Saisie conservatoire des aéronefs : la spécificité de ses conditions s’étend-elle à son régime procédural ?

Publié le 11/10/2023
Saisie conservatoire des aéronefs : la spécificité de ses conditions s’étend-elle à son régime procédural ?
Kiselov/AdobeStock

Les procédures civiles d’exécution offrent un ensemble d’outils à la disposition des créanciers, auquel appartient la saisie conservatoire des aéronefs qui, bien que méconnue, doit être envisagée lors de l’élaboration d’une stratégie précontentieuse ou contentieuse.

Dans l’objectif de préserver ses droits résultant d’un jugement français ou étranger ou d’une sentence arbitrale, un créancier peut solliciter l’exécution de mesures conservatoires en France à l’encontre d’un débiteur, que celui-ci soit français ou étranger. Ces mesures portent le plus souvent sur les sommes inscrites aux comptes bancaires de leur débiteur. Toutefois, il est dans l’intérêt du créancier de cibler des biens de forte valeur, dont font partie les aéronefs1.

Retour sur la spécificité des conditions

Avant la mise en place du régime que nous connaissons aujourd’hui par la loi n° 87-424 du 19 juin 1987, les aéronefs étaient saisissables à titre conservatoire selon le droit commun de la saisie conservatoire, au même titre que tout bien meuble. Leur saisie conservatoire pouvait ainsi être obtenue avec une certaine souplesse. Il suffisait d’obtenir une autorisation judiciaire en démontrant l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe et dont, en cas d’urgence, le recouvrement semblait en péril2. Il en a résulté des difficultés diplomatiques, notamment lors de la saisie en 1983 à Orly d’un avion appartenant à la compagnie Air Algérie effectuant la liaison régulière Paris-Alger avec 120 passagers à son bord ou la saisie en 1984 à Nice d’un avion de la compagnie Air Zaïre transportant le président Mobutu en visite en France3.

La réforme de 1987 est donc venue restreindre les possibilités de saisir à titre conservatoire ces appareils, l’objectif étant à la fois diplomatique, pour empêcher que la saisie d’un aéronef étranger n’affecte les relations diplomatiques de la France avec d’autres États, et commercial, afin d’éviter qu’une saisie conservatoire ne soit préjudiciable aux compagnies aériennes, leurs équipages, leurs clients et, plus largement, qu’elle ne perturbe le trafic aérien.

Depuis lors, la saisie conservatoire est régie par des textes spéciaux disséminés dans le Code des transports et le Code de l’aviation civile4 et n’est envisageable qu’à l’égard de certains types d’aéronefs et seulement pour couvrir un certain type de créances.

Ainsi, les aéronefs militaires et les aéronefs appartenant à un État, s’ils sont exclusivement affectés à un service public, ne peuvent faire l’objet d’une saisie conservatoire, les dispositions y afférentes ne leur étant pas applicables5.

Il en va en principe de même s’agissant des aéronefs français et étrangers affectés à un service d’État ou à des transports publics6. La protection accordée aux premiers résulte de l’application du principe d’immunité d’exécution et vise notamment les aéronefs utilisés dans les activités de compagnies nationales de transport aérien ou servant au déplacement de personnalités officielles7. Celle accordée aux seconds concerne tous les aéronefs embarquant des passagers, des marchandises ou du courrier à titre onéreux8, y compris lorsqu’ils sont en visite de maintenance ou d’entretien9.

Toutefois, l’article L. 6123-1 du Code des transports autorise la saisie conservatoire de ces deux derniers types d’aéronefs lorsque la créance porte sur des sommes dues par leur propriétaire à raison de l’acquisition de ces aéronefs ou de contrats de formation ou de maintenance liés à leur exploitation.

La qualité du débiteur est ainsi circonscrite au seul propriétaire de l’aéronef, ce qui exclut la possibilité de faire pratiquer une saisie conservatoire à l’encontre d’une compagnie aérienne exerçant en qualité de preneuse d’un aéronef au titre d’un contrat de crédit-bail10.

De plus, le législateur entendant préserver une proportionnalité entre, d’une part, le montant de la créance à couvrir et, d’autre part, la valeur de l’aéronef et le coût de son immobilisation, l’objet de la créance justifiant la saisie est précisément défini pour ne viser que les créances liées au financement de l’aéronef, aux opérations permettant son bon fonctionnement dans son état initial et à la formation de son personnel de bord11. Dès lors, sont par exemple exclues les créances salariales, les créances d’achat de carburant et celles liées au remplacement complet des moteurs12.

En somme, sous réserve que les conditions tenant au type d’aéronef et au type de créance soient cumulativement satisfaites, la saisie conservatoire est possible. En l’absence de disposition spécifique, cela vaudrait également dès lors que la première de ces conditions fait défaut, c’est-à-dire dans l’hypothèse où l’aéronef n’est pas affecté à un service d’État ou à des transports publics (et où il ne s’agit pas d’un aéronef militaire ou appartenant à un État), quelle que soit la créance fondant la saisie. À ce titre, les aéronefs privés pourraient faire l’objet d’une saisie conservatoire aux fins de couvrir tout type de créance. En revanche, la saisie conservatoire n’est pas ouverte lorsque seule la seconde condition fait défaut.

Un régime procédural récemment clarifié

Dans la mesure où la saisie conservatoire est possible, se pose la question d’une éventuelle autorisation judiciaire. À la vérité, la réponse dépend de la nationalité de l’aéronef, laquelle, rappelons-le, correspond à la nationalité de l’État dans lequel il est immatriculé13.

S’agissant des aéronefs étrangers, le Conseil d’État a, par un arrêt du 14 octobre 2022, confirmé qu’ils doivent toujours faire l’objet d’une autorisation judiciaire14, par dérogation à l’article L. 511-2 du Code des procédures civiles d’exécution qui, dans certaines circonstances, dispense le créancier d’une autorisation judiciaire préalable de saisie. Cela ressort clairement des articles R. 123-9 du Code de l’aviation civile et L. 6123-1 du Code des transports. Le législateur a souhaité maintenir cette garantie dans la mesure où l’immobilisation de ces appareils est susceptible d’être extrêmement préjudiciable à leur propriétaire15.

À l’inverse, il semble que la solution varie pour les aéronefs français. Dès lors que l’aéronef est affecté à un service d’État ou à des transports publics, l’article L. 6123-1 du Code des transports subordonne leur saisie conservatoire à l’obtention d’une ordonnance de saisie, ce dont il s’ensuit que, même muni d’un titre exécutoire, le créancier saisissant doit obtenir l’autorisation du juge16. En revanche, pour tous les autres aéronefs (à l’exception, évidemment, des aéronefs militaires ou appartenant à un État), dans le silence des textes, le droit commun trouve à s’appliquer. Par conséquent, un créancier peut se passer d’une autorisation judiciaire lorsqu’il se prévaut, notamment, d’un titre exécutoire ou d’une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire17.

Lorsqu’elle est requise, l’autorisation judiciaire ne sera accordée que si, outre les conditions susmentionnées, le créancier justifie d’une créance fondée en son principe et d’une menace dans son recouvrement18. Ces conditions sont simplement réputées remplies lorsque le créancier est dispensé de solliciter l’intervention du juge, le débiteur pouvant par la suite contester la mesure.

Le juge ainsi compétent est le juge de l’exécution, quelle que soit la nationalité de l’aéronef, sous réserve de la compétence concurrente accordée au président du tribunal de commerce. Cette solution est désormais clairement affirmée par une décision de la Cour de cassation du 2 février 202319.

Jusqu’alors, cette compétence semblait dépendre de la nationalité de l’aéronef. En effet, selon l’article R. 123-9 du Code de l’aviation civile, la saisie conservatoire des aéronefs étrangers ou dont le propriétaire n’est pas domicilié en France relève de la compétence du juge d’instance (aujourd’hui du juge du tribunal judiciaire), tandis que, par défaut, en application du droit commun, c’est-à-dire des articles L. 511-3 du Code des procédures civiles d’exécution et L. 721-7 du Code de commerce, celle visant les aéronefs français ressort de la compétence du juge de l’exécution (sous réserve de la compétence concurrente du président du tribunal de commerce). Cette solution a fait naître un débat sur la question de savoir si l’article R. 123-9 du Code de l’aviation civile était toujours applicable, étant précisé que la compétence concurrente du juge de l’exécution et du président du tribunal de commerce avait été établie par des textes postérieurs à celui ayant établi la compétence du juge d’instance.

Saisi d’une question préjudicielle posée par la Cour de cassation à ce sujet, le Conseil d’État a, toujours dans son arrêt du 14 octobre 2022, considéré que les dispositions de l’article R. 123-9 du Code de l’aviation civile, en tant qu’elles désignent le juge d’instance (aujourd’hui le juge du tribunal judiciaire) comme compétent pour autoriser la saisie conservatoire des aéronefs étrangers ou dont le propriétaire n’est pas domicilié en France, sont illégales20. La Cour de cassation en a tiré toutes les conséquences et a affirmé que le juge de l’exécution a compétence exclusive pour autoriser leur saisie conservatoire, sous réserve de la compétence concurrente reconnue au président du tribunal de commerce21.

Cette décision n’affecte pas la compétence territoriale qui est attribuée, s’agissant des aéronefs étrangers ou dont le propriétaire n’est pas domicilié en France, au tribunal du lieu où l’aéronef a atterri et, s’agissant des aéronefs français, au tribunal du lieu où demeure le débiteur22.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Pour rappel, cette notion vise « tout appareil capable de s’élever ou de circuler dans les airs » (C. transp., art. L. 6100-1), englobant notamment les avions et hélicoptères.
  • 2.
    CPC, art. 48, anc.
  • 3.
    Sénat, projet de loi n° 143, première session ordinaire de 1986-1987, relatif à la saisie conservatoire des aéronefs.
  • 4.
    C. transp., art. L. 6123-1 – C. aviation, art. R. 123-9.
  • 5.
    C. transp., art. L. 6100-1, al. 2.
  • 6.
    C. transp., art. L. 6123-1.
  • 7.
    Sénat, rapp. n° 173, seconde session ordinaire de 1986-1987, 8 avr. 1987, J. Thyraud.
  • 8.
    C. transp., art. L. 6400-1 – C. transp., art. L. 6412-1 – Sénat, rapp. n° 173, seconde session ordinaire de 1986-1987, 8 avr. 20187, J. Thyraud.
  • 9.
    Cass. 2e civ., 25 nov. 1999, n° 98-12758.
  • 10.
    Sénat, rapp. n° 173, seconde session ordinaire de 1986-1987, 8 avr. 1987, J. Thyraud.
  • 11.
    Sénat, projet de loi n° 143, première session ordinaire de 1986-1987, relatif à la saisie conservatoire des aéronefs – Sénat, rapp. n° 173, seconde session ordinaire de 1986-1987, 8 avr. 1987, J. Thyraud.
  • 12.
    Sénat, rapp. n° 173, seconde session ordinaire de 1986-1987, 8 avr. 1987, J. Thyraud.
  • 13.
    Conv., 7 déc. 1944, relative à l’aviation civile internationale, art. 17.
  • 14.
    CE, 14 oct. 2022, n° 462518.
  • 15.
    CE, 14 oct. 2022, n° 462518, concl. du rapporteur public, § 3.2.
  • 16.
    Cass. 2e civ., 25 nov. 1999, n° 98-12758.
  • 17.
    CPC exéc., art. L. 511-2.
  • 18.
    CPC exéc., art. L. 511-1.
  • 19.
    Cass. 2e civ., 2 févr. 2023, n° 21-17459.
  • 20.
    CE, 14 oct. 2022, n° 462518.
  • 21.
    Cass. 2e civ., 2 févr. 2023, n° 21-17459.
  • 22.
    C. aviation, art. R. 123-9 – CPC exéc., art. R. 511-2.
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