Distinction entre une voie propre aux tramways et une voie de circulation au sens de la Cour de cassation

Publié le 26/05/2020

D’après la loi Badinter du 5 juillet 1985, un piéton ayant traversé la voie propre d’un tramway ne peut pas bénéficier de ses dispositions protectrices. La Cour de cassation saisit ici l’opportunité de décrire ce qu’est une voie propre aux tramways.

Cass. 2e civ., 5 mars 2020, no 19-11411

Distinction entre une voie propre aux tramways et une voie de circulation au sens de la Cour de cassation
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Une femme traverse à pied une voie de tramway, délimitée par une bordure et des barrières, et se fait percuter par un wagon, alors qu’un peu plus loin se trouvait un passage piétons.

Blessée, elle assigne l’assureur de la société Kéolis, qui opère les transports du tramway en question, afin de solliciter l’indemnisation de ses préjudices sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, loi dite Badinter, relative aux accidents de la circulation.

L’objectif était de pouvoir bénéficier des dispositions particulièrement protectrices des piétons de cette loi, puisque son article 3 prévoit que ces derniers sont indemnisés systématiquement en cas d’accident, sauf à prouver qu’ils ont commis une faute inexcusable, cette faute devant en outre être la cause exclusive de l’accident.

La faute inexcusable est considérée habituellement, par la Cour de cassation, comme « une faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ».

Cette notion est particulièrement restrictive et les magistrats la retiennent très rarement. En pratique, il est donc très rare qu’un piéton ne soit pas indemnisé, dès lors que cette loi trouve à s’appliquer.

L’objectif de cette victime était donc de démontrer qu’elle se trouvait dans le champ d’application de cette loi. En effet, le simple fait de traverser la voie réservée au tramway, en cas d’application de la loi Badinter, ne serait très probablement pas considéré comme une faute inexcusable exclusive du droit à indemnisation.

Dès lors, si la loi Badinter s’appliquait, la victime serait pratiquement certaine de pouvoir être indemnisée, alors même que son comportement n’était pas irréprochable en ayant traversé au mauvais endroit, après avoir franchi des barrières.

Si cette loi n’était pas applicable, la victime devrait mettre en cause la responsabilité du transporteur sur le fondement de la responsabilité du fait des choses.

La responsabilité du fait des choses est décrite à l’article 1242, alinéa 1er, du Code civil (ancien article 1384, alinéa 1er), précisant que l’on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait mais aussi de celui qui est causé notamment par les choses que l’on a sous sa garde.

Or ce régime, qui suppose la preuve du rôle causal de la chose, et peut exclure le droit à indemnisation d’une victime si celle-ci a commis une faute, est loin d’être automatique. Son application est plus complexe que les dispositions relatives aux accidents de la voie publique.

Il est probable qu’en traversant la voie du tramway en dehors du passage piétons, une faute aurait été reprochée à la victime.

La victime avait donc tout intérêt à solliciter l’application de la loi Badinter, et espérait une issue favorable, car la Cour de cassation n’a eu que peu d’occasions jusqu’à présent de définir cette notion de « voie propre ».

Pour déterminer si la loi Badinter trouve à s’appliquer, il convient de se référer à son article premier qui délimite son champ d’application en ces termes : « Les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ».

En d’autres termes, la victime percutée par un tramway peut bénéficier des dispositions de la loi Badinter, à condition que le tramway ne circule pas sur une voie qui lui est propre, mais sur une voie ouverte à la circulation.

La deuxième chambre de la Cour avait abordé ce sujet à plusieurs reprises, estimant qu’un tramway circulait bien sur une voie propre dès lors qu’il « circulait sur une voie ferrée implantée sur la chaussée dans un couloir de circulation qui lui était réservé, délimité d’un côté par le trottoir et de l’autre par une ligne blanche continue »1, mais avait également estimé que lorsqu’un tramway traversait « un carrefour ouvert aux autres usagers de la route », il n’était plus dans une voie propre2.

La question posée par le pourvoi n’était pas dénuée d’intérêt. La victime invoquait notamment le fait que la voie de tramway présentait un passage piétons et traversait, un peu plus loin, un carrefour ouvert à la circulation des autres véhicules.

Dès lors, le tramway circulait sur une voie qui n’était pas complètement fermée à la circulation.

On pouvait donc se demander si, pour être définie comme une voie propre, la voie du tramway devait être entièrement détachée de la circulation, du début à la fin, ou si elle pouvait l’être uniquement sur certaines portions.

Pour répondre à la question posée, la Cour de cassation décrit, dans un premier temps, les critères généraux permettant de définir la notion de « voie propre » des chemins de fer et des tramways.

À ce titre, la Cour de cassation évoque essentiellement des critères physiques permettant de distinguer clairement la voie réservée aux tramways du reste de la circulation :

  • une matérialisation physique au moyen d’une bordure légèrement surélevée afin d’empêcher leur empiétement ;

  • des barrières installées de part et d’autre du passage piétons afin d’interdire le passage des piétons sur la voie réservée aux véhicules ;

  • un terre-plein central entre les deux voies de tramway visant à interdire tout franchissement ;

  • un passage piétons situé à proximité et matérialisé par des bandes blanches sur la chaussée conduisant à un revêtement gris traversant la totalité des voies du tramway et interrompant le tapis herbeux et pourvu entre les deux voies de tramway de poteaux métalliques empêchant les voitures de traverser mais permettant le passage des piétons.

Ayant relevé ces diverses matérialisations physiques, la Cour de cassation confirmait l’arrêt en ce qu’il avait estimé que la voie du tramway était bien, à cet endroit, une voie propre.

La seconde partie de son raisonnement tient à la présence, non loin du choc, du passage piétons. Elle évoque ainsi le fait que « le point de choc ne se situait pas sur le passage piétons mais sur la partie de voie propre du tramway après le passage piétons ».

A contrario, si le choc avait eu lieu sur le passage piétons, il faut en déduire que la victime aurait pu bénéficier des dispositions de la loi Badinter.

Il faut en déduire que la voie de tramway peut être considérée, en fonction des portions, comme étant tantôt une voie propre, tantôt une voie ouverte à la circulation.

Dès lors, si la victime avait été percutée à un autre endroit par le tramway (passage piétons, carrefour ouvert à la circulation), elle aurait pu bénéficier des dispositions de la loi Badinter, le tramway étant considéré comme un véhicule terrestre à moteur.

Nul doute que les mêmes règles trouveraient à s’appliquer en ce qui concerne les voies de chemins de fer.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 2e civ., 18 oct. 1995, n° 93-19146.
  • 2.
    Cass. 2e civ., 16 juin 2011, n° 10-19491.
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