Monique Calvi : « Construire un budget c’est arbitrer, cet arbitrage a forcément une connotation politique »

Publié le 01/04/2025
Monique Calvi  : « Construire un budget c’est arbitrer, cet arbitrage a forcément une connotation politique »
Andrey Popov/AdobeStock

L’arrêté du 20 décembre 2024, en généralisant l’application de la norme M57, impose une homogénéisation des pratiques comptables et budgétaires dès 2025. Cette réforme, couplée à la loi de finances pour 2025, oblige les gestionnaires locaux à repenser leur approche budgétaire en tenant compte de la fin des mandats municipaux. Monique Calvi, maître de conférences en sciences de gestion à l’Université Savoie Mont-Blanc et autrice de « La comptabilité publique territoriale, norme M57 », décrypte pour Actu-Juridique les impacts concrets de ces changements, les défis rencontrés par les collectivités et les perspectives futures pour une gestion financière plus transparente et efficace. Entretien.

Actu-Juridique : Depuis la sortie de votre ouvrage, un arrêté du 20 décembre 2024 a précisé l’application du référentiel M57 à certaines collectivités. Quels impacts concrets cela entraîne-t-il pour ces acteurs locaux ?

Monique Calvi : L’arrêté du 20 décembre 2024 implique la généralisation de l’application de la norme comptable M57 aux collectivités territoriales à compter du 1er janvier 2025. Cette généralisation permettra une homogénéisation de leur comptabilité et de leurs budgets facilitant les comparaisons entre collectivités si nécessaire. L’introduction du compte financier unique (CFU) signe la fin de la redondance de présentation de l’exécution budgétaire – dans le compte administratif et dans le compte de gestion -, ces deux comptes disparaissent. L’établissement du CFU nécessite une forte collaboration entre l’ordonnateur et le comptable public car certaines parties doivent être réalisées par les deux acteurs.

AJ : La loi de finances pour 2025 impose aux gestionnaires publics locaux de construire leur budget en tenant compte de la fin du mandat municipal. Quels défis cela représente-t-il en pratique ?

Monique Calvi : Un budget c’est un équilibre entre des recettes et des dépenses, notons que certaines d’entre elles n’ont pas d’impact sur la trésorerie telles que les dotations aux amortissements qui constituent une partie de l’autofinancement. Cela signifie, en fin de mandat, qu’il faut être vigilant à la tentation d’augmenter les impôts mais la collectivité territoriale doit assurer des services publics à ses administrés et pour se faire réaliser des investissements. Construire un budget c’est arbitrer entre des postes de dépenses mais aussi de recettes, cet arbitrage a forcément une connotation politique.

AJ : Avec le recul, comment percevez-vous l’appropriation de la norme M57 par les collectivités territoriales ? Quelles sont les principales difficultés rencontrées ?

Monique Calvi : C’est très récent, la norme M57 se généralise en 2025 donc il y a peu de recul. Il y a des difficultés liées au passage d’une norme à l’autre, notamment lorsque des comptes sont supprimés ou créés. Le système d’information de la CT doit s’adapter, il y a souvent un décalage temporel entre la réglementation et l’application sur le terrain en raison de contraintes matérielles. La comptabilité publique a beaucoup évolué ces 30 dernières années, la culture de la comptabilité privée doit être intégrée tout en gardant des spécificités du secteur public (exemples : subventions d’investissement accordées, immobilisations reçues en affectation ou affectées, concédées, affermées ou mises à disposition…).

AJ : Pensez-vous que la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics, mise en place en 2022, a modifié les pratiques comptables et budgétaires des collectivités ?

Monique Calvi : L’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics (RFGP) est entrée en vigueur le 1er janvier 2023. Auparavant le comptable public était jugé par le juge des comptes, s’appliquait à lui une responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP), à des fins réparatrices, il était mis en débet pour avoir causé un préjudice financier à l’entité. L’ordonnateur (élu) était jugé par la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), à des fins répressives, éventuellement condamné à une amende. La CDBF ne traitait que peu d’affaires, activité presque anecdotique. Désormais, c’est un régime unifié qui a été mis en place ; le régime de la RPP des comptables publics est abrogé et le régime de la CDBF est étendu au corps des comptables. Le nouveau régime se veut répressif mais non réparateur : la personne reconnue coupable d’une infraction financière est condamnée à une amende mais pas à une indemnité à verser à la collectivité éventuellement victime d’un préjudice financier. Le montant maximal de l’amende est de 6 mois de rémunération (contre 12 mois dans régime CDBF). L’objectif de la réforme est d’inclure dans ce dispositif tous les acteurs de la chaîne de recettes et dépenses. Quatre infractions visent à protéger les règles comptables et budgétaires : gestion de fait, engagement irrégulier d’une dépense, défaut de production des comptes et engagement d’une dépense sans respect des règles de contrôle budgétaire. Il est alors évident que le contrôle interne au sein du système comptable devient un enjeu important que les CT devront améliorer à très court terme. Les élus locaux ne sont pas justifiables (comme auparavant) sauf dans certains cas, notamment la gestion de fait.

AJ : À la lumière des évolutions récentes, quels conseils donneriez-vous aux gestionnaires et comptables publics pour sécuriser la gestion financière de leur collectivité ?

Monique Calvi : Mon manuel est un manuel de comptabilité publique, pas un manuel de gestion financière. Il est certain que les CT doivent améliorer les procédures de contrôle interne de façon à fiabiliser leurs comptes mais ce n’est pas de la gestion financière. La comptabilité ne fait qu’enregistrer les décisions financières dans des comptes, elle sert ensuite d’outil aux analystes financiers. Il est certain que la M57 marque une étape supplémentaire vers l’adoption de principes de la comptabilité privée, notamment pour que les états financiers informent les parties prenantes de la CT.

AJ : Votre ouvrage avait pour ambition d’accompagner les professionnels dans la mise en œuvre du référentiel M57. Avec les évolutions récentes, quelles mises à jour ou compléments jugeriez-vous nécessaires ?

Monique Calvi : Pour l’instant ce n’est pas nécessaire. Si des évolutions arrivent dans les deux ans, oui. En cas de généralisation de l’introduction de l’annexe dans le CFU, il faudra y accorder un développement. Dans une prochaine version, je pourrai introduire, notamment pour les exemples d’écritures comptables, des cas de CT plus spécialisées telles que les SDIS.

AJ : Comment ces nouvelles mesures influencent-elles la gestion des investissements et des emprunts des collectivités territoriales ?

Monique Calvi : La norme M57 est un instrument comptable et budgétaire mais ne change pas la comptabilisation des investissements et emprunts. Toutefois, la généralisation et l’affinement de la politique d’amortissements ont un impact sur les budgets de fonctionnement (dépense d’ordre) et d’investissement (recette d’ordre). Aussi la M57 introduit un assouplissement en matière budgétaire : l’assemblé délibérante de la CT peut autoriser l’exécutif à réaliser des mouvements de crédits entre chapitres dans la limite de 7,5 % du montant des dépenses réelles de ladite section, cela ne peut pas concerner les dépenses de personnel. En section d’investissement, cette fongibilité des crédits peut permettre une réorientation occasionnelle d’une dépense, en section de fonctionnement aussi.

AJ : À votre avis, quels seront les prochains grands défis de la comptabilité publique territoriale dans les années à venir ?

Monique Calvi : Les collectivités territoriales ont une marge de progression dans l’évaluation de leurs actifs immobiliers. Les CT qui ont expérimenté la certification de leurs comptes par un commissaire aux comptes ont dû travailler sur ce point, qui a souvent été une cause de non-certification ou certification avec réserves. Il est difficile d’estimer la valeur d’un bâtiment public (écoles, musées…). Elles pourraient être davantage guidées dans ce travail. C’est un gros chantier. La comptabilisation des immobilisations se rapproche beaucoup de la comptabilité privée avec l’introduction de la notion de contrôle, l’approche par composants, la distinction entre biens historiques et culturels amortissables de ceux qui ne le sont pas. LE CFU deviendra obligatoire à partir des comptes 2026, il nécessitera une dématérialisation totale des documents budgétaires car sa réalisation est dématérialisée de même que sa transmission à la préfecture. La dématérialisation représente un effort organisationnel et informatique important.

L’annexe qui fait partie intégrante du CFU rapproche encore comptabilité publique et comptabilité privée. Pour l’instant elle n’est renseignée que pour les CT en expérimentation de la certification des comptes mais pourrait être envisagée.

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