Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (2016) (4e partie)
La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique qui est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.
La chronique présentée ci-dessous couvre l’année 2016 dans son intégralité.
I – Les institutions constitutionnelles
A – Les pouvoirs politiques : le pouvoir exécutif
B – Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative
1 – Les validations législatives
2 – Le contrôle de la procédure législative
3 – La compétence et le domaine de la loi
a – Partage des compétences entre la loi et le règlement
b – Incompétence négative
c – Dispositions législatives expérimentales
d – Contenu normatif de la loi
C – Le pouvoir juridictionnel
D – Le pouvoir financier
E – Les collectivités décentralisées
F – Droits électoraux, contentieux des élections et des référendums
II – Le procès constitutionnel
A – Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel
B – La procédure devant le Conseil constitutionnel (…)
C – Les techniques contentieuses
D – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel
1 – Les dispositions « spécialement examinées » au sens de l’article 23-2 de la loi organique du 7 novembre 1958
2 – Les décisions d’abrogation des décisions avec effet immédiat
3 – Les décisions d’abrogation avec effet différé
4 – L’argument de la chose jugée dans le contrôle a priori
III – Les normes de référence
A – Les sources matérielles
1 – Les textes et principes constitutionnels
2 – Les rapports de systèmes
3 – Les droits et libertés
a – Sécurité et libertés
b – Liberté individuelle, respect de la vie privée, principe de responsabilité
c – Liberté d’expression/liberté de conscience
d – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle
B – Le droit de propriété
C – Le principe d’égalité
1 – Principe d’égalité devant la loi
La jurisprudence en matière d’égalité devant la loi est classiquement fondée sur l’article 6 de la DDHC qui reconnaît que « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Il en découle que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».
Au cours de la période considérée, la méconnaissance du principe d’égalité classiquement sollicité à l’appui des griefs d’inconstitutionnalité invoqués, a fait l’objet dans 6 décisions sur 15, d’une déclaration d’inconstitutionnalité. Le Conseil a relevé d’office dans la décision n° 2015-523 QPC du 2 mars 2016, la différence de traitement qui résulte de la privation par le salarié licencié pour faute lourde, de l’indemnité compensatrice de congés payés selon que son employeur est, ou non, affilié à une caisse de congés.
Dans la décision n° 2015-530 QPC du 23 mars 2016, ce sont les modalités d’appréciation de la condition de nationalité française pour le bénéfice du droit à pension en cas de dommage physique du fait d’attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les événements de la guerre d’Algérie qui créent une différence de traitement injustifiée dès lors que le bénéfice de l’indemnisation est réservé aux personnes de nationalité française.
Cette différence de traitement est également condamnée dans la décision n° 2016-534 QPC du 14 avril 2016, à propos de la suppression des arrérages de la pension d’invalidité qui ne s’applique qu’à l’activité professionnelle non salariée et non pas à l’activité professionnelle salariée, là où pourtant les titulaires de la pension qui est servie dans les deux cas par le régime général de sécurité sociale, sont dans la même situation.
Dans la décision n° 2016-539 QPC du 10 mai 2016, la rupture d’égalité résulte de la soumission de l’imposition commune des époux en Nouvelle-Calédonie à une condition de résidence fiscale. La privation par chacun des conjoints de l’application du quotient conjugal pour ceux de leurs revenus taxables en Nouvelle-Calédonie qui résulte de la dérogation au principe de l’imposition commune des couples mariés lorsque l’un des époux est fiscalement domicilié hors de Nouvelle-Calédonie crée une différence de traitement entre les couples mariés selon le lieu des domiciles des époux en méconnaissance du principe d’égalité.
La décision n° 2016-544 QPC du 3 juin 2016 se distingue par trois censures pour rupture du principe d’égalité auxquelles a donné lieu l’examen des règles de formation, de composition et de délibération de la cour d’assises de Mayotte. L’exclusion des règles de droit commun en matière d’incapacité, d’incompatibilité et de récusation des assesseurs-jurés de la cour d’assises de Mayotte (cons. 21), l’exclusion des dispositions incriminant un juré défaillant (cons. 17) et les règles de majorité applicables à la cour d’assises de Mayotte (cons. 21) créent une différence de traitement sans rapport direct avec l’objet de la législation dérogatoire applicable à la cour d’assises de Mayotte.
L’application de règles de procédure différentes doit nécessairement procéder aux distinctions justifiées et assurer aux justiciables des garanties égales. Il en va ainsi de l’exigence qui résulte de l’article 6 de la DDHC selon laquelle « la loi est la même pour tous » et qui est rappelée, une nouvelle fois, dans la décision n° 2016-566 QPC du 16 septembre 2016 pour censurer les dispositions de l’article 197 du Code de procédure pénale qui privent les parties non assistées par un avocat de la possibilité d’avoir connaissance des réquisitions du ministère public devant la chambre de l’instruction, instaurent, de ce fait, une différence de traitement entre les parties selon qu’elles sont ou non représentées par un avocat.
En revanche, ont été jugées conformes au principe d’égalité la détermination en valeur absolue du maximum de la sanction pécuniaire prononcée par l’Autorité de la concurrence due par la personne ayant commis l’infraction lorsqu’elle n’est pas une entreprise, alors que ce maximum est fixé en pourcentage du chiffre d’affaires lorsque cette personne est une entreprise1 ; la négation des crimes contre l’humanité autres que ceux que les dispositions de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse mentionnent qui n’est pas pénalement réprimée2 ; la détermination de l’audience d’une organisation professionnelle d’employeurs en fonction du nombre d’entreprises adhérentes à cette organisation3 ; les règles de répartition des sièges de conseillers communautaires entre les communes membres de la métropole d’Aix-Marseille-Provence4 ; la différence de traitement qui découle des conditions d’engagement de la responsabilité pour les dommages résultant d’infections nosocomiales entre les professionnels de santé et les établissements de santé5 ; l’institution d’un tirage au sort des assesseurs-jurés de la cour d’assises de Mayotte sur une liste restreinte de citoyens établie par certaines autorités6 ; la subordination de la mise en mouvement de l’action publique en matière d’infractions fiscales à une plainte de l’administration7 ; la non application du montant minimal d’indemnité de licenciement perçue par un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse lorsque le licenciement est opéré dans une entreprise qui emploie habituellement moins de 11 salariés8 et la non justiciabilité de la Cour de discipline budgétaire et financière de certains responsables publics9.
2 – Principe d’égalité devant la loi fiscale et les charges publiques – droits et libertés en matière fiscale
Les exigences issues du principe d’égalité devant les charges publiques qui découlent des dispositions de l’article 13 de la DDHC de 1789 imposent que l’appréciation des facultés contributives dont il appartient au législateur de déterminer les règles, repose sur des critères objectifs et rationnels afin d’éviter toute rupture caractérisée du principe. La tâche du Conseil consiste donc en la recherche de l’existence ou non, dans la loi, de tels critères au regard du but qu’elle poursuit. L’exigence de ces critères est remplie, aux termes de la décision n° 2015-510 QPC du 7 janvier 2016, lorsque cet abattement n’a pas été appliqué à la plus-value réalisée lors de la cession des titres. La conformité au principe d’égalité devant les charges publiques est reconnue sous réserve, toutefois, que ce dispositif n’empêche pas « l’application de l’abattement pour durée de détention lorsque, à la date de la cession des titres, la condition de durée de détention était satisfaite, soit que cette cession a été réalisée avant le 1er janvier 2013, soit qu’elle n’a pas dégagé de plus-value » (cons. 12).
Dans la décision n° 2016-598 QPC du 25 novembre 2016, le Conseil adopte la même démarche. Il reconnaît la conformité au principe d’égalité devant les charges publiques des dispositions du Code général des impôts (art. 108 à 117) qui, pour lutter contre les paradis fiscaux, soumettent à la retenue à la source les produits distribués aux personnes n’ayant pas leur domicile fiscal ou leur siège en France et qui fixent un taux d’imposition spécifique de 75 % lorsque ces produits sont distribués dans un État ou un territoire non coopératif10, sous réserve que le contribuable puisse apporter la preuve de ce que les distributions de ces produits dans ces territoires n’a nullement pour objet la localisation de revenus dans un but de fraude fiscale.
Dans la décision n° 2016-537 QPC du 22 avril 2016, le Conseil considère que la différence de traitement qui résulte de l’application ou non de la taxe générale sur les activités polluantes assise sur les lubrifiants, les lessives, les préparations assimilées et les matériaux d’extraction selon l’origine et la destination de la livraison lorsqu’il s’agit d’une première livraison de ces produits ne porte pas d’atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques. Cette différence de traitement repose sur une différence de situation.
Pour ce même motif, le Conseil reconnaît dans la décision n° 2016-744 DC du 29 décembre 2016, la conformité au principe d’égalité devant les charges publiques des dispositions de la loi de finances pour 2017 qui soumettent au paiement d’un acompte certains contribuables de la taxe sur les surfaces commerciales (cons. 48). Il ne retient pas non plus de rupture caractérisée de l’égalité des collectivités territoriales devant les charges publiques à propos de la soumission de la dotation de transfert de compensation d’exonérations de fiscalité directe locale et celle de compensation de la réforme de la taxe professionnelle à des coefficients de minoration particuliers dont l’institution répond à des critères objectifs et rationnels dont l’institution est dictée par la nécessité d’adapter la minoration de ces dotations à l’évolution de leurs recettes réelles de fonctionnement constatée en 2015 (cons. 54). Par ailleurs, est jugé inopérant le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques à propos de l’instauration du « crédit d’impôt modernisation du recouvrement » auquel il était reproché de permettre à certains contribuables d’optimiser le niveau de leurs revenus dans le but de minorer leur charge d’impôt en tirant parti de l’année de transaction, celle de 2018 qui met en place le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu (cons. 64).
Le contrôle de constitutionnalité opéré au cours de la période considérée a, à l’inverse, abouti à une déclaration de non-conformité au principe d’égalité devant les charges publiques dans quatre décisions. Ainsi, la discordance de traitement que relève le Conseil dans la décision n° 2015-520 QPC du 3 février 2016 entre les sociétés qui reçoivent des produits des titres de participation auxquels ne sont pas attachés des droits de vote selon que ces produits sont versés par une filiale établie en France, et qui, de ce fait, ne bénéficient pas du régime fiscal des sociétés mères, ou par une filiale établie dans un autre État membre de l’union européenne, et qui, dans ce cas, bénéficient de ce régime fiscal, est de nature à rompre les exigences qui se rattachent au principe d’égalité devant les charges publiques. Si l’objectif d’édicter une condition relative aux droits de vote attachés aux titres des filiales pour pouvoir bénéficier du régime fiscal des sociétés mères visait à favoriser l’implication des sociétés mères dans le développement économique de leurs filiales, en revanche, la différence de traitement entre les produits de titres de filiales qui repose sur la localisation géographique de ces filiales a été jugé sans rapport avec cet objectif. C’est ainsi le b ter du 6 de l’article 145 du Code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 199211 qui est déclaré contraire à la constitution. Dans sa nouvelle rédaction issue de la loi du 30 décembre 200512, il fait également l’objet d’une censure pour le même motif dans la décision n° 2016-553 QPC du 8 juillet 2016 en tant qu’il maintient une différence de traitement entre sociétés bénéficiant du régime fiscal des sociétés mères lorsqu’elles détiennent des titres de participation de filiales représentant moins de 5 % du capital et des droits de vote de la filiale. Selon que les produits des titres de participation auxquels ne sont pas attachés de droit de vote sont versés par une filiale établie en France ou dans un État autre qu’un État membre de l’union européenne ou, à l’inverse, par une filiale établie dans un État membre de l’Union européenne, ces produits sont ou non exclus de la déduction du bénéfice net total.
La rupture d’égalité devant les charges publiques est également établie par l’exonération de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés au titre des montants distribués, en faveur des seules distributions réalisées entre sociétés d’un même groupe fiscalement intégré au sens de l’article 223 A du Code général des impôts. En la réservant aux distributions réalisées au sein d’un tel groupe et en en excluant celles réalisées au sein d’un groupe qui ne relève pas du régime de l’intégration fiscale, l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts opère une différence de traitement inconstitutionnelle. Tel en a décidé ainsi le Conseil dans la décision n° 2016-571 QPC du 30 septembre 2016.
Le Conseil a également jugé dans la décision n° 2016-587 QPC du 14 octobre 2016 que c’est en méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques que le Code général des impôts13 soumet le bénéfice d’un régime d’exonération de l’indemnité compensatrice versée à un agent général d’assurances exerçant à titre individuel par la compagnie qu’il représente, lors de la cessation de son mandat, à la condition que l’activité soit intégralement poursuivie dans les mêmes locaux par un nouvel agent d’assurances exerçant à titre individuel et dans le délai d’un an. Si le législateur a voulu ainsi favoriser la poursuite de l’activité exercée, il a toutefois établi une condition qui n’est pas fondée sur un critère objectif et rationnel en fonction du but recherché.
LB
D – Les droits sociaux
Décision n° 2016-736 DC du 4 août 2016 – Loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels : un premier examen de la loi Travail.
Lors de son élaboration, la loi dite loi Travail a donné lieu à de nombreuses discussions et manifestations. Toutefois, de manière assez paradoxale, le Conseil constitutionnel n’a été saisi en contrôle a priori que de deux dispositions, qui par ailleurs se trouvent à la marge du cœur du texte. C’est sans doute la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel a choisi d’examiner les seules dispositions qui lui ont été déférées, hormis celles qu’il a examinées d’office en raison de leur introduction dans la loi selon une procédure contraire à la constitution et qu’il a censurées à ce titre. Cela laisse ainsi la porte ouverte à des saisines ultérieures relatives aux nombreuses autres dispositions de cette loi.
Les aspects de procédure législative sont présentés dans la présente chronique (I. B. « Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative »).
I. L’indemnisation prévue dans les conventions de mise à disposition de locaux par les collectivités territoriales aux organisations syndicales : une validation, une réserve et une censure (art. 27 de la loi Travail)
Les dispositions de l’article 27 de la loi Travail prévoient pour les collectivités territoriales la faculté de mettre des locaux à la disposition d’organisations syndicales, à titre gratuit ou onéreux. Cet article prévoit un droit à indemnisation de l’organisation syndicale lorsque la collectivité territoriale lui retire la disposition de locaux dont elle avait bénéficié pendant plus de cinq ans sans lui proposer des locaux de substitution. Il n’y a pas lieu à indemnité si une convention écrite conclue entre la collectivité territoriale et l’organisation syndicale le stipule expressément (§ 12).
– La validation sous réserve : libre administration, liberté syndicale et égalité devant les charges publiques
Le Conseil constitutionnel a relevé que la faculté pour les collectivités territoriales de mettre des locaux à la disposition d’organisations syndicales, à titre gratuit ou onéreux, ne crée aucune obligation susceptible de porter atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales.
Il a également relevé que l’indemnité due à une organisation syndicale à raison de l’interruption de la mise à disposition de locaux qu’elle occupait depuis plus de cinq ans, sans que la collectivité territoriale lui propose des locaux de substitution, est justifiée par l’objectif d’intérêt général visant à garantir aux organisations syndicales des moyens pour mettre en œuvre la liberté syndicale (§ 16 et 17).
Par une réserve d’interprétation, le Conseil a jugé que l’indemnité prévue ne saurait, sans méconnaître le principe d’égalité devant les charges publiques et le bon usage des deniers publics, excéder le préjudice subi à raison des conditions dans lesquelles il est mis fin à l’usage de ces locaux (§ 17).
Cette décision s’inscrit dans la jurisprudence constitutionnelle habituelle, s’appuyant à la fois sur le principe d’égalité devant les charges publiques, fondé sur l’article 13 de la Déclaration des droits de 1789, et sur l’exigence du bon emploi des denier publics, fondé sur l’article 14 de cette même Déclaration14.
– Une censure : liberté syndicale et non-réactivité
L’article 27 de la loi Travail confère un caractère rétroactif aux dispositions relatives à l’indemnité applicables aux conventions de mise à disposition. Le Conseil constitutionnel relève que le législateur cherche à répondre aux difficultés rencontrées par des organisations syndicales qui bénéficiaient de locaux mis à leur disposition avant la publication de la loi déférée et qui ont été ou seraient tenues de libérer les locaux dans des conditions préjudiciables. Le législateur poursuit ainsi l’objectif d’intérêt général s’attachant à ce que les organisations syndicales disposent de moyens nécessaires à la mise en œuvre de la liberté syndicale (§ 22).
Le Conseil constitutionnel a alors distingué selon que la convention de mise à disposition est terminée ou en cours. Concernant les conventions passées, et s’appuyant sur le considérant de principe déjà formulé dans la décision n° 2015-525 QPC du 2 mars 2016, Société civile immobilière PB 12, cons 3, le Conseil constitutionnel juge qu’en l’absence d’un motif impérieux d’intérêt général, l’application rétroactive à des conventions ayant pris fin, porte atteinte à la garantie des droits protégée par l’article 16 de la Déclaration de 1789 (§ 20 et 23).
Concernant les conventions de mise à disposition en cours, après avoir rappelé le considérant de principe déjà utilisé dans la décision n° 2015-476 QPC du 17 juillet 2015, SARL Holding Désile, cons. 15, le Conseil constitutionnel relève que les dispositions examinées ont pour effet d’obliger les collectivités, soit à proposer des locaux de substitution aux organisations syndicales, soit à leur verser une indemnité, sans que les collectivités aient été mises en mesure de s’en exonérer préalablement par une stipulation expresse. Il en déduit que les dispositions examinées méconnaissent les exigences résultant de l’article 4 de la Déclaration de 1789 (§ 21 et 24).
II. La mise en place dans les réseaux d’exploitants, liés par un contrat de franchise, d’une instance de dialogue social commune à l’ensemble du réseau : une validation, deux réserves et une censure (art. 64 de la loi)
L’article 64 de la loi Travail prévoit, sous certaines conditions, la mise en place d’une instance de dialogue social, commune à l’ensemble du réseau, dans les réseaux d’exploitants d’au moins trois cents salariés en France qui sont liés par un contrat de franchise (§ 26 et 27).
– Une validation : la reconnaissance d’une différence de situation entre les réseaux de franchise et les autres.
Pour rejeter le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité, le Conseil constitutionnel a d’abord relevé que les caractéristiques des contrats de franchise conduisent à ce que l’encadrement des modalités d’organisation et de fonctionnement des entreprises franchisées puisse avoir un impact sur les conditions de travail de leurs salariés. Considération faite de l’existence d’une communauté d’intérêt des salariés des réseaux de franchise, il a ensuite jugé qu’en imposant aux seuls réseaux d’exploitants franchisés la mise en place d’une instance commune de dialogue social, le législateur a fait une différence de traitement en rapport avec l’objet de la loi (§ 29).
– Deux réserves d’interprétation à propos de l’atteinte à la liberté d’entreprendre et de la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence
L’article 64 de la loi Travail prévoit qu’à défaut d’accord pour mettre en place une instance de dialogue social, un décret en Conseil d’État détermine notamment les heures de délégation accordées aux salariés des franchisés.
Le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur a poursuivi un objectif d’intérêt général en permettant aux représentants des salariés des employeurs franchisés d’être informés des décisions du franchiseur de nature à affecter les conditions d’emploi et de formation professionnelle des salariés des franchisés et de formuler des propositions (§ 32). Il a jugé que la création de l’instance de dialogue social ne porte pas en elle-même atteinte à la liberté d’entreprendre, compte tenu des conditions exigées pour sa création ainsi que de la portée limitée de ses attributions, cette instance ne pouvant que formuler des propositions (§ 33).
Le Conseil constitutionnel a ensuite formulé une première réserve d’interprétation, en jugeant que le principe même d’un accord pour mettre en place l’instance de dialogue social n’est pas contraire à la liberté d’entreprendre sous réserve que les entreprises franchisées participent à la négociation (§ 34).
Il a formulé une seconde réserve d’interprétation selon laquelle le législateur ne pouvait, sans méconnaître l’étendue de sa compétence, prévoir l’existence d’heures de délégation spécifiques pour l’instance de dialogue créée sans encadrer le nombre de ces heures. Le décret en Conseil d’État prévu par la loi ne pourra donc pas ajouter des heures de délégations supplémentaires à celles qui sont prévues par le droit commun (§ 35).
– Une censure concernant la méconnaissance de la liberté d’entreprendre
La censure partielle de l’article 64 porte sur les dépenses de fonctionnement de l’instance de dialogue social. Le Conseil constitutionnel a en effet jugé que compte tenu de l’objectif poursuivi par le législateur, dont la portée ne peut qu’être limitée en raison de l’absence de communauté de travail existant entre les salariés de différents franchisés, les dispositions, qui imputent l’intégralité des dépenses et des frais au seul franchiseur à l’exclusion des employeurs franchisés, portent une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre (§ 37).
– Le rejet de la méconnaissance du principe de participation des travailleurs
Pour écarter le grief tiré de la méconnaissance du principe de participation des travailleurs fondé sur le huitième alinéa du préambule de 1946, le Conseil constitutionnel s’est contenté de considérer que les dispositions de l’article 64 de la loi Travail n’ont ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à l’existence et au fonctionnement des instances représentatives du personnel des franchisés et franchiseurs (§ 39).
La décision n° 2015-519 QPC du 3 février 2016, Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et autres, précise les droits reconnus aux organisations professionnelles d’employeurs, par référence à ceux reconnus aux organisations syndicales de salariés.
Le Conseil constitutionnel rappelle que les organisations professionnelles d’employeurs ont pour objet la défense des droits et des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, de ces derniers (cons. 7). Il réaffirme ainsi la décision n° 2015-502 QPC du 27 novembre 2015, Syndicat confédération générale du travail, faisant applicabilité des dispositions du sixième alinéa du préambule de la constitution de 1946 aux organisations professionnelles d’employeurs. Le Conseil rappelle également qu’il était loisible au législateur, pour fixer les conditions de mise en œuvre de la liberté syndicale, de définir des critères de représentativité des organisations professionnelles d’employeurs (cons. 8), confortant sa jurisprudence en matière de représentativité des organisations syndicales des travailleurs fixée dans les décisions nos 2010-42 QPC du 7 octobre 2010, CGT-FO et autres, cons. 6 et n° 2014-704 DC du 11 décembre 2014, Loi relative à la désignation des conseillers prud’hommes, cons. 13.
Toutefois, le Conseil constitutionnel a jugé qu’en prévoyant que l’audience de ces organisations se mesure en fonction du nombre des entreprises adhérentes, le législateur a entendu assurer un égal accès à la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs, quel que soit le nombre des salariés employés par les entreprises adhérentes ou leur chiffre d’affaires. En outre, la liberté d’adhérer au syndicat de son choix, prévue par le sixième alinéa du préambule de 1946, n’impose pas que toutes les organisations professionnelles d’employeurs soient reconnues comme étant représentatives indépendamment de leur audience. Il en découle qu’en fixant à 8 % le seuil minimum d’audience permettant l’accès à la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs, le législateur a entendu éviter la dispersion de la représentativité patronale et n’a pas fait obstacle au pluralisme (cons. 9 et 10).
Le Conseil a également rejeté le grief fondé sur la méconnaissance du principe de participation au bénéfice des organisations professionnelles d’employeurs fondé sur le huitième alinéa du Préambule de 1946, car si ce dernier consacre un droit des travailleurs, par l’intermédiaire de leurs délégués, à la participation et à la détermination collective de leurs conditions de travail comme le rappelle les décisions n° 2011-122 QPC du 29 avril 2011, syndicat CGT et autres, et n° 2013-333 QPC du 26 juillet 2013, M. Philippe M. et autres, cette disposition du préambule de 1946 ne confère aucun droit équivalent au bénéfice des employeur15.
Le Conseil a enfin écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, prévu à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, considérant qu’en prévoyant que l’audience d’une organisation professionnelle d’employeurs se mesure en fonction du nombre des entreprises adhérentes à cette organisation, le législateur a traité de la même manière l’ensemble des entreprises (cons. 14). Cette solution reprend le considérant de principe en matière d’égalité devant la loi formulé, par exemple, dans la décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013, société Natixis Asset Management, cons. 12.
Dans la décision n° 2016-533 QPC du 14 avril 2016, M. Jean-Marc P., rendue à propos du régime d’indemnisation des accidents du travail dans certaines collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie en cas de faute inexcusable de l’employeur, le Conseil a d’abord rappelé que les dispositions contestées pouvaient mettre en place une réparation forfaitaire sans porter une atteinte disproportionnée au principe de responsabilité (cons. 8 et 9). Puis, par une réserve d’interprétation, il a jugé que les dispositions contestées, limitant la réparation au seul versement d’une indemnité forfaitaire majorée, ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes puissent demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par les indemnités majorées accordées en vertu des dispositions de l’article 34 du décret du 24 février 1957, conformément aux règles de droit commun de l’indemnisation des dommages (cons. 9). La décision présentée s’inscrit dans le raisonnement adopté dans les décisions n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, Mme Vivianne L. (loi dite anti-Perruche), cons. 11 et n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, Époux L., cons. 18.
La décision n° 2016-579 QPC du 5 octobre 2016, Caisse des dépôts et consignations, a été rendue à propos de dispositions issues de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 portant diverses mesures d’ordre sanitaire, social et statutaire et autorisant en particulier la Caisse des dépôts et consignations à déroger, par accord collectif, aux règles d’ordre public édictées par le législateur en matière de représentativité syndicale, à l’exception de celles relatives à la protection statutaire des représentants syndicaux et à leurs crédits d’heure.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les accords en cause peuvent porter sur les conditions de désignation des délégués syndicaux communs aux agents de droit public et aux salariés de droit privé du groupe de la Caisse des dépôts et consignations, ce qui inclut notamment la définition des critères d’audience et de représentativité. Ces accords peuvent aussi porter sur la détermination des compétences de ces délégués syndicaux communs, sans que le législateur ait déterminé l’étendue des attributions qui peuvent leur être reconnues en matière de négociation collective au sein du groupe, qui comprend des entités publiques et privées (§ 8). Il en a déduit que les dispositions contestées sont entachées d’incompétence négative et portent atteinte au droit des travailleurs de participer à la détermination collective de leurs conditions de travail, reconnu par le huitième alinéa du préambule de la constitution de 1946, car le législateur n’a pas défini d’une façon précise l’objet et les conditions de la dérogation qu’il a entendu apporter aux règles d’ordre public qu’il avait établies en matière de représentativité syndicale et de négociation collective (§ 9). La présente décision s’inscrit dans la suite des décisions n° 2004-494 DC du 29 avril 2004, Loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, cons. 7 et 8 et n° 2006-545 DC du 28 décembre 2006, Loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, cons. 4 et 5, articulant le huitième alinéa du préambule de 1946 et l’article 34 de la constitution.
Les effets de l’abrogation de la disposition contestée ont été reportés au 31 décembre 2017, pour ne pas supprimer toute représentation syndicale commune aux agents de droit public et aux salariés de droit privé au sein du groupe de la Caisse des dépôts et consignations (§ 11).
CR
E – Les principes du droit répressif
1 – Cumul de sanctions et principe non bis in idem
L’année 2016 a été marquée par de nombreuses décisions relatives à l’application du principe non bis in idem. La plus médiatique d’entre elles est sans doute la décision n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016, désignée sous le faux anonymat de M. Jérôme C. qui ne cache en rien le nom de M. Cahuzac, ancien ministre du budget du gouvernement de M. Ayrault et contraint de démissionner de sa fonction, entre autres raisons, pour avoir dissimulé l’existence d’un compte bancaire en Suisse. Sur le plan judiciaire il était poursuivi pour fraude fiscale et il faisait l’objet de pénalités fiscales pour insuffisance de déclaration et sanctions pénales pour fraude fiscale. Le même jour, le Conseil constitutionnel a rendu la décision n° 2016-545 QPC, M. Alec W et autres16.
Le Conseil a rappelé que, selon l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts. Si l’éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourue »17.
Ces deux décisions sont construites de manière strictement identique et sont amenées à examiner séparément la constitutionnalité des articles 1729 et 1741 du Code général des impôts puis la combinaison de ces deux dispositions. Prises isolément, ces deux dispositions législatives n’ont pas été jugées contraires aux principes de nécessité des délits et de proportionnalité des peines18. Quant à l’article 1741 qui punit d’une amende de 500 000 €, qui s’élève à 1 000 000 € en cas de fraude aggravée, et d’un emprisonnement de cinq ans, qui s’élève à sept ans en cas de fraude aggravée, quiconque a « volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l’impôt », sa constitutionnalité a été admise sous réserve qu’il ne permette pas qu’un contribuable qui a été déchargé de l’impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond puisse être condamné pour fraude fiscale19.
L’application combinée de l’article 1729 et des dispositions contestées de l’article 1741 du Code général des impôts est prévue par le CGI lui-même qui prévoit que les sanctions s’appliquent « sans préjudice des dispositions particulières relatées dans la présente codification » et « indépendamment des sanctions fiscales applicables » (art. 1741). Par conséquent, une personne sanctionnée sur le fondement de l’article 1729 du Code général des impôts est susceptible de faire également l’objet de poursuites pénales sur le fondement de l’article 1741 du même code.
Pour justifier constitutionnellement ce cumul, le Conseil a eu recours à l’article 13 de la Déclaration de 1789 dont découle l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale qui repose sur la sincérité et l’exactitude des déclarations souscrites par les contribuables. Par conséquent, les dispositions des articles 1729 et 1741 permettent d’assurer ensemble la protection des intérêts financiers de l’État ainsi que l’égalité devant l’impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive. Le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l’objectif de lutte contre la fraude fiscale justifient l’engagement de procédures complémentaires dans les cas de fraudes les plus graves. Aux contrôles à l’issue desquels l’administration fiscale applique des sanctions pécuniaires peuvent ainsi s’ajouter des poursuites pénales dans des conditions et selon des procédures organisées par la loi20. La seule limite posée par le Conseil constitutionnel est que les dispositions de l’article 1741 ne s’appliquent qu’aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention.
Si ces deux procédures peuvent conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique, en outre, qu’en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.
Les solutions adoptées dans les décisions nos 2016-545 QPC et 2016-556 QPC du 22 juillet 2016, M. Patrick S. qui fait référence expresse à cette première décision au paragraphe 11 : « Le Conseil constitutionnel a jugé que les mots contestés de l’article 1741 du Code général des impôts dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 19 septembre 2000 ne méconnaissent ni le principe de nécessité des délits et des peines ni le principe de proportionnalité des peines. » Dès lors et sous les mêmes réserves que celles énoncées dans la décision 545 QPC, les dispositions ne méconnaissent ni le principe de nécessité des délits et des peines ni le principe de proportionnalité des peines ni aucun autre droit ou liberté que la constitution garantit21.
Le considérant ou paragraphe relatif à l’interprétation que le Conseil constitutionnel donne de ce principe non bis in idem tiré de l’article 8 de la Déclaration de 1789 a été utilisé à plusieurs reprises dans des décisions de 2016. On le trouve dans la décision n° 2015-514/526 du 14 janvier 2016, M. Alain D. et autres (cons. 11). Elle a été reprise dans la décision n° 2016-550 QPC du 1er juillet 2016, M. Stéphane R. et autres (§ 6), dans la décision n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016. M. Patrick S. (§ 10), dans les deux décisions du 29 septembre 2016, n° 2016-570 QPC, M. Pierre M. (§ 3) et n° 2016-573 QPC, M. Lakhdar Y (§ 8) et dans n° 2016-572 QPC du 30 septembre 2016, M. Gilles M. et autres (§ 6).
Dans le cas du cumul des poursuites pénales pour délit d’initié avec des poursuites devant la commission des sanctions de l’AMF pour manquement d’initié, les faits prévus et réprimés par les articles contestés doivent être regardés comme susceptibles de faire l’objet de sanctions de nature différente et ne méconnaissent aucun droit ou liberté garantis par la constitution22. La solution est identique dans la décision n° 2016-570 QPC du 29 septembre 2016, M. Pierre M.23, alors même que « compte tenu des conséquences qu’il a attachées à la faillite personnelle, ainsi que de la généralité, au regard du manquement en cause, de la mesure d’interdiction de gérer qu’il a retenue, le législateur a entendu, en instituant de telles mesures, assurer la répression, par le juge civil ou commercial, des manquements dans la tenue d’une comptabilité. Ces mesures doivent par conséquent être regardées comme des sanctions ayant le caractère de punition » (§ 5). Mais, si les sanctions de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer pouvant être prononcées par le juge civil ou commercial pour les manquements mentionnés dans les dispositions contestées sont identiques à celles encourues devant la juridiction pénale pour les mêmes manquements constitutifs du délit de banqueroute, en revanche, le juge pénal peut condamner l’auteur de ce délit à une peine d’emprisonnement et à une peine d’amende, ainsi qu’à plusieurs autres peines complémentaires d’interdictions. Les sanctions étant de nature différente, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la Déclaration de 1789 a été rejeté. Il en est de même dans la décision n° 2016-573 QPC du 29 septembre 2016, M. Lakhdar Y.24, car si les sanctions de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer pouvant être prononcées par le juge civil ou commercial pour les manquements mentionnés au 2° de l’article L. 654-2 du Code de commerce sont identiques à celles encourues devant la juridiction pénale pour les mêmes manquements constitutifs du délit de banqueroute, le juge pénal peut, en revanche, condamner l’auteur de ce délit à une peine d’emprisonnement et à une peine d’amende, ainsi qu’à plusieurs autres peines complémentaires d’interdictions (§ 12).
Une solution différente a été adoptée dans la décision n° 2016-572 QPC du 30 septembre 2016, M. Gilles M. et autres25, car si les dispositions contestées n’instituent pas, par elles-mêmes, un mécanisme de double poursuite et de double sanction, elles le rendent possible. Il en est de même dans la décision n° 2016-550 QPC du 1er juillet 2016, M. Stéphane R. et autres, à propos de la procédure devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Dans ce cas, les cumuls éventuels de poursuites et de sanctions doivent, en tout état de cause, respecter le principe de nécessité des délits et des peines, qui implique qu’une même personne ne puisse faire l’objet de poursuites différentes conduisant à des sanctions de même nature pour les mêmes faits, en application de corps de règles protégeant les mêmes intérêts sociaux. Ensuite, lorsque plusieurs sanctions prononcées pour un même fait sont susceptibles de se cumuler, le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues. Il appartient donc aux autorités juridictionnelles compétentes de veiller au respect de cette exigence et de tenir compte, lorsqu’elles se prononcent, des sanctions de même nature antérieurement infligées. La constitutionnalité des dispositions contestées de l’article L. 314-18 du Code des juridictions financières n’est donc affirmée que sous cette double réserve.
Toutefois, l’article 2 de la loi du 21 juin 2016 mentionnée ci-dessus a créé dans le Code monétaire et financier un article L. 465-3-6 dont le paragraphe I prévoit que le procureur de la République financier ne peut mettre en mouvement l’action publique pour la poursuite des infractions réprimant les atteintes à la transparence des marchés lorsque l’Autorité des marchés financiers a procédé à la notification des griefs pour les mêmes faits et à l’égard de la même personne en application de l’article L. 621-15. De la même manière, l’Autorité des marchés financiers ne peut procéder à la notification des griefs à une personne à l’encontre de laquelle l’action publique a été mise en mouvement pour les mêmes faits par le procureur de la République financier.
2 – Principe de légalité des délits et des peines
Dans la décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016 loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, le Conseil constitutionnel rappelle quelles sont les obligations du législateur pour définir les infractions et les peines qui peuvent leur être infligées. Si l’article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée », l’article 34 de la constitution précise que : « La loi fixe les règles concernant… la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur tient donc de l’article 34 de la constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire.
Alors que la loi entendait réglementer les activités des « représentants d’intérêts », autrement dit les lobbyistes en prévoyant des sanctions pénales, le Conseil a jugé qu’« En faisant référence à une activité d’influence sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire, les dispositions contestées définissent le représentant d’intérêts en termes suffisamment clairs et précis. En exigeant que cette activité soit exercée de façon « principale ou régulière », le législateur a entendu exclure du champ de cette définition les personnes exerçant une activité d’influence à titre seulement accessoire et de manière peu fréquente. Il en résulte que les dispositions contestées ne sont ni entachées d’incompétence négative, ni contraires à l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi » (§ 35). Il n’en est pas de même des délits réprimant la méconnaissance d’obligations dont le contenu n’est pas défini par la loi, mais par le bureau de chaque assemblée parlementaire, et le législateur a méconnu le principe de légalité des délits et des peines. Le second alinéa de l’article 18-10 de la loi du 11 octobre 2013, dans sa rédaction résultant de l’article 25 de la loi déférée, est donc contraire à la constitution (§ 36).
Le principe de légalité des délits et des peines fait également l’objet d’examen dans la décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016, Loi de modernisation de notre système de santé, le législateur devant en outre « fixer dans les mêmes conditions le champ d’application des immunités qu’il instaure » (cons. 25). C’est de manière très précise que le Conseil examine si la loi a suffisamment défini les conditions d’utilisation des « salles de shoot ». Il relève que ces actions ne peuvent comporter aucune participation active aux gestes de consommation et que seules les personnes agissant dans le cadre de cette politique bénéficient d’une immunité pénale pour les seuls actes qu’elles réalisent à ce titre. Ces dispositions n’ayant ni pour objet ni pour effet d’introduire d’autres exonérations de responsabilité pénale que celles qui sont nécessaires pour l’accomplissement de la mission ainsi définie le législateur a défini en des termes suffisamment clairs et précis le champ d’application de l’immunité qu’il a instaurée (cons. 30).
Le Conseil constitutionnel a jugé que l’article 8 de la Déclaration de 1789 impose au législateur d’indiquer précisément le montant maximum de la peine encourue, non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. En différenciant, pour fixer le montant maximum des sanctions pécuniaires prononcées par l’Autorité de la concurrence, les contrevenants qui sont constitués sous l’un des statuts ou formes juridiques propres à la poursuite d’un but lucratif et les autres, le législateur s’est référé à des catégories juridiques précises permettant de déterminer la peine encourue avec une certitude suffisante et la loi n’a pas méconnu le principe de légalité des peines doit être écarté26.
Le principe de légalité des délits et des peines s’applique, en effet, non seulement au domaine pénal mais aussi à toutes les sanctions ayant le caractère d’une punition. Tel n’est pas le cas de la récupération de fonds publics indûment versés par les caisses d’assurance maladie, ce qui implique que les griefs tirés de la méconnaissance des exigences découlant de l’article 8 de la Déclaration de 1789 sont inopérants27.
Les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen impliquent que nul ne peut être puni que de son propre fait. Ce principe s’applique non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. En dehors du droit pénal, le principe selon lequel nul n’est punissable que de son propre fait peut faire l’objet d’adaptations, dès lors que celles-ci sont justifiées par la nature de la sanction et par l’objet qu’elle poursuit et qu’elles sont proportionnées à cet objet28. Les dispositions contestées29 qui permettent qu’une sanction pécuniaire non pénale soit prononcée à l’encontre de la personne morale à laquelle l’exploitation d’une entreprise a été transmise, pour des pratiques restrictives de concurrence commises par la personne qui exploitait l’entreprise au moment des faits ne méconnaissent pas le principe constitutionnel énoncé (§ 10). Cette interprétation du Conseil s’appuie dans ce cas sur une jurisprudence constante de la Cour de cassation, selon laquelle les dispositions contestées permettent de sanctionner par une amende civile les pratiques restrictives de concurrence de toute entreprise, indépendamment du statut juridique de celle-ci, et sans considération de la personne qui l’exploite. L’amende civile peut ainsi être prononcée à l’encontre de la personne morale à laquelle l’entreprise a été juridiquement transmise.
3 – Principe de proportionnalité des peines
Dans la décision n° 2016-554 QPC du 22 juillet 2016, M. Gilbert B., le Conseil constitutionnel a soulevé d’office le grief tiré de ce qu’en fixant, pour le manquement à une obligation déclarative qu’elles répriment, une amende en pourcentage du solde du compte bancaire non déclaré, les dispositions contestées méconnaissaient le principe de proportionnalité des peines reconnu par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue. La sanction, qui est une amende proportionnelle pour un simple manquement à une obligation déclarative et qui a le caractère d’une punition était manifestement disproportionnée à la gravité des faits que le législateur a entendu réprimer et était donc contraire à la constitution.
Le Conseil constitutionnel a, en effet, rappelé dans la décision n° 2016-564 QPC du 16 septembre 2016, M. Lucas M., que l’article 61-1 de la constitution ne lui confère pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la constitution garantit. Par conséquent, et malgré le fondement de l’article 8 de la Déclaration de 1789, si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue (§ 3). À ce principe, s’ajoute le principe d’individualisation des peines qui découle aussi de l’article 8 de la Déclaration de 1789 et qui implique qu’une pénalité fiscale ne puisse être appliquée que si l’administration, sous le contrôle du juge, l’a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Dans le cas d’espèce, la sanction, qui a le caractère d’une punition, a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales et ne s’applique que lorsque sont encourues les pénalités qui répriment les manquements particulièrement graves et les dispositions des b et c du 1 de l’article 1728, de l’article 1729 et du a de l’article 1732 du Code général des impôts sont proportionnées aux manquements réprimés et ne méconnaissent pas l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
La même auto-limitation du Conseil constitutionnel est pratiquée dans le cadre du contrôle a priori, au motif qu’il ne dispose pas du pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Le Conseil peut seulement s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue30. En réprimant d’une peine d’amende de deux millions d’euros les manquements aux règles relatives aux délais de paiement, le législateur n’a, au regard tant des conséquences de ces manquements pour les créanciers que des avantages pouvant en être retirés par les débiteurs, pas institué une peine manifestement disproportionnée. Les dispositions contestées définissent également, les obligations qu’elles édictent et les sanctions encourues avec une précision suffisante pour satisfaire au principe de légalité des délits et des peines. La méconnaissance des principes de proportionnalité des peines et de légalité des délits et des peines a donc été écartée.
4 – Principe de la présomption d’innocence
Parce que les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet d’instaurer une présomption de culpabilité, le grief tiré de la méconnaissance de la présomption d’innocence doit être écarté, le Conseil ayant jugé qu’il résulte de ce principe que le législateur ne peut instituer de présomption de culpabilité en matière répressive31. Du principe de la présomption d’innocence, découle aussi le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser. Pour autant, le droit reconnu aux agents des services d’instruction de l’Autorité de la concurrence, et des fonctionnaires habilités par le ministre chargé de l’Économie, d’exiger la communication d’informations et de documents, prévu par les dispositions contestées, tend à l’obtention, non de l’aveu de la personne contrôlée, mais de documents nécessaires à la conduite de l’enquête de concurrence et ne porte pas atteinte à l’article 9 de la Déclaration de 178932. Ce principe selon lequel n’est tenu de s’accuser est interprété de manière « compréhensive » par le Conseil constitutionnel car aucune autre exigence constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu’une personne suspectée d’avoir commis une infraction reconnaisse librement sa culpabilité et consente à exécuter une peine, s’acquitter d’une amende transactionnelle ou exécuter des mesures de nature à faire cesser l’infraction ou à en réparer les conséquences33. La liberté de ne pas s’accuser soi-même implique le droit de se taire. Ainsi, faire prêter serment à une personne entendue en garde à vue de « dire toute la vérité, rien que la vérité » peut être de nature à lui laisser croire qu’elle ne dispose pas du droit de se taire ou de nature à contredire l’information qu’elle a reçue concernant ce droit. Dès lors, en faisant obstacle, en toutes circonstances, à la nullité d’une audition réalisée sous serment lors d’une garde à vue dans le cadre d’une commission rogatoire, les dispositions contestées portent atteinte au droit de se taire de la personne soupçonnée34.
L’année 2016 a enfin permis au Conseil constitutionnel de prononcer l’abrogation de l’article 22 de l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante car il permettait l’exécution provisoire de toute condamnation à une peine d’emprisonnement prononcée par un tribunal pour enfants, quel que soit son quantum et alors même que le mineur ne fait pas déjà l’objet au moment de sa condamnation d’une mesure de détention dans le cadre de l’affaire pour laquelle il est jugé ou pour une autre cause. Il méconnaissait de ce fait les exigences constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs qui sont consacrées sous la PFRLR35.
MV
(À suivre)
F – Les droits processuels
1 – Le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, l’égalité devant la justice et le principe d’impartialité et d’indépendance des juridictions
2 – Le principe de sécurité juridique
Notes de bas de pages
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1.
Cons. const., 7 janv. 2016, n° 2015-510 QPC.
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2.
Cons. const., 8 janv. 2016, n° 2015-512 QPC.
-
3.
Cons. const., 3 févr. 2016, n° 2015-519 QPC.
-
4.
Cons. const., 19 févr. 2016, n° 2015-521/528 QPC.
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5.
Cons. const., 1er avr. 2016, n° 2016-531 QPC.
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6.
Cons. const., 3 juill. 2016, n° 2016-544 QPC.
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7.
Cons. const., 22 juill. 2016, n° 2016-555 QPC.
-
8.
Cons. const., 13 oct. 2016, n° 2016-582 QPC.
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9.
Cons. const., 2 déc. 2016, n° 2016-599 QPC.
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10.
CGI, art. 187, 2.
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11.
L. n° 92-1376, 30 déc. 1992, loi de finances pour 1993.
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12.
L. fin. rect. 2005 n° 2005-1720, 30 déc. 2005.
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13.
CGI, art. 151 septies A, V.
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14.
V. Cons. const., 5 août 2015, n° 2015-715 DC, préc.
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15.
Préambule de 1946, cons. 11. ; dans le même sens, Cons. const., 29 avr. 2011, n° 2011-122 QPC, Syndicat CGT et a. et Cons. const., 26 juill. 2013, n° 2013-333 QPC, M. Philippe M. et a.
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16.
Pénalités fiscales pour insuffisance de déclaration et sanctions pénales pour fraude fiscale.
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17.
§ 8 des deux décisions du 24 juin 2016, nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC.
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18.
§ 11 des deux décisions pour l’article 1729 du CGI qui institue, en cas de manquement délibéré du contribuable, une majoration de 40 % qui est portée à 80 % dans certains cas d’abus de droit ou si le contribuable s’est rendu coupable de manœuvres frauduleuses.
-
19.
§ 14 des deux décisions.
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20.
§ 20 des décisions.
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21.
Cons. const., 22 juill. 2016, n° 2016-556 QPC, § 13.
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22.
Cons. const., 14 janv. 2016, n° 2015-513/514/526 QPC, M. Alain D. et a.
-
23.
Cumul des poursuites pénales pour banqueroute avec la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, § 8.
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24.
Cumul des poursuites pénales pour banqueroute avec la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire et cumul des mesures de faillite ou d’interdiction prononcées dans ces cadres.
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25.
Cumul des poursuites pénales pour le délit de diffusion de fausses informations avec des poursuites devant la commission des sanctions de l’AMF pour manquement à la bonne information du public, § 12 et s.
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26.
Cons. const., 7 janv. 2016, n° 2015-510 QPC, préc., cons. 9.
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27.
Cons. const., 21 janv. 2016, n° 2015-727 DC, préc, § 76.
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28.
Cons. const., 18 mai 2016, n° 2016-542 QPC, Sté ITM alimentaire international SAS.
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29.
C. com., art. L. 442-6, III, al. 2, troisième phrase.
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30.
Cons. const., 8 déc. 2016, n° 2016-741 DC, Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, cons. 88.
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31.
Cons. const., 2 mars 2016, n° 2015-524 QPC, préc., cons. 13.
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32.
Cons. const., 8 juill. 2016, n° 2016-552 QPC, Sté Brenntag, § 12.
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33.
Cons. const., 23 sept. 2016, n° 2016-569 QPC, préc., § 12.
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34.
Cons. const., 4 nov. 2016, n° 2016-594 QPC, Mme Sylvie T., § 8 ; CPP, art. 153, dernier al., seconde phrase contraire à la constitution.
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35.
V. supra « Les normes de référence ».