fait l’objet de certaines analyses doctrinales1 et de quelques décisions de justice2. Toutefois, la problématique est loin d’être épuisée, compte tenu de l’augmentation significative du nombre des créances impayées, favorisée par la conjoncture économique actuelle3.
Le débat porte, notamment, sur les petites créances civiles – résultant, dans leur majorité, de relations contractuelles entre un professionnel et un consommateur et plus rarement de relations entre deux profanes – pour lesquelles des titres exécutoires sont rarement demandés. Ces créances étant le plus souvent d’une faible valeur, les créanciers ont recours à des sociétés de recouvrement qui engagent les démarches afin d’obtenir, au nom et pour le compte de leurs mandants, un recouvrement amiable qui vise le paiement de la créance en marge de tout contentieux4. Une partie importante de ces créances qui, additionnées, s’élèvent à plusieurs millions d’euros, est alors recouvrée par ce biais.
Le point épineux concerne le remboursement des frais de recouvrement de créances. Ces derniers peuvent être de différentes natures : il s’agit, d’une part, des frais liés au recouvrement stricto sensu, tels que les honoraires des agents de recouvrement, les frais de courrier, ou encore les honoraires d’avocat ; ils peuvent correspondre, d’autre part, au préjudice en sus du principal, causé au créancier et engendré, par exemple, par le fait que le créancier ait été obligé d’entamer des procédures coûteuses, ou qu’il ait été privé d’un fonds de roulement important.
En effet, les créanciers et les professionnels du recouvrement se trouvent le plus souvent privés de toute possibilité de remboursement desdits frais, en raison du principe énoncé par l’article L. 111-8 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) qui laisse les frais de recouvrement entrepris sans titre exécutoire à la charge du créancier (I). Si cette disposition vise à protéger le débiteur, le plus souvent consommateur – de bonne foi –, elle est toutefois susceptible d’aboutir à des injustices. C’est notamment le cas lorsque le débiteur, conscient que le montant faible de la créance a de fortes chances de l’épargner d’une procédure judiciaire, refuse d’honorer sa dette, tout en augmentant le préjudice subi par le créancier. La seule voie ouverte pour le créancier est d’invoquer devant le juge la mauvaise foi du débiteur, afin d’obtenir le remboursement des frais liés à la créance (II). L’allocation des dommages et intérêts compensatoires sur le fondement de l’article 1153, alinéa 4, du Code civil pourrait également être un recours alternatif (III). Toutefois, les conditions d’application de ces recours compliquent les démarches des créanciers et des professionnels du recouvrement.
I – Les frais de recouvrement de créance sans titre exécutoire à la charge du créancier
Ajouté par la loi du 9 juillet 19915, l’article L. 111-8, alinéa 2, du CPCE énonce le principe selon lequel le créancier doit prendre en charge les frais de recouvrement de la créance : « Les frais de recouvrement entrepris sans titre exécutoire restent à la charge du créancier, sauf s’ils concernent un acte dont l’accomplissement est prescrit par la loi au créancier. Toute stipulation contraire est réputée non écrite, sauf disposition législative contraire ». Le texte s’applique aux actions de recouvrement entreprises sans titre exécutoire et déroge ainsi à la règle générale prévue par l’article 1248 du Code civil, énonçant que « les frais du paiement sont à la charge du débiteur ». En effet, étant donné que le règlement a lieu en dehors de toute procédure judiciaire et en l’absence d’un juge susceptible de procéder à un contrôle des frais demandés par le créancier, le législateur impute ces frais à la charge de ce dernier, dans un souci de protection du débiteur de bonne foi.
Si l’article se réfère au créancier, il s’applique également à tous les mandataires de celui-ci, tels que les huissiers de justice, les avocats ou encore les sociétés de recouvrement. Sont ainsi visées par la disposition toutes les charges liées au recouvrement, comme les frais de dossier, de courrier ou de téléphone, les honoraires des avocats et des huissiers de justice ou encore ceux des agents de recouvrement. C’est notamment dans un « souci de moralisation »6, dans le but d’éviter les pratiques parfois abusives de certaines sociétés de recouvrement, que ce texte a été adopté comme en attestent les travaux préparatoires de la loi de 19917. Par ailleurs, étant d’ordre public, la disposition ne supporte aucune dérogation contractuelle8.
L’application de ce principe aux sociétés de recouvrement de créances implique que le fait d’imposer au débiteur des frais de recouvrement, sous quelque dénomination que ce soit, peut être qualifié de pratique commerciale trompeuse, au sens de l’article L. 121-1 du Code de la consommation. Transposant en droit français la directive n° 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales9, cet article qualifie, inter alia, de pratique commerciale trompeuse celle qui « repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants : (…) c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ». Étant donné que, suivant l’article 2 de ladite directive10, la notion de « bien » s’étend également aux obligations, la disposition devrait s’appliquer dans le cas du recouvrement de créances11.
Par ailleurs, le Code de la consommation prévoit, en son article L. 122-16, des sanctions pénales12 à l’encontre des professionnels qui sollicitent ou perçoivent d’un consommateur des frais de recouvrement en violation de l’article L. 111-8, alinéa 2, du CPCE. Toutefois, il est très rare que les services de protection du consommateur entament des poursuites pénales, l’injonction administrative sur le fondement de l’article L. 121-1 du Code de la consommation s’avérant plus efficace et appropriée.
En dépit du caractère établi de ce principe depuis 1991, sa conformité avec la Constitution a récemment été contestée. Dans le cadre d’une injonction administrative, une société de recouvrement de créances a invoqué devant le juge administratif que le principe mis en place par l’article L. 111-8, alinéa 2, du CPCE serait contraire à la Constitution sur un double fondement : d’une part, au regard du principe d’égalité, dans la mesure où il créerait une rupture d’égalité entre les créanciers selon qu’ils ont ou non à engager des frais aux fins de recouvrement amiable et selon qu’ils ont ou non recours aux services d’un mandataire. Il méconnaîtrait, d’autre part, le droit de propriété, en empêchant les créanciers et leurs mandataires de facturer aux débiteurs les frais engagés pour recouvrir leurs créances. La question prioritaire de constitutionnalité a été transmise au Conseil d’État qui a décidé de ne pas la renvoyer au Conseil constitutionnel faute de caractère sérieux13.
La haute juridiction administrative a alors considéré que l’argument de la double rupture d’égalité n’était pas recevable, en se fondant dans un premier temps sur l’intérêt général poursuivi par la disposition, à savoir la protection du débiteur de bonne foi, qui permet de déroger au principe d’égalité. Elle a poursuivi son raisonnement en considérant que les créanciers qui se voient obligés de procéder au recouvrement de leurs créances se trouvent dans une situation différente de celle des créanciers dont les débiteurs s’acquittent spontanément de la somme due. Elle a enfin estimé que les créanciers qui ont recours à un mandataire « se placent volontairement (…) dans la situation de payer le prix des prestations rendues » par ces derniers. Quant à l’argument fondé sur la violation du droit de propriété, les juges ont, certes, reconnu une atteinte aux droits patrimoniaux des créanciers mais ils l’ont jugée « justifiée et proportionnée à l’objectif d’intérêt général de protection des débiteurs contre le risque d’aggravation de leur situation par l’acquittement de frais de recouvrement excessifs ».
Pourtant, on peut se demander si le recours aux sociétés de recouvrement de créances est un véritable choix pour les créanciers qui se trouvent très souvent dans l’impossibilité matérielle de poursuivre le recouvrement par leurs propres moyens, notamment lorsqu’il s’agit des créances d’une faible valeur et d’un nombre important de débiteurs. Le fait que certains débiteurs s’acquittent spontanément de leurs dettes – ce qui peut être dû à des raisons sans rapport avec le créancier, voire à un simple aléa – est-il suffisant pour justifier le traitement différent des situations ? De la même manière, l’objectif d’intérêt général vise-t-il à protéger tous les débiteurs ou uniquement ceux qui sont de bonne foi ? Ce dernier argument a été, d’ailleurs, pris en compte par le législateur qui a prévu une exception pour le débiteur de mauvaise foi (II).
II – L’imputation des frais de recouvrement au débiteur de mauvaise foi
L’article L. 111-8 du CPCE prévoit deux exceptions à la règle de l’imputation des frais de recouvrement au créancier : il s’agit des actes prescrits par la loi (A) ainsi que des cas où le créancier prouve la mauvaise foi de son débiteur auprès du juge de l’exécution (B).
A – Les actes de recouvrement amiable sont-ils des actes prescrits par la loi ?
La première exception prévue par l’article L. 111-8, alinéa 2, du CPCE porte sur les actes dont l’accomplissement est prescrit par la loi. En l’absence de définition de cette notion dans le CPCE, on ne peut qu’utiliser la signification des termes employés dans le langage juridique courant. Il s’agit alors d’un « acte écrit qui manifeste la volonté du créancier de contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard, quelle que soit la forme de cet acte juridique, dès lors qu’il est accompli dans les conditions prévues par la loi »14. Dans ce cas, le fait que le créancier poursuive les prescriptions de la loi offre une certaine garantie au débiteur et une légitimité au créancier d’imposer les frais engagés à la charge du débiteur.
Sur la base de cette disposition, les démarches entreprises par les sociétés de recouvrement de créances sauraient-elles être qualifiées d’actes dont l’accomplissement est prescrit par la loi ? En effet, les actes des sociétés de recouvrement sont soumis à des formalités légales, prévues par l’article R. 124-4 du CPCE15. Ils doivent, notamment comporter les coordonnées de la personne chargée du recouvrement, celles du créancier, le fondement et le montant de la somme due en principal, intérêts et autres accessoires ainsi qu’un certain nombre de mentions légales, reproduites dans l’article L. 111-8, alinéas 3 et 4, du CPCE.
Dans un premier temps, les juridictions du fond avaient répondu par l’affirmative à cette question. Il avait ainsi été jugé qu’étant donné que la société de recouvrement est tenue de se conformer aux dispositions de l’article 4 du décret du 18 décembre 1996 qui prévoit, sous peine d’amende, l’envoi d’une lettre contenant un certain nombre de mentions16, et que la somme réclamée correspondait aux frais d’établissement et d’envoi de cette lettre, la société de recouvrement, en accomplissant un acte prescrit par la loi, n’avait commis aucune faute17. Néanmoins, cet argument n’a pas été favorablement accueilli par la Cour de cassation. En énonçant que « les frais réclamés par la société de recouvrement au débiteur ne correspondaient pas à l’accomplissement d’un acte prescrit par la loi au créancier »18, la haute juridiction a cassé et annulé, pour violation de la loi, le jugement rendu par les juges du fond. En dépit de cette motivation pour le moins laconique, il ressort de l’arrêt que la Cour consacre une interprétation restrictive de l’article L. 111-8, alinéa 2, du CPCE. Pour que les frais restent à la charge du débiteur, il faut alors un acte dont l’accomplissement est prévu directement pour le créancier et non pour ses mandataires. Cette position de la Cour de cassation s’est depuis reflétée dans la lettre de l’article L. 111-8, alinéa 2, du CPCE qui précise désormais que l’accomplissement de l’acte doit être prescrit « au créancier »19. Par conséquent, cette voie reste désormais fermée pour les agents de recouvrement.
B – La preuve de la mauvaise foi du débiteur devant le juge de l’exécution
Une seconde exception est prévue par le troisième alinéa de l’article L. 111-8 du CPCE. Elle offre la possibilité au créancier qui justifie du caractère nécessaire des démarches entreprises pour recouvrer sa créance de demander au juge de l’exécution de laisser tout ou partie des frais ainsi exposés à la charge du débiteur de mauvaise foi.
En effet, si l’objectif de la règle prévue par le deuxième alinéa dudit article est de protéger le débiteur des frais injustifiés que les agences de recouvrement pourraient être tentées de facturer, cette disposition ne s’applique pas lorsque le débiteur est de mauvaise foi. Le créancier doit alors saisir le juge de l’exécution afin d’obtenir un remboursement total ou partiel des frais de recouvrement qu’il a engagés.
Trois conditions semblent ainsi requises pour que le créancier puisse invoquer cette exception : il faudrait, tout d’abord, une créance justifiée dont le montant est incontestable. Le juge de l’exécution n’étant pas compétent pour statuer sur le fond du litige, seule la créance d’un montant incontestable peut faire l’objet de cette procédure. La deuxième condition porte sur le caractère nécessaire des démarches entreprises pour recouvrer la créance20. Le but du législateur est, encore une fois, d’éviter que le créancier ou ses mandataires fassent peser sur le débiteur des frais inutilement engagés, comme les démarches multiples réitérées sans nécessité21, qui ne feraient qu’aggraver sa situation. Ont été considérés comme inutiles, les frais d’assignation liés à une procédure antérieure que le créancier a voulu facturer au débiteur sur le fondement de l’article L. 111-8, alinéa 3, du CPCE22. Enfin, le créancier doit prouver la mauvaise foi de son débiteur. Partant du principe général selon lequel la mauvaise foi ne se présume pas23, celui qui allègue la mauvaise foi doit la prouver. Après différentes hésitations, la jurisprudence actuelle a tendance à considérer que la mauvaise foi est prouvée si le créancier démontre une faute caractérisée du débiteur24. Les juges doivent alors préciser la circonstance particulière de nature à caractériser la mauvaise foi25. Cela englobe les lenteurs exagérées, une résistance abusive ou la passivité du débiteur. La Cour de cassation a ainsi estimé que le débiteur ayant reconnu sa dette mais opposant à son créancier une résistance qui « présentait un caractère dilatoire »26 est de mauvaise foi. Tel est également le cas du débiteur qui « connaissait la situation exacte mais avait volontairement différé le paiement »27.
Toutefois, en pratique, cette possibilité s’avère d’une utilité très réduite, notamment pour les mandataires. En effet, la saisine du juge de l’exécution est matériellement très difficile, surtout lorsque les montants des créances sont très faibles. C’est pour cette raison que les créanciers n’y ont que très rarement recours. Même si c’était le cas, une telle pratique n’irait pas nécessairement dans le sens de la bonne administration de la justice, dans la mesure où elle conduirait à une prolifération des demandes pendantes devant le juge de l’exécution. En ce qui concerne les mandataires, il est très incertain qu’ils puissent saisir le juge de l’exécution. Si les articles du CPCE règlementant les activités des agents de recouvrement28 restent muets en la matière, la Cour de cassation a estimé qu’en l’absence de disposition expresse autorisant les personnes exerçant des activités de recouvrement de créances à représenter leurs mandants devant les juridictions, une telle intervention de façon habituelle devant les tribunaux « était constitutive, vis-à-vis des avocats, d’un trouble manifestement illicite »29.
Même si une intervention de ces mandataires de manière non systématique semble échapper à la qualification de « trouble manifestement illicite » vis-à-vis des avocats, cette contrainte juridique, ajoutée aux considérations d’ordre pratique ci-dessus mentionnées, ne facilite pas le recours à l’exception prévue par l’article L. 111-8, alinéa 3, du CPCE. C’est pour cette raison qu’il serait pertinent d’examiner si les créanciers et leurs mandataires pourraient avoir recours à d’autres dispositions, notamment l’article 1153, alinéa 4, du Code civil (III).
III – La possibilité d’obtenir des dommages et intérêts compensatoires sur le fondement de l’article 1153, alinéa 4, du Code civil
En l’absence d’une solution satisfaisante dans le CPCE, les créanciers ainsi que les personnes exerçant des activités de recouvrement sauraient-ils invoquer l’article 1153, alinéa 4, du Code civil ?
Faisant partie de la section consacrée aux dommages et intérêts résultant de l’inexécution de l’obligation, cet article prévoit la possibilité pour le créancier qui a subi un préjudice indépendant du retard, en raison de la mauvaise foi de son débiteur, d’obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance. Il est à noter que cet article reste inchangé par la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations30, dans la mesure où il est repris dans son article 1231-631.
Contrairement à l’article L. 111-8, alinéas 2 et 3, du CPCE qui s’applique aux frais engagés par le créancier ou ses mandataires afin d’obtenir le recouvrement amiable de la créance, l’article 1153, alinéa 4, du Code civil fait référence au « préjudice indépendant du retard ». En effet, selon l’article 1153, alinéa 1, du Code civil, le préjudice causé par le retard dans l’exécution ne peut être réparé que par la condamnation du débiteur aux intérêts au taux légal32.
Néanmoins, le comportement du débiteur qui ne s’acquitte pas de sa dette, alors que celle-ci est quérable et qu’il en a connaissance, est susceptible de provoquer au créancier un préjudice spécial, à savoir distinct de la seule privation de la somme d’argent à l’échéance. Ce préjudice peut être réparé par des dommages et intérêts compensatoires, en sus du principal et distincts des intérêts moratoires. La Cour de cassation considère à cet égard que les intérêts moratoires de la créance ne sont pas à même de remédier au préjudice distinct33.
Il a ainsi été jugé que la résistance « dépourvue de tout moyen sérieux et abusive » opposée par le débiteur, caractérisant la mauvaise foi de celui-ci, avait causé au créancier un préjudice distinct au sens de l’article 1153, alinéa 4, du Code civil. « Faute de pouvoir disposer en temps de la somme lui étant due », le créancier avait été dans l’obligation d’emprunter « à des conditions onéreuses »34. De la même manière, les juges ont estimé que le débiteur qui, après avoir signé le procès-verbal de réception définitive des travaux, avait rejeté les conclusions du rapport de l’expert choisi par lui-même et ne s’était pas acquitté de sa dette pendant sept ans, a provoqué chez le créancier un préjudice spécial, résultant du fait que ce dernier « avait été empêché, notamment, de disposer de fonds de roulement importants, pouvant provoquer des perturbations dans la marche de son entreprise »35.
Il résulte que, si les conditions de la mauvaise foi du débiteur36 et du préjudice distinct sont réunies, le créancier est en droit de demander des dommages et intérêts compensatoires. En cas de contestation, la détermination du montant du préjudice relève de l’appréciation souveraine des juges du fond37.
Dans la mesure où le bénéficiaire de ces dommages et intérêts compensatoires est le créancier, il va de soi que c’est en principe lui qui est en droit de les réclamer auprès du débiteur. Suivant le contrat de mandat conclu avec les personnes exerçant des activités de recouvrement, ces dernières peuvent éventuellement procéder à la réclamation au nom et pour le compte de leurs mandants, à charge pour elles de les reverser aux créanciers. Il n’est, toutefois, pas exclu que les professionnels du recouvrement appliquent des honoraires sur les sommes perçues à ce titre.
Par ailleurs, en vertu de l’article R. 124-4 du CPCE, les créanciers et leurs mandataires doivent bien distinguer, dans la lettre invitant le débiteur à accepter le recouvrement amiable, ces dommages et intérêts compensatoires, d’une part, des intérêts moratoires, d’autre part, en précisant le fondement de chaque montant ainsi que le mode de calcul.
En somme, si les personnes exerçant des activités de recouvrement de créances ont été longtemps stigmatisées en raison des pratiques agressives face aux consommateurs, elles sont, depuis la loi de 1991, soumises à des obligations réglementant les modalités de recouvrement, sans pour autant constituer une profession distincte, ayant un véritable statut. Toutefois, force est de constater qu’elles constituent actuellement des acteurs importants, qui jouent un rôle considérable dans le recouvrement d’un nombre de créances en pleine augmentation.
Dans un souci de protection du débiteur de bonne foi, la loi de 1991, intégrée dans le CPCE, a fait le choix d’imputer les frais engagés en vue du recouvrement au créancier. Elle n’apporte, néanmoins, pas de solutions satisfaisantes et efficaces face à la prolifération des charges due notamment au comportement du débiteur de mauvaise foi. Le recours à l’article 1153, alinéa 4, du Code civil pourrait être d’une certaine utilité à cet égard, mais cet article est quelque peu détourné de sa fonction principale, étant donné qu’il ne vise que le préjudice indépendant du retard. Le risque, en pratique, serait que les sociétés de recouvrement soient tentées d’y avoir systématiquement recours en vue de requalifier les frais liés au recouvrement en préjudice spécial. En somme, le recours systématique tant au juge qu’à l’article 1153, alinéa 4, du Code civil aurait des effets pervers38.
Il serait alors préférable, de lege ferenda, que les personnes exerçant les activités de recouvrement des impayés soient soumises à des honoraires règlementaires, voire aux mêmes honoraires que les huissiers de justice. Il pourrait, par exemple, être déterminé que les frais liés à la première réclamation restent à la charge du créancier alors que ceux engendrés ensuite seront facturés au débiteur, sur la base d’une tarification règlementaire. Une telle réglementation augmenterait la transparence dans les modalités de recouvrement et apporterait une solution à la question des frais de recouvrement en cas de mauvaise foi du débiteur. D’ailleurs, des propositions en ce sens ont été évoquées lors des débats au sein du Sénat et de l’Assemblée nationale au moment de l’adoption de la loi de 1991, mais elles n’ont pas été adoptées par le Gouvernement39.
Notes de bas de pages
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1.
V. à titre indicatif, Lamarque J., « À propos des procédures civiles d’exécution », Gaz. Pal. 19 oct. 1993, p. 1240 ; Provansal A., « Le point sur les impayés… prix de la morale : 9,80 € », Gaz. Pal. 2 août 2011, p. 6.
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2.
Pour les juridictions civiles, v. par ex., parmi les décisions les plus récentes, Cass. 2e civ., 20 mai 2010 : Bull. civ. II, n° 99. En ce qui concerne les juridictions administratives, v. CE, 10 mai 2012 : AJDA 2012, p. 1702 – TA Paris, 2e sect., 1re ch., 26 mars 2013, n° 1106544/2-1.
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3.
V. not. la question écrite de Georges Mouly sur l’augmentation des impayés destinés aux petites et moyennes entreprises, JO Sénat, 15 juill. 2004, p. 1557 ; V. égal. « France : le nombre des impayés est en augmentation au 3e trimestre », La Tribune, 16 nov. 2012 ; Fougères D., Golfier C., Horny G. et Kremp E., « Quel a été l’impact de la crise de 2008 sur la défaillance des entreprises ? », Économie et statistique 2013, n° 462-463, p. 69-97.
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4.
Perrot R. et Théry P., Procédures civiles d’exécution, 2013, Paris, Dalloz, p. 52-58, spéc. p. 54.
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5.
L. n° 91-650, 9 juill. 1991, portant réforme des procédures civiles d’exécution, art. 32 : JO,14 juill. 1991, p. 9228, n° 163.
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6.
Lamarque J., art. prèc., spéc. p. 1245-1248.
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7.
V. not. les discussions au sein du Sénat lors des séances du 15 et du 24 mai 1990 : JO Sénat 1990, p. 837 et 1056. Pour les débats au sein de l’Assemblée nationale, v. les séances du 3 et du 9 avril 1990 : JO AN 1990, p. 49 et 1003. V. égal., Perrot R. et Théry P., op. cit., spéc. p. 58, notes 5 et 6.
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8.
V. art. L. 111-8, al. 2 in fine, qui dispose que « toute stipulation contraire est réputée non écrite, sauf disposition législative contraire ».
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9.
Dir. PE et Cons. UE n° 2005/29/CE, 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant Dir. Cons. UE n° 84/450/CEE et Dir. PE et Cons. UE nos 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE et le règl. (CE) [PE] [Cons. UE] n° 2006/2004 (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») : JO UE, 11 juin 2005, n° L 149, p. 22-39.
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10.
Cet article définit la notion de « produit » au sens de la directive, en visant « tout bien ou service, y compris les biens immobiliers, les droits et les obligations ».
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11.
Si l’application de cet article aux créanciers semble évidente, la question peut se poser quant à son étendue aux mandataires de ces derniers, tels que les sociétés de recouvrement. En effet, le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale pourrait constituer un argument à l’encontre d’une application de cette disposition aux mandataires, étant donné qu’ils n’ont pas de relation commerciale directe avec les débiteurs. Il faut, toutefois, noter que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), chargée du contrôle de ces pratiques, qualifie systématiquement la réclamation par les sociétés de recouvrement des frais de recouvrement de pratique commerciale déloyale.
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12.
En ce qui concerne la nature des sanctions, l’article L. 122-16 du Code de la consommation renvoie à l’article L. 122-12 du même code qui prévoit des peines d’emprisonnement de deux ans et une amende de 300 000 € au plus.
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13.
CE, 10 mai 2012, préc.
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14.
Lamarque J., art. préc., p. 1241.
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15.
Cet article dispose que « la personne chargée du recouvrement amiable adresse au débiteur une lettre qui contient les mentions suivantes : 1° Les nom ou dénomination sociale de la personne chargée du recouvrement amiable, son adresse ou son siège social, l’indication qu’elle exerce une activité de recouvrement amiable ; 2° Les nom ou dénomination sociale du créancier, son adresse ou son siège social ; 3° Le fondement et le montant de la somme due en principal, intérêts et autres accessoires, en distinguant les différents éléments de la dette, à l’exclusion des frais qui restent à la charge du créancier en application du troisième alinéa de l’article L. 111-8 ; 4° L’indication d’avoir à payer la somme due et les modalités de paiement de la dette ; 5° La reproduction des troisième et quatrième alinéas de l’article L. 111-8. Les références et date d’envoi de la lettre mentionnée au premier alinéa sont rappelées à l’occasion de toute autre démarche auprès du débiteur en vue du recouvrement amiable ».
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16.
L’article 4 du décret n° 96-1112 du 18 décembre 1996 portant réglementation de l’activité des personnes procédant au recouvrement amiable des créances pour le compte d’autrui a été repris par l’article R. 124-4 du CPCE.
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17.
Juridiction de proximité de Marseille, 15 avr. 2009.
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18.
Cass. 2e civ., 20 mai 2010 : Bull. civ. II, n° 99 ; D. 2010, p. 1425 ; D. 2011, p. 1515, obs. Leborgne A. ; Procédures 2011, comm. n° 313, obs. Perrot R. ; Contrats, conc. consom. 2010, n° 264, note Raymond G.
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19.
Modification apportée par l’article 12 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.
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20.
V. sur ce point, Leborgne A., Droit de l’exécution. Voies d’exécution et procédures de distribution, 2014, 2e éd., Paris, Dalloz, spéc. n° 807.
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21.
V. sur ce point, Guinchard S. et Moussa T. (dir.), Droit et pratique des voies d’exécution, 2015, 8e éd., Paris, Dalloz action, ch. 313, spéc. § 313.21.
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22.
Cass. 3e civ., 5 mai 1999, n° 08-13855.
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23.
C. civ., art. 2274.
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24.
Il faut noter que la quasi-totalité de cette jurisprudence a interprété la notion de mauvaise foi du débiteur dans le cadre de l’article 1153, alinéa 4, du Code civil (sur ce point, v. infra sous 3). Toutefois, elle serait également applicable à l’interprétation de l’article L. 111-8, alinéa 3, du CPCE, dans la mesure où elle porte sur la notion de mauvaise foi.
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25.
Cass. 3e civ., 1er déc. 1993 : Bull. civ. III, n° 156 – Cass. com., 2 févr. 2010 : Bull. civ. IV, n° 32.
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26.
Cass. 1re civ., 9 déc. 1970 : Bull. civ. I, n° 325.
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27.
Cass. 1re civ., 13 avr. 1983 : Bull. civ. I, n° 118.
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28.
CPCE, art. R. 124-1 à R. 124-7.
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29.
Cass. 1re civ., 7 avr. 1999 : Bull. civ. I, n° 120 – Cass. 1re civ., 21 janv. 2003 : Bull. civ. I, n° 17. V. égal. sur ce point, Leborgne A., op. cit., spéc. n° 389.
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30.
Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations qui entrera en vigueur le 1er octobre 2016.
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31.
Cet article dispose en son alinéa 3 que « le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire ».
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32.
À l’exception des règles particulières au commerce et au cautionnement.
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33.
V. à titre indicatif, Cass. 1re civ., 14 mars 2000, n° 97-20275, à propos de la créance d’un agriculteur contre une compagnie d’assurances ayant pour objet le paiement d’une indemnité d’assurance. La Cour de cassation a considéré que l’assureur avait commis une faute, en ne réglant pas d’acompte sur indemnité dès le dépôt du rapport d’expertise. Il a alors causé au créancier un préjudice distinct de celui réparé par l’allocation des intérêts moratoires de la créance.
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34.
Cass. 1re civ., 16 mars 1977 : Bull. civ. I, n° 139 à propos d’une assignation en paiement des lettres de change entre commerçants.
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35.
Cass. 1re civ., 6 nov. 1963 : Bull. civ. I, n° 481 à propos de la demande d’un entrepreneur en paiement du solde du coût des travaux effectués.
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36.
Sur l’interprétation de cette condition par la jurisprudence, v. supra sous II (B).
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37.
V. Cass. com., 4 oct. 1971 : Bull. civ. IV, n° 224 qui énonce que la cour d’appel, « par la seule évaluation qu’elle en a faite, (…) a constaté l’existence d’un préjudice distinct de celui réparé par l’allocation des intérêts moratoires et en a apprécié souverainement le montant ».
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38.
Sur ce point, à propos du recours systématique au juge, v. Lamarque J., art. préc., p. 1246.
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39.
V. ibid.