À propos d’un inédit familier : le contrôle parlementaire de l’état d’urgence sanitaire

Publié le 28/04/2020

La loi n° 2020-290 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 introduit dans l’ordre juridique français un nouveau dispositif d’exception : l’état d’urgence sanitaire. L’introduction de ce dispositif prétendument inédit, qui confie au Premier ministre ainsi qu’au ministre chargé de la Santé de larges pouvoirs, est censée trouver sa garantie dans l’exercice, par le Parlement, d’un contrôle renforcé des mesures prises sur son fondement. Pourtant, du point de vue du Parlement, ce contrôle apparaît bien familier quant à ses sources d’inspiration, et peu novateur sur le plan des moyens à disposition des chambres.

À la suite de l’expansion mondiale du virus Covid-19, le Parlement français a adopté, le 23 mars 2020, après réunion d’une commission mixte paritaire, la loi n° 2020-290 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Celle-ci introduit dans l’ordre juridique français un dispositif de lutte ad hoc1 contre l’épidémie.

L’adoption de cette loi vient mettre un terme à la réponse « séquencée et graduée » voulue par le gouvernement dans la lutte contre le virus, qui entendait avant tout s’appuyer sur les dispositifs existants et notamment sur l’article L. 3131-1 du Code de la santé publique. Sur ce fondement, le ministre de la Santé pouvait prendre divers arrêtés, les 4, 9 et 13 mars interdisant progressivement les rassemblements de plus de 5 000, 1 000 puis 100 personnes. Les 14 et 15 mars 2020, par deux arrêtés successifs, le ministre de la Santé pouvait également décider le durcissement des mesures, ainsi que la fermeture des crèches, des établissements scolaires et universitaires et, de façon plus générale, de tous les lieux recevant du public. Sur le fondement de la théorie des circonstances exceptionnelles, le Premier ministre pouvait, pour sa part, le 16 mars 2020 prendre un décret portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 et ordonner le confinement de la population.

Afin de doter ces mesures de restrictions d’une « base légale solide »2, le gouvernement a proposé la création, dans l’ordre juridique français, d’un dispositif « d’état d’urgence sanitaire ». L’opportunité d’instaurer un tel dispositif a fait débat. D’aucuns estimaient que le gouvernement pouvait continuer de s’appuyer sur les dispositions existantes du Code de la santé publique et le pouvoir de police générale du Premier ministre tel qu’il ressort du croisement de la jurisprudence issue des arrêts Labonne3 et Association cultuelle des Israélites nord-africains4. Comme l’explique Anne Levade, l’étude d’impact du projet laisse apparaître que c’est avant tout « une différence d’ampleur, donc de degré [entre ce dispositif et les dispositifs préexistants], et non de nature qui justifie qu’un régime d’exception nouveau ait été créé »5.

L’opportunité de ce dispositif interroge d’autant plus qu’il est calqué sur le modèle de « l’état d’urgence ordinaire » prévu par la loi n° 55-383, et dont la parenté est ouvertement revendiquée aussi bien devant le Sénat6 que devant l’Assemblée nationale7. Il présente pour le Parlement comme un air de déjà-vu. Sa mise en œuvre constitue en effet une nouvelle occasion pour lui d’exercer un contrôle renforcé des « actions concrètes » du gouvernement8 lui permettant ainsi de « contrebalancer l’attribution des pouvoirs exceptionnels au pouvoir exécutif »9. Il conviendra d’évoquer sommairement les fondements (I) ainsi que les modalités d’expression (II) de ce dispositif.

I – Les fondements du contrôle parlementaire de l’état d’urgence sanitaire

Ce contrôle parlementaire renforcé apparaît bel et bien familier. Il conforte le changement dans les représentations des fonctions du Parlement opéré notamment depuis la révision constitutionnelle de 2008 et accentué, plus récemment, sous l’impulsion du projet de loi prorogeant pour une durée de 3 mois à compter du 26 novembre 2015, l’état d’urgence. L’histoire est connue et l’on sait qu’un amendement soutenu par le président de la commission des lois du moment, Jean-Jacques Urvoas, avait suffi, à l’époque, pour introduire un contrôle parlementaire de l’état d’urgence10, inscrit désormais dans le marbre de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, en son article 4-1. Cet article énonce que « l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le gouvernement pendant l’état d’urgence. Les autorités administratives leur transmettent sans délai copie de tous les actes qu’elles prennent en application de la présente loi. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures ».

Le contrôle parlementaire, prévu par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, s’en inspire très largement. La loi introduit dans le Code de la santé publique un article L. 3131-13 qui énonce, en son deuxième alinéa, que « l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le gouvernement au titre de l’état d’urgence sanitaire. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures ». L’effet de miroir n’est toutefois pas parfait et l’on note l’absence d’obligation pour les autorités administratives de transmettre « copie de tous les actes qu’elles prennent en application de la présente loi ».

Force est de constater, surtout, les réticences qui ont accompagné l’instauration de ce contrôle parlementaire. À ce titre, l’avis obligatoire rendu le 18 mars 2020 par le Conseil d’État sur ledit projet de loi proposait purement et simplement « de supprimer la disposition imposant au gouvernement la transmission d’informations relatives à la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire »11 au motif que cette transmission constituait « une injonction du Parlement au gouvernement »12 et ne relevait pas du domaine de la loi. On se souviendra, pour mémoire, que de jurisprudence constante13, le Conseil constitutionnel refuse tout pouvoir de ce type aux chambres quoiqu’il ne se soit jamais véritablement prononcé – faute de saisine – sur ce genre de mesures en particulier. En outre, en première lecture, le texte déposé par Édouard Philippe devant le Sénat14 ne prévoyait, conformément à l’avis du Conseil d’État, aucune mention d’un quelconque contrôle parlementaire. Les réticences du gouvernement s’expliquent sans doute par une perception particulière de ce contrôle qui apparaît assez largement « platonique » dans la mesure où il n’influe, finalement, que très marginalement sur la prise de décision.

Pour instaurer malgré tout cette surveillance, il a donc fallu toute la fermeté de la commission des lois du Sénat qui a choisi d’introduire dans le projet de loi un titre IV intégralement consacré au « contrôle parlementaire ». Ainsi, le rapporteur du projet, Philippe Bas (LR), a-t-il défendu, en première lecture, les modalités concrètes de ce contrôle à travers l’amendement n° COM-26 qui, d’après son exposé, « s’inspire directement du dispositif mis en œuvre pour le suivi de la loi SILT du 30 octobre 2017 et des ordonnances relatives au Brexit (loi du 19 janvier 2019) »15.

Dans le premier cas, en effet, la loi SILT prévoyait expressément, en son article 5, que « l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises ou mises en œuvre par les autorités administratives en application des chapitres VI à IX du présent titre. Ces autorités administratives leur transmettent sans délai copie de tous les actes qu’elles prennent en application de ces dispositions. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. Le gouvernement adresse chaque année au Parlement un rapport détaillé sur l’application de ces mesures ». C’est l’Assemblée nationale, en première lecture, qui avait fait le choix d’introduire dans le projet le contrôle parlementaire renforcé.

Dans le second cas, là encore, l’Assemblée nationale avait fait le choix d’inscrire, en première lecture, dans le projet de loi n° 2019-30 du 19 janvier 2019, habilitant le gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, un article 4 prévoyant le contrôle parlementaire. L’article énonce ainsi que « l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai et de manière circonstanciée des mesures prises par le gouvernement dans le cadre des ordonnances prises en application de la présente loi. Ils sont également informés de manière régulière de leur état de préparation et peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures ».

S’agissant du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, c’est, cette fois, le rapporteur du Sénat qui proclamait avec force la nécessité d’instaurer ce type de contrôle. Il estimait en effet que le caractère exceptionnel de ces dispositions imposait l’élargissement de l’assise politique des décisions prises par le gouvernement, ainsi que leur partage avec la représentation nationale. Le gouvernement proposait par ailleurs un amendement contraire, en séance, visant à supprimer celui-ci au motif, surprenant du point de vue juridique, et pourtant défendu par Alain Richard (LREM), de son inconstitutionnalité. En vérité, cette opposition n’étonne plus tant il apparaît évident qu’elle caractérise une réminiscence du « parlementarisme négatif »16 sur lequel s’est construite la Ve République. Les illustrations sont nombreuses. Par exemple, il importe de ne pas oublier, comme le rappelle justement Alexis Fourmont, que le droit de tirage en matière d’enquête, désormais prévu, depuis 2008, à l’article 51-2 de la constitution française, « a régulièrement été vidé de sa substance par la majorité avant 2014 »17, date d’une réforme du règlement de l’Assemblée nationale permettant de renforcer les garanties à la création d’une commission d’enquête demandée par un groupe politique minoritaire ou d’opposition.

Suivant l’amendement n° 258 du gouvernement présenté devant l’Assemblée nationale en première lecture, le choix a finalement été retenu, en séance publique, de faire figurer la mention du contrôle parlementaire non pas à la fin du projet de loi sous le titre IV spécialement réservé pour l’occasion au « contrôle parlementaire », dans un article 13, comme le voulaient les sénateurs, mais à l’article 5 du projet de loi sous le titre I portant spécifiquement sur l’état d’urgence sanitaire. Le choix sera finalement fait de prévoir ce contrôle à l’article 2 du projet de loi. Certains parlementaires, au premier rang desquels Raphaël Schellenberger (LR) ou Marie-Pierre de la Gontrie (PS) ont alors pu s’inquiéter du risque de dévitalisation du contrôle induit par ce changement qui contribue à « troubler » les bornes du contrôle exercé par les chambres18. En effet, dans la logique des parlementaires les plus critiques, cette substitution impliquait de circonscrire simplement le contrôle du Parlement aux mesures prises par le gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, en soustrayant de leur contrôle, au passage, les ordonnances relatives aux « mesures d’urgence économique » prises sur le fondement de la même loi. L’évanescence des débats parlementaires sur la question, et plus précisément la réponse de la présidente de commission des lois, Yaël Braun-Pivet (LREM) entretenait le flottement. Celle-ci estimait que « la visibilité du contrôle parlementaire ne se réduit pas à la rédaction d’un titre mais consiste dans son application […] c’est son efficacité qui m’intéresse et non de savoir s’il est prévu par le titre IV, le titre Ier ou s’il est noyé dans un article »19. Et de conclure « ce qui importe, [c’] est la manière dont nous allons exercer concrètement le contrôle parlementaire »20. Son propos confirme bel et bien que le contrôle parlementaire n’est jamais qu’une « invitation à l’action »21. Lors de l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire, Philippe Bas (LR) pouvait alors interpeller Marc Fesneau dans les termes suivants : « Monsieur le ministre, pouvez-vous vous engager au nom du gouvernement à nous informer du contenu de ces ordonnances avant qu’elles soient signées ? Et, dans le même esprit, informer mensuellement les assemblées des mesures qui ne relèvent pas de l’état d’urgence sanitaire, via les présidents des commissions concernées ? »22. Réponse en demi-teinte de l’interpellé : « Nous associerons le Parlement au travail mené, mais les délais des ordonnances seront parfois peu compatibles avec l’exigence d’une association du Parlement à leur élaboration. Nous ferons au mieux. En revanche, oui, les présidents des commissions concernées seront informés mensuellement des mesures prises : cela je m’y engage »23. L’échange est particulièrement révélateur de la vitalité de la nouvelle fonction de contrôle du Parlement, qui trouve son fondement à l’article 24 de la constitution dans sa rédaction issue de la réforme de 2008. En attestent, aujourd’hui, les divers dispositifs de contrôle parlementaire adoptés depuis lors, à propos de l’état d’urgence24 ou de la lutte contre le terrorisme25.

II – Les modalités du contrôle parlementaire de l’état d’urgence sanitaire

Si l’échange entre le sénateur et le ministre révèle tout le potentiel du contrôle parlementaire, il n’en illustre pas moins, tout autant, ses limites. Celles-ci tiennent, on le sait, au caractère flou de ses contours. La mise en œuvre du contrôle parlementaire est délicate. Comme le résumait si bien Pierre Avril, « toute la problématique des rapports entre le Parlement et le gouvernement s’inscrit en effet dans l’antinomie inhérente au contrôle parlementaire qui exige simultanément le respect des prérogatives de l’exécutif, et l’autorité du jugement porté sur son action »26. Et l’auteur d’ajouter que « ce fut une règle du régime parlementaire que le ministre, chef de son département, répondait seul des actes d’exécution, mais ce fut aussi, depuis Gambetta, un souci permanent des chefs de gouvernement de résister à l’ingérence des parlementaires dans le fonctionnement des services »27.

Tout d’abord, il est difficile de préciser avec exactitude ce que recoupe ce type de contrôle. Que signifie, pour l’Assemblée nationale ou le Sénat, la capacité de « requérir toute information complémentaire » dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ? Quelles sont les modalités de ce droit de requête ? Les divers rapports parlementaires relatifs à l’introduction de ce type de mécanisme dans l’ordre juridique français par le biais des lois n° 2016-987, n° 2017-1510 ou encore n° 2019-30 n’en font pas mention. La circonscription des contours du contrôle parlementaire est rendue plus difficile encore par la jurisprudence du Conseil constitutionnel28 qui veille à ce que son exercice reste la prérogative exclusive de l’Assemblée nationale et du Sénat dans leur ensemble et non celle de quelques-uns de leurs organes comme les missions d’information, ou de suivi, les commissions d’enquête ou encore la conférence des présidents. À première vue, les résolutions parlementaires de l’article 34-1 de la constitution apparaissent particulièrement appropriées pour l’exercice de ce droit de requête sous réserve qu’elles ne puissent être interprétées comme des injonctions du Parlement vis-à-vis du gouvernement.

Par ailleurs, ce flottement quant aux limites du contrôle renforce l’idée qu’il pourrait ne constituer, ici, dans le cadre particulier de l’état d’urgence sanitaire, qu’un vœu pieux. En effet, la mention lapidaire de ce contrôle et les incertitudes qui pèsent sur ses contours renforcent l’idée que les chambres disposent déjà de toute la capacité nécessaire à le mettre en œuvre sans qu’il soit nécessaire de prévoir de nouveaux mécanismes. En matière de contrôle, les chambres disposent effectivement d’une véritable capacité de fournir, à leur tour, une réponse graduée et séquencée. Tout d’abord, elles disposent à l’évidence de la procédure ouverte par l’article 48 de la constitution, des « questions au gouvernement » autour desquelles tourne l’essentiel de l’ordre du jour des chambres depuis la semaine du 16 mars ; celles-ci étant désormais ordonnées, à la gestion de la crise de l’épidémie de Covid-19. À titre d’exemples, les questions posées à l’Assemblée nationale lors de la séance du 31 mars 2020 portaient sur des sujets aussi précis que la « planification sanitaire », la « stratégie du gouvernement pour la sortie du confinement », l’« approvisionnement en médicaments », ou encore les « mesures économiques pour lutter contre la crise liée au Covid-19 » et s’adressaient principalement au ministre chargé de la Santé, ainsi qu’au Premier ministre. Il en va de même au Sénat, à ceci près qu’on notera tout de même la requalification opérée par l’institution des « questions d’actualité au gouvernement », en « questions de contrôle au gouvernement ».

Cependant, compte tenu de « l’impossibilité matérielle d’exercer un contrôle continu en séance plénière »29, par le biais de simples séances de questions au gouvernement, les chambres cherchent toujours à pérenniser les moyens de leur contrôle. Pour ce faire, elles disposent de deux grands outils de contrôle parlementaire permettant d’assurer le suivi en temps réel des opérations gouvernementales menées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

La voie des commissions permanentes, sommairement évoquées à l’article 43 de la constitution, peut être classiquement empruntée. Les pouvoirs de ces commissions apparaissent cependant limités, par suite d’une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel. Elles possèdent pour l’essentiel des pouvoirs d’audition (règl. AN, art. 45) des membres du gouvernement, et d’information des chambres pour leur permettre d’exercer leur contrôle sur la politique du gouvernement. À titre d’illustration, la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a auditionné, mercredi 25 mars, en visioconférence, le directeur du centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, ainsi que le coordonnateur de la « task force » sur le coronavirus. Au Sénat, la commission des affaires européennes a entendu Amélie de Montchalin sur la coordination européenne des stratégies sanitaires et économiques, le vendredi 27 mars 2020, et la commission de la culture a choisi d’auditionner le mercredi 1er avril, Frédérique Vidal, sur les conséquences de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19.

Toutefois, pour disposer de plus larges prérogatives, et conformément à leur fonction d’information des chambres, les commissions permanentes peuvent créer, en leur sein, des missions d’information30. L’article 145 du règlement de l’Assemblée nationale prévoit que l’initiative de la création d’une mission d’information appartient aux commissions permanentes, à la conférence des présidents sur proposition du président de l’Assemblée, ou encore aux groupes d’oppositions ou minoritaires, par le biais de leur président et sous certaines conditions. Les articles 20 et 21 du règlement du Sénat prévoient également cette possibilité pour les commissions permanentes ainsi que pour la conférence des présidents. Leurs modalités de fonctionnement ne sont pas tout à fait identiques selon les chambres concernées. L’article 21 du Sénat prévoit d’office, en son alinéa 4, que les missions d’information communes à plusieurs commissions permanentes « disposent des mêmes pouvoirs d’information, de contrôle et d’évaluation que les commissions permanentes ». En revanche, l’article 145-1 du règlement de l’Assemblée nationale soumet cette condition au dépôt d’une demande spécifique au président de l’Assemblée. S’il est fait droit à cette demande, la mission peut bénéficier des prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour une durée de 6 mois. En somme, une mission d’information peut donc être transformée, en fonction des besoins, en commission d’enquête temporaire.

Cette formule apparaît plus souple que celle des commissions d’enquête, au risque parfois d’apparaître sous-dimensionnée31 pour les situations d’exception. Pourtant elle présente bien des avantages et n’est pas soumise aux limitations qui enserrent traditionnellement les commissions d’enquête. Les missions d’information peuvent être individuelles ou collectives – sans limitation précise –, internes à une seule commission ou au contraire, communes à plusieurs, d’une durée pouvant excéder les 6 mois et peuvent également impliquer des déplacements en France ou à l’étranger. Cette formule est d’autant plus efficace qu’elle a été renforcée à l’Assemblée nationale, par la résolution n° 292 du 27 mai 2009. Celle-ci modifie l’article 145-7 de son règlement et y introduit un article 145-8. Ces dispositions prévoient notamment la possibilité pour une commission chargée de l’examen d’un texte – on songe alors avant tout aux commissions permanentes – de mettre en place une mission de suivi, composée de deux députés, l’un rapporteur du texte en question devant la commission et l’autre issu des rangs de l’opposition, afin qu’ils « présentent à la commission compétente un rapport sur la mise en application de cette loi ». Pour l’essentiel, ce rapport « fait état des textes réglementaires publiés et des circulaires édictées pour la mise en œuvre de ladite loi, ainsi que de ses dispositions qui n’auraient pas fait l’objet des textes d’application nécessaires ». Plus encore, dans les 6 mois après la publication d’un rapport par une mission d’information – ou une commission d’enquête – l’article 145-8 du règlement de l’Assemblée nationale ouvre la possibilité pour la commission permanente concernée de désigner un député afin qu’il « présente un rapport sur la mise en œuvre des conclusions de ladite commission d’enquête ou mission d’information ».

L’autre outil réside bien dans la constitution par la chambre d’une commission d’enquête spécifique. Depuis la révision constitutionnelle de 2008 cette possibilité est pleinement consacrée par l’article 51-2 de la constitution. L’article renvoie néanmoins à la loi le soin de préciser les règles d’organisation et de fonctionnement ainsi qu’au règlement de chacune des assemblées celui de fixer leurs conditions de création32. En vertu de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, « les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l’assemblée qui les a créées ». L’ordonnance rappelle le caractère temporaire de cet outil. Leur mission « prend fin par le dépôt de leur rapport, et au plus tard, à l’expiration d’un délai de 6 mois à compter de la date de l’adoption de la résolution qui les a créées ». Pendant ce laps de temps, les membres de la commission, notamment ses rapporteurs disposent de larges pouvoirs. Les rapporteurs qui « exercent leur mission sur pièces et sur place » peuvent recevoir « tous les renseignements de nature à faciliter » leur mission. Ils sont notamment habilités « à se faire communiquer tous documents de service » nécessaires à leur enquête sous réserve de certains documents spécifiques. En outre, à l’issue de ses travaux, la commission d’enquête peut bénéficier, comme la mission d’information, de l’appui d’une mission de suivi.

Sans surprise, au Sénat, c’est la commission des lois qui a fait le choix, conformément à son mode opératoire traditionnel, d’organiser une mission de contrôle pluraliste sur les mesures liées à l’épidémie de Covid-19. Celle-ci ne s’apparente pas aux missions d’information précédemment évoquées, mais bien plus à une sorte de comité de suivi, interne à la commission permanente. Elle se compose de 11 membres chacun issu des 7 groupes politiques de la chambre. Outre son président, Philippe Bas (LR), on notera la présence de deux autres représentants du parti majoritaire.

En revanche, l’Assemblée nationale, par le biais de sa conférence des présidents du mardi 17 mars, a fait le choix de créer une mission d’information sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Covid-19. Comme l’explique son président, Richard Ferrand (LREM), lors de la première séance tenue le mercredi 1er avril, cette mission a pour objectif unique dans un premier temps, d’effectuer un contrôle des mesures prises au titre de l’état d’urgence sanitaire c’est-à-dire la gestion de la crise sanitaire ainsi que la mise en œuvre des mesures de restriction des libertés publiques accompagnant le confinement. À cette fin, la mission a décidé d’auditionner, chaque semaine, les membres du gouvernement. Pour sa première audition, la mission a accueilli le Premier ministre ainsi que le ministre chargé de la Santé. Dans ce cadre, la mission d’information s’est vu transmettre, par le Premier ministre, un bilan des premières mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Malgré l’ambition transpartisane de la mission qui pourrait la rapprocher, sur le plan des idées, de la mission de contrôle sénatoriale, celle-ci possède tout de même une forte coloration majoritaire et ce, malgré la volonté de répartition proportionnelle qui a commandé à la désignation de ses membres. Fait majoritaire oblige, la composition de la mission ne parvient pas à effacer la domination du parti présidentiel sur la chambre basse. Elle se compose ainsi de 14 membres dont 8 membres du parti présidentiel auxquels il faut ajouter 1 rapporteur, qui est également son président, accompagné de tous les présidents des commissions permanentes soit 8 co-rapporteurs, tous issus de la majorité présidentielle, à l’exception d’Éric Woerth (LR), 4 vice-présidents dont un seul du parti présidentiel à proprement parler, Gilles Le Gendre (LREM) et 1 membre de la majorité, Patrick Mignola (MODEM) ainsi que 4 secrétaires. Avec les 8 présidents des groupes politiques de la chambre basse, qui ne disposeront cependant pas d’un droit de vote, elle se compose in fine de 39 membres.

Si les parlementaires ont répondu présents, quant à la mise en place d’un contrôle renforcé dans le cadre de leur fonction de contrôle de l’action du gouvernement, et de mise en œuvre des textes, il importe de rappeler qu’il ne s’agit là que d’une première phase. Celle-ci devrait laisser sa place, sûrement à l’automne, à une deuxième phase affinée d’évaluation des conséquences des mesures prises par le gouvernement. C’est d’ailleurs ce qu’a ouvertement laissé entendre, Richard Ferrand (LREM) lors de la première séance de travail. Une fois la crise dépassée, la mission « Covid-19 » verra très probablement ses prérogatives s’élargir à celles des commissions d’enquêtes en vertu du mécanisme précédemment rappelé. Pourtant, le choix défendu par le président de l’Assemblée nationale interroge à la lecture des textes. L’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui prévoit la possibilité pour une mission d’information d’obtenir les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête, semble ne s’appliquer qu’aux missions créées par les commissions permanentes ou spéciales et non pas celles créées par la conférence des présidents. S’il entretient le doute33 en énonçant, en sus des commissions permanentes ou spéciales, la possibilité pour d’autres « instances permanentes » de faire cette demande, le règlement de l’Assemblée nationale est limpide en son article 145-1, qui réserve le monopole de ce régime aux seules commissions permanentes ou spéciales, uniquement pour les organes qu’elles ont, elles-mêmes, créés. En outre, les travaux préparatoires de cet article parlent pour eux-mêmes. En effet, le rapport d’André Fanton (RPR), sur la proposition de résolution n° 582 du 3 octobre 1996 introduisant cette disposition dans le règlement de l’Assemblée nationale, confirme que cette prérogative est réservée aux seules missions d’information créées par les commissions d’enquête permanentes ou aux missions d’information communes34. Nulle part il n’est question d’autres instances et encore moins des missions d’information créées par la conférence des présidents qui arriveront plus tard, lors d’une révision de 2003… On savait du droit qu’il était « la plus puissante des écoles de l’imagination », le choix des modalités concrètes du contrôle parlementaire permet d’en attester. Gageons surtout qu’il y aura là une véritable opportunité à saisir pour les parlementaires. Autres temps, autres mœurs ?

Notes de bas de pages

  • 1.
    Avis n° 380 (2019-2020) de M. Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi (procédure accélérée) d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, déposé le 19 mars 2020, p. 8.
  • 2.
    Rapport n° 381 (2019-2020) de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, sur le projet de loi (procédure accélérée) d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 et sur le projet de loi organique (procédure accélérée) d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, déposé le 19 mars 2020, p. 22.
  • 3.
    CE, 8 août 1909, n° 56377, Labonne : Lebon, p. 737.
  • 4.
    CE, 2 mai 1973, n° 81861, Association cultuelle des israélites nord-africains de Paris : Lebon, p. 313.
  • 5.
    Levade A., « État d’urgence sanitaire : à nouveau péril, nouveau régime d’exception », JCP G, 13, p. 369 et s.
  • 6.
    Rapport n° 381 (2019-2020) de M. Philippe Bas, déposé le 19 mars 2020, p. 23.
  • 7.
    Rapport n° 2764 et 2765 de Mme Marie Guevenoux, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur les projets de loi, organique et ordinaire, adoptés par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, déposé le 20 mars 2020, p. 17.
  • 8.
    Au sens retenu par Armel Le Divellec, « des effets du contrôle parlementaire », Pouvoirs sept. 2010, n° 134, p. 123-139, not. p. 135 et s.
  • 9.
    Bergougnous G., « Un type de contrôle particulier de l’application des lois : le contrôle parlementaire de l’état d’urgence », Constitutions 2017, p. 228 et s.
  • 10.
    À ce propos, v. Benetti J., « Quel contrôle parlementaire de l’état d’urgence ? », Constitutions 2015, p. 518 ; v. égal., Fourmont A., « Le contrôle parlementaire renforcé en matière de lutte contre le terrorisme », in Les autorités de contrôle face à la lutte contre le terrorisme en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, colloque organisé à la faculté de droit de Strasbourg les 14 et 15 novembre 2019, Centre des études internationales et européennes.
  • 11.
    CE, avis, 18 mars 2020, n° 399873, sur un projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, § 18, p. 4.
  • 12.
    CE, avis, 18 mars 2020, n° 399873, sur un projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, § 18, p. 4.
  • 13.
    Cons. const., avis, 21 déc. 1966, n° 66-7 FNR, proposition de loi de M. Baudis, député, telle qu’elle résulte du rapport de la commission spéciale, concernant l’indemnisation des dommages subis par les Français rapatriés d’outre-mer, cons. 6.
  • 14.
    Texte n° 376 (2019-2020) de M. Édouard Philippe, Premier ministre, déposé au Sénat le 18 mars 2020.
  • 15.
    Amendement n° COM-26 rect., du 19 mars 2020, présenté par M. Bas, rapporteur.
  • 16.
    Le Divellec A., « Vers la fin du “parlementarisme négatif” à la française ? Une problématique introductive à l’étude de la réforme constitutionnelle de 2008-2009 », Juspoliticum 2011, n° 6.
  • 17.
    Fourmont A., « L’opposition parlementaire, un feuilleton trop tôt achevé », LPA 9 juill. 2018, n° 137j0, p. 24 et s.
  • 18.
    Pour plus de précisions, v. rapport n° 2766 et n° 387, de Mme Marie Guévenoux et de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, p. 40.
  • 19.
    Compte rendu intégral, AN, troisième séance du samedi 21 mars 2020, XVe législature, session ordinaire de 2019-2020.
  • 20.
    Compte rendu intégral, AN, troisième séance du samedi 21 mars 2020, XVe législature, session ordinaire de 2019-2020.
  • 21.
    Thiers É., « Le contrôle parlementaire et ses limites juridiques : un pouvoir presque sans entraves », Pouvoirs 2010, n° 134, p. 71-81, not. p. 71.
  • 22.
    Compte rendu analytique officiel du 22 mars 2020, discussion générale.
  • 23.
    Compte rendu analytique officiel du 22 mars 2020, discussion générale.
  • 24.
    À ce propos, voir Benetti J., « Quel contrôle parlementaire de l’état d’urgence ? », Constitutions 2015, p. 518 et s.
  • 25.
    Fourmont A., « Le contrôle parlementaire renforcé en matière de lutte contre le terrorisme », in Les autorités de contrôle face à la lutte contre le terrorisme en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, colloque organisé à la faculté de droit de Strasbourg les 14 et 15 novembre 2019, Centre des études internationales et européennes.
  • 26.
    Avril P., « L’introuvable contrôle parlementaire (suite) », Juspoliticum 2009, n° 3.
  • 27.
    Avril P., « L’introuvable contrôle parlementaire (suite) », Juspoliticum 2009, n° 3.
  • 28.
    Cons. const., 24 juin 1959, n° 59-2, règlement de l’Assemblée nationale ; Cons. const., 6 juin 1990, n° 90-275 DC, résolution modifiant l’article 145 du règlement de l’Assemblée nationale, cons. 2 ; Cons. const., 14 oct. 1996, n° 96-381 DC, résolution modifiant le règlement du Sénat, cons. 7 ; Cons. const., 9 avr. 2003, n° 2003-470 DC, résolution modifiant le règlement de l’Assemblée nationale, cons. 22 ; Cons. const., 26 févr. 2004, n° 2004-493 DC, résolution modifiant le règlement de l’Assemblée nationale, cons. 3 ; Cons. const., 25 juin 2009, n° 2009-581 DC, résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale, cons. 55.
  • 29.
    Benetti J., « Quel contrôle parlementaire de l’état d’urgence ? », Constitutions 2015, p. 518.
  • 30.
    Règl. Sénat, art. 20 et 21 ; règl. AN, art. 145 à 145-6.
  • 31.
    Benetti J., « Quel contrôle parlementaire de l’état d’urgence ? », Constitutions 2015, p. 518.
  • 32.
    Règl. AN, art. 137 à 144-2, et règl. Sénat, art. 8 ter.
  • 33.
    Doutes aussitôt dissipés à la lecture des travaux préparatoires portant sur l’article 145, alinéa 4, du règlement de l’Assemblée nationale qui excluent totalement l’hypothèse selon laquelle les missions d’information créées à l’initiative des présidents de chambre pourraient relever de la catégorie des « instances permanentes créées au sein de l’une des deux assemblées parlementaires pour contrôler l’action du gouvernement », visées par l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 et susceptibles de se voir attribuer les pouvoirs des commissions d’enquête. V. not. rapport n° 698 de M. Pascal Clément, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur la proposition de résolution (n° 613) tendant à compléter le règlement de l’Assemblée nationale et à modifier ses articles 14, 50, 65, 91, 104 et 128, p. 33-34. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est également explicite, v. not. Cons. const., 9 avr. 2003, n° 2003-470 DC, cons. 21 à 23 : saisi de la résolution introduisant cet article dans le règlement de l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel a bien rappelé que les missions d’information créées par la conférence des présidents sont des instances temporaires, insusceptibles donc, de relever de la deuxième catégorie des « instances permanentes ».
  • 34.
    Rapport n° 2996 de M. André Fanton, fait au nom de la commission des lois, déposé le 25 septembre 1996, p. 10 : « Les commissions pourront demander à bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête non seulement pour des travaux qu'elles réaliseront elles-mêmes en “formation plénière”, mais aussi pour ceux qu'elles auront décidé de confier à une mission d'information constituée en leur sein, voire pour la préparation d'un rapport d'information dont elles auront chargé un de leurs membres. Les missions d'information communes devront elles aussi pouvoir bénéficier de ces prérogatives, la demande initiale prévue à l'article 145-1 devant alors être présentée conjointement par les présidents des commissions permanentes à l'origine de leur constitution. » ; sur le sujet v. égal. Bloch J.-P., Cahoua P., Chabord O. et Dupas A., Les commissions à l’Assemblée nationale, janv. 2000, Connaissances de l’Assemblée nationale.
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