Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (2e semestre 2017) (6e partie)
La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique qui est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.
La chronique présentée ci-dessous couvre le deuxième semestre de l’année 2017.
I – Les institutions constitutionnelles
A – Les pouvoirs politiques : le pouvoir exécutif
B – Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative
1 – Les validations législatives
2 – Le contrôle de la procédure législative
3 – La compétence et le domaine de la loi
4 – L’incompétence négative du législateur
C – Le pouvoir juridictionnel
D – Le pouvoir financier
E – Les collectivités décentralisées
F – Droits électoraux, contentieux des élections et des référendums
II – Le procès constitutionnel
A – Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel (…)
B – La procédure devant le Conseil constitutionnel
C – Les techniques contentieuses (…)
D – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel
III – Les normes de références
A – Les sources matérielles
1 – Les textes constitutionnels
2 – Les rapports de systèmes
B – Les droits et libertés
1 – Les libertés
a – Sécurité et libertés
b – Liberté individuelle, respect de la vie privée, principe de responsabilité
c – Liberté d’expression / Liberté de conscience (…)
d – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle
2 – Le droit de propriété (…)
3 – Le principe d’égalité
a – Principe d’égalité devant la loi
b – Principe d’égalité devant la loi fiscale et les charges publiques – Droits et libertés en matière fiscale
Les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, desquels le principe d’égalité devant les charges publiques tire sa substance, autorisent la loi à déroger à l’égalité pour des raisons d’intérêt général. Il faut toutefois que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit et qu’elle repose sur des critères objectifs et rationnels.
Ces conditions sont remplies, selon la décision n° 2017-668 QPC du 27 octobre 2017, à propos de l’exonération des plus-values de cession de logements par des non-résidents. Une personne physique ressortissante d’un État membre de l’Union européenne ou d’un autre État partie à l’accord sur l’espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales qui a, avant la cession, quitté sa résidence principale et cessé d’être fiscalement domiciliée en France, ne peut pas bénéficier de la même exonération qu’une personne physique ayant elle aussi quitté sa résidence principale avant sa cession mais qui est demeurée fiscalement domiciliée en France. Si l’institution de régimes d’exonération des plus-values immobilières différents pour les résidents fiscaux et certains non-résidents fiscaux conduit à traiter différemment des personnes placées dans des situations différentes au regard des règles d’imposition des revenus, cette différence de traitement est en rapport avec l’objet de la loi. Elle est fondée sur des critères objectifs et rationnels dans le respect du principe d’égalité devant les charges publiques.
Le Conseil a tenu le même raisonnement, dans la décision n° 2017-681 QPC du 15 décembre 2017, en ce qui concerne l’exonération de la taxe sur les locaux à usage de bureaux. En réservant l’exonération de la taxe sur les locaux à usage de bureaux aux locaux administratifs des établissements publics d’enseignement et des établissements privés d’enseignement sous contrat avec l’État, le législateur n’a pas traité différemment ces derniers de ceux n’ayant pas conclu un tel contrat. Il a essentiellement entendu favoriser les établissements participant au service public de l’enseignement. C’est pourquoi, il a institué un avantage fiscal bénéficiant directement à ces établissements, lorsqu’ils sont propriétaires des locaux et surfaces en cause, ou indirectement lorsqu’ils en sont locataires. Dès lors, l’exclusion du bénéfice de l’exonération des établissements privés d’enseignement hors contrat qui, par leurs obligations, le statut de leur personnel, leur mode de financement et le contrôle auquel ils sont soumis, sont dans une situation différente des établissements publics et des établissements privés sous contrat, est fondée sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l’objet de la loi. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés.
Ces mêmes griefs ont également été rejetés, dans la décision n° 2017-676 QPC du 1er décembre 2017, quant à la question de la déductibilité des dettes du défunt à l’égard de ses héritiers ou de personnes interposées. Selon que le redevable a contracté une dette auprès d’un membre de sa famille ou auprès d’un tiers, cette dette n’est pas déductible de son patrimoine dans les mêmes conditions. En instituant, pour l’établissement des droits de mutation à titre gratuit pour cause de décès, une différence de traitement entre les successions selon que les dettes du défunt ont été contractées, d’une part, à l’égard de ses héritiers ou de personnes interposées ou, d’autre part, à l’égard de tiers, le législateur a entendu permettre le contrôle de la sincérité de ces dettes. Il a, de ce fait, réduit les risques de minoration de l’impôt qu’il a jugés plus élevés dans le premier cas compte tenu des liens entre une personne et ses héritiers. Cette différence de traitement qui répond à l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ne fait pas peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. Elle est conforme aux exigences des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789.
C’est aussi en conformité avec ces dispositions que le législateur a pu instituer à la charge des redevables de l’impôt sur les sociétés dont le chiffre d’affaires est supérieur à un milliard d’euros, une contribution exceptionnelle. Ainsi en a jugé le Conseil constitutionnel dans la décision n° 2017-755 DC du 29 novembre 2017 pour plusieurs motifs.
En effet, lorsque le législateur institue un impôt, il a toute latitude pour ne pas le faire reposer sur l’ensemble des contribuables, à la condition, toutefois, de ne pas créer de différence de traitement injustifiée. En l’espèce, le législateur n’était pas tenu d’étendre aux personnes physiques les impositions auxquelles il a assujetti certaines personnes morales. Ensuite, en prévoyant que sont assujettis à ces contributions les redevables de l’impôt sur les sociétés réalisant un chiffre d’affaires supérieur à un milliard d’euros ou égal ou supérieur à trois milliards d’euros, le législateur a entendu imposer spécialement les grandes entreprises. En retenant comme critère d’assujettissement un chiffre d’affaires élevé, le législateur s’est fondé sur un critère objectif et rationnel, qui caractérise une différence de situation entre les redevables de l’impôt sur les sociétés de nature à justifier une différence de traitement en rapport avec l’objet de la loi. La circonstance que tous les redevables des contributions contestées ne bénéficient pas ou bénéficieraient peu des dégrèvements et remboursements de la taxe prévue par l’article 235 ter ZCA est sans incidence à cet égard. Par ailleurs, en ce qui concerne les conditions d’assujettissement spécifiques pour les sociétés membres de groupes fiscalement intégrés au sens des articles 223 A et 223 A bis du Code général des impôts, à savoir la fixation d’un chiffre d’affaires correspondant à la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres du groupe, le législateur a entendu tenir compte de ce que la société-mère est seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû par l’ensemble des sociétés du groupe. En retenant comme seuil d’assujettissement la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres du groupe, le législateur s’est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec le but poursuivi. Il n’était, à cet égard, pas obligé de tenir compte du fait que les sociétés de certains groupes n’ont pas consenti à leur intégration. Dans tous les cas, compte tenu de la définition de l’assiette des contributions contestées, les règles d’assujettissement des sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré ne font pas peser sur la société-mère une charge excessive au regard de ses facultés contributives et n’entraînent pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Par ailleurs, le mécanisme d’atténuation prévu évite les effets de seuil manifestement disproportionnés tout comme a été évitée toute imposition confiscatoire sur les résultats des redevables de l’impôt sur les sociétés grâce aux contributions qui s’appliquent au taux de 15 % non pas aux résultats du contribuable mais à l’impôt sur les sociétés dû, déterminé avant imputation des réductions et crédits d’impôt et des créances fiscales de toutes natures. Au regard de l’ensemble de ces éléments, aucune rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques n’a été relevée.
À propos de la réduction du taux des cotisations sociales pesant sur les revenus d’activité des travailleurs du secteur privé et de l’augmentation de 1,7 point des taux de la contribution sociale généralisée instituées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, le Conseil considère dans la décision n° 2017-756 DC, que la différence de situation appelle une différence de traitement en conformité avec les exigences des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de 1789.
Ainsi, la différence de traitement opérée par le législateur par l’augmentation des taux de la contribution sociale généralisée de 1,7 point pour tous les éléments de son assiette, à l’exception notamment des allocations-chômage et des pensions de retraite ou d’invalidité des personnes à revenus modestes, est justifiée par la différence de situation existant entre des personnes percevant des revenus modestes et les autres. Est également justifiée par une différence de situation, l’institution de réductions de cotisations au profit des agents du secteur privé, là où les titulaires de pensions de retraite ou d’invalidité et les fonctionnaires en sont exempts en raison de la soumission des seuls revenus d’activité des travailleurs du secteur privé à des cotisations d’assurance maladie et d’assurance chômage. Le Conseil a, en outre, jugé que la dégressivité des cotisations familiales et d’assurance maladie et maternité pesant sur les travailleurs indépendants n’est pas contraire au principe d’égalité dès lors que le niveau des prestations auxquelles elles ouvrent droit ne dépend pas de la durée de cotisation ni du niveau des revenus d’activité sur lesquels ont porté ces cotisations.
Dans la décision n° 2017-758 DC, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques a largement été invoqué pour contester la constitutionnalité des dispositions de la loi de finances pour 2018 sans pour autant qu’il n’aboutisse.
Sur le nouveau dégrèvement, pris en charge par l’État, de la taxe d’habitation perçue par les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, le Conseil considère qu’il s’agit là d’une étape dans la perspective d’une réforme plus globale de la fiscalité locale. Pour ce faire, le législateur a entendu diminuer l’imposition à la taxe d’habitation de la plus grande part de la population. S’il n’a ce faisant pas réduit l’ensemble des disparités de situation entre contribuables inhérentes au régime de la taxe d’habitation sous l’effet de son évolution depuis sa création, le législateur s’est fondé, en retenant comme critère d’éligibilité au nouveau dégrèvement un plafond de revenu en fonction du quotient familial, sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l’objet de la loi. La décision du Conseil sur ce point s’entend sans préjudice de la possibilité pour lui de réexaminer ces questions en fonction notamment de la façon dont sera traitée la situation des contribuables restant assujettis à la taxe d’habitation dans le cadre d’une réforme annoncée de la fiscalité locale.
Sur la modification du régime d’imposition des revenus du capital perçus par les personnes physiques, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées entre, d’une part, les revenus du capital désormais soumis au nouveau prélèvement proportionnel et, d’autre part, les autres catégories de revenus demeurant soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu, repose sur une différence de situation entre ces catégories de revenus conforme au principe d’égalité devant les charges publiques.
Sur la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et la création de l’impôt sur la fortune immobilière dans un objectif de rendement budgétaire, le législateur n’a pas non plus méconnu l’égalité devant les charges publiques en excluant de l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière les biens immobiliers détenus par des sociétés lorsque ceux-ci sont affectés à leur activité et en n’excluant pas les mêmes biens immobiliers lorsqu’ils sont donnés à bail. Il a entendu limiter l’imposition instituée aux biens non professionnels et ne pas pénaliser la détention de biens immobiliers pour l’exercice de ces activités. Dès lors, il pouvait traiter différemment les biens immobiliers détenus par des sociétés pour l’exercice de leur activité et ceux loués à des tiers, y compris lorsqu’ils sont affectés par le locataire à une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
Sur l’exception au principe selon lequel, pour l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière, les biens grevés d’un usufruit sont compris dans le patrimoine de l’usufruitier pour leur valeur en pleine propriété, qui prévoit que dans des hypothèses où la constitution de l’usufruit procède des prévisions de la loi civile, l’actif grevé d’un usufruit est compris dans les patrimoines de l’usufruitier et du nu-propriétaire suivant des proportions fixées par le législateur en fonction de l’âge de l’usufruitier, la différence de traitement instituée repose sur une différence de situation, selon que l’usufruit est soit constitué par détermination de la loi, soit procède d’une convention ou d’un testament. Elle résulte de la volonté du législateur de faire peser sur l’usufruitier la charge de l’impôt sur la fortune immobilière lorsque celui-ci était le plein propriétaire initial du bien immobilier et que le démembrement procède de sa volonté, et, au contraire, de faire peser cette charge sur l’usufruitier et le nu-propriétaire à hauteur de la valeur de l’usufruit et de la nue-propriété dans les autres situations. La différence de traitement établie par le législateur est donc fondée sur des critères objectifs et rationnels, en rapport avec le but qu’il s’est assigné. Le grief tiré de l’atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques doit donc être écarté.
Sur la soumission à l’impôt sur la fortune immobilière des biens immobiliers faisant l’objet d’un crédit-bail ou d’un contrat de location accession à la propriété immobilière et des contrats d’assurance-vie ou de capitalisation, le législateur a entendu traiter de la même manière, les personnes acquérant un bien immobilier, qu’elles financent cette acquisition par l’emprunt ou qu’elles la financent par un crédit-bail ou par une location accession à la propriété immobilière ainsi que les personnes qui recueillent le produit des actifs immobiliers constituant le sous-jacent des unités de compte du contrat d’assurance-vie ou de capitalisation qu’elles ont souscrit et celles qui perçoivent les fruits de parts de sociétés civiles immobilières. Pour ce faire, afin de prendre en compte les spécificités du crédit-bail ou de la location accession à la propriété immobilière, dans lesquels la propriété du bien n’est susceptible d’être acquise qu’à l’issue de l’opération, il a été prévu que la valeur des biens en cause n’entre dans l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière qu’après déduction du montant des loyers ou redevances et du montant de l’option d’achat restant à courir jusqu’aux termes du contrat. De même, il a été prévu que la valeur de rachat des contrats d’assurance-vie ou de capitalisation ne soit prise en compte qu’à hauteur de la fraction correspondant à la valeur représentative des unités de compte constituées d’actifs immobiliers. L’assujettissement de ce type d’actifs à l’impôt sur la fortune immobilière repose donc sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec le but que s’est fixé le législateur, sans qu’il ne fasse peser sur ces catégories de contribuables une charge excessive au regard de la capacité contributive que leur confère la détention de ces actifs.
Sur le passif déductible de l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière, le Conseil ne relève aucune présomption irréfragable de fraude fiscale, comme l’invoquait la saisine. Ces dispositions visent à éviter que la conclusion de contrats de prêts prévoyant un remboursement de la totalité du capital à l’issue d’un délai important permette au contribuable de diminuer artificiellement la base taxable à l’impôt sur la fortune immobilière. Par ailleurs, elles se bornent à déterminer le rythme suivant lequel l’emprunt est déductible sans remettre en cause sa déductibilité. Le principe d’égalité devant les charges publiques est ainsi respecté tout comme il l’est, sans créer d’effet de seuil disproportionné en prévoyant que lorsque le patrimoine taxable excède 5 millions d’euros et que le montant total des dettes admises en déduction excède 60 % de cette valeur, le montant des dettes excédant ce seuil n’est admis en déduction qu’à hauteur de 50 % de cet excédent, l’objectif étant d’éviter des schémas d’optimisation fiscale. La différence de traitement instituée entre les détenteurs de ces dettes et les autres redevables est en rapport avec le but fixé, sachant qu’en outre, la déduction des dettes dont le redevable justifie qu’elles n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal n’est pas limitée.
Sur la soumission de l’impôt sur la fortune immobilière à un plafonnement, l’absence de prise en compte, pour le calcul du plafonnement, des pensions alimentaires, qui sont une charge pesant sur le revenu des redevables, n’est pas de nature à conférer à cette imposition un caractère confiscatoire, compte tenu de l’assiette et du tarif de l’impôt sur la fortune immobilière. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques doit donc être écarté.
Sur la réforme des aides au logement et les règles de fixation des loyers dans le parc locatif social, aucun effet de seuil excessif en méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques ne peut être relevé à l’égard des dispositions qui instaurent une réduction de loyer au bénéfice de certains locataires de logements sociaux ouvrant droit à l’aide personnalisée au logement, dans le but de favoriser l’accès au logement social des personnes aux revenus modestes.
Ces dispositions qui font bénéficier de la réduction de loyer de solidarité tous les locataires d’un logement ouvrant droit à l’aide personnalisée au logement satisfaisant aux conditions de ressources et de composition du foyer, y compris ceux ne bénéficiant pas de l’aide personnalisée au logement, n’établissent aucune différence de traitement et n’instituent aucun avantage injustifié.
Sur la suppression du remboursement par l’État aux sociétés d’assurance et aux mutuelles d’une fraction de la majoration légale de certaines rentes viagères servies à leurs clients, la suppression de la prise en charge partielle par l’État de ces dispositifs de majoration légale ne fait pas peser une charge excessive sur les organismes débirentiers. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 13 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
Sur le fondement des seules dispositions de l’article 13 de la Déclaration des droits de 1798, est jugée constitutionnelle l’impossibilité du report de l’imputation de crédits d’impôt d’origine étrangère, sachant que le principe d’égalité devant les charges publiques n’impose pas au législateur fiscal français de tenir compte de l’impôt établi à l’étranger, comme le précise le Conseil dans la décision n° 2017-654 QPC du 28 septembre 2017.
En ce qui concerne les droits de mutation à titre gratuit sur les sommes versées dans le cadre de contrats d’assurance-vie, le Conseil estime, dans la décision n° 2017-658 QPC du 3 octobre 2017, que la loi peut prévoir que l’impôt est dû à raison du seul versement des primes après 70 ans, sans tenir compte des retraits effectués postérieurement à ce versement par l’assuré, tout comme elle peut soumettre aux droits de mutation les sommes versées au bénéficiaire, sans distinguer entre la fraction correspondant aux primes initialement versées par l’assuré et celle correspondant aux produits de ces primes. Cette possibilité offerte à la loi de prévoir des exceptions au régime fiscal favorable de l’assurance-vie a pour but de décourager le recours tardif à cet instrument d’épargne dans le but d’échapper à la fiscalité successorale. Ce sont donc des critères objectifs et rationnels conformes au but visé qui motivent l’institution de telles exceptions en conformité avec les exigences de l’article 13 de la Déclaration des droits de 1789.
Le respect de ces exigences a été admis à propos de l’exclusion de certaines plus-values mobilières de l’abattement pour durée de détention sous réserve, toutefois, comme le précise le Conseil dans la décision n° 2017-642 QPC du 7 juillet 20171, de prendre en compte l’érosion monétaire lors de l’imposition d’une plus-value réalisée avant le 1er janvier 2013 qui, en raison de la remise en cause d’un abattement accordé sous conditions avant cette date, se trouve soumise au barème progressif de l’impôt sur le revenu sans bénéficier d’aucun abattement pour durée de détention.
C’est aussi sous réserve2 que le Conseil a admis, dans la décision n° 2017-643/650 QPC du 7 juillet 2017, l’application de la majoration de 25 % de l’assiette des contributions sociales sur les revenus de capitaux mobiliers particuliers dont il convient d’exclure de son champ, pour une conformité au principe d’égalité devant les charges publiques, l’ensemble des bénéfices ou revenus mentionnés au 2° du 7 de l’article 158 du Code général des impôts.
Le Conseil a validé, dans la décision n° 2017-659 QPC du 6 octobre 2017, le dispositif d’imposition des revenus réalisés par l’intermédiaire de structures établies hors de France et soumises à un régime fiscal privilégié. Néanmoins, il accompagne cette validation d’une réserve d’interprétation. L’article 123 bis du Code général des impôts prévoit l’imposition des avoirs d’une personne physique fiscalement domiciliée en France qu’elle détient à l’étranger par l’intermédiaire d’une entité juridique dont les actifs sont principalement financiers et soumise à un régime fiscal privilégié. À cette fin, il soumet à l’impôt sur le revenu, selon des règles dérogatoires au droit commun, les bénéfices et les revenus positifs de cette entité, réputés acquis par la personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu’elle détient dans cette entité. L’objectif poursuivi est de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales de personnes physiques qui détiennent des participations dans des entités principalement financières localisées hors de France et qui bénéficient d’un régime fiscal privilégié. Toutefois, la poursuite de cet objectif de valeur constitutionnelle ne peut faire obstacle, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d’égalité devant les charges publiques, à ce que le contribuable puisse être autorisé à prouver, afin d’être exempté de l’application de l’article 123 bis, que la participation qu’il détient dans l’entité établie ou constituée hors de France n’a ni pour objet ni pour effet de permettre, dans un but de fraude ou d’évasion fiscales, la localisation de revenus à l’étranger.
C’est aussi dans ce même but et avec une réserve similaire que le Conseil a admis, dans la décision n° 2017-679 QPC du 15 décembre 2017, la conformité aux dispositions de l’article 13 de la Déclaration des droits de 1789 de l’assujettissement du constituant d’un trust à l’impôt de solidarité sur la fortune prévu par les dispositions de l’article 885 G ter du Code général des impôts. En adoptant ces dispositions applicables aux biens ou droits placés dans un trust, le législateur a instauré, à des fins de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, une présomption de rattachement au patrimoine du constituant de ces biens, droits ou produits. Le législateur a ainsi tenu compte de la difficulté, inhérente aux trusts, de désigner la personne qui tire une capacité contributive de la détention de tels biens, droits ou produits. Ce faisant, il s’est fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction de l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales qu’il a poursuivi. Cependant, ces dispositions ne sauraient empêcher que ces derniers puissent prouver que les biens, droits et produits en cause ne leur confèrent aucune capacité contributive, résultant notamment des avantages directs ou indirects qu’ils tirent de ces biens, droits ou produits. Dans le cas contraire, serait méconnue l’exigence de prise en compte des capacités contributives du constituant ou du bénéficiaire réputé constituant du trust, étant entendu que cette preuve ne peut résulter uniquement du caractère irrévocable du trust et du pouvoir discrétionnaire de gestion de son administrateur.
À l’inverse, c’est à une déclaration de non-conformité au principe d’égalité devant les charges publiques qu’a abouti l’examen par le Conseil des dispositions d’exemption de la contribution prévue au 2° de l’article L. 834-1 du Code de la sécurité sociale des employeurs relevant du régime agricole au regard des lois sur la sécurité sociale. Le législateur ne s’est pas fondé sur un critère objectif et rationnel en fonction des buts qu’il s’est fixés de financement de l’allocation logement alors que l’exonération de cette même contribution des employeurs occupant moins de vingt salariés a été jugée conforme à la constitution. Dans ce dernier cas, le législateur a entendu tenir compte de la moindre capacité contributive de cette catégorie d’employeurs par rapport à ceux occupant vingt salariés et plus. De ce fait, il a retenu un critère objectif et rationnel en fonction des buts qu’il s’est fixés et n’a pas méconnu le principe d’égalité devant les charges publiques, selon les termes de la décision n° 2017-657 QPC du 3 octobre 2017.
Dans la décision n° 2017-660 QPC du 6 octobre 2017, sont également considérées comme inconstitutionnelles les dispositions de l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts qui instituent, à la charge des personnes passibles de l’impôt sur les sociétés, une imposition dénommée « contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés au titre des montants distribués ». Ces dispositions font une différence de traitement entre les sociétés-mères, selon que les dividendes qu’elles redistribuent proviennent ou non de filiales établies dans un État membre de l’Union européenne autre que la France. Or, ces sociétés se trouvent dans la même situation au regard de l’objet de la contribution, qui consiste à imposer tous les montants distribués, indépendamment de leur localisation d’origine et y compris ceux relevant du régime mère-fille issu du droit de l’Union européenne. Si l’institution de cette contribution poursuit un objectif de rendement en cherchant à compenser la perte de recettes pérenne provoquée par la suppression de la retenue à la source sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières, un tel objectif ne constitue pas, en lui-même, une raison d’intérêt général de nature à justifier la différence de traitement instituée entre les sociétés-mères qui redistribuent des dividendes provenant d’une filiale établie dans un État membre de l’Union et celles qui redistribuent des dividendes provenant d’une filiale établie en France ou dans un État tiers à l’Union européenne. Il en résulte donc une méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques.
Il en va aussi ainsi des conditions d’exonération d’impôt sur le revenu de l’indemnité compensatrice de cessation de mandat d’un agent général d’assurances. Le Conseil relève dans la décision n° 2017-663 QPC du 19 octobre 2017, que si le régime d’exonération dont bénéficie l’indemnité compensatrice versée à l’occasion de la cessation d’activité d’un agent général d’assurances faisant valoir ses droits à la retraite a pour but de favoriser la poursuite de l’activité exercée, il n’y a pas de lien entre la poursuite de l’activité d’agent général d’assurances et la forme juridique dans laquelle elle s’exerce. Par ailleurs, l’indemnité compensatrice n’est versée qu’en l’absence de cession de gré à gré par l’agent général, situation dans laquelle il n’est pas en mesure de choisir son successeur. Le bénéfice de l’exonération dépend ainsi d’une condition que le contribuable ne maîtrise pas. Dès lors, en conditionnant l’exonération d’impôt sur le revenu à raison de l’indemnité compensatrice à la reprise de l’activité par un nouvel agent général d’assurances exerçant à titre individuel, le législateur ne s’est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but visé. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent le principe d’égalité devant les charges publiques.
La décision n° 2017-669 QPC du 27 octobre 2017 offre au Conseil l’occasion de rappeler que l’exigence de prise en compte des facultés contributives, qui résulte du principe d’égalité devant les charges publiques, implique qu’en principe, lorsque la perception d’un revenu ou d’une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource. S’il peut être dérogé à cette règle, notamment pour des motifs de lutte contre la fraude ou contre l’évasion fiscale, de telles dérogations doivent être adaptées et proportionnées à la poursuite de ces objectifs. Or la taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision à laquelle sont soumis les éditeurs de services de télévision est en partie assise sur des sommes perçues par des tiers, les régisseurs de messages publicitaires et de parrainage, que ces éditeurs aient ou non disposé de ces sommes. Elles ont ainsi pour effet de soumettre un contribuable à une imposition dont l’assiette peut inclure des revenus dont il ne dispose pas. En posant le principe de l’assujettissement, dans tous les cas et quelles que soient les circonstances, des éditeurs de services de télévision au paiement d’une taxe assise sur des sommes dont ils ne disposent pas, le législateur n’a pas tenu compte des facultés contributives de ses redevables et a, ainsi, méconnu les exigences résultant de l’article 13 de la Déclaration de 1789.
LB
4 – Les droits sociaux
Égalité devant la loi en matière de droit du travail
En matière d’égalité devant la loi3, le Conseil constitutionnel exige de manière habituelle que la différence de traitement procède de la loi elle-même.
– Dans la décision n° 2017-751 DC du 7 septembre 2017, Loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions habilitant le gouvernement à prendre par ordonnances toute mesure permettant de modifier les règles relatives au licenciement économique en définissant le périmètre dans lequel un tel licenciement doit être apprécié ne sont, ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, contraires au principe d’égalité devant la loi (§ 44).
– De même, dans la décision n° 2017-665 QPC du 20 octobre 2017, Confédération générale du travail – Force ouvrière, le Conseil constitutionnel a rejeté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, après avoir relevé qu’en permettant à un employeur de licencier un salarié ayant refusé la modification de son contrat de travail résultant de l’application d’un accord de préservation et de développement de l’emploi, le législateur a placé dans la même situation juridique l’ensemble des salariés refusant cette modification. Le Conseil constitutionnel en a déduit que le législateur n’a donc pas établi de différence de traitement entre eux (§ 14 et 15).
– Dans une décision n° 2017-664 QPC du 20 octobre 2017, Confédération générale du travail – Force ouvrière, rendue le même jour, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions législatives examinées au regard du principe d’égalité devant la loi entre syndicats. En effet, il a jugé qu’« il était loisible au législateur, d’une part, de renvoyer à la négociation collective la définition des modalités d’organisation de la consultation et, d’autre part, d’instituer des règles visant à éviter que des organisations syndicales non-signataires de l’accord puissent faire échec à toute demande de consultation formulée par d’autres organisations. Toutefois, en prévoyant que seules les organisations syndicales qui ont signé un accord d’entreprise ou d’établissement et ont souhaité le soumettre à la consultation des salariés sont appelées à conclure le protocole fixant les modalités d’organisation de cette consultation, le Conseil a jugé que les dispositions contestées instituent une différence de traitement qui ne repose ni sur une différence de situation ni sur un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de la loi » (§ 10).
Antérieurement à cette décision n° 2017-664 QPC, le Conseil constitutionnel a à deux reprises déclaré conformes à la constitution des dispositions législatives au motif que la différence de traitement entre syndicats était en lien avec l’objet de la loi4.
Principe de participation des travailleurs
Le Conseil constitutionnel a été amené au cours du second semestre 2017 à se prononcer à plusieurs reprises sur le droit des travailleurs à participer par l’intermédiaire de leurs délégués à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises, prévu à l’alinéa 8 du préambule de la constitution de 1946. Il l’a concilié tantôt avec le principe de l’égalité devant la loi, tantôt avec le grief de l’incompétence négative du législateur.
– Dans une première décision, n° 2017-661 QPC du 13 octobre 2017, Syndicat CGT des salariés des hôtels de prestige économique, le Conseil constitutionnel a validé la composition de la délégation unique du personnel (DUP), mise en place à l’initiative du chef d’entreprise ou par accord collectif majoritaire afin de la substituer aux délégués du personnel, au comité d’entreprise et au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, et exerçant les attributions dévolues à chacune de ces institutions représentatives du personnel.
Ainsi en jugeant que « le droit de participer (…) a pour bénéficiaires, non la totalité des travailleurs employés à un moment donné dans une entreprise, mais tous ceux qui sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu’elle constitue, même s’ils n’en sont pas les salariés » (§ 3), le Conseil constitutionnel a réaffirmé dans les mêmes termes sa jurisprudence habituelle en la matière, issue de la décision n° 2006-545 DC du 28 décembre 2006, Loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social (cons. 29)5. Cette jurisprudence a été complétée en 2008 par l’exigence de la sécurité juridique, le Conseil constitutionnel indiquant que « le législateur a entendu préciser cette notion d’intégration à la communauté de travail afin de renforcer la sécurité juridique des entreprises et des salariés »6.
– Dans la même décision n° 2017-661 QPC, le Conseil constitutionnel a considéré que « les salariés mis à disposition peuvent, en tout état de cause, (…) choisir d’exercer leur droit de vote et d’éligibilité aux institutions représentatives du personnel au sein de l’entreprise qui les emploie plutôt qu’au sein de l’entreprise utilisatrice » (§ 6) ; que « les membres de la DUP ont accès à l’ensemble des informations adressées à ces instances remplacées par cette instance unique » ; qu’« en excluant que les salariés mis à disposition soient éligibles à la délégation unique du personnel de l’entreprise utilisatrice, le législateur a cherché à éviter que des salariés qui continuent de dépendre d’une autre entreprise puissent avoir accès à certaines informations confidentielles, d’ordre stratégique, adressées à cette délégation unique lorsqu’elle exerce les attributions du comité d’entreprise » (§ 7) ; et « pour les mêmes motifs, tirés de ce que les délégués du personnel n’ont pas accès aux mêmes informations confidentielles que les membres de la délégation unique du personnel, la différence de traitement résultant de ce que les salariés mis à disposition sont éligibles en qualité de délégués du personnel alors qu’ils ne le sont pas, en vertu des dispositions contestées, à la délégation unique du personnel, repose sur une différence de situation en rapport avec l’objet de la loi » (§ 8). Le Conseil constitutionnel qui a validé les dispositions législatives attaquées, tire de la loi une série d’éléments allant dans le même sens du respect du principe d’égalité.S’agissant de la conciliation entre le droit de participer et l’ égalité devant la loi, cette même décision n° 2017-661 QPC s’inscrit à la suite à deux décisions par lesquelles le Conseil constitutionnel a validé la différence de traitement entre certains salariés et les autres : à propos de la restriction apportées aux droits de vote et d’éligibilité7 et à propos de l’exclusion de certaines catégories de salariés du décompte effectif de l’entreprise retenu pour l’application des seuils fixés par le Code du travail en vue d’assurer la représentation du personnel8. La décision n° 2017-661 QPC reprend, en le formulant plus explicitement, le raisonnement déjà développé dans la décision n° 2008-568 DC (cons. 6).
– Dans la décision n° 2017-664 QPC du 20 octobre 2017, Confédération générale du travail – Force ouvrière, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant le principe de participation des travailleurs (§ 16).
Pour juger ainsi, il a d’abord rappelé les règles du grief de l’incompétence négative du législateur en matière de QPC (§ 13) et celles délimitant la compétence du législateur quant au principe de participation des travailleurs (§ 14). Ensuite, il a relevé « d’une part que le renvoi au décret par les dispositions contestées ne porte que sur la détermination des modalités d’organisation de la consultation des salariés et que ces modalités ne peuvent avoir ni pour objet ni pour effet de rouvrir la négociation sur l’accord soumis à consultation. D’autre part, il a considéré qu’en soumettant la consultation au respect des principes généraux du droit électoral, les dispositions contestées ont exclu que le pouvoir réglementaire puisse prévoir des modalités d’organisation susceptibles d’en affecter la sincérité » (§ 15).
Le Conseil constitutionnel fait ici application de sa jurisprudence fixant les conditions dans lesquelles l’incompétence négative du législateur peut être invoquée dans le cadre d’une QPC9 ainsi que de sa jurisprudence fixant les conditions dans lesquelles le législateur doit exercer pleinement sa compétence en matière de droit du travail10.
Antérieurement à la décision n° 2017-664 QPC, le Conseil constitutionnel avait déjà admis dans certaines hypothèses le renvoi par le législateur au pouvoir réglementaire : pour la détermination des parts respectives du salaire et des autres éléments de la rémunération, dans les conditions et les limites définies par le législateur11 ou concernant le soin de préciser les modalités d’application des règles fixées par le législateur pour l’exercice du droit de grève12.
– Dans la décision n° 2017-751 DC du 7 septembre 2017, Loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, le Conseil constitutionnel a dû apprécier la conciliation entre le droit de participer des travailleurs et l’incompétence négative du législateur dans le cadre d’une loi d’habilitation du gouvernement. Ainsi, après avoir rappelé qu’au titre de l’article 34 de la constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des sixième et huitième alinéas du préambule de la constitution de 1946, les modalités de la représentation des salariés au sein des entreprises, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il était donc loisible au législateur d’autoriser le gouvernement à fusionner plusieurs instances représentatives du personnel. Il en a alors déduit que « les dispositions relatives à la limitation du nombre maximal de mandats électifs successifs des membres de la nouvelle instance représentative du personnel ne sont, ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, contraires à la liberté syndicale et au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail. Elles ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le gouvernement, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de l’article 38 de la constitution, de respecter cette liberté et ce principe, notamment dans la détermination des exceptions à la limitation du nombre maximal de mandats électifs successifs. Les griefs tirés de la méconnaissance des sixième et huitième alinéas du préambule de la constitution de 1946 doivent donc être écartés » (§ 26 et 27)13.
Incompétence négative du législateur
En faisant référence, au dernier alinéa du paragraphe III de l’article L. 2254-2 du Code du travail, à la notion de « rémunération mensuelle », le législateur a entendu renvoyer à la définition de la rémunération figurant à l’article L. 3221-3 du même code. Par conséquent et en tout état de cause, le grief tiré de l’incompétence négative du législateur doit être écarté. C’est ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel dans la décision n° 2017-665 QPC du 20 octobre 2017, Confédération générale du travail – Force ouvrière (§ 17).
Droit à l’emploi et conciliation avec la liberté d’entreprendre
Le Conseil constitutionnel a été saisi à deux reprises au cours du second semestre 2017 du grief tiré du droit à l’emploi. Il a été amené à examiner en outre la conciliation de ce droit avec la liberté d’entreprendre.
– Dans sa décision n° 2017-751 DC du 7 septembre 2017, Loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, § 42 et 43, le Conseil constitutionnel a rappelé le principe du cinquième alinéa du préambule de 1946 selon lequel « dès lors, il incombe au législateur de poser des règles propres à assurer le droit pour chacun d’obtenir un emploi tout en permettant l’exercice de ce droit par le plus grand nombre ». Puisil a jugé « qu’en habilitant le gouvernement à prévoir que la cause économique d’un licenciement, dans une entreprise appartenant à un groupe peut être appréciée au niveau des entreprises appartenant au même groupe, situées sur le territoire national et relevant du même secteur d’activité, le législateur n’a pas méconnu le droit à l’emploi ».
– Dans la décision n° 2017-665 QPC du 20 octobre 2017, Confédération générale du travail – Force ouvrière, le Conseil constitutionnel a jugé que « sous la réserve énoncée au paragraphe 12, le législateur a opéré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles qui découlent du droit d’obtenir un emploi et de la liberté d’entreprendre. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du droit à l’emploi doit être écarté » (§ 13).
Pour juger ainsi, le juge constitutionnel a rappelé le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi prescrits dans le préambule de la constitution de 1946, la compétence pour le législateur de déterminer les principes fondamentaux du droit au travail prévu à l’article 34 de la constitution ainsi que la nécessaire conciliation par le législateur entre le droit du travail et les libertés constitutionnellement garanties dont la liberté d’entreprendre découlant de l’article 4 de la Déclaration de 1789 (§ 5). Il a ensuite considéré que le législateur a entendu favoriser la préservation et le développement de l’emploi en permettant aux entreprises d’ajuster leur organisation collective afin de garantir leur pérennité et leur développement (§ 7).
Ensuite, d’une part, il a rappelé que ne disposant pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé (§ 8). D’autre part, il a relevé que le législateur a apporté au licenciement fondé sur ce motif les mêmes garanties que celles prévues pour le licenciement individuel pour motif économique en matière d’entretien préalable, de notification, de préavis et d’indemnités ; que le fait que la loi ait réputé le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse n’interdit pas au salarié de contester ce licenciement devant le juge afin que ce dernier examine si les conditions prévues au paragraphe II de l’article L. 2254-2 du Code du travail sont réunies ; qu’en prévoyant l’exclusion du bénéfice de l’obligation de reclassement, dont la mise en œuvre peut impliquer une modification du contrat de travail de l’intéressé identique à celle qu’il a refusée, le législateur a tenu compte des difficultés qu’une telle obligation serait susceptible de présenter ; que, si le législateur n’a pas fixé de délai à l’employeur pour décider du licenciement du salarié qui l’a averti de son refus de modification de son contrat de travail, un licenciement fondé sur ce motif spécifique ne saurait, sans méconnaître le droit à l’emploi, intervenir au-delà d’un délai raisonnable à compter de ce refus (§ 9 à 12).Cette décision n° 2017-665 QPC intervient alors que le Conseil constitutionnel a à plusieurs reprises expressément reconnu la valeur constitutionnelle du droit pour chacun d’obtenir un emploi comme dans la décision n° 98-401 DC du 10 juin 1998, Loi d’orientation et d’incitation relative à la réduction du temps de travail (cons. 26)14, et avec une formulation enrichie par l’effort de la loi à remédier à la précarité dans la décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l’égalité des chances (cons. 19).
Antérieurement, le Conseil constitutionnel a également validé la conciliation opérée par le législateur entre le droit à l’emploi et la liberté d’entreprendre : à propos de l’obligation de rechercher un repreneur en cas de projet de fermeture d’un établissement15 ; à propos d’une disposition exemptant, d’une part, l’employeur de l’obligation de réintégrer un salarié en dépit de la nullité de la procédure de licenciement, lorsque cette réintégration est impossible, et présentant, d’autre part, à titre d’illustration, des cas de réintégration impossible16 ; à propos du dispositif législatif visant à dissuader les entreprises employant moins de 11 salariés de procéder à des licenciements sans cause réelle et sérieuse en prévoyant une indemnité minimale égale à 6 mois de salaire17.
Plus rarement, le juge constitutionnel a jugé l’atteinte à la liberté d’entreprendre excessive : lorsque la définition plus restrictive du licenciement pour motif économique « a pour effet de ne permettre à l’entreprise de licencier que si sa pérennité est en cause »18.
5 – Les principes du droit répressif
a – Principes de légalité, nécessité et individualisation des délits et des peines
b – Principe de proportionnalité des sanctions
6 – Les droits processuels
a – Le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, l’égalité devant la justice et le principe d’impartialité et d’indépendance des juridictions
(À suivre)
Notes de bas de pages
-
1.
V. en ce sens, Cons. const., 22 avr. 2016, n° 2016-538 QPC.
-
2.
V. en ce sens, Cons. const., 10 févr. 2017, n° 2016-610 QPC.
-
3.
V. aussi supra « Principe d’égalité ».
-
4.
Cons. const., 7 oct. 2010, n° 2010-42 QPC, CGT-FO et a., cons. 7 ; Cons. const., 27 nov. 2015, n° 2015-502 QPC, syndicat confédération générale du travail, cons. 6.
-
5.
Jurisprudence réaffirmée par les décisions Cons. const., 2 avr. 2011, n° 2011-122 QPC, syndicat CGT et a. (Calcul des effectifs de l’entreprise), cons. 6 et Cons. const., 26 juill. 2013, n° 2013-333 QPC, M. Philippe M. et a. (Représentation des salariés au conseil d’administration), cons. 5.
-
6.
Cons. const., 7 août 2008, n° 2008-568 DC, loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, cons. 6.
-
7.
Cons. const., 7 août 2018, n° 2008-568 DC, cons. 6.
-
8.
Cons. const., 29 avr. 2011, n° 2011-122 QPC, syndicat CGT et a., cons. 7.
-
9.
Cons. const., 18 juin 2012, n° 2012-254 QPC, fédération de l’énergie et des mines – Force ouvrière FNEM FO, cons. 3.
-
10.
Cons. const., 29 avr. 2004, n° 2004-494 DC, loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, cons. 7 et 8. Pour une décision de censure sur le fondement de l’incompétence négative du législateur en matière de droit du travail : Cons. const., 11 avr. 2014, n° 2014-388 QPC, confédération générale du travail force ouvrière et a., cons. 6.
-
11.
Cons. const., 9 déc. 2004, n° 2004-507 DC, loi portant diverses dispositions relatives au sport professionnel, cons. 11.
-
12.
Cons. const., 16 août 2007, n° 2007-556 DC, loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, cons. 7.
-
13.
Sur ce point, v. supra « La compétence et le domaine de la loi ».
-
14.
Pour d'autres décisions, voir: Cons. Const., 28 décembre 2006, n° 2006-545 DC, loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social (cons. 12) .
-
15.
Cons. const., 27 mars 2014, n° 2014-692 DC, loi visant à reconquérir l’économie réelle, cons. 7 et 8.
-
16.
Cons. const., 13 janv. 2005, n° 2004-509 DC, loi de programmation pour la cohésion sociale, cons. 28.
-
17.
Cons. const., 13 oct. 2016, n° 2016-582 QPC, Sté Goodyear Dunlop Tires France SA, § 11 et 12.
-
18.
Cons. const., 12 janv. 2002, n° 2001-455 DC, loi de modernisation sociale, cons. 50.