La responsabilité d’une association sportive en raison de l’agression d’un arbitre par un joueur à l’issue d’une rencontre

Publié le 05/10/2018

Une association sportive est-elle tenue de réparer le préjudice subi par un arbitre agressé à l’issue d’une compétition par un de ses membres ? En répondant par la positive, dans son arrêt du 5 juillet 2018, la Cour de cassation apporte des précisions bienvenues à sa jurisprudence sur la responsabilité des associations du fait de leurs membres et notamment sur les liens devant unir la faute commise par le membre d’une association et les activités prises en charge par cette dernière.

Cass. 2e civ., 5 juill. 2018, no 17-19957, ECLI:FR:CCASS:2018:C200963

Une association sportive est-elle tenue de réparer le préjudice subi par un arbitre agressé à l’issue d’une compétition par un de ses membres ? C’est à cette question que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation était invitée à répondre dans son arrêt du 5 juillet 20181. En l’espèce, à l’issue d’une rencontre sportive, un joueur, exclu pendant le match, entre sur le terrain et agresse l’arbitre. Après une instance pénale, la victime est indemnisée par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (le FGTI), lequel se retourne contre l’association sportive du joueur et son assureur pour obtenir le remboursement des sommes allouées à la victime. La cour d’appel déboute le fonds de sa demande. Pour les juges, le manquement aux règles du jeu ayant conduit à l’exclusion du joueur n’est pas le fait générateur direct des violences subies par l’arbitre. Les faits ayant été commis en dehors de toute activité sportive, à l’issue d’une rencontre par un joueur s’étant rhabillé, les conditions n’étaient pas réunies pour engager la responsabilité de l’association sportive. En « dehors du déroulé du match », l’association ne serait donc plus tenue de répondre des fautes de ses joueurs. La Cour de cassation ne suit pas ce raisonnement. Elle casse et annule l’arrêt de la cour d’appel pour violation de la loi sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1, du Code civil devenu l’article 1242, alinéa 1, du Code civil. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation reprend alors le principe selon lequel « les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres, sont responsables des dommages que ceux-ci causent à cette occasion, dès lors qu’une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à un ou plusieurs de leurs membres, même non identifiés ». Elle indique ensuite que « l’agression d’un arbitre commise dans une enceinte sportive par un joueur constitue, même lorsqu’elle se produit à l’issue de la rencontre, dont ce dernier a été exclu, une infraction aux règles du jeu, en lien avec l’activité sportive ».

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence bien établie concernant la responsabilité civile des associations sportives (I) et apporte des précisions bienvenues quant au lien qui doit unir la faute et les activités prises en charge par l’association (II).

I – La responsabilité civile des associations sportives : une jurisprudence établie

Depuis le célèbre arrêt Blieck de 19912, la Cour de cassation n’a eu de cesse d’établir sa jurisprudence relative au cas de responsabilité du fait d’autrui distincts de ceux énumérés par l’ancien article 1384 du Code civil, l’arrêt soumis en étant une nouvelle illustration. Alors qu’en 1991, la Cour visait la responsabilité d’une association ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler le mode de vie d’une personne, elle a par la suite étendu ce cas de responsabilité du fait d’autrui aux associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de ses membres3. Les juges ont depuis précisé la portée de leur solution en indiquant que le fait générateur susceptible d’engager la responsabilité d’une association sportive ne pouvait être qu’une faute caractérisée par une violation des règles du jeu4.

Ces précisions apportées, les juges étaient régulièrement interrogés sur la qualification de cette faute caractérisée et notamment sur sa distinction d’avec la simple faute technique. Ainsi, selon les juges, la faute technique consistant en l’effondrement d’une mêlée au cours d’un match de rugby ne suffit pas à qualifier l’action de faute caractérisée par une violation des règles du jeu5. Par opposition, à la lecture d’un arrêt du 8 juillet 2010, le fait pour un joueur de se servir de sa chaussure comme d’une arme pour frapper un joueur adverse en cours de match est une faute caractérisée6. La qualification de faute caractérisée semble dépendre du caractère violent de la faute, lequel doit dépasser la simple tactique de jeu. Dans notre espèce, la brutalité manifestée par l’agression d’un arbitre ne saurait être considérée comme une faute tactique. Ne servant pas l’esprit du jeu, l’action pouvait, sans conteste, s’inscrire dans la catégorie des fautes caractérisées par une violation des règles du jeu de nature à engager la responsabilité de l’association sportive.

Une incertitude demeurait néanmoins dans notre espèce : pouvait-on encore considérer que la faute soit en relation avec le jeu ? En effet, la question soulevée touchait moins la brutalité de la faute que celle de sa temporalité et de ses liens avec les activités prises en charge par l’association. Le fait que l’agression se soit déroulée à l’issue du match, par un joueur rhabillé, posait difficulté, notamment pour la cour d’appel. Le match étant terminé, est-ce que l’association était encore tenue des dommages causés par ses membres ? La Cour de cassation répond par la positive et, se faisant, précise ses solutions quant au lien nécessaire entre la faute et les activités sportives prises en charge par l’association.

II – Une infraction en lien avec les activités de l’association : une précision bienvenue

Délimitant le champ dans lequel la faute caractérisée sera recherchée, les activités prises en charge par l’association sont un élément essentiel de mise en jeu de la responsabilité des associations du fait de leurs membres. Alors que dans ses deux premiers arrêts de 1995 la responsabilité des associations sportives était circonscrite strictement aux activités correspondant aux compétitions sportives auxquelles participaient les membres, la Cour de cassation a progressivement étendu ce périmètre. Dans un arrêt du 22 septembre 2005, les juges du quai de l’Horloge ajoutent que les associations sportives sont également responsables des dommages causés par leurs membres lors d’entraînements7. Malgré cette extension, des doutes existaient quant au fait de savoir si certaines fautes pouvaient avoir pour conséquence de faire sortir l’action de la sphère du jeu et, partant, d’écarter la responsabilité d’une association sportive. Ainsi, dans l’arrêt précité du 8 juillet 2010 relatif à l’utilisation d’une chaussure par un joueur dans une altercation au cours d’une rencontre, la Cour de cassation a cassé la décision d’appel qui avait exclu tout lien entre l’action et le jeu. Les juges d’appel énonçaient que « le joueur s’était manifestement exclu de l’action, à laquelle il ne pouvait plus participer puisque privé de l’une de ses chaussures », l’agression ne s’était « donc pas déroulée au cours du jeu » et « en conséquence cette faute intentionnelle sortait de la sphère du football, sans aucune notion de violation des règles du jeu »8. La Cour de cassation s’était opposée à cet argumentaire et avait retenu que l’agression en question « s’était produite sur le terrain et à l’occasion d’une altercation générale survenue au cours de la rencontre ». La Cour de cassation précise dans cet arrêt que le lieu de l’agression est un indice permettant de retenir la faute caractérisée par une violation des règles du jeu. Elle indique par là même que la faute n’aurait pas eu lieu sans l’organisation de la rencontre.

C’est précisément ce raisonnement qui est repris dans l’arrêt soumis. Comme dans l’espèce de 2010, la Cour indique que le lieu de l’agression correspond au lieu de la rencontre : l’enceinte sportive. Elle précise alors, que le fait que le match soit tout juste terminé n’a pas pour conséquence d’exclure la qualification de la faute. Ainsi, c’est bien dans le cadre de l’organisation de la rencontre sportive que la faute a eu lieu, laquelle contrevient aux règles du jeu. Le périmètre des activités sportives n’étant plus circonscrit aux seules compétitions, il apparaît dès lors logique d’étendre encore ces solutions aux fautes commises à l’issue d’un match par un joueur précédemment exclu qui entre de nouveau sur le terrain.

Cette solution renforce la responsabilité des associations sportives du fait de leurs membres, soulignant que le coup de sifflet d’un match n’interrompt pas les activités de ces associations. Cette responsabilisation est d’autant plus forte qu’on le sait la responsabilité de l’association est de plein droit9, cette dernière ne pouvant s’exonérer par la démonstration de son absence de faute. La décision accentue, de surcroît, l’impression donnée par les solutions précédentes dont il émerge que « derrière la violation des règles du jeu, ce sont bien en réalité les brutalités volontaires et les comportements dangereux et contraires à l’esprit du jeu qui sont seuls visés »10.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 2e civ., 5 juill. 2018, n° 17-19957.
  • 2.
    Cass. ass. plén., 29 mars 1991, n° 89-15231 : D. 1991, p. 324, note Aubert J.-L. et Larroumet C. ; D. 1991, p. 157, Viney G. ; RTD civ. 1991, p. 312, Hauser J. ; RTD civ. 1991, p. 541, Jourdain P.
  • 3.
    Cass. 2e civ., 22 mai 1995, nos 92-21197 et 92-21871 : D. 1995, p. 29, Alaphilippe F. ; RTD civ. 1995, p. 899, Jourdain P. ; Defrénois 15 mars 1996, p. 357, Delebecque P.
  • 4.
    Cass. 2e civ., 13 mai 2004, n° 03-10222 (écroulement volontaire d’une mêlée) : D. 2005, p. 185, Delebecque P. Renvoi : Cass. ass. plén., 29 juin 2007, n° 06-18141 : D. 2007, p. 2408, François J. ; D. 2007, p. 2897, Brun P. ; RTD civ. 2007, p. 782, Jourdain P. ; Gaz. Pal. 8 nov. 2007, n° G4697, p. 63, note Polere P. ; LPA 24 sept. 2007, p. 3, Mouly J. ; LPA 25 oct. 2007, p. 14, Breluque F.
  • 5.
    Ibid.
  • 6.
    Cass. 2e civ., 8 juill. 2010, n° 09-68212 : Jurisport 2010, n° 102, p. 10.
  • 7.
    Cass. 2e civ., 22 sept 2005, n° 04-14092 : « Les associations sportives, ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions et entraînements auxquels ils participent, sont responsables des dommages qu’ils causent à cette occasion ».
  • 8.
    Cass. 2e civ., 8 juill. 2010, n° 09-68212.
  • 9.
    Cass. crim., 26 mars 1997, n° 95-83956 : D. 1997, p. 496, Jourdain P.
  • 10.
    Jourdain P., « Associations sportives : l’assemblée plénière confirme l’exigence d’une faute de l’auteur du dommage », RTD civ. 2007, p. 782.
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