La bonne foi en droit des sûretés

Publié le 04/04/2022
Bonne foi, deal
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La bonne foi est une notion transversale. Elle se retrouve dans tous les domaines du droit. Si de nombreuses études doctrinales lui sont consacrées, son rôle spécifique au sein du droit des sûretés n’a jamais été analysé. Le présent article propose une telle analyse et met en évidence les deux aspects de la bonne foi dans cette matière. S’il est aisé de constater que la bonne foi est souvent un outil au service de la protection des constituants de sûretés, il faut aussi noter qu’elle sert parfois de limite à cette protection.

On enseigne classiquement aux étudiants de première année que le droit doit être distingué de la morale. Pourtant, bien sûr, le droit et la morale ne sont pas tout à fait étrangers. Ainsi par exemple, la morale comme le droit connaissent et répriment la faute1. De la même façon, la bonne foi est une notion emprunte de morale qui tient un rôle particulièrement important en droit.

La bonne foi joue un rôle dans différentes branches du droit. En droit des biens, elle permet d’acquérir la propriété d’un bien immobilier par usucapion de manière anticipée ou encore d’assimiler le possesseur d’un bien meuble à son propriétaire2. Plusieurs missions lui sont attribuées en droit du travail. Elle contraint par exemple l’employeur à permettre à ses salariés de s’adapter à l’évolution de leur emploi ou encore à se montrer loyal dans son obligation de reclassement des salariés3. Elle constitue un fait justificatif à la diffamation en droit pénal4. Réciproquement, la mauvaise foi est une fin de non-recevoir en droit du surendettement5. Elle doit encore être respectée en droit boursier6. Cette liste, bien loin d’être exhaustive, atteste de la diversité des fonctions de la bonne foi en droit. Il faut également noter que la bonne foi a une place de choix en droit des contrats7.

Bien qu’il ne soit pas nécessaire de retenir autant de définitions que d’utilisations de la bonne foi, il est impossible d’en retenir une définition unique. La bonne foi est en effet une notion protéiforme. Elle reçoit deux définitions juridiques distinctes.

Dans un premier sens, la bonne foi est synonyme d’ignorance. C’est la bonne foi de la personne qui ignore que son droit est vicié et croit sincèrement être titulaire d’un droit légitime. Le droit attache parfois des conséquences à la bonne foi dont fait preuve un justiciable. L’exemple type de l’impact de la bonne foi au sens de l’ignorance est celui de l’usucapion. L’usucapion est un mode d’accession à la propriété immobilière par prescription. La personne qui possède un bien immobilier pendant 30 ans de manière paisible, publique et non équivoque devient propriétaire dudit bien. Ce délai de 30 ans est réduit à 10 ans si le possesseur est de bonne foi8. La bonne foi est ici caractérisée par le fait que le possesseur croit sincèrement être le véritable propriétaire du bien. Le rôle de la bonne foi est remarquable puisqu’elle permet de réduire de 20 ans le délai de la prescription acquisitive.

Si l’exemple type du rôle de la bonne foi comme ignorance légitime relève du droit des biens, le droit des sûretés regorge de règles faisant intervenir plus ou moins explicitement cette notion de bonne foi. En effet, toutes les règles d’opposabilité des sûretés réelles peuvent être mises en relation avec la bonne foi. Lorsqu’une sûreté réelle est constituée, elle doit être rendue opposable aux tiers. Dès lors que le créancier bénéficiaire d’une sûreté l’a rendue opposable, les tiers sont réputés informés de l’existence de cette sûreté. Ainsi, il est possible de considérer que la modalité d’opposabilité fait tomber la bonne foi des tiers qui prétendraient ignorer l’existence de la sûreté. Dans la mesure où les tiers ont un moyen d’avoir connaissance de la sûreté, parce qu’elle a par exemple été publiée sur un registre, ils ne peuvent légitimement prétendre qu’ils en ignoraient l’existence. Les différents droits qu’ils pourraient acquérir sur un bien grevé d’une sûreté publiée ne seront pas protégés au titre de leur bonne foi. Ainsi, l’acquéreur d’un bien grevé d’une sûreté assortie d’un droit de suite ne pourra pas défendre son droit de propriété sur le bien en invoquant son ignorance quant à l’existence d’une sûreté si celle-ci a été publiée9.

La publicité des sûretés permet de faire tomber la bonne foi des personnes qui prétendraient ignorer les droits grevant les biens concernés. À ce titre, la publicité foncière présente une efficacité remarquable. Ce système de publicité est aisé puisqu’il porte sur des droits immobiliers dont l’identification est précise et systématique10. La publicité des sûretés grevant des biens meubles n’est pas aussi fiable. Elle ne peut l’être dès lors que tous les biens meubles existants ne sont pas recensés dans des cadastres. La publicité des sûretés mobilières a été améliorée puisque l’ordonnance ayant réformé le droit des sûretés le 15 septembre 2021 a harmonisé les différentes dispositions relatives à la publicité des sûretés mobilières afin que ces dernières puissent être recensées dans un registre unique11. Malgré cette harmonisation, la publicité des sûretés mobilières ne présente pas la même efficacité que celle des sûretés immobilières.

Les modalités de la publicité harmonisée des sûretés mobilières seront fixées par décret. Les différentes sûretés mobilières seront vraisemblablement enregistrées sous le nom du constituant de la sûreté. Le gage sans dépossession connaissait déjà cette forme de publicité avant l’ordonnance réformant le droit des sûretés12. Il en résulte que l’imperfection de ce mode de publicité est déjà connue. Elle est flagrante en présence de ventes successives d’un bien. Dans cette hypothèse, le bien a pu être gagé par un propriétaire initial, vendu ensuite à un premier acquéreur, puis vendu à nouveau à un sous-acquéreur. Ce dernier acquéreur ne pourra pas consulter efficacement le registre des biens gagés s’il ne connaît pas le nom du vendeur initial ayant constitué la sûreté. Dans cette situation, le sous-acquéreur ignore légitimement l’existence du gage qui grève le bien acquis. Conscient de cette difficulté, le législateur interdit aux seuls ayants cause à titre particulier de se prévaloir pleinement de leur droit de propriété sur le bien13. Dans l’exemple donné, le sous-acquéreur ne sera pas tenu de désintéresser le créancier disposant d’une sûreté sur son bien, malgré son droit de suite. La bonne foi du sous-acquéreur est prise en compte et permet de protéger son droit.

Malgré ses imperfections, la publicité de la sûreté dans un registre reste une modalité d’opposabilité globalement efficace. Dès lors qu’une sûreté est publiée, les tiers sont réputés en avoir connaissance. Il existe par ailleurs d’autres modes de publicité des sûretés permettant tout aussi bien de faire tomber la bonne foi des tiers qui prétendraient les ignorer. Tel est le cas de la dépossession du constituant en présence d’un gage avec dépossession. Tel était aussi le cas de l’apposition de plaques sur le matériel ou l’outillage grevé en présence d’un gage portant sur de l’outillage ou du matériel d’équipement professionnel14.

La diversité des modes d’opposabilité des sûretés n’implique pas que toutes les sûretés puissent être connues des tiers. Que dire des sûretés qui ne font l’objet d’aucune publicité ? Cette question peut se poser à l’égard de trois situations distinctes qu’il convient d’envisager séparément.

La première hypothèse est celle de l’absence de publicité résultant d’une erreur commise par le service de la publicité foncière. Cette dernière est envisagée par le législateur à l’article 2445 du Code civil15. Selon la règle légale, en cas d’existence d’une inscription de privilège ou d’hypothèque non révélée à une personne qui en fait la demande, le droit de la personne mal informée demeure « affranchi du privilège ou de l’hypothèque non révélé ». Ainsi, l’acquéreur d’un droit sur l’immeuble qui ignore légitimement l’existence d’un privilège ou d’une hypothèque ne pourra se voir opposer ces droits. La bonne foi de la personne mal informée justifie cette solution qui lui est favorable.

La deuxième hypothèse n’est plus d’actualité. Elle correspondait à une absence de publicité temporaire propre à certaines sûretés : les privilèges immobiliers spéciaux. En raison de leur effet rétroactif, ces sûretés légales prenaient effet à une date antérieure à celle de leur publication. Ainsi, les tiers qui cherchaient à savoir si un bien était grevé d’une sûreté pouvaient ne pas trouver de publicité du privilège alors que ce dernier allait prendre effet à une date antérieure lorsqu’il serait ultérieurement publié. Cette absence de publicité était néanmoins limitée dans le temps dans la mesure où l’effet rétroactif des privilèges immobiliers spéciaux était conditionné à leur publication dans un délai imposé par la loi16. Cette absence temporaire de publicité a été supprimée par la réforme du droit des sûretés puisque les privilèges immobiliers spéciaux ont été transformés en hypothèques légales17. Ces dernières ne présentent pas d’effet rétroactif : elles sont opposables aux tiers à la date de leur publication. Alors les tiers pourront avoir connaissance de ces sûretés à la date même où ces sûretés pourront déployer des effets à leur encontre.

D’autres privilèges demeurent. Parmi eux, certains ne sont pas simplement inconnus durant une courte période pendant laquelle jouera l’effet rétroactif, mais sont opposables alors qu’ils ne sont jamais publiés. Ce constat nous amène à envisager la troisième hypothèse : les sûretés qui ne sont soumises à aucune publicité. Tel est le cas des privilèges dits occultes, de la clause de réserve de propriété ou encore du nantissement de créance.

Sont occultes la majorité des privilèges mobiliers, les privilèges immobiliers généraux ainsi que le privilège du syndicat de copropriétaires. Le caractère occulte de ce dernier privilège conduit à prendre des précautions particulières le concernant. Ainsi, lors d’une acquisition immobilière, le notaire prend soin de contacter le syndicat de copropriétaires afin de s’assurer de l’absence de dette du vendeur à son égard. Ces précautions apparaissent nécessaires car la personne subissant les effets de l’un de ces privilèges ne peut se prévaloir de sa bonne foi pour échapper à cette situation. Il nous faut donc remarquer que ces sûretés sont pleinement opposables aux tiers malgré leur manque d’information et leur ignorance légitime.

Les privilèges occultes ne sont pas les seules sûretés non publiées. La clause de réserve de propriété mobilière est également affranchie de toute modalité d’opposabilité. En pratique, ce caractère occulte a fait naître des situations de conflit. Il arrive en effet que l’acquéreur d’un bien vendu sous clause de réserve de propriété profite de sa possession du bien pour donner l’illusion qu’il en est le propriétaire et l’offrir en sûreté. Les juges, confrontés à ce conflit de droits sur un même bien, ont eu recours à la notion de bonne foi pour trancher. La jurisprudence enseigne que dans ces hypothèses, le créancier bénéficiant d’un gage avec dépossession primera le créancier bénéficiaire de la clause de réserve de propriété à condition d’être de bonne foi18. Cette solution semblait s’inscrire contre l’ancien article 2335 du Code civil qui disposait : « Le gage de la chose d’autrui est nul ». De sorte que le professeur Crocq défendait l’idée selon laquelle cet article ne prévoyait en réalité qu’une nullité relative19. Cette lecture de la règle a été consacrée puisque l’article 2335 dispose désormais que « le gage de la chose d’autrui peut être annulé à la demande du créancier qui ignorait que la chose n’appartenait pas au constituant ».

La lecture de la seconde phrase de cet article est néanmoins intéressante en ce qu’elle témoigne de la volonté du législateur de préserver les intérêts du créancier lésé, à condition qu’il soit de bonne foi. En effet, l’article prévoit que le gage de la chose d’autrui « peut donner lieu à des dommages et intérêts lorsque le créancier a ignoré que la chose fût à autrui ». En application de cet article, le créancier peut être indemnisé s’il ignorait que le constituant de la sûreté réelle qui lui a été offerte n’était pas propriétaire du bien grevé.

Notre analyse de la bonne foi conçue comme l’ignorance s’est concentrée naturellement sur le droit des sûretés réelles. Pourtant, cette acception de la bonne foi n’est pas inexistante en matière de sûretés personnelles. L’article 2311 du Code civil prévoit par exemple que la caution ne dispose d’aucun recours contre son débiteur si ce dernier ignorait qu’elle avait exécuté son engagement et a payé une seconde fois le créancier. La bonne foi du débiteur principal le protège. S’il a payé son créancier de bonne foi, c’est-à-dire en ignorant que ce paiement n’était plus requis, il ne paiera pas une seconde fois en remboursant la caution20.

Bien que le législateur n’y fasse pas référence de manière expresse à chaque fois qu’il y recourt, il est indéniable que la bonne foi est présente en droit des sûretés et en particulier des sûretés réelles. Il n’apparaît d’ailleurs aucunement indispensable de mettre en exergue le recours à la notion de bonne foi dans la mesure où les textes apparaissent suffisamment clairs.

Si la bonne foi au sens de l’ignorance imprègne le droit des sûretés, notre étude portera sur un second sens de la notion de bonne foi au sein du droit des sûretés : il s’agit de la bonne foi comprise comme devoir de loyauté. L’étude de cette acception de la bonne foi mérite d’être approfondie afin que puissent être mis en évidence les différents rôles lui sont attribués.

La bonne foi conçue comme une obligation de se montrer loyal connaît notamment une importance grandissante en matière contractuelle. Cette conception de la bonne foi n’était pourtant pas envisagée par les rédacteurs du Code civil lorsqu’ils ont affirmé que les conventions devaient « être exécutées de bonne foi ». En effet, la bonne foi prévue à l’alinéa 3 de l’ancien article 1134 du Code civil a déployé des effets insoupçonnés par ses rédacteurs. Si la bonne foi était présente dans le Code civil dès 1804, elle était un vestige du droit romain qui permettait de distinguer les contrats de bonne foi et les contrats de droit strict. À l’époque, la bonne foi relevait de l’interprétation du contrat. Soit le contrat était de droit strict, auquel cas le juge n’avait aucun pouvoir d’interprétation, soit le contrat était de bonne foi et le juge pouvait se détacher du strict texte des conventions pour statuer en équité21. En prévoyant dans le Code civil que tous les contrats devraient être exécutés de bonne foi, ses rédacteurs ont mis fin à l’existence des contrats de droit strict. La bonne foi était alors perçue comme une règle d’interprétation des contrats imposant aux juges de rechercher la commune intention des parties. Ce n’est que plus tard que l’alinéa 3 de l’article 1134 a été exploité par les juges pour mettre diverses obligations à la charge des parties. C’est seulement à ce stade que la bonne foi a commencé à servir l’objectif de loyauté contractuelle.

L’instrumentalisation de la bonne foi au service de la loyauté contractuelle dépasse les frontières françaises22. Encore récemment, la bonne foi a montré tout son potentiel dans une décision rendue par les tribunaux luxembourgeois23. Les juges ont affirmé que « l’exigence de bonne foi dans l’exécution des conventions implique dans le chef de tous les cocontractants – bailleur et locataire –, un devoir de solidarité et de loyauté : en effet, les parties doivent non seulement tenir compte de leur propre intérêt contractuel mais également des intérêts légitimes de leurs cocontractants ». Concrètement, en présence d’un contrat de bail commercial, les juges ont prononcé la réduction du loyer après avoir observé que l’obligation de versement du loyer ne pouvait plus être assumée en raison de la crise sanitaire et du confinement qui s’en est suivi. Ainsi, les devoirs de loyauté et de solidarité, fruits de la bonne foi contractuelle, justifient en l’espèce une révision des obligations des parties. Ce jugement met en exergue l’importance de la bonne foi qui, conformément aux idées défendues par le courant du solidarisme contractuel, peut parfois aboutir à une obligation de collaboration en matière contractuelle. Il est par ailleurs intéressant de souligner que le tribunal luxembourgeois justifie sa solution au regard d’une solution rendue par la Cour de cassation française. Les juges précisent en effet qu’« une partie qui refuse obstinément de réviser un contrat devenu déséquilibré manque à son obligation de bonne foi dans l’exécution du contrat » et font référence à un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation en 199224.

De la même façon, la bonne foi contractuelle peut impliquer une obligation pour le créancier de renoncer à une partie de ses obligations. Dans d’autres hypothèses, les juges se sont emparés de la notion de bonne foi pour mettre à la charge des parties de nouvelles obligations. Ils ont notamment eu recours à cette notion pour sanctionner le contractant qui aurait fait preuve de mauvaise foi dans son comportement à l’égard de son cocontractant. La sanction de la mauvaise foi se retrouve d’ailleurs au-delà du cadre du contrat. Ces différentes conséquences de la bonne foi témoignent de la richesse de cette notion. Néanmoins, la bonne foi semble toujours orientée vers une même finalité : malgré la diversité de ses conséquences, elle est toujours au service de l’équilibre des relations entre les contractants ou entre les justiciables.

Cette analyse de la bonne foi comme mise au service de la recherche d’un équilibre invite à penser que cette notion pourrait être précieuse en droit des sûretés. En effet, la difficulté majeure de la matière consiste à assurer un certain équilibre entre les intérêts des constituants de sûretés et ceux des créanciers25. Il est alors possible de se demander en quoi le recours à la notion de bonne foi sert cet équilibre entre les intérêts des constituants et des créanciers. Il sera également possible d’envisager qu’un recours plus systématique à la notion de bonne foi puisse renforcer cet équilibre fragile.

Nous verrons que le recours à la bonne foi participe à l’équilibre recherché en droit des sûretés en jouant deux rôles complémentaires. D’une part, la bonne foi sert d’outil de protection des constituants en corrigeant le déséquilibre naturel existant entre les constituants et les créanciers (I). D’autre part, elle sert les intérêts des créanciers lorsqu’elle est utilisée comme outil limitant le recours aux règles de protection offertes aux constituants (II).

I – Le rôle de la bonne foi comme outil de protection des constituants de sûretés

Si la bonne foi peut jouer un rôle dans la recherche d’un équilibre entre les intérêts des créanciers et ceux des constituants de sûretés, il semble naturel que ce rôle consiste en premier lieu à contraindre les créanciers à prendre en considération les intérêts de leurs constituants. En effet, la relation est naturellement déséquilibrée au profit du créancier, de sorte que l’équilibre doit être recherché par le biais de la bonne foi mise au service des intérêts des constituants.

Bien que cette proposition semble logique, il sera nécessaire d’accepter que la bonne foi puisse être mise au service des constituants dans une matière tournée vers l’objectif de satisfaction des créanciers (A). Cette démonstration théorique de la possibilité de recourir à la bonne foi sera suivie de l’étude concrète du rôle joué par la bonne foi au sein des contrats de constitution de sûretés (B).

A – L’acceptation théorique du recours à la bonne foi pour remédier au déséquilibre naturel affectant les contrats de sûretés

Même si toutes les sûretés conventionnelles sont touchées par le principe de bonne foi de l’article 1104 du Code civil, on pourrait penser que le rôle de la bonne foi a vocation à rester limité en droit des sûretés. Pour ceux qui voudraient faire de la bonne foi un instrument du solidarisme contractuel, le droit des sûretés n’apparaîtrait pas comme un terrain de jeu privilégié. Ce rejet s’expliquerait par le constat selon lequel la bonne foi est une source d’imprévisibilité. Elle peut servir d’outil permettant de porter atteinte à la liberté contractuelle et à la force obligatoire du contrat26. Ces conséquences apparaissent particulièrement gênantes en droit des sûretés car la finalité même des sûretés est d’apporter plus de sécurité aux créanciers. Toute règle contrariant cette sécurité peut donc être mal perçue. Ainsi, bien que la place de la bonne foi en droit soit grandissante en matière contractuelle, on pourrait comprendre que son rôle reste limité en droit des sûretés.

Pourtant, il est possible de défendre l’épanouissement des idées relevant du solidarisme contractuel en droit des sûretés. Le courant solidariste ne se satisfait pas de la défense systématique de la volonté des parties au contrat27. Ses partisans souhaiteraient que soit consacrée une obligation de collaboration des parties. Ils défendent en conséquence l’idée que le juge devrait être habilité à contrôler le respect réciproque des intérêts des cocontractants28.

Le professeur Denis Mazeaud, fervent défenseur du solidarisme contractuel, affirme que « le contrôle judiciaire des comportements contractuels (…) doit s’exercer avec plus de vigilance dans les hypothèses dans lesquelles, loin d’être le fruit de la liberté et de l’égalité contractuelles, le contrat est le produit d’une inégalité économique et d’une liberté unilatérale qui se déploie tant au stade de la formation du contrat qu’à celui de son exécution, et qui se traduit par la stipulation de clauses de pouvoir qui, peu ou prou, placent le destin de la relation contractuelle entre les mains d’un seul contractant »29. Il est vrai que les clauses de pouvoir ne sont pas présentes au sein des contrats de constitution de sûretés. Cette absence s’explique par le fait que le constituant s’engage unilatéralement envers le créancier. Néanmoins, en dehors de la référence à la stipulation de ces clauses, la situation d’inégalité décrite correspond parfaitement à la réalité de la domination du créancier sur le constituant. En effet, le constituant, lorsqu’il n’est pas un professionnel du crédit, est le débiteur lui-même, un garant qui s’engage dans un cadre et à des fins professionnels ou encore un proche du débiteur qui s’engage en considération du besoin du débiteur d’accéder à un crédit. De ce fait, le débiteur se trouve dans une situation de besoin, ressentie par le constituant de la sûreté s’il ne s’agit pas du débiteur lui-même, alors que le créancier se trouve dans la position dominante de la partie capable d’accorder le crédit désiré et en mesure d’obtenir ce qu’il souhaite de son cocontractant. Au-delà de cette domination sur le plan économique, le déséquilibre entre le créancier et le constituant résulte du caractère unilatéral de la constitution de sûreté. Il s’agirait donc, selon les propos du professeur Denis Mazeaud, d’une situation dans laquelle « le contrôle judiciaire des comportements contractuels » est particulièrement nécessaire. On peut dès lors penser que pour cet auteur et les autres partisans du solidarisme contractuel, l’exploitation des ressources de la bonne foi serait bienvenue en droit des sûretés.

Si le solidarisme contractuel est un courant de pensée doctrinal, certains juges ont statué dans le sens des idées qui y sont prônées. La cour d’appel de Paris a notamment rendu un arrêt dans lequel elle a affirmé que « l’obligation de bonne foi implique que chaque partie s’abstienne de tout abus, ait un comportement raisonnable et modéré, sans agir dans son intérêt exclusif ni nuire de manière injustifiée à son partenaire »30. Il faut reconnaître que cette affirmation trouverait tout son sens en droit des sûretés. Si la jurisprudence était clairement en ce sens, le créancier pourrait être contraint de s’enquérir des intérêts du constituant de la sûreté et ne pourrait pas profiter de sa position dominante pour imposer sa volonté à son cocontractant.

Ainsi, bien que les sûretés soient des instruments au service des créanciers et que la finalité même des sûretés consiste à renforcer leurs chances de paiement, il semble que le déséquilibre soit tel entre les créanciers et les constituants qu’il ne faille pas défendre l’idée d’un droit des sûretés orienté vers la défense des seuls intérêts des créanciers. Par suite, il est nécessaire de rechercher un certain équilibre dans la relation entre les créanciers et les constituants de sûretés. Il convient dès lors de se demander en quoi le recours à la bonne foi en droit des sûretés pourrait corriger le déséquilibre existant entre les créanciers.

B – Les traductions pratiques du recours à la bonne foi pour remédier au déséquilibre naturel affectant les contrats de sûretés

Le déséquilibre existant naturellement dans les contrats de sûretés mérite d’être corrigé. Cet ajustement peut être opéré par le recours à la bonne foi. Pourtant, en droit des sûretés, aucune disposition légale ne fait apparaître expressément la notion de bonne foi. La jurisprudence, quant à elle, se fonde exceptionnellement sur la bonne foi contractuelle. Il faut donc chercher les recours à la bonne foi au-delà des références expresses qui y sont faites. Il est ainsi possible d’entrevoir l’ampleur du rôle joué par cette notion de lege lata en suivant deux pistes : celle des obligations découlant de la bonne foi découvertes par les juges (1) et celle des sanctions judiciaires des comportements traduisant la mauvaise foi de leur auteur (2). Cette étude nous guidera dans la recherche des conséquences potentielles de la bonne foi de lege feranda (3).

1 – La bonne foi comme obligation de loyauté : créatrice d’obligations

Une partie des traductions concrètes du recours à la bonne foi en droit des sûretés a trait aux informations qui sont transmises entre les parties. Avant de les envisager plus précisément, rappelons qu’en dehors de cette matière, l’une des obligations générales en droit des contrats, aujourd’hui consacrée de manière autonome, a été rattachée un temps à la bonne foi : l’obligation précontractuelle d’information31. L’assise juridique désormais reconnue à cette obligation lui permet de trouver application dans l’ensemble des contrats. C’est pourquoi l’obligation précontractuelle d’information, originellement issue de la bonne foi, lie tous les constituants de sûretés ainsi que tous les créanciers bénéficiaires de sûretés conventionnelles.

L’impact de l’obligation précontractuelle d’information est confus dans un domaine particulier : celui du cautionnement. Cette confusion résulte de la concurrence de l’obligation précontractuelle d’information et du devoir de mettre en garde la caution contre les risques de son engagement32. Ce devoir spécifique mis à la charge du créancier bénéficiant d’un cautionnement a été découvert par la jurisprudence33. Peut être posée la question du fondement ayant servi aux juges pour découvrir cette obligation de mise en garde. En particulier, le devoir de mise en garde est-il également un fruit de la bonne foi ? La réponse à cette question n’est pas évidente puisque les juges n’ont pas fondé expressément les condamnations des créanciers ayant manqué à ce devoir sur l’ancien alinéa 3 de l’article 113434. Pourtant, le fondement de la bonne foi ne doit pas être exclu trop rapidement. Pour s’en convaincre, rappelons que le devoir de mise en garde a été confondu initialement en jurisprudence avec le principe de proportionnalité du cautionnement, lequel était fondé sur la bonne foi contractuelle.

L’une des œuvres de la bonne foi en matière des sûretés a en effet consisté dans la découverte d’un principe de proportionnalité du cautionnement35. À l’époque, la règle de proportionnalité inscrite à l’article L. 313-10 du Code de la consommation avait un champ d’application restreint et n’était pas applicable aux faits de l’espèce36. Les juges ont alors eu recours à la notion de bonne foi contractuelle pour découvrir un principe de proportionnalité37. Selon eux, la prise d’un cautionnement « sans aucun rapport » avec les facultés de paiement des cautions révélait la mauvaise foi du créancier et justifiait qu’il engage sa responsabilité. Par la suite, le législateur a étendu l’obligation légale de s’assurer de la proportionnalité du cautionnement. Depuis 2003, une règle légale de proportionnalité s’applique à tous les créanciers professionnels disposant de cautionnements offerts par des personnes physiques38. Ce champ d’application large implique que la règle de proportionnalité jurisprudentielle est peu appliquée. Néanmoins, il est possible de penser que le législateur a réagi en créant une obligation générale de proportionnalité du cautionnement après avoir constaté que la jurisprudence s’était emparée de la notion de bonne foi pour y parvenir. De ce point de vue, l’impact du recours à la bonne foi dans l’arrêt Macron du 17 juin 1997 apparaît remarquable.

Les juges ont encore eu recours à la bonne foi pour créer ponctuellement des obligations d’information. Par exemple, dans un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 31 mai 1994, les juges ont affirmé que le créancier avait manqué à son devoir de loyauté, découlant de la bonne foi, en n’informant pas le garant des difficultés financières rencontrées par le débiteur. En l’espèce, le créancier réclamait au garant le paiement d’une somme « représentant près de trois ans de commissions »39. Les juges mettent ici à la charge du créancier une obligation d’informer le garant quant à l’évolution de la dette du débiteur qui n’existait dans aucun texte40.

De son côté, le législateur a inséré une autre règle en matière de cautionnement qui peut être rapprochée de la bonne foi : le bénéfice de cession d’action. Cette règle, prévue à l’article 2314 du Code civil, impose au créancier bénéficiant d’un cautionnement de préserver ses propres droits contre le débiteur principal. Concrètement, le créancier doit, par exemple, veiller à conserver les sûretés réelles qu’il détient sur le patrimoine de son débiteur. Par cette règle, le législateur sanctionne le créancier qui perd un droit dont la caution aurait pu bénéficier lors de son recours subrogatoire contre le débiteur. Ce mécanisme permet de sanctionner le créancier qui, en ne prenant pas soin de conserver les droits qu’il détient à l’encontre du débiteur principal, ne prend pas en considération les intérêts de la caution qui aura vocation à user de ces droits lors de son recours subrogatoire. Le législateur contraint le créancier à prendre en considération les intérêts de la caution et ainsi à faire preuve de bonne foi à son égard. Cette obligation de prendre en considération les intérêts de la caution est appliquée strictement par les juges. La Cour de cassation considère que le créancier qui dispose d’un cautionnement est tenu d’exercer certaines actions qui ne sont normalement que des simples facultés pour lui41. S’il ne les exerce pas, le créancier verra sa caution partiellement déchargée. Le pouvoir de la bonne foi est ici extrêmement important puisqu’il convertit de simples prérogatives offertes au créancier en obligations mises à sa charge. Ce constat peut amener à une critique de la règle de l’article 2314 et de la bonne foi qui l’anime.

Le développement de la bonne foi contractuelle comme source d’obligations nouvelles ne doit pas occulter l’autre pendant de la bonne foi comme obligation de loyauté contractuelle : la sanction de la mauvaise foi. Ici, la bonne foi interdit par exemple qu’une partie à un contrat use de mensonges, de malice ou de manœuvres pour arriver à ses fins. Ce dernier aspect de la bonne foi trouve des traductions concrètes en droit des sûretés.

2 – La bonne foi comme obligation de loyauté : sanction de la mauvaise foi

La sanction de la mauvaise foi peut prendre la forme concrète de la sanction d’un mensonge ou d’une réticence à délivrer une information à son cocontractant. La bonne foi peut être ainsi associée au dol42. En tant que vice du consentement, le dol consiste à user de manœuvres frauduleuses pour inciter une personne à conclure un contrat. Son versant négatif, la réticence dolosive, consiste à retenir des informations dans la même finalité. À elles seules, ces définitions mettent en évidence le fait que la commission d’un dol caractérise un comportement de mauvaise foi.

Plusieurs décisions ont mêlé la bonne foi et le dol pour prononcer l’annulation de cautionnements. Aussi, la Cour de cassation a affirmé à plusieurs reprises que « manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution l’incitant ainsi à s’engager »43. La Cour de cassation casse par ailleurs les arrêts des cours d’appel qui omettent de rechercher si le créancier avait connaissance de la situation lourdement obérée du débiteur principal de sorte qu’en ne délivrant pas cette information aux cautions, ils se sont rendus coupables d’un dol et ont donc manqué à leur obligation de contracter de bonne foi44.

Cette description de situations dans lesquelles les juges et le législateur ont eu recours à la bonne foi en droit des sûretés démontre que cette notion n’est pas absente de cette branche du droit. On peut se demander si elle a révélé toutes ses facultés dans cette matière.

3 – La bonne foi comme obligation de collaboration : le rôle potentiel de la bonne foi

La jurisprudence relative à la proportionnalité du cautionnement peut laisser penser que le solidarisme pourrait concrètement trouver une place en droit des sûretés. À l’occasion de l’arrêt Macron, les juges ont en effet mis à la charge du créancier une obligation de veiller à la proportionnalité des cautionnements qui leur sont consentis. Ainsi, la bonne foi a déjà été source de création d’une obligation à la charge du créancier qui peut être rattachée à l’esprit du solidarisme contractuel.

Peut alors être posée la question de l’avenir de la bonne foi contractuelle en droit des sûretés. Puisque les juges se sont fondés sur la bonne foi pour découvrir en 1997 un principe de proportionnalité du cautionnement, on pourrait imaginer qu’ils aient encore recours à cette notion pour imposer de nouvelles règles de proportionnalité. Pourquoi ne pas envisager par exemple d’étendre la règle de proportionnalité au-delà du contrat de cautionnement ? La garantie autonome pourrait être soumise à une règle de proportionnalité découverte par les juges. En effet, le garant offrant au créancier une garantie autonome s’engage, comme la caution, à payer une somme qui, si elle est trop importante par rapport à ses facultés de paiement, pourrait le placer en situation d’insolvabilité. La situation du garant autonome est donc très proche de celle de la caution, ce qui pourrait justifier que les juges décident de protéger les garants autonomes par la découverte d’une règle de proportionnalité jurisprudentielle45. La soumission de la sûreté réelle pour autrui à la règle de proportionnalité semble en revanche condamnée par l’article 2325 du Code civil qui dresse une liste des règles du cautionnement étendues aux sûretés réelles pour autrui. L’extension de la règle à ces sûretés semblait pourtant pertinente dès lors que l’on admet que la proportionnalité s’apprécie en considération des facultés de paiement du garant calculées en tenant compte de ses éléments d’actif mais aussi de passif46.

En définitive, la bonne foi contractuelle est déjà présente en droit de sûretés et pourrait encore servir de fondement pour accroître la prise en compte des intérêts des constituants par leurs créanciers. Il est possible de constater que la position de force du créancier par rapport à son constituant s’est amenuisée au fil de l’élaboration de règles de protection des constituants, qu’elles découlent ou non de la bonne foi. Il en résulte que, paradoxalement, la bonne foi pourrait être utilisée pour s’assurer que le rapport de force ne s’inverse pas au détriment des créanciers.

II – Le rôle de la bonne foi comme limite à la protection des constituants de sûretés

Le déséquilibre naturel entre le constituant de sûretés et le créancier résultant du caractère unilatéral de la constitution de sûreté a conduit au déploiement des rôles de la bonne foi, mais aussi à l’instauration de nombreuses règles légales de protection des constituants. Cette affirmation est particulièrement vraie en matière de sûretés pour autrui car le déséquilibre entre le garant et le créancier est intrinsèque à ces contrats. En effet, dès lors que le constituant de sûreté n’est pas le débiteur lui-même, ce garant s’engage sans percevoir aucune contrepartie de la part du débiteur. L’ampleur des règles de protection ainsi créées conduit parfois à se demander si le législateur n’est pas allé trop loin. C’est dans ce contexte que la notion de bonne foi pourrait être utilisée pour rééquilibrer les rapports entre le créancier et le constituant à la faveur cette fois des intérêts du créancier. Nous expliciterons plus longuement la nécessité de rééquilibrage et l’intérêt de la bonne foi pour y parvenir (A) avant de présenter les règles qui concrétiseraient ce rééquilibrage des intérêts des constituants et des créanciers (B).

A – La théorie de la bonne foi comme limite à la protection des constituants de sûretés

Le constat initial en droit des sûretés est celui d’un créancier en position de force puisqu’il est en mesure d’offrir un crédit au débiteur. La position inférieure du débiteur par rapport au créancier résulte de son besoin d’accéder au crédit. Cette position inconfortable est partagée par le garant éventuel. Ce dernier s’engage sans contrepartie dans le but de permettre au débiteur d’accéder au crédit. Ce constat d’un déséquilibre naturel à la faveur du créancier est modifié par les règles visant à rééquilibrer les relations entre le créancier, le débiteur et éventuellement le garant. En particulier, en présence de sûretés pour autrui, l’absence de contrepartie à l’engagement du garant a conduit le législateur à prévoir diverses règles visant à assurer sa protection. En droit positif, ces règles sont essentiellement destinées à protéger la caution, bien que certaines d’entre elles aient récemment été étendues à l’ensemble des sûretés réelles pour autrui47. L’importance des règles de protection offertes aux constituants et en particulier aux cautions invite à se demander si le rapport naturellement déséquilibré à la faveur du créancier ne tourne finalement pas à la faveur des garants. L’idée d’un rapport qui s’inverserait véritablement est évidemment excessive concernant les garants qui s’engagent sans percevoir de contrepartie de la part du créancier. Il n’en demeure pas moins qu’il serait intéressant de s’assurer que les garants, et plus généralement les constituants de sûretés, ne profiteront pas injustement des règles qui ont vocation à les protéger.

La recherche d’un outil permettant de s’assurer que les constituants ne recourront pas de manière injustifiée aux règles de protection est d’autant plus importante que l’objectif de conciliation des intérêts des créanciers d’une part, et des débiteurs et garants d’autre part est au cœur de la récente réforme du droit des sûretés.

S’il est parfois difficile de renforcer l’efficacité des sûretés sans bafouer les intérêts des débiteurs et des garants, il semble possible de se rapprocher de cet objectif en s’assurant que les constituants ne recourront pas injustement aux règles de protection qui leur sont offertes48. Or la bonne foi peut être utilisée pour veiller au respect de cet objectif. Précisément, les garants ne pourraient invoquer injustement les règles assurant leur protection si ces règles étaient réservées aux garants de bonne foi. Ainsi, l’efficacité des sûretés ne serait pas injustement atteinte si les règles de protection des garants étaient réservées aux garants de bonne foi.

L’idée de recourir à la notion de bonne foi découle de l’observation du droit du surendettement. Le droit du surendettement tout entier apparaît comme une faveur offerte aux particuliers qui ne parviennent plus à faire face à leurs dettes49. Cette perception du droit du surendettement comme organisation de l’aide offerte aux particuliers permet de comprendre le choix du législateur d’exclure des procédures de surendettement toutes les personnes physiques de mauvaise foi50. Cette limite au champ d’application des procédures de surendettement est parfaitement compréhensible. Les personnes physiques qui se montrent de mauvaise foi lorsqu’elles invoquent le bénéfice des procédures du Code de la consommation, ou se sont montrées de mauvaise foi à l’heure où elles se sont endettées, ne méritent pas que ces procédures leur soient ouvertes51. Il est possible de retenir le même raisonnement concernant les constituants qui se placeraient volontairement dans des situations leur permettant de faire jouer des règles de protection ou qui invoqueraient les règles de protection dans un but différent de la finalité qui leur a été attribuée par le législateur.

L’exclusion des constituants de mauvaise foi des règles de protection permettrait de s’assurer que ces derniers ne profiteront pas injustement de ces règles et, par suite, de maintenir un équilibre entre les intérêts des créanciers et des garants. Plusieurs règles pourraient ainsi être réservées aux constituants de bonne foi.

B – Les applications de la bonne foi comme limite à la protection des constituants de sûretés

S’il nous semble que la bonne foi permettrait de parvenir à un équilibre satisfaisant entre les intérêts des constituants et ceux du créancier, il convient d’expliciter le rôle qui pourrait être joué par cette notion. Pour ce faire, il semble logique de prendre pour exemple la règle de proportionnalité du cautionnement qui présente une certaine proximité avec le droit du surendettement. Il apparaîtrait cohérent que la règle de proportionnalité, qui intervient en amont pour éviter l’insolvabilité, soit soumise à la même condition d’application que les règles du livre VII du Code de la consommation qui sont applicables après la caractérisation d’une situation de surendettement. Ainsi, parce qu’elle poursuit la même finalité que les procédures de surendettement, il serait justifié que la règle de proportionnalité soit réservée aux cautions de bonne foi. Concrètement, seraient dites de mauvaise foi les cautions qui s’engagent en toute conscience dans un cautionnement disproportionné afin de pouvoir le contester ultérieurement sur le fondement de l’article 2300 du Code civil. Seraient également de mauvaise foi les cautions qui minimiseraient leurs éléments d’actif, dissimuleraient une partie de leur patrimoine ou augmenteraient fictivement leurs charges ou éléments de passif au jour où elles invoqueraient la règle de proportionnalité52.

Cette situation dans laquelle la mauvaise foi de la caution serait caractérisée par ses mensonges au jour où elle entend se prévaloir de la règle de proportionnalité doit être distinguée de la situation dans laquelle la caution a menti au créancier dès le jour de son engagement. Dans cette dernière hypothèse, la Cour de cassation affirme que la caution qui invoque la règle de proportionnalité ne pourra faire état de ses facultés de paiement réelles si elle a transmis au créancier de fausses informations au jour de son engagement. Il est fréquent en pratique que les établissements de crédit exigent des cautions qu’elles remplissent une fiche patrimoniale faisant état de leurs revenus, de leurs charges courantes, de leur actif et de leur passif. Les cautions sont parfois tentées de minorer leurs charges et leur passif ou de « gonfler » leurs revenus et leurs actifs afin que leur cautionnement paraisse plus fiable aux yeux de leur créancier. Dans ce contexte, les créanciers ne peuvent pas s’assurer de la proportionnalité du cautionnement par rapport aux facultés de paiement réelles de leur caution. Dès lors, si les cautions décident ultérieurement d’invoquer la règle de l’article 2300 du Code civil, la proportionnalité du cautionnement est appréciée en considération des facultés de paiement déclarées par ces cautions au jour de leur engagement53. Ici, les mensonges des cautions caractérisent leur mauvaise foi, laquelle engendre l’impossibilité de faire sanctionner la disproportion de leur cautionnement par rapport à leurs facultés de paiement réelles au jour de leur engagement. Cette solution mérite d’être approuvée dès lors qu’elle permet indirectement d’exclure les cautions de mauvaise foi du bénéfice de la règle de proportionnalité. Il serait également possible d’affirmer expressément que la mauvaise foi dont ont fait preuve les cautions leur interdit d’invoquer la règle de proportionnalité dont elles se prévalent.

De manière générale, toutes les fois où les constituants de sûretés mentiront ou feront preuve de malice, leur mauvaise foi devrait être sanctionnée par la déchéance du droit dont ils entendraient se prévaloir. Il est à noter que ces comportements ne sont pas nécessairement adoptés par les constituants au jour de leur engagement. Ainsi par exemple, la caution pourrait se montrer de mauvaise foi dans le but de se prévaloir du bénéfice de cession d’actions. Tel serait le cas de la caution qui informerait le créancier qu’elle n’entend pas se prévaloir de tel ou tel droit dont il dispose à l’encontre du débiteur principal de sorte qu’il peut le laisser dépérir et qui, plus tard, invoquerait l’article 2314 du Code civil pour s’opposer à l’action en paiement engagée par le créancier.

Les exemples pourraient être multipliés, mais l’idée générale reste unique : les règles de protection des constituants sont des faveurs qui leur sont accordées et qui ne doivent pas bénéficier aux constituants de mauvaise foi sous peine de porter inutilement atteinte aux intérêts des créanciers.

Cette idée peut conduire à sanctionner systématiquement le comportement des constituants qui consisterait à détourner de leur finalité les règles de protection qui leur sont offertes. Des dispositions légales pourraient être prévues à cet effet. Tel a été le cas concernant la règle de proportionnalité du cautionnement, laquelle a pour but d’éviter que les cautions tenues par un engagement disproportionné se trouvent surendettées. Cette finalité justifiait que la sanction de la disproportion du cautionnement ne puisse pas être prononcée lorsque la caution était finalement en mesure d’honorer son engagement au jour où elle était appelée. Le mécanisme du retour à meilleure fortune formulé par le législateur dans l’ancien article L. 332­1 du Code de la consommation permettait d’éviter que les cautions invoquent la règle de proportionnalité pour se décharger de leur engagement alors qu’elles ne se trouvaient plus en danger de surendettement. Il est à noter que la nouvelle rédaction de la règle de proportionnalité insérée à l’article 2300 du Code civil supprime le mécanisme de retour à meilleure fortune. Si cette suppression est apparue nécessaire pour inciter les créanciers à s’assurer de la proportionnalité de l’engagement de leur caution, elle ouvre une possibilité pour la caution de détourner la finalité de la règle de proportionnalité54. En effet, la caution pourra invoquer la règle de proportionnalité alors même qu’au jour de son appel, l’exécution de son obligation ne la placerait pas en situation d’insolvabilité. Ce faisant, la caution pourra obtenir une réduction du cautionnement à hauteur de ses facultés de paiement au jour de son engagement. De ce point de vue, l’évolution de la règle de proportionnalité peut être critiquée.

On peut imaginer étendre le refus de laisser les règles de protection être invoquées dans un but distinct de la finalité qui leur a été attribuée par le législateur. Ainsi par exemple, devrait être rejetée l’action de la caution qui invoquerait le non-respect d’une obligation d’information alors qu’elle disposait de l’information non délivrée. Dans cette hypothèse, la caution se servirait de la règle pour bénéficier de la sanction du non-respect de l’obligation d’information alors même qu’elle n’aura souffert d’aucun préjudice en ne recevant pas ladite information. Tel peut être le cas concernant l’information annuelle de la caution ou l’obligation d’information de la caution relative à la défaillance du débiteur principal. En revanche, l’obligation précontractuelle d’information ne peut être concernée par cette hypothèse puisque l’article 1112-1 du Code civil ne concerne que les informations détenues par un contractant et ignorées par l’autre. Cette règle ne peut donc pas être invoquée par la partie qui disposait de l’information qui ne lui a pas été transmise par son cocontractant. De même, le devoir prétorien de mise en garde s’adressait aux cautions non averties qui, en principe, n’ont pas conscience de la nature ou de la portée de leur engagement. Cette règle était dès lors également réservée aux cautions qui souffraient d’un manque de connaissance du risque représenté par leur engagement. Il est néanmoins intéressant de remarquer que le nouvel article 2299 du Code civil consacrant le devoir de mise en garde n’est pas réservé aux cautions non averties. Par conséquent, l’exclusion des cautions de mauvaise foi qui invoqueraient cette règle alors même qu’elles auraient connaissance de la nature et de la portée de leur engagement pourrait être justifiée. Il est d’ailleurs possible de penser que cette exclusion des cautions de mauvaise foi découlera naturellement de la sanction attachée à cette règle. En effet, l’article 2299 prévoit que le créancier qui n’aura pas mis en garde la caution sera sanctionné par la déchéance partielle du cautionnement « à hauteur du préjudice subi par celle-ci ». Or les cautions qui étaient averties quant au risque né de leur engagement ne subiront aucun préjudice résultant de leur défaut de mise en garde.

Ces exemples permettent de prendre conscience que le débiteur ou les garants peuvent détourner de leur finalité des règles qui ont été édictées en leur faveur. Ces comportements peuvent être assimilés à de la mauvaise foi et ainsi être réprimés judiciairement.

Conclusion

De prime abord, le droit des sûretés ne semble pas être la matière d’épanouissement privilégié de la bonne foi. Le besoin de sécurité juridique particulièrement prégnant dans cette matière aurait pu être un obstacle à toute utilisation de la bonne foi. L’étude de la notion fait pourtant apparaître que la bonne foi est présente en droit des sûretés. Elle joue dans cette matière deux rôles opposés : un rôle de protection des constituants d’une part, et un rôle de limitation de la protection offerte aux constituants d’autre part.

Dans son rôle de protection des constituants, la bonne foi contractuelle a notamment permis aux juges de découvrir de nouvelles obligations à la charge des créanciers bénéficiaires de sûretés. Elle a également permis de sanctionner la rétention d’informations, qu’elle soit ou non rattachée au dol. Le rôle de la bonne foi contractuelle n’est pas limité aux hypothèses qui ont déjà été révélées par les juges. Le potentiel de la bonne foi est ainsi difficile à mesurer. Mais le recours à la bonne foi n’est pas systématiquement défavorable au créancier. Cette notion est utilisée pour limiter le recours des constituants aux règles de protection qui leur sont accordées. Ce rôle pourrait également être accru. Cet outil permettrait d’éviter que les règles de protection bénéficient aux constituants qui se seraient volontairement placés dans une situation leur permettant d’invoquer lesdites règles ou qui détourneraient les règles de leur finalité. La mauvaise foi caractérisée des constituants qui adoptent ces comportements doit faire obstacle à l’application des règles invoquées. Dans l’hypothèse inverse, l’efficacité des sûretés pour autrui est inutilement atteinte et l’équilibre entre les intérêts des créanciers et des garants n’est pas optimal.

Cette étude des rôles joués par la bonne foi en droit des sûretés permet d’observer que la bonne foi sert aussi bien les intérêts des constituants que ceux des créanciers. Il en résulte que cette notion sert l’équilibre entre les intérêts des créanciers et des constituants, qui est l’un des objectifs majeurs du droit des sûretés. Ainsi la bonne foi pourrait jouer un rôle clé dans le droit des sûretés. Si le recours à cette notion était systématisé, il permettrait peut-être, en matière de cautionnement, la sortie de l’histoire cyclique mise en évidence par le professeur Philippe Dupichot, selon lequelle les périodes de protection accrue de la caution et les périodes d’efficacité renforcée du cautionnement se succèdent et se répètent depuis le droit romain55. Plus généralement, le recours à la bonne foi systématisé en droit des sûretés permettrait probablement de se rapprocher de l’équilibre si difficile à atteindre entre les intérêts des différents protagonistes du droit des sûretés. Malheureusement, jusqu’ici, le recours à cette notion est épars et aléatoire, et la récente réforme du droit des sûretés n’a pas servi l’accroissement du rôle de la bonne foi.

Notes de bas de pages

  • 1.
    La notion de faute est connue notamment en droit des sûretés : v. D. Nemtchenko, Le droit des sûretés au prisme de la faute : Contribution à l’analyse de la notion de sûreté, thèse, 2017.
  • 2.
    F. Zenati, « Usucapion abrégée », RTD civ. 1996, p. 426 ; B. Grimonprez, Rép. civ. Dalloz, v° Prescription acquisitive, 2018. Sur l’article 2276 : F. Duret-Robert, Dalloz action Droit du marché de l’art, 2020-2021, chap. 432, « Sur le plan civil, une règle fondamentale », n° 432.22 ; W. Dross, JCl. Civil Code, Art. 2276 et 2277, « Synthèse – possession et prescription acquisitive ».
  • 3.
    G. Pignarre, Rép. trav. Dalloz, v° Contrat de travail : exécution, 2020. Il s’agit ici d’une application du devoir de collaboration issu de l’exigence de bonne foi, d’autres traductions de la bonne foi existent en droit du travail.
  • 4.
    S. Detraz, Rép. IP/IT et comm. Dalloz, v° Diffamation, 2021.
  • 5.
    C. consom., art. L. 711-1, al. 1 : « Le bénéfice des mesures de traitement des situations de surendettement est ouvert aux personnes physiques de bonne foi ». M. Blondel, La proportionnalité des sûretés, thèse, 2020, Paris, n° 76.
  • 6.
    D. Carreau et H. Letréguilly, Rép. sociétés Dalloz, v° Offres publiques : OPA, OPE, OPR Sociétés, Com., 2012.
  • 7.
    Déjà bien avant l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. V. not. La bonne foi, 1994, Litec, Association Henri Capitant ; R. Desgorces, La bonne foi dans le droit des contrats rôle actuel et perspectives, thèse, 1992 ; Y. Picod, Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat, t. 208, 1989, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, préf. G. Couturier. Depuis la réforme, l’article 1104 du Code civil dispose que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ». Les études doctrinales se sont multipliées à cette occasion : Rép. civ. Dalloz, v° Bonne foi, 2019, P. Le Tourneau et M. Poumarède ; M. Latina, Rép. civ. Dalloz, v° Contrat : généralités – Principes directeurs du droit des contrats, 2017 ; G. Chantepie, Rép. civ. Dalloz, v° Contrat : effets – Devoir d’exécuter le contrat, 2018 ; H. Boucard, Rép. civ. Dalloz, v° Responsabilité contractuelle – Qualification de l’obligation, 2018, nos 234 et s.
  • 8.
    F. Zenati, « Usucapion abrégée », RTD civ. 1996, p. 426 ; B. Grimonprez, Rép. civ. Dalloz, v° Prescription acquisitive, 2018.
  • 9.
    En matière d’hypothèque, l’article 25454 du Code civil – art. 2461 anc. – définissant le droit de suite est complété en ce sens par le nouvel article 2463 du même code – art. 2477 anc.
  • 10.
    Sur la publicité foncière : J. Piedelièvre et S. Piedelièvre, La publicité foncière, 2e éd., 2020, Defrénois ; P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., 2016.
  • 11.
    Seule la publicité des gages automobiles reste spécifique puisque ces biens sont associés à des cartes grises délivrées par la préfecture, leur inscription est donc portée sur un registre tenu par l’autorité administrative comme le prévoit l’article 2338, alinéa 2.
  • 12.
    Cette publicité était mentionnée au premier alinéa de l’article 2338 et organisée par le décret n° 2006-1804 du 23 décembre 2006 pris pour l’application de l’article 2338 du Code civil et relatif à la publicité du gage sans dépossession.
  • 13.
    C. civ., art. 2337, al. 3 : « Lorsque le gage a été régulièrement publié, les ayants cause à titre particulier du constituant ne peuvent se prévaloir de l’article 2276 ».
  • 14.
    Ce gage, supprimé par la réforme du droit des sûretés opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021, était prévu aux articles L. 525­1 et suivants du Code de commerce, l’apposition d’une plaque était spécifiquement prévue à l’ancien article L. 525­4 du Code de commerce.
  • 15.
    C. civ., art. 2451 anc.
  • 16.
    C. civ., art. 2386 anc., renvoyant aux anciens articles 2379, 2381 et 2383 du même code.
  • 17.
    C. civ., art. 2402, qui dresse la liste des hypothèques légales.
  • 18.
    Cass. com., 26 sept. 2006, n° 05-12177. Cette solution a fait l’objet d’une réponse ministérielle publiée au Journal officiel de l’Assemblée nationale : Rép. min., n° 16491, JO AN, 29 avr. 2008, p. 3668.
  • 19.
    P. Crocq, « La nullité relative du gage de la chose d’autrui », RTD civ. 2008, p. 519.
  • 20.
    Évidemment, dans cette hypothèse, la caution pourra agir contre le créancier afin de récupérer la somme qu’elle lui a versée. Ce recours est prévu à l’article 2311 du Code civil.
  • 21.
    P. Le Tourneau et M. Poumarède, Rép. civ. Dalloz, v° Bonne foi, 2019.
  • 22.
    Sur l’aspect européen de ce principe : Y. Picod, JCl. Civil Code, Art. 1103 et 1104, Fasc. Unique, v° Contrat – Force obligatoire du contrat – Bonne foi, nos 13 à 16.
  • 23.
    Tribunal d’arrondissement Luxembourg, 28 juin 2021, n° TAL-2021-00994.
  • 24.
    Cass. com., 3 nov. 1992, n° 90-18547 : Bull. civ. IV, n° 338.
  • 25.
    La recherche de cet équilibre était l’un des enjeux majeurs de la récente réforme du droit des sûretés : L. n° 2019-486, 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises précisant que la récente réforme, art. 60, avait pour but de « simplifier le droit des sûretés et renforcer son efficacité, tout en assurant un équilibre entre les intérêts des créanciers, titulaires ou non de sûretés, et ceux des débiteurs et des garants ». Le rapport au président de la République accompagnant le texte de l’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés énonce que « le deuxième objectif de la réforme est le renforcement de l’efficacité du droit des sûretés, tout en maintenant un niveau de protection satisfaisant des constituants et des garants ». Il est possible de noter que cet objectif n’est pas récent. Même si la réforme du droit des sûretés opérée par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 ayant réformé le droit des sûretés n’a pas touché aux textes relatifs au cautionnement, elle avait déjà pour objectif d’équilibrer la protection des intérêts des créanciers et des débiteurs. En ce sens, voir le paragraphe introductif du rapport au président de la République accompagnant cette ordonnance : « En proposant des règles innovantes qui d’une part simplifient la constitution des sûretés, élargissent leur assiette, et facilitent leur mode de réalisation, tout en prévoyant d’autre part des règles protectrices en faveur de ceux qui ont recours au crédit, les objectifs d’efficacité et de protection sont atteints ».
  • 26.
    Sur la crainte de la bonne foi, v. not. A. Ghozi et Y. Lequette, « La réforme du droit des contrats : brèves observations sur le projet de la chancellerie », D. 2008, Chron., p. 2609 et s., qui s’opposaient au projet de réforme du droit des contrats de la Chancellerie en ce qu’il prévoyait de réunir la liberté contractuelle, la bonne foi et la force obligatoire du contrat dans un chapitre intitulé « principes directeurs ».
  • 27.
    Il s’agit plus précisément d’une « doctrine qui considère que le contrat a pour ressort la solidarité et la fraternité, en sorte que le juge a naturellement vocation à intervenir pour veiller à ce qu’il atteigne les objectifs d’utilité sociale qui lui sont ainsi assignés » : v. Association Henri Capitant, G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 13e éd., 2020, PUF, Quadrige, v° Solidarisme contractuel.
  • 28.
    V. not. D. Mazeaud, « La bataille du solidarisme contractuel : du feu, des cendres, des braises… », in Mélanges en l’honneur du professeur Jean Hauser, 2012, Dalloz, p. 905 et s. ; C. Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », in Études offertes à Jacques Ghestin, 2001, LGDJ, p. 441 et s.
  • 29.
    D. Mazeaud, « Mais qui a peur du solidarisme contractuel ? », D. 2005, p. 1828.
  • 30.
    CA Paris, 24 oct. 2000 : D. 2001, Somm., p. 3236, obs. D. Mazeaud ; D. 2002, Somm., p. 641, obs. D.-R. Martin. Notons que cet arrêt a été censuré par la Cour de cassation selon qui l’abus du cocontractant dominant n’était pas caractérisé : Cass. 1re civ., 30 juin 2004, n° 01-00475 : Bull. civ. 2004, n° 190.
  • 31.
    Aujourd’hui consacrée à l’article 1112-1 du Code civil.
  • 32.
    Sur les rapports de l’obligation précontractuelle d’information et du devoir de mise en garde de la caution : M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 7e éd., 2020, Sirey, p. 102, n° 161.
  • 33.
    Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-19315 : Bull. civ. IV, nos 101 et s. ; JCP E 2006, II 10122, obs. A. Gourio ; RD bancaire et fin. 2006, p. 128, obs. F. J. Crédot et T. Samin ; JCP E 2006, 1890 ; Resp. civ. et assur. 2006, comm. 296 ; JCP E 2006, 1890, obs. D. Legeais, critiquant cette solution perçue comme un facteur de confusion ; D. Legeais, BICC n° 789, 15 oct. 2013.
  • 34.
    Le manquement au devoir de mise en garde du créancier a d’ailleurs été clairement distingué du dol, lequel peut être assimilé à un manquement à l’obligation de contracter de bonne foi. Cass. com., 9 févr. 2016, n° 14-23210 : Bull. civ. IV, n° 881.
  • 35.
    Cass. com., 17 juin 1997, n° 95-14105 : Bull. civ. IV, n° 188 ; D. 1998, Jur., p. 208, note J. Casey ; JCP E 1997, II 1007, note D. Legeais ; Defrénois 15 déc. 1997, n° 158, p. 1424, obs. L. Aynès ; RTD civ. 1998, p. 100, obs. J. Mestre ; RTD civ. 1998, p. 157, obs. P. Crocq ; RTD com. 1997, p. 662, obs. M. Cabrillac.
  • 36.
    Cette règle ne concernait, dans sa version initiale restée en vigueur jusqu’en 2006, que les établissements de crédit ayant consenti à un consommateur soit un crédit à la consommation, soit un crédit immobilier.
  • 37.
    Bien qu’elle ne vise pas l’ancien article 1134, alinéa 3, la Cour de cassation affirme que « la cour d’appel (…) a pu estimer, en raison de “l’énormité de la somme garantie par une personne physique”, que, dans les circonstances de fait, exclusives de toute bonne foi de la part de la banque, cette dernière avait commis une faute en demandant un tel aval, “sans aucun rapport” avec le patrimoine et les revenus de l’avaliste ».
  • 38.
    Depuis 2003 et jusqu’au 1er janvier 2022, cette obligation était prévue à l’article L. 332-1 du Code de la consommation. Au 1er janvier 2022 est entrée en vigueur la réforme du droit des sûretés opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 et la règle de proportionnalité a été supprimée du Code de la consommation pour être insérée dans le Code civil. Le nouvel article 2300 du Code civil modifie la règle de proportionnalité sans toucher à son champ d’application.
  • 39.
    Cass. com., 31 mai 1994, n° 90-13717 : RTD civ. 1995, p. 105, obs. J. Mestre.
  • 40.
    En l’espèce, le garant n’avait pas conclu un contrat de cautionnement classique.
  • 41.
    Cass. ch. mixte, 17 nov. 2006, n° 04-19123 : Bull. ch. mixte, n° 10. Sur cette jurisprudence : M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 7e éd., 2020, Sirey, p. 291, n° 389.
  • 42.
    Aujourd’hui réprimé à l’article 1137 du Code civil. Le dol est défini comme le « comportement malhonnête, le plus souvent d’un contractant envers l’autre, sous forme de manœuvres, mensonges, feintes, collusion etc., destinés à surprendre le consentement de l’autre partie » : v. Association Henri Capitant, G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 13e éd., 2020, PUF, Quadrige, v° Dol.
  • 43.
    Cass. 1re civ., 18 févr. 1997, n° 95-11816. V. également Cass. 1re civ., 13 mai 2003, n° 01-11511 : Bull. civ. I, n° 114. Dans cet arrêt, la Cour de cassation précise que le créancier « ne pouvait se prévaloir de la clause du contrat de cautionnement énonçant que “la caution ne fait pas de la situation du cautionné la condition déterminante de son engagement” dès lors que la banque l’avait stipulée en connaissance des difficultés financières du débiteur principal ». Ici, la mauvaise foi du créancier est d’autant plus flagrante que, connaissant la situation financière compromise du débiteur, il a anticipé une éventuelle contestation de la validité du cautionnement pour dol et a tenté de s’en protéger contractuellement en insérant dans le cautionnement la clause litigieuse. Sur l’intérêt du recours à la bonne foi dans cet arrêt : D. 2004, p. 262, note E. Mazuyer.
  • 44.
    Cass. com., 8 nov. 1983, n° 82-10493 : Bull. civ. IV, n° 298 – Cass. 1re civ., 26 nov. 1991, n° 90-14978.
  • 45.
    Pour une proposition d’extension de la règle de proportionnalité aux garanties autonomes, v. M. Blondel, La proportionnalité des sûretés, thèse, 2020, Paris, partie 1, titre 2, chap. 1.
  • 46.
    Pour une proposition d’extension de la règle de proportionnalité aux sûretés réelles pour autrui, v. M. Blondel, La proportionnalité des sûretés, thèse, 2020, Paris, partie 1, titre 2, chap. 2.
  • 47.
    Ord. n° 2021-1192, 25 sept. 2021, portant réforme du droit des sûretés, art. 2325.
  • 48.
    Concernant la difficulté de concilier efficacité des sûretés et protection des débiteurs et garants, il convient de rappeler que les règles de protection des garants ne portent pas systématiquement atteinte à l’efficacité des sûretés. Tel est le cas, par exemple, de la règle de proportionnalité qui contribue à l’exécution volontaire de son engagement par la caution car elle garantit que la caution est en mesure d’honorer son engagement : v. M. Bourassin, L’efficacité des garanties personnelles, 2006, LGDJ, p. 211, n° 414.
  • 49.
    Cette orientation assumée rend pertinente la comparaison de cette branche du droit avec les règles de protection des garants.
  • 50.
    C. consom., art. L. 711-1.
  • 51.
    Sur la bonne foi procédurale, soit la bonne foi caractérisée au jour de la demande de traitement du surendettement : la Cour de cassation a notamment admis que soit dit de mauvaise foi le débiteur qui n’utilise pas les fonds dont il dispose pour payer ses charges : Cass. 2e civ., 5 juin 2014, n° 13-18426, D : Rev. proc. coll. 2014, comm. 109, obs. S. Gjidara-Decaix. De même, a pu être dite de mauvaise foi la débitrice qui retire des sommes et joue au casino en sortant de l’audience ayant décidé d’un plan de désendettement : Cass. 2e civ., 15 mai 2014, n° 13-13664, D : GPL 21 mai 2015, n° GPL224z7, note J. Lasserre Capdeville ; RD bancaire et fin. 2014, comm. 206, note. S. Piedelièvre ; Contrats, conc. consom. 2014, comm. 203, note G. Raymond ; D. 2015, p. 588, obs. H. Aubry ; Rev. proc. coll. 2014, comm. 109, note S. Gjidara-Decaix. Sur la bonne foi contractuelle, soit la bonne foi caractérisée au moment de l’endettement, v. CA Aix-en-Provence, 15e ch., sect. A, 27 janv. 2015, n° 13/19378 : « La remise en cause de la bonne foi pouvait porter sur le comportement des débiteurs à l’égard du créancier avant même l’ouverture de la procédure de surendettement, dite bonne foi contractuelle, sans se trouver cantonnée à une bonne foi seulement procédurale ». En l’espèce, le débiteur avait fait preuve de mauvaise foi au jour de la conclusion du contrat en mentant au créancier afin d’obtenir un crédit.
  • 52.
    Pour une proposition d’exclusion des cautions de mauvaise foi du bénéfice de la règle de proportionnalité, v. M. Blondel, La proportionnalité des sûretés, thèse, 2020, Paris, partie 1, titre 1, chap. 1, nos 74 et s., spéc. nos 88 et s.
  • 53.
    Cette jurisprudence dégagée sur le fondement de l’ancien article L. 332-1 du Code de la consommation ne devrait pas changer en raison de l’évolution de la règle de proportionnalité.
  • 54.
    La modification de la sanction de la disproportion a contraint le législateur à chercher d’autres moyens pour assurer un effet dissuasif de la règle de proportionnalité. La nouvelle sanction réside dans la réduction du cautionnement. Or cette réduction n’est pas redoutée par les créanciers qui ne risquent plus de perdre leur cautionnement en raison de son caractère disproportionné.
  • 55.
    P. Dupichot, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, 2005, LGDJ, Panthéon-Assas, préf. M. Grimaldi, p. 63.
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