Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (1er semestre 2018) (1re partie)

Publié le 23/09/2019

La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique qui est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.

La chronique présentée ci-dessous couvre le premier semestre de l’année 2018.

Au cours de ce semestre, le Conseil a eu l’occasion de rendre une décision, n° 2017-681 R QPC du 16 février 2018, Sté Norbail-Immobilier, relative à une rectification d’erreur matérielle. La rectification d’erreur matérielle des décisions du Conseil est régie par l’article 13 du règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité : « Si le Conseil constitutionnel constate qu’une de ses décisions est entachée d’une erreur matérielle, il peut la rectifier d’office, après avoir provoqué les explications des parties et des autorités mentionnées à l’article 1er. Les parties et les autorités mentionnées à l’article 1er peuvent, dans les 20 jours de la publication de la décision au Journal officiel, saisir le Conseil constitutionnel d’une demande en rectification d’erreur matérielle d’une de ses décisions ».

La décision n° 2017-681 QPC du 15 décembre 2017, Société Marlin, avait jugé que la disposition contestée relative à l’exonération de la taxe sur les locaux à usage de bureaux, était conforme à la constitution. L’entreprise Norbail-Immobilier était intervenue dans ce contentieux QPC. Si le conseil a bien admis la rectification d’erreur matérielle à propos de l’inversion des parties intervenantes au paragraphe 3 de la décision 681 QPC, il a considéré que la demande visant à faire réexaminer les motifs de sa décision parce que le conseil n’aurait pas répondu aux griefs invoqués du fait de cette inversion conduisait à une remise en cause de la décision du 15 décembre 2017 et a rejeté, pour cette raison, cette conclusion.

MV

I – Les institutions constitutionnelles

A – Les pouvoirs politiques : le pouvoir exécutif (…)

B – Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative

Le retour de la procédure de « législation en commission » devant le Conseil constitutionnel (Déc. n° 2017-757 DC, 16 janv. 2018, Résolution pérennisant et adaptant la procédure de législation en commission). À l’instar de la loi dont elle encadre l’édiction, la procédure législative est souvent accusée d’être trop complexe, trop bavarde et trop longue. En réponse à ces critiques, les réformes destinées à simplifier la procédure parlementaire d’élaboration des textes se sont multipliées ces dernières années. Dans sa décision n° 2017-757 DC du 16 janvier 2018, le Conseil constitutionnel a donné son aval à l’inscription dans le règlement du Sénat de la résolution du 14 décembre 2017 pérennisant et adaptant la procédure de « législation en commission, en veillant cependant à ce que la chambre haute ne confonde pas, à l’avenir, vitesse et précipitation ».

Sous la Ve République, pendant plusieurs décennies, la question de la qualité de la procédure législative n’a pas suscité de réelles discussions. Les mécanismes de parlementarisme rationalisé introduits en 1958, tels que le vote bloqué (article 44, alinéa 3), l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur un texte (article 49, alinéa 3) ou les règles de fixation de l’ordre du jour (article 48), étaient censés permettre à la majorité d’obtenir l’adoption de son programme législatif dans des délais raisonnables. Toutefois, à partir du début des années 1980, deux phénomènes conjugués – l’obstruction parlementaire et l’augmentation du nombre de textes inscrits à l’ordre du jour – ont profondément alourdi le processus d’adoption des textes. Afin de faire face à ce phénomène, les deux assemblées ont expérimenté dans leur règlement des procédures d’examen simplifié des textes qui ont été progressivement ajustées. Dans une résolution adoptée le 4 octobre 1990, le Sénat a introduit une « procédure de vote sans débat » et une « procédure de vote après débat restreint »1. De son côté, l’Assemblée nationale a modifié une première fois son règlement le 7 mai 1991 afin d’y introduire une « procédure d’adoption simplifiée »2. Cependant, conformément à sa jurisprudence traditionnellement très stricte en matière de contrôle de constitutionnalité des règlements des assemblées3, le Conseil constitutionnel a très largement encadré les dispositifs de simplification de la procédure législative, au point de leur faire perdre une grande partie de leur intérêt en interdisant la limitation du droit d’amendement en séance.

L’intransigeance du Conseil constitutionnel a produit deux types de réactions. La première, propre au Sénat, a conduit à l’expérimentation de procédures qui n’ont pas été inscrites dans le règlement afin de ne pas être exposées à la censure. Ainsi la haute assemblée a-t-elle mis en place un mécanisme d’examen simplifié des projets de loi autorisant la ratification ou l’approbation d’une convention internationale ou fiscale4. La seconde a consisté à modifier le texte constitutionnel afin de mettre en échec la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En prévoyant désormais que le droit d’amendement « s’exerce en séance ou en commission », l’article 44 modifié par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 permet aux assemblées, dans les conditions fixées par une loi organique, de supprimer l’exercice du droit d’amendement dans l’une ou l’autre de ces enceintes. Si l’Assemblée nationale a donné sa préférence à des procédures d’allégement de la procédure législative alternatives, telles que le « temps législatif programmé » (articles 49 et 55 du règlement de l’Assemblée nationale), le Sénat a quant à lui a adopté un dispositif expérimental dans le cadre d’une résolution adoptée le 13 mai 2015. Lors de son contrôle, le Conseil constitutionnel a déclaré le dispositif conforme à la constitution et à la loi organique du 15 avril 2009 sous réserve, en particulier, du respect de l’exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire5. Le bilan de cette réforme ayant été jugé positif, le Sénat a décidé de pérenniser ce dispositif, en procédant cependant à certains ajustements par le biais de la résolution du 14 décembre 2017 soumise au Conseil constitutionnel.

Il faut le souligner d’emblée, l’intitulé retenu de la résolution (« procédure de législation en commission ») est inadapté dans la mesure où, contrairement aux commissions italienne ou espagnole par exemple, les commissions du Sénat ne peuvent nullement être habilitées à voter les lois. La réforme permet seulement, en effet, de circonscrire la discussion sur les amendements en commission afin de réserver la séance au vote sur l’ensemble du texte. Elle habilite la conférence des présidents, sur demande du président du Sénat, du président de la commission saisie au fond, du président d’un groupe ou du gouvernement, à décider que le droit d’amendement sur tout ou partie d’un texte ne s’exercera qu’en commission. De leur côté, le gouvernement, le président de la commission saisie au fond ou un président de groupe parlementaire ont la faculté de s’opposer à la mise en œuvre de cette procédure ou d’exiger le retour à la procédure normale d’examen du texte pour tout ou partie de celui-ci. Au regard du contenu de ce dispositif, le terme de « procédure d’examen simplifiée » retenu par l’article 16 de la loi organique du 15 avril 2009 semble en définitive plus adéquat.

Le 16 décembre 2017, le Conseil constitutionnel a été saisi de la résolution transmise par le président du Sénat. Ainsi que le prévoit l’article 61, alinéa 1 de la constitution, le Conseil constitutionnel est obligatoirement saisi du règlement de chaque assemblée. Traditionnellement, ce n’est pas de gaieté de cœur que le Sénat soumet les modifications de son règlement au Conseil constitutionnel. En 1959, il avait attendu près d’un an et demi avant de corriger les dispositions déclarées non conformes par le Conseil lors de sa première saisine sur le règlement du Sénat. De son côté, le gouvernement, de façon inédite en matière de contrôle d’une résolution parlementaire, a fait parvenir des observations qui ont été enregistrées le 28 décembre 2017 en vue d’attirer l’attention du Conseil constitutionnel sur l’interprétation qu’il convenait de donner à une disposition ambiguë de la résolution.

Le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel se situe dans le prolongement de celui exercé dans le cadre de la décision rendue le 11 juin 2015 sur la résolution du 13 mai 2015. À l’issue de celui-ci, il a déclaré l’ensemble des dispositions soumises à son examen conforme à la constitution, sous réserve toutefois du respect, pour certaines d’entre elles, de l’effectivité du droit d’amendement, des droits du gouvernement et des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire. Le Conseil a donc donné son aval à ce nouveau moyen d’écourter le processus législatif (I), en veillant cependant au respect de certaines garanties procédurales minimales (II).

I. Permettre la simplification de la procédure législative

Le Conseil constitutionnel a validé l’ensemble des dispositions relatives à la procédure d’examen simplifiée. Le contrôle exercé selon des modalités traditionnelles n’ayant mis en lumière aucune méconnaissance des normes de référence (A), la volonté du Sénat d’établir un dispositif flexible a été préservée (B).

A. Une méthode de contrôle éprouvée

Dans son premier considérant, le Conseil constitutionnel a rappelé la spécificité du contrôle qu’il exerce sur les règlements des chambres. Se référant aux « exigences propres à la hiérarchie des normes juridiques dans l’ordre interne », il a rappelé que « la conformité à la constitution des règlements des assemblées parlementaires doit s’apprécier au regard tant de la constitution elle-même que des lois organiques prévues par celle-ci ainsi que des mesures législatives prises pour son application »6.

En l’espèce, la résolution adoptée par le Sénat a été confrontée à plusieurs normes de référence. Premièrement, l’article 44 de la constitution relatif à l’exercice en séance ou en commission du droit d’amendement. Deuxièmement, l’exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire dégagée de manière prétorienne par le Conseil constitutionnel. Troisièmement, la loi organique à laquelle l’article 44 C renvoie, adoptée le 15 avril 2009 et prévoyant en son article 16 que l’introduction dans les règlements des assemblées d’une procédure d’examen simplifiée est possible sous réserve de l’absence d’opposition du gouvernement, du président de la commission saisie au fond ou du président d’un groupe. Quatrièmement, l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

La diversité des normes de référence auxquelles se réfère le Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle du règlement de chaque assemblée n’est pas nouvelle. Dans sa décision n° 2 DC, il avait déjà apprécié la constitutionnalité du règlement de l’Assemblée nationale à la lumière de la constitution, mais aussi de l’ordonnance du 24 octobre 1958 portant loi organique relative aux conditions d’éligibilité et aux incompatibilités parlementaires. L’extension des normes de référence aux ordonnances organiques adoptées en vertu de l’ancien article 92 de la constitution lors de l’instauration de la Ve République, mais aussi aux ordonnances ordinaires prévues par ce même article, suscite traditionnellement des critiques. Ces ordonnances, en effet, n’ont pas fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité préalable. Il reste, cependant, qu’elles ont pour la plupart été modifiées par des lois organiques et des lois ordinaires qui ont pu, quant à elles, être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. Il en va ainsi pour la majorité des dispositions de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, laquelle figure dans les visas de la décision considérée.

À ces normes de référence, il faut ajouter le renvoi opéré par le Conseil à la décision n° 2015-712 DC du 11 juin 2015, dans laquelle il avait contrôlé le dispositif expérimental de procédure d’examen simplifiée introduit par la résolution du 13 mai 2015. Dans la mesure où la résolution contrôlée reprend les principaux aspects du dispositif expérimental qui avait été soumis à son examen, il était normal que le Conseil constitutionnel indique qu’il exercerait son contrôle en considération de la décision qu’il avait rendue sur ce dispositif. Le renvoi du Conseil constitutionnel à sa propre jurisprudence est une pratique habituelle. Dès 1959, lors du contrôle du règlement définitif de l’Assemblée nationale, il s’était référé à « la décision délibérée par le Conseil constitutionnel dans ses séances des 17, 18 et 24 juin 1959 » rendue un mois auparavant7. En l’espèce, la référence à sa décision du 11 juin 2015 est l’occasion de rappeler l’autorité qu’il attache à ses propres décisions en vertu de l’article 62 de la constitution. En dehors de l’hypothèse d’un changement de circonstances de droit ou de fait, le Conseil constitutionnel s’interdit de traiter différemment des dispositions ayant un objet analogue à un texte déjà examiné.

Les conditions du contrôle des règlements des assemblées ayant été rappelées, le Conseil a examiné la résolution en se montrant soucieux de préserver, en particulier, la flexibilité de la procédure d’examen simplifiée.

B. Une souplesse du dispositif maintenue

La résolution du 14 décembre 2017 a introduit deux dispositions assurant une certaine souplesse à la procédure d’examen simplifiée. En dépit d’ambiguïtés dans leur formulation, le Conseil constitutionnel ne les a pas déclarées contraires à la constitution et aux textes auxquels elle renvoie.

D’une part, dans le prolongement de la résolution du 13 mai 2015, l’alinéa 3 du nouvel article 47 ter de la résolution du 14 décembre 2017 a attribué au président de la commission saisie au fond ou à un président de groupe la faculté de refuser le recours à la procédure d’examen simplifiée. L’alinéa 12 de ce même article, quant à lui, leur permet de demander le retour à la procédure législative normale, dans laquelle des amendements peuvent être examinés en commission et en séance. En raison d’une rédaction un peu maladroite, il était possible d’interpréter ce dispositif comme permettant à la Conférence des présidents de s’opposer à ce retour à la procédure normale. Suivant la demande circonstanciée exprimée par le gouvernement dans ses observations, le Conseil constitutionnel a déclaré ce dispositif conforme à l’article 16 de la loi organique du 15 avril 2009. En ayant recours à la technique de la conformité sous réserve inaugurée par le Conseil dès la décision n° 2 DC en dehors de tout fondement constitutionnel, il a émis une réserve d’interprétation neutralisante lui permettant d’exclure une interprétation jugée contraire à la constitution. Selon l’article 16 de la loi organique, seuls le gouvernement, le président de la commission saisie au fond ou un président d’un groupe peuvent s’opposer à la procédure d’examen simplifiée. En s’appuyant sur les travaux parlementaires, le Conseil a implicitement raisonné par analogie en réservant à ces mêmes autorités la faculté de demander un retour à la procédure normale. En revanche, il a précisé que la Conférence des présidents n’avait pas faculté de s’y opposer (6.).

D’autre part, de façon novatrice par rapport à la résolution du 13 mai 2015, la résolution du 14 décembre 2017 a introduit à l’alinéa 4 du nouvel article 47 ter une disposition prévoyant que « la procédure de législation en commission peut être décidée pour certains articles seulement d’un texte susceptible d’en relever ». Autrement dit, la résolution soumise au Conseil avait prévu une procédure d’examen simplifiée « à la carte », permettant aux instances visées par la loi organique et le règlement du Sénat de déterminer la procédure qu’ils entendent appliquer à chaque disposition d’un texte examiné. En s’abstenant de préciser son raisonnement, le Conseil constitutionnel a jugé ce dispositif conforme à l’article 16 de la loi organique du 15 avril 2009. Pourtant, eu égard à la rigueur dont il fait traditionnellement preuve lors du contrôle des règlements des chambres, le Conseil aurait pu censurer ce dispositif ou émettre une réserve d’interprétation en considérant, d’une part, que l’article 16 n’envisageait pas expressément la possibilité de diviser un texte, d’autre part, qu’une telle dissociation aurait porté atteinte à l’exigence de clarté et de sincérité des débats (7.).

En ne se montrant pas excessivement formaliste dans le cadre du contrôle des dispositions introduisant une certaine souplesse dans la procédure d’examen simplifiée, le Conseil constitutionnel a témoigné de son attachement à la pérennisation de cette procédure au Sénat. Dans le même temps, cependant, il a veillé à ce que la simplification du travail législatif soit opérée sans remettre en cause certaines garanties procédurales.

II. Préserver la qualité de la procédure législative

Dans la décision commentée, les interprétations et réserves formulées par le Conseil constitutionnel révèlent une volonté de concilier la procédure d’examen simplifiée avec le respect de certaines exigences qui laissent entrevoir, en filigrane, la conception que se fait le Conseil constitutionnel d’une procédure législative de qualité. Le Conseil a spécialement veillé, d’une part, à ce que la mal nommée « législation en commission » n’altère pas excessivement la forme et la substance des échanges lors de l’élaboration de la loi (A), et d’autre part, à ce que cette procédure ne perturbe pas l’équilibre des pouvoirs (B).

A. Préserver la clarté et la sincérité des débats

Plusieurs dispositions introduites par la résolution du 14 décembre 2017 ont été examinées par le Conseil constitutionnel à la lumière de l’exigence de clarté et de sincérité des débats. Pendant longtemps, l’encadrement des discussions au Parlement par des règles procédurales a été jugé suffisant pour assurer la qualité des échanges. Des recherches récentes en science politique ont démontré, cependant, qu’il ne suffisait pas qu’un processus de décision remplisse des critères de logique formelle pour qu’il soit conduit « selon une voie intelligente »8. Dans cette perspective, le Conseil constitutionnel a dégagé de l’interprétation combinée de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et de l’article 3 de la Constitution une exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire. Apparue dans la décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005 relative à la loi pour l’avenir de l’école (c. 4) et dans la décision n° 2005-526 DC, relative à la modification du règlement de l’Assemblée nationale du 13 octobre 2005 (c. 5), l’exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire reste une notion aux contours flous, dont le contenu se construit au fil des décisions. Il est cependant admis qu’elle a vocation à empêcher l’usage abusif de certaines dispositions réglementaires afin de préserver la qualité des échanges.

Comme il l’avait fait lors du contrôle de la résolution du 13 mai 2015, le Conseil constitutionnel s’est référé à plusieurs reprises à l’exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire afin de prévenir certaines dérives dans le cadre de la procédure d’examen simplifiée. D’abord, il a invoqué cette exigence dans le cadre du contrôle de la disposition attribuant à la Conférence des présidents la compétence en matière de fixation du délai pour le dépôt des amendements en commission. Après avoir relevé que le délai fixé ne devait pas porter atteinte au droit d’amendement reconnu aux membres du Parlement, le Conseil a considéré qu’il appartenait à la Conférence des présidents de concilier la préservation de l’effectivité du droit d’amendement avec les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire (10.). Ensuite, il a indiqué que les limitations du temps de parole en commission et en séance dans le cadre de la procédure d’examen simplifiée devaient être prononcées en considération de ces mêmes exigences (14 et 16).

L’usage fait par le Conseil constitutionnel de cette exigence confirme sa finalité modératrice. Elle doit permettre d’assurer, tout à la fois, la régulation du droit d’amendement et celle du temps de parole. Son invocation témoigne, plus largement, de l’attachement du Conseil constitutionnel à ce que la plus grande brièveté du travail législatif ne se fasse pas au détriment de la qualité des débats. En définitive, la décision résonne comme un avertissement pour le Sénat : la méconnaissance de certaines garanties minimales dans le cadre de la procédure d’examen simplifiée pourra entraîner la censure de tout ou partie de la loi adoptée.

L’attachement du Conseil à préserver un certain niveau de qualité du processus législatif se constate également à la lumière des moyens déployés en vue de ne pas troubler les rapports entre gouvernement et Parlement.

B. Préserver l’équilibre des rapports institutionnels

Selon le Conseil constitutionnel, la qualité du processus législatif peut être appréciée en considération de la forme et du contenu des débats, mais aussi à la lumière des rapports entretenus par le gouvernement et la représentation nationale. Dans ce sens, le Conseil constitutionnel a veillé à ce que la procédure d’examen simplifiée ne bouleverse pas la nature des relations qui unissent les ministres et le Sénat dans le cadre de l’élaboration de la loi.

À l’exception de l’interprétation neutralisante de la disposition laissant penser que la Conférence des présidents, dominée par la majorité, pouvait s’opposer à une demande de retour à la procédure législative normale exprimée par un président de groupe, la décision du Conseil constitutionnel témoigne de son souci de préserver l’ascendant du gouvernement et de sa majorité sur l’opposition dans la confection des textes.

D’une part, conformément à une jurisprudence constante, le Conseil a donné une interprétation rigoureuse pour le Sénat de l’article 40 de la constitution relatif à l’irrecevabilité financière9. Ainsi, alors que la résolution se bornait à prévoir, par renvoi à l’article 28 ter du règlement du Sénat, que les amendements déposés en commission font l’objet d’un examen systématique de leur recevabilité au regard de l’article 40, le Conseil a estimé, en se référant à la réserve d’interprétation qu’il avait énoncée lors du contrôle de la résolution du 13 mai 2015, que « cet examen ne fai[sait] pas obstacle à ce que l’irrecevabilité financière des amendements et des propositions de loi puisse être soulevée à tout moment lors de leur examen en commission » (5.).

D’autre part, le Conseil constitutionnel a donné à l’article 47 quinquies, introduit par la résolution soumise à son examen, une interprétation protectrice du gouvernement. Cette disposition, relative aux conditions d’examen en séance du texte ou de la partie du texte adopté en commission dans le cadre de la procédure abrégée, fixait des règles concernant la durée des interventions et l’organisation des interventions des sénateurs par la Conférence des présidents. En s’abstenant de fonder expressément son analyse sur une disposition constitutionnelle, le Conseil a indiqué que la Conférence des présidents ne pouvait pas limiter le temps de parole du gouvernement (16.). Cette réserve d’interprétation, qui aurait pu être justifiée par l’invocation de l’article 31 de la constitution au terme duquel « [l]es membres du gouvernement (…) sont entendus [par les assemblées] quand ils le demandent », a permis d’éviter la censure du dispositif tout en préservant, à l’avenir, la liberté de parole du gouvernement en séance.

La mal nommée « législation en commission » est une procédure abrégée. Elle n’est pas une procédure dénaturée. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a veillé à ne pas contrarier le volontarisme du Sénat tout en préservant les équilibres qui président à l’élaboration de la loi sous la Ve République. En l’absence de déclaration d’inconstitutionnalité, la résolution relative à la procédure d’examen simplifié n’a pas eu à faire l’objet du contrôle à double détente qui permet au Conseil, à l’occasion d’une seconde saisine, de s’assurer que le texte a été modifié conformément à sa première décision10. Les réserves d’interprétation exprimées lors de l’examen du texte, quant à elles, n’ont pas découragé le recours à cette procédure puisque, à ce jour, six textes de loi ont été examinés en application de celle-ci. Le Conseil constitutionnel a donc donné son aval à un dispositif effectif qui précède habilement certains mécanismes envisagés par le gouvernement dans le cadre du projet de réforme institutionnel afin de renforcer la célérité de la procédure législative.

BLC

1 – Les validations législatives (…)

2 – Le contrôle de la procédure législative

Pour une illustration, voir cette chronique III.B-2, commentaire de la décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018, loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (v. infra – I.)

MB

3 – La compétence et le domaine de la loi

Le premier semestre 2018 n’a connu que deux décisions « L » rendues le même jour, 13 avril 2018, à la demande du Premier ministre, conformément à l’article 37, alinéa 2 de la constitution. Il s’agit, pour le Conseil constitutionnel, de seulement se prononcer sur la nature législative ou réglementaire de dispositions d’une loi déjà promulguée. L’identité des questions soulevées explique aussi la concomitance des dates. La décision n° 271 L est relative aux articles L. 521-16-1 et L. 521-16-2 du Code de l’énergie, le Conseil devant statuer sur les mots « en Conseil d’État » figurant aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 521-16-1 du Code de l’énergie et aux premier, quatrième, cinquième et sixième alinéas de l’article L. 521-16-2 du même code.

Ces articles fixent les conditions dans lesquelles l’autorité administrative peut regrouper des contrats de concession d’énergie hydraulique, soit qu’elles relèvent d’un même concessionnaire, soit de plusieurs. Dans les deux cas, l’autorité administrative procède au regroupement de concessions hydrauliques par décret en Conseil d’État, lorsqu’elles forment « une chaîne d’aménagements hydrauliquement liés ». Parce que le maintien de l’équilibre économique des contrats regroupés par l’autorité administrative ainsi que l’égalité de traitement entre les concessionnaires sont assurés par d’autres dispositions que celles dont le déclassement est demandé, l’obligation de recourir à un décret en Conseil d’État pour procéder au regroupement des contrats de concession ne saurait être regardée comme constituant, pour les personnes intéressées par de tels actes, une garantie essentielle mettant en cause les principes fondamentaux « du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales » qui relèvent de la loi en vertu de l’article 34 de la constitution. La soumission obligatoire d’un décret au Conseil d’État ne constitue donc pas, à elle seule, une garantie de protection de droits constitutionnellement garantis et sa suppression peut être effectuée par décret dont il n’est pas sûr qu’il ne doive pas être soumis au Conseil d’État dans ses formations administratives. Mais les décrets en Conseil d’État et les décrets simples obéissent à des régimes différents.

La décision n° 2018-272 L du 13 avril 2018 intéresse, quant à elle, la nature juridique de certaines dispositions de l’article L. 2111-1 du Code général des collectivités territoriales qui dispose que le changement de nom d’une commune est décidé par décret en Conseil d’État, sur demande du conseil municipal et après consultation du conseil départemental. Là encore c’est la nature juridique des mots « en Conseil d’État » que le Conseil devait apprécier et comme dans la décision précédente, cette obligation de recourir à un décret en Conseil d’État ne peut être regardée comme constituant, pour les personnes et collectivités intéressées par de tels actes, une garantie essentielle mettant en cause les règles et les principes fondamentaux que la constitution a placés dans le domaine de la loi. Le Conseil constitutionnel ne se prononce pas sur ces règles et principes qui auraient été susceptibles d’être remis en cause, mais on peut supposer que figure en bonne place le principe de libre administration des collectivités territoriales. En faisant référence aux « personnes intéressées », le Conseil veut-il signifier que d’autres personnes que les collectivités pourraient être concernées par le changement de nom d’une commune ? Il faudra attendre d’autres contentieux pour le savoir.

MV

C – Le pouvoir juridictionnel (…)

D – Le pouvoir financier

Un acte nouveau soumis à un contrôle connu (Déc. n° 2017-760 DC du 18 janvier 2018 Loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022). Le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 est le cinquième d’une série de normes nouvelles : les lois de programmation créées par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 et imposées par la ratification en France du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG), signé le 2 mars 2012 et ayant amené le législateur à adopter la loi organique du 17 décembre 201211 pour encadrer le régime de ces outils inédits.

Ladite loi de programmation avait été adoptée en procédure accélérée en première lecture par l’Assemblée nationale puis par le Sénat avant que l’Assemblée nationale appose son dernier mot, le 21 décembre 2017. Jusque-là, rien de très remarquable, à part que deux recours furent formés contre cette loi par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs des groupes LR de l’Assemblée nationale et du Sénat, signant ainsi la première saisine du Conseil constitutionnel à propos d’une loi de programmation des finances publiques (LPFP).

La lecture de la décision ne peut que laisser le commentateur déçu face aux enjeux du contrôle de ce nouveau type de lois programmatiques dont on ne sait pas très bien si elles définissent des objectifs ou des ordres et qui auraient sans doute mérité, ne serait-ce qu’un rappel du cadre de référence pour ces normes sui generis.

Les deux saisines contestant uniquement l’article 29 de la LPFP, la décision s’y est également limitée et l’on ne peut retrouver dans ce contrôle qu’une mince réponse concernant la nature de ces lois de programmation (I), alors que l’on y retrouve sans surprise la jurisprudence très centralisatrice du Conseil constitutionnel à propos des sujétions imposées aux collectivités locales (II).

I. Contrôler la programmation

A. De nouvelles normes

Il s’agissait d’une première. Le Conseil constitutionnel n’avait, en effet, jamais par le passé eu l’occasion de se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi de programmation, qu’il s’agisse des lois de programmation avant l’adoption du TSCG12, ou des nouvelles lois de programmation post ratification du traité et adoption de la loi organique de mise en œuvre13.

Cette absence d’intérêt des saisissants est tout à fait contradictoire avec la nature et la portée très originale de ces normes.

Depuis la ratification du TSCG qui a conduit à l’adoption de la loi organique du 17 décembre 2012, ces lois ont un domaine obligatoire, à la manière des lois de finances. Elles se doivent de définir les orientations générales des finances publiques mais également les soldes effectifs et structurels de toutes les administrations publiques françaises, en vue de démontrer la prise en compte en droit national de l’objectif à moyen terme fixé par les institutions européennes. Ces lois n’ont donc aucun autre objectif que de rassurer la Commission européenne sur la bonne tenue des comptes publics, mais surtout sur la bonne volonté de l’État français à mettre en œuvre, dans un cadre pluriannuel, les orientations de politiques budgétaires fixées directement par l’Union européenne – qui s’étendent aujourd’hui sans plus s’en cacher aux objectifs de politique générale. Paradoxalement avec leur nature plutôt contraignante pour le législateur national, le parlement français s’est montré friand de ces nouveaux outils, notamment pour des raisons de conjoncture politique. Le législateur pouvant y revenir avant l’échéance du terme (une LPFP couvre normalement une période minimale de trois ans), c’est ce qu’il a fait, après l’adoption de la première LPFP de 2011 à 2014, en adoptant une nouvelle loi pour 2012 censée courir jusqu’en 2017. Celle-ci ayant été interrompue par l’adoption d’une nouvelle loi en 2014 censée couvrir la période jusqu’en 2019, elle-même de nouveau arrêtée dans sa course par l’adoption de la loi déférée, de 2018 jusqu’en 2022. Le législateur a utilisé ces normes de manière à affiner chaque année les prévisions qui y sont inscrites, mais également afin de tenir compte des nouvelles majorités parlementaires et des nouveaux objectifs de politiques publiques. En ce sens, la dernière loi de programmation déférée était censée être celle du retour à un certain équilibre (déficit en dessous de la barre des 3 %) qui n’est plus aujourd’hui qu’un vœu pieux alors que la dépense publique continue d’enfler.

B. De nouveaux objectifs

Outre l’engouement que suscite cet outil de prévision financière, il faut également noter sa particularité ontologique. En effet, à la manière des directives européennes, les lois de programmation des finances publiques sont des actes contenant des « objectifs ».

Depuis la réforme constitutionnelle de 2008 la constitution tolère ces lois-neutrons et cela malgré une réticence historique de la France pour la soft law, si l’on s’en réfère au fameux discours sur le Code civil de Portalis. Cette ouverture constitutionnelle nouvelle – particulièrement adaptée à la manière par nature prospective des finances publiques, comme le démontre l’office tout particulier du Haut conseil des finances publiques – contredit en effet la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Se référant au dogme suivant lequel la loi qui bavarde ne peut être correctement entendue, ce dernier avait renforcé en 200514 le sens de sa jurisprudence constante qui visait à déclarer inconstitutionnelle toute disposition de loi dépourvue de portée normative.

La portée juridique assez faible des lois de programmation des finances publiques force en effet à une gymnastique intellectuelle à laquelle le Conseil n’est pas rompu. Comment contrôler une loi qui ne dispose rien d’autre que des vœux, pour atteindre un objectif qui va bien au-delà des dispositions constitutionnelles ou organiques ? Qui est le juge de la réalité de ces programmations et comment contrôler la constitutionnalité de normes qui prévoient, sans disposer, là où la constitution oblige plutôt à une certaine rationalité législative ? Il aurait été intéressant de connaître la position du Conseil constitutionnel face à une loi entièrement fondée sur des objectifs, notamment pour vérifier s’il lui aurait appliqué sa jurisprudence, particulièrement stricte15, développée à propos des objectifs du législateur.

Ces questions resteront aujourd’hui sans réponse et cela pour plusieurs raisons.

D’abord, le législateur lui-même ne s’est pas particulièrement astreint à conserver le caractère programmatique de ces lois puisque l’on pourrait parfois les assimiler aux anciennes lois portant diverses dispositions en matière financière (véritables patchworks législatifs). On peut retrouver dans ces lois de programmation des dispositions impératives. Le législateur choisit ce socle de la LPFP pour y insérer des dispositions pluriannuelles qui lui permettent plus de souplesse qu’en matière de lois de finances enfermées dans le cadre de l’annualité budgétaire et comptable. Les articles 2 et 4 de la loi organique de 2012 permettent cette pratique. Ils ajoutent au domaine obligatoire des LPFP, un domaine facultatif double qui peut autoriser le législateur à adopter au sein de la LPFP, soit des « orientations pluriannuelles relatives à l’encadrement des dépenses, des recettes et du solde ou au recours à l’endettement de tout ou partie des administrations publiques »16, soit « des règles relatives à la gestion des finances publiques ne relevant pas du domaine exclusif des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale ainsi qu’à l’information et au contrôle du Parlement sur cette gestion (…) »17. Il s’agit bien là de dispositions à caractère normatif et c’est sur cet article 4 que se fonde la loi déférée18.

Ensuite, on peut également en vouloir aux requérants qui n’ont pas eu d’audace. Ni les parlementaires, ni les présidents d’assemblées, ni le Premier ministre n’ont été curieux des délices de la découverte de la nature du contrôle de constitutionnalité d’un nouvel acte de contrôle (démontrant encore s’il en était besoin le caractère très politique du contrôle a priori), préférant, soit ne pas en saisir le Conseil, soit l’appeler à statuer sur un article précis.

Enfin, le Conseil constitutionnel lui-même n’a pas saisi l’opportunité qui était la sienne. Comme il le fait régulièrement, il aurait pu rappeler le « cadre de référence », les « normes constitutionnelles applicables » à ce contrôle nouveau. Concernant les lois du pays, les lois organiques, les lois de ratification des traités, les lois d’habilitation ou de ratification des ordonnances, les lois de finances, les lois de financement de la sécurité sociale, les lois référendaires ou encore les lois constitutionnelles, il a pourtant, à chaque fois, développé un contrôle de constitutionnalité à part entière, s’adaptant à l’objet particulier de chacun des actes. Il a d’ailleurs depuis longtemps capitulé face à l’originalité des LPFP en considérant qu’était bien conforme à la constitution la faculté laissée au législateur, reconnue par la loi organique, d’introduire des dispositions normatives dans la LPFP. Il a précisé que si ce contenu facultatif « ne correspond pas au domaine des lois de programmation des finances publiques tel que défini par le vingt-et-unième alinéa de l’article 34 de la constitution, le vingt-deuxième alinéa de cet article habilite, toutefois, le législateur à préciser et compléter les dispositions du vingt-et-unième alinéa (…). Le législateur organique a défini un domaine facultatif se bornant à des dispositions relatives à la gestion des finances publiques ainsi qu’à des dispositions relatives à l’information et au contrôle du Parlement sur cette gestion »19. Ce laxisme laisse songeur.

On ne peut donc qu’être déçu de voir le législateur, les requérants et le Conseil constitutionnel assimiler les LPFP aux lois de finances – voire pire, aux lois ordinaires ! – sans se saisir de l’occasion pour consacrer un contrôle de constitutionnalité adapté aux dispositions programmatiques.

II. Programmer le contrôle

A. Une contractualisation autoritaire

Il fallait donc s’en remettre à la décision du Conseil constitutionnel telle qu’elle a été rendue et analyser le seul article 29 de la loi, relatif au nouveau dispositif de contractualisation dont l’objet est de « consolider la capacité d’autofinancement » de ces collectivités et d’organiser leur « contribution à la réduction des dépenses publiques et du déficit public ».

Passé relativement inaperçu, ce dispositif n’en est pas pour autant profondément novateur dans ses méthodes et attentatoire à la liberté budgétaire des collectivités territoriales.

Le dispositif de la « contractualisation » s’applique à l’ensemble des collectivités territoriales mais également aux EPCI à fiscalité propre dont le montant réel de dépenses de fonctionnement (en 2016) dépasse les 60 millions d’euros. Chaque contrat, signé pour trois ans (jusqu’en 2020, donc) entre le représentant de l’État et le maire ou le président d’exécutif, détermine des objectifs d’évolution des dépenses réelles de fonctionnement et le besoin de financement de la collectivité ou l’EPCI.

Mais ce dispositif souple se double d’un volet plutôt contraignant. Étroitement, l’État fixe le périmètre des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités témoins et fixe un niveau maximal annuel de ces dépenses, défini sur la base du taux de croissance annuel et correspondant à un « objectif national d’évolution des dépenses des collectivités territoriales ». Le législateur reprend ici les mécanismes de l’objectif national des dépenses de l’assurance maladie (ONDAM) propres aux lois de financement de la sécurité sociale qui, s’ils sont adaptés à la nature particulière d’un montant de financement de ces organismes dont il est impossible de déterminer le niveau réel de recettes et de dépenses, semble tout à fait inadapté pour le cas de collectivités publiques censées être libres de fixer leur niveau de recettes, comme leur niveau de dépenses sur la base de décisions de pure politique locale. Cet objectif national, purement indicatif, est fixé à 1,2 % dans la loi déférée et peut être marginalement modulé à la hausse ou la baisse (dans des conditions particulièrement strictes). S’éloignant de l’ONDAM, le législateur a prévu de ne pas s’en remettre qu’à une politique de prévision, mais à un procédé autoritaire de fixation étatique d’un montant maximal de dépenses locales puisque le § 5 du projet prévoit qu’en cas de dépassement du plafond par la collectivité ou l’EPCI, l’État s’autorise à appliquer une « reprise financière »20. Cette reprise qui n’est autre qu’une amende – en tout cas une punition au sens du droit pénal conventionnel et constitutionnel des droits de l’Homme – prend la forme d’un prélèvement (plafonné) sur les impositions locales perçues par l’État pour le compte des collectivités ou sur le fonds de soutien exceptionnel à destination des régions.

Nul doute que sous les attraits d’un vocabulaire « contractuel », l’État impose bien sa volonté aux collectivités territoriales et il n’est, en cela, pas le seul responsable. Rappelons que pour l’Union européenne et les organismes de gestion financière, les administrations publiques sont formées d’un ensemble d’autorités (étatiques, locales ou de sécurité sociale) collectivement responsables de l’effort budgétaire et du respect des « critères de Maastricht ».

B. Une autonomie financière atone

Pourtant saluées par la Cour des comptes pour leur bonne santé financière, les collectivités territoriales, dont les ressources ont été déjà considérablement affaiblies par la continuelle baisse des dotations étatiques et la suppression ou la transformation des plus importants impôts locaux, se trouvent désormais contraintes dans leur capacité de dépenses.

Sans plus de libre disposition des ressources (rappelons que la constitution exige « une part substantielle de ressources propres » que le Conseil constitutionnel peine à reconnaître dans son intégrité), ni de liberté des dépenses, on est autorisé à se demander ce qu’il reste de l’autonomie financière des collectivités territoriales de l’article 72-2 de la constitution.

Le Conseil constitutionnel a estimé que la redéfinition de la taxe professionnelle et même la suppression de la taxe d’habitation21 ne méconnaissaient pas le principe d’autonomie financière. Il poursuit ainsi une jurisprudence timide qu’il applique plus largement à propos de la protection de la libre administration des collectivités : il a en effet considéré que la création d’un conseiller territorial unique pour le département et la région22 ou encore la diminution du nombre de régions23 ne méconnaissaient pas cette liberté.

En l’espèce, le Conseil constitutionnel a rappelé que le législateur peut, sur le fondement des articles 34 et 72 de la constitution, « assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations et à des charges », à condition d’invoquer des exigences constitutionnelles ou des fins d’intérêt général, d’adopter des dispositions précises dans leur objet et à condition que « la compétence propre des collectivités concernées » et leur libre administration ne soient pas méconnues.

Pour la contractualisation, le Conseil constitutionnel a retenu que le dispositif s’appuyait sur l’exigence de la règle d’or imposée par le TSCG et rappelé par l’article 34 avant-dernier alinéa de notre constitution, ce qui suffisait à remplir la condition d’intérêt général. Concernant la proportionnalité de la mesure, il a rappelé que l’encadrement étatique était adapté pour tenir compte des différentes contraintes particulières des collectivités territoriales ou encore de la variation de leur potentiel fiscal par habitant. Enfin, il a estimé qu’alors que le dispositif de reprise financière n’était mené qu’à l’issue d’une procédure contradictoire et sous le contrôle du juge administratif, la violation de la libre administration n’était pas d’une « gravité telle » que les exigences constitutionnelles en soient méconnues.

On retrouve là la logique de seuil qui anime la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de libre administration et qui revient, finalement, à tolérer des violations de cette liberté, tant qu’elles sont prises sous le couvert d’autres exigences d’intérêt général.

Triste année pour les collectivités locales…

ACB

(À suivre)

E – Les collectivités décentralisées

F – Droits électoraux, contentieux des élections et des référendums

II – Le procès constitutionnel

A – Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel

B – Les techniques contentieuses et la procédure

C – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel

III – Les normes de références

A – Les sources matérielles

1 – Les textes constitutionnels

2 – Les rapports de systèmes

B – Les droits et libertés

1 – Les libertés

a – Sécurité et libertés

b – Liberté individuelle, respect de la vie privée, principe de responsabilité

c – Liberté d’expression / Liberté de conscience

d – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle

2 – Le droit de propriété

3 – Le principe d’égalité

a – Principe d’égalité devant la loi

b – Principe d’égalité devant la loi fiscale et les charges publiques – Droits et libertés en matière fiscale

4 – Les droits sociaux

5 – Les principes du droit répressif

a – Principes de légalité, nécessité et individualisation des délits et des peines

b – Droits de la défense – sanctions ayant le caractère de punition

6 – Les droits processuels

a – Le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, l’égalité devant la justice et le principe d’impartialité et d’indépendance des juridictions

b – Le principe de sécurité juridique

Notes de bas de pages

  • 1.
    Sénat, « Résolution modifiant les articles 16, 24, 29 et 48 du règlement du Sénat et introduisant dans celui-ci des articles 47 ter, 47 quater, 47 quinquies, 47 sexies, 47 septies, 47 octies, 47 nonies et 56 bis A », 1990, 6 p.
  • 2.
    Assemblée nationale, Résolution du 7 mai 1991 modifiant les articles 43, 44, 81, 83, 87, 91, 103 à 108, 126, 127 et 146 du règlement de l’Assemblée nationale, 14 p.
  • 3.
    Cons. const., 24 juin 1959, n° 59-2 DC.
  • 4.
    Sénat, « Rapport fait au nom de la commission des lois sur la proposition de résolution de M. Gérard Larcher visant à pérenniser et adapter la procédure de législation en commission », 2017, M. Philippe Bas, p. 15.
  • 5.
    Cons. const., 11 juin 2015, n° 2015-712 DC.
  • 6.
    V. not. Cons. const., 10 mars 1994, n° 94-338 DC, résolution modifiant le règlement de l’Assemblée nationale.
  • 7.
    Cons. const., 24 juill. 1959, n° 59-4 DC.
  • 8.
    Mucciaroni G. et Quirk P. J., « Rhetoric and Reality : Going Beyond Discourse Ethics in Assessing Legislative Deliberation », Legisprudence. International Journal for the Study of Legislation, 2010, p. 42, n° 4.
  • 9.
    V. en particulier Cons. const., 25 juin 2009, n° 2009-582 DC, résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour mettre en œuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat, cons. 20.
  • 10.
    Cons. const., 26 janv. 1967, n° 67-31 DC, loi organique modifiant et complétant l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
  • 11.
    L. org. n° 2012-1403, 17 déc. 2012, relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.
  • 12.
    L. n° 2009-135, 9 févr. 2009, de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012
  • 13.
    L. n° 2010-1645, 28 déc. 2010, de programmation des finances publiques pour les années 2011-2014 ; L. n° 2012-1558, 31 déc. 2012, de programmation des finances publiques pour les années 2012-2017 ; L. n° 2014-1653, 29 déc. 2014, de programmation des finances publiques pour les années 2014-2019.
  • 14.
    Cons. const., 21 avr. 2005, n° 2005-512 DC, loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école.
  • 15.
    V. par ex. Cons. const., 29 déc. 2009, n° 2009-599 DC, loi de finances pour 2010.
  • 16.
    L. org. n° 2012-1403, 17 déc. 2012, relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, art. 2.
  • 17.
    L. org. n° 2012-1403, 17 déc. 2012, relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, art. 4.
  • 18.
    La règle de la limitation du recours à l’emprunt par certains opérateurs de l’État prévue à l’article 12 de la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 avait également était prise sur ce fondement.
  • 19.
    Cons. const., 13 déc. 2012, n° 2012-658 DC, loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.
  • 20.
    Le montant est particulièrement élevé puisqu’il peut aller jusqu’à 75 % du montant de l’écart constaté entre le niveau de dépense voté par la collectivité, et le niveau de dépenses « autorisé » par le contrat.
  • 21.
    Cons. const., 28 déc. 2017, n° 2017-758 DC, loi de finances pour 2018.
  • 22.
    Cons. const., 9 déc. 2010, n° 2010-618 DC, loi de réforme des collectivités territoriales.
  • 23.
    Cons. const., 15 janv. 2015, n° 2014-709 DC, loi relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
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