Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (Second trimestre 2015) (2e partie)
La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique qui est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.
Afin d’être plus réactive, cette chronique sera désormais trimestrielle et celle présentée ci-dessous couvre les mois d’avril à juin 2015.
I – Les sources du droit constitutionnel et les normes de référence
A – Les normes de la Constitution
1 – La compétence du législateur
2 – Le contrôle du domaine de la loi et du règlement
3 – La Constitution numérotée
4 – La Déclaration de 1789
5 – Le Préambule de la Constitution de 1946
6 – Les PFRLR
7 – La Charte de l’environnement (…)
8 – Les objectifs de valeur constitutionnelle
B – Normes constitutionnelles non invocables dans le cadre de la QPC (…)
C – L’articulation entre le droit interne et les normes internationales et européennes (…)
II – Le procès constitutionnel
A – Les acteurs devant le Conseil constitutionnel (…)
B – La procédure devant le Conseil constitutionnel (…)
C – Les techniques contentieuses (…)
D – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel (…)
V. cette chronique, II. Le procès constitutionnel, E. Les actes susceptibles de contrôle.
E – Les actes susceptibles de contrôle
La décision n° 2015-712 DC du 11 juin 2015 porte mal son nom.
Titrée Pour un Sénat plus présent, plus moderne et plus efficace, on aurait pu trouver plus fidèle à la réalité qu’elle traite du « nouveau Conseil constitutionnel ». En effet, outre ses aspects de procédure parlementaire1, cette décision fait considérablement évoluer l’office du juge du contrôle de constitutionnalité a priori. Elle manifeste, s’il en était encore besoin, que le Conseil entend aligner ce contrôle sur celui de la QPC, recherchant de moins en moins d’arguments textuels pour justifier un tel rapprochement.
L’innovation de l’espèce est majeure puisque le Conseil a fait évoluer à la fois les actes susceptibles d’être contrôlés et l’autorité de sa décision dans le contrôle a priori.
La résolution du 13 mai 2015 avait été soumise au Conseil constitutionnel en tant qu’elle modifiait plusieurs articles du règlement du Sénat. Il convient en ce sens de rappeler que par principe, en vertu de l’article 61, alinéa 1, de la Constitution, les règlements des assemblées, les lois organiques et – depuis 2008 – les propositions de référendum d’initiative minoritaire, sont soumis au Conseil constitutionnel obligatoirement. Cette saisine obligatoire consiste, pour les autorités de saisine (premier ministre pour les lois organiques, présidents des assemblées dans les autres cas), à transmettre sans griefs – bien que cela puisse fort rarement arriver – le texte modifié afin de le soumettre au contrôle du Conseil. N’empruntant aucun trait à la procédure classique, les saisines obligatoires sont une sorte de condition supplémentaire de validité des textes soumis, une étape supplémentaire de leur procédure d’adoption, mais aucunement un acte fondateur du procès. Le Conseil, saisi de ces textes, les examine intégralement depuis la procédure d’adoption jusqu’aux griefs de fond qu’il choisit de son propre office. Le texte est examiné dans un rapport de conformité avec l’ensemble des normes de référence pertinentes, soit pour les règlements d’assemblée : Constitution, lois organiques et certaines lois ordinaires.
Mais l’espèce commentée modifie ces données contentieuses.
Jusqu’alors, le Conseil constitutionnel exerçait un contrôle intégral sur le texte qui lui était soumis, et uniquement sur le texte soumis. Il convient de préciser à ce stade que les résolutions parlementaires qui sont transmises au Conseil au titre de l’examen obligatoire des règlements des assemblées, entendent modifier seulement quelques articles de ce règlement (même s’il peut parfois s’agir de la quasi intégralité de ce règlement). Ce n’est aucunement le règlement d’assemblée qui est soumis en lui-même. En effet, le règlement des assemblées est un document interne qui est comme « stratifié » pour chaque époque de la vie parlementaire. Par essence donc, un tel règlement d’assemblée ne saurait être soumis en intégralité au Conseil dès lors que les résolutions n’en modifient qu’une partie ; ce serait comme soumettre à nouveau pour examen le Traité de Maastricht à chaque nouvelle directive communautaire contrôlée.
En l’espèce, pourtant, le Conseil constitutionnel a entendu se saisir « d’office » (le mot est, on va le voir, particulièrement mal choisi) de l’article 32 du règlement qui n’était pas modifié par la résolution. Cela signifie plusieurs choses.
Tout d’abord, il semble que le Conseil constitutionnel s’estime, à chaque examen d’une résolution du règlement d’assemblée, saisi d’un ensemble dont il entend examiner la cohérence et contrôler la constitutionnalité.
Ensuite, il apparaît que le Conseil ne respecte plus les limites de son examen d’office, qui correspondait jusqu’alors à l’accomplissement d’un contrôle intégral de constitutionnalité des textes soumis sans que les termes de la saisine ne le limitent, mais qui restait toutefois dans les limites du texte contrôlé (saisine qui peut ne pas être argumentée). À l’instar de la saisine d’office « Nouvelle-Calédonie » – par laquelle on désigne la technique permettant au Conseil constitutionnel de contrôler d’office une disposition de loi déjà promulguée à l’occasion de l’examen d’une loi nouvelle qui la modifie, la complète ou en affecte le domaine2 – cette saisine d’office du « règlement d’assemblée dans son intégralité » ne respecte plus le principe du non ultra petita. Le Conseil constitutionnel étend son contrôle dans le temps à des textes en vigueur, publiés et appliqués et cela dans le cadre d’un contrôle a priori censé, par définition, correspondre à une forme d’apurement de l’ordre juridique avant toute entrée en vigueur des textes.
Enfin, une telle saisine indique également que le Conseil ne maîtrise plus seulement la gomme mais aussi le crayon. Il empiète sur la souveraineté parlementaire en choisissant, en lieu et place de l’Assemblée elle-même, quand et comment modifier le texte du règlement de l’Assemblée qui est l’apanage des résolutions parlementaires, notamment eu égard à sa nature que l’on peut apparenter à une forme constitutionnelle de « mesure d’ordre intérieure ». Le Conseil s’arroge donc clairement ici une prérogative contra legem.
À tous ces inconvénients s’en ajoute un dernier. Le Conseil entend implémenter dans son contrôle a priori la notion de changement des circonstances de droit, ce qui n’est pas une parfaite nouveauté3. Néanmoins, il se sert ici de cette notion de changement de circonstances pour réexaminer une disposition déjà antérieurement contrôlée par lui. Cet examen antérieur était ici inévitable en présence d’un texte soumis à contrôle obligatoire. L’article 32 du règlement (examiné en l’espèce) ayant déjà été déclaré conforme sous une réserve d’interprétation dans la décision n° 95-368 DC du 15 décembre 1995, le changement de circonstances était donc nécessaire pour surmonter cette précédente décision. L’innovation consiste pour le Conseil à faire appel à ce changement de circonstances d’office, dans le cadre d’un contrôle a priori. Une telle adaptation du changement de circonstances paraît d’autant moins nécessaire que le Conseil est obligatoirement saisi de chaque modification des règlements d’assemblées, lui permettant ainsi de suivre en temps réel l’évolution qu’entend imprimer l’assemblée à son règlement.
Au final, c’est donc une disposition non modifiée par la résolution, déjà entrée en vigueur et appliquée, qui ne faisait pas l’objet d’une saisine, que le Conseil considère, de son propre office, changée par les circonstances et pour laquelle il entend proposer un nouvel examen.
Modelant ainsi l’autorité de la chose jugée par lui, le Conseil ne lui fait plus confiance. En effet, pour l’espèce, le changement des circonstances de droit résultait d’une nouvelle interprétation jurisprudentielle résultant elle-même de la réforme constitutionnelle de 2008. C’est dans sa décision n° 2014-705 DC du 11 décembre 2014 que le Conseil constitutionnel, se fondant sur la lecture combinée des articles 28 et 48 de la Constitution – nouvellement réécrit en 2008 – a considéré que « s’il ressort du dernier alinéa de l’article 28 de la Constitution que les jours et horaires des séances sont déterminés par le règlement de chaque assemblée, le règlement d’une assemblée ne saurait faire obstacle au pouvoir que le gouvernement tient du deuxième alinéa de l’article 48 de la Constitution de disposer de l’ordre du jour de la moitié des semaines de séance fixées par chaque assemblée en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l’article 28 de la Constitution » (cons. 19). Avocat du diable, le Conseil entendait surveiller que la « revalorisation des droits du parlement » ambitionnée par la réforme de 2008, ne déséquilibre pas les droits du gouvernement.
La décision ayant été rendue à propos du règlement de l’Assemblée nationale, le Conseil n’avait pas entendu émettre de réserve à destination du Sénat dans la décision de 2014 (dont l’alinéa 2 de l’article 32 posait pourtant une question identique à celle de l’article 50 du RAN examiné dans l’espèce). Dans le cycle normal de la jurisprudence, c’est la chose jugée de la décision du Conseil à l’égard du règlement de l’Assemblée nationale qui aurait dû inciter le Sénat lui-même à aligner son règlement sur la nouvelle jurisprudence, dont on pouvait raisonnablement discerner qu’elle s’appliquait également au Sénat.
Solution originale, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs examiné d’office l’article 32, alinéa 2, du RS pour le déclarer conforme à la double réserve déjà énoncée qui résulte de la combinaison des articles 28 et 48 de la Constitution. Précisant l’autorité de chose jugée de la précédente décision du 15 décembre 1995 rendue au sujet de l’article 32 du règlement, le Conseil a rappelé son considérant 50 et a précisé que la réserve qu’il contenait, continuait à s’appliquer à l’interprétation de l’article 32.
Cette saisine d’office encore mal rôdée ne se trouve pas particulièrement justifiée par les commentaires aux cahiers. On y apprend seulement que « le Conseil constitutionnel a jugé dans la décision commentée qu’il lui était loisible, (…) de procéder à un nouvel examen (…) lorsqu’un changement de circonstances le justifie ».
On peut considérer que le Conseil a souhaité endosser son rôle d’interprète authentique des dispositions de la Constitution dans le contrôle a priori nécessairement, puisque ni l’article 28, ni l’article 48, n’auraient pu être susceptibles d’intéresser une QPC. C’est en effet une interprétation des dispositions de la Constitution, telle que modifiée en 2008, que le Conseil a entendu imposer. Le parallèle pourrait être fait avec la question nouvelle en QPC qui centralise au niveau du seul Conseil constitutionnel le contentieux de toute question d’interprétation constitutionnelle nouvelle.
Il reste qu’un tel élargissement est triplement insatisfaisant.
D’abord parce qu’il appartient aux assemblées d’être à l’écoute des décisions du Conseil constitutionnel, comme entend l’imposer l’article 62 de la Constitution. Ensuite, parce que le texte de l’article 61, alinéa 1, de la Constitution entend bien préciser que le règlement des assemblées n’est pas un document soumis au contrôle du Conseil (sauf ab initio en 1959). Enfin, parce que ce n’est pas au Conseil constitutionnel de choisir lesquelles de ses décisions méritent d’être modifiées, sous peine de priver de tout son sens l’acte de saisine, qui n’est autre que l’acte de naissance de toute vie processuelle.
ACB
III – Les institutions constitutionnelles
A – Les pouvoirs politiques : le pouvoir exécutif (…)
B – Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative (…)
1 – Les validations législatives (…)
2 – Le contrôle de la procédure législative
Résolution réformant les méthodes de travail du Sénat dans le respect du pluralisme, du droit d’amendement et de la spécificité sénatoriale, pour un Sénat plus présent, plus moderne et plus efficace
Cons. const., 11 juin 2015, n° 2015-712 DC. Dans la décision n° 2015-712 DC du 11 juin 2015, le Conseil constitutionnel examine la conformité à la Constitution de la résolution du Sénat tendant à réformer les méthodes de travail du Sénat dans le respect du pluralisme, du droit d’amendement et de la spécificité sénatoriale, pour un Sénat plus présent, plus moderne et plus efficace.
Le président du Sénat, Gérard Larcher, était à l’initiative de cette réforme qui avait pour objet de reprendre les propositions du groupe de réflexion sur les méthodes de travail du Sénat. Il présentait cette dernière ainsi : « Six années après [la révision constitutionnelle de 2008], il m’est apparu nécessaire de mener une réflexion commune sur l’application de ces textes, sur nos pratiques, sur ce que nous avons réussi partiellement ou totalement pour tenter d’y apporter des améliorations »4. Trois axes de réforme étaient envisagés : réorganiser l’agenda sénatorial et l’emploi du temps des sénateurs, revoir l’articulation entre le temps de séance et le temps des commissions et dynamiser les procédures de contrôle et de questions. À cela s’ajoutent la constitution des groupes sous forme d’association et la prévention des conflits d’intérêt.
Dans le cadre du contrôle a priori des règlements des assemblées parlementaires, le Conseil constitutionnel contrôle la conformité de l’intégralité des résolutions qui lui sont soumises à l’égard, tant des normes de valeur constitutionnelle, notamment les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire (cons. 2), que des lois organiques et des mesures législatives prises pour l’application de la Constitution (cons. 1). Cependant, il ne rend public qu’une partie de l’examen de constitutionnalité. En l’occurrence, seul l’examen de neuf des dix-huit articles figure dans la décision ; les articles restants étant purement et simplement déclarés conformes par un considérant balai (cons. 48).
Dans cette décision le Conseil constitutionnel inaugure également une nouvelle forme de contrôle puisqu’il se reconnaît compétent, à l’occasion de l’examen d’une résolution d’une assemblée, pour réexaminer, en raison d’un changement de circonstances, une disposition du règlement déjà en vigueur (cons. 52)5. Il contrôle ainsi la constitutionnalité de l’article 32 du règlement du Sénat.
Seules les dispositions relatives à la publication de l’avis du Conseil d’État sur une proposition de loi sont censurées. Les autres dispositions sont déclarées conformes ou conformes sous réserves.
À l’occasion de ce contrôle, le Conseil s’assure que le pouvoir réglementaire a respecté, d’une part, les limites de sa compétence concernant l’organisation du fonctionnement interne du Sénat (I) et, d’autre part, les exigences constitutionnelles en matière de procédure parlementaire (II).
I. Le contrôle du respect de la compétence réglementaire concernant le fonctionnement interne du Sénat
Si le pouvoir réglementaire peut imposer de nouvelles obligations aux sénateurs et aux groupes parlementaires (A), il doit respecter les limites de son pouvoir concernant la fixation de l’agenda parlementaire et la publication des avis du Conseil d’État (B).
A. La possibilité d’imposer de nouvelles obligations et sanctions aux sénateurs et aux groupes parlementaires
Le Conseil admet que le pouvoir réglementaire impose de nouvelles obligations et sanctions aux sénateurs en matière d’absentéisme et de conflits d’intérêts. De même, l’obligation pour les groupes parlementaires de se constituer en association est conforme à la Constitution.
Concernant l’absentéisme, seule l’absence en commission pouvait faire l’objet d’une sanction et ces dispositions étaient, selon le rapporteur de la Commission, « tombé[es] en désuétude depuis longtemps »6. Les sénateurs ont voulu étendre ce dispositif aux absences en séance. Ils souhaitaient mettre en place des retenues financières en cas d’absences répétées en commissions, à des votes et explications de votes, déterminés par la Conférence des présidents, et aux séances de questions d’actualité au gouvernement. Le Conseil relève d’abord que le pouvoir réglementaire était habilité à prendre de telles mesures : « l’article 2 de l’ordonnance du 13 décembre 1958 susvisée dispose que “Le règlement de chaque assemblée détermine les conditions dans lesquelles le montant de l’indemnité de fonction varie en fonction de la participation du parlementaire aux travaux de l’assemblée à laquelle il appartient” » (cons. 6).
La résolution prévoit des cas d’exonération permettant aux sénateurs de s’absenter sans risquer d’encourir des retenues financières. Comme le relève le Conseil, « il est tenu compte de l’éloignement des sénateurs élus outre-mer » et « les absences justifiées soit par des missions effectuées pour le compte du Sénat soit pour cause de maternité ou de longue maladie ne sont pas prises en compte pour l’application des retenues prévues » (cons. 6). L’article 1er de l’ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote permet également aux sénateurs de déléguer leur vote dans ces cas, mais ces cas ne sont pas les seuls envisagés par l’ordonnance. Elle autorise la délégation en cas d’événement familial grave, de mission temporaire confiée par le gouvernement, ou en « cas de force majeure apprécié par décision des bureaux des assemblées ». Cependant, la résolution ne fait pas de ces dernières situations, des cas d’exonération.
Le rapporteur de la commission s’était d’ailleurs « interrogé sur l’absence d’articulation entre ce nouveau dispositif de sanction financière et l’ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 précitée et, plus précisément, sur sa conformité avec cette ordonnance »7. Il avait cependant estimé que : « le dispositif envisagé par la présente proposition de résolution s’appuie d’abord sur l’indemnité de fonction, dont la vocation est d’être liée à l’exercice effectif des fonctions. Même en cas d’absence justifiée au regard des situations permettant de déléguer son vote, votre rapporteur admet que les fonctions ne sont pas exercées »8. Par exemple, un débat s’était engagé en séance publique sur le cas d’une mission temporaire confiée par le gouvernement. Ce cas avait été exclu des exonérations alors qu’il permet une délégation de vote. Pour l’exclure, le rapporteur avait souligné qu’« un parlementaire doit avant tout exercer sa fonction de parlementaire »9.
Le Conseil constitutionnel a toutefois relevé que la Constitution prévoit en son article 27, alinéa 3, que « la loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote » et que l’ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958, au visa de laquelle il rend sa décision, « a fixé les conditions d’exercice de cette délégation » (cons. 7). Il a alors considéré « qu’il en résulte qu’un membre du Parlement votant par délégation, dans le respect des conditions posées par cette ordonnance, exerce son mandat » (cons. 7). Il émet ainsi une réserve d’interprétation en estimant qu’« un sénateur votant par délégation ne saurait être regardé comme absent lors d’un vote » (cons. 7). Toutefois, « cette réserve ne vaut pas pour les explications de vote ».
Il a donc ainsi étendu les cas d’exonération prévus par le dispositif en rompant peut-être l’équilibre envisagé par les sénateurs. Il a déclaré les dispositions conformes sous cette réserve (cons. 8).
La résolution met également en place « un régime de sanctions disciplinaires (…) en cas de manquement d’un sénateur aux obligations déontologiques fixées par le Bureau pour la prévention et le traitement des conflits d’intérêts, en application de l’article 4 quater de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires »10. Cet article prévoit que : le « bureau de chaque assemblée, après consultation de l’organe chargé de la déontologie parlementaire, détermine des règles en matière de prévention et de traitement des conflits d’intérêts. Il veille à leur respect et en contrôle la mise en œuvre » (cons. 43). Néanmoins, le régime disciplinaire des parlementaires relève de la compétence du règlement. Pour imposer des sanctions en cas de manquement aux obligations déontologiques, il fallait donc modifier le règlement.
Le Conseil présente d’abord le dispositif mis en place : insertion dans le règlement du comité de déontologie parlementaire (cons. 44), sanctions disciplinaires applicables en cas de manquement des sénateurs à leurs obligations en matière de conflit d’intérêts, liste des manquements susceptibles d’être sanctionnés et des sanctions encourues pour ces manquements (cons. 45), sanctions encourues par les membres du Bureau ou du comité de déontologie en cas de non-respect de la confidentialité (cons. 46). Après avoir simplement présenté le dispositif, il le déclare conforme à la Constitution.
Enfin, la résolution prévoit en son article 2, l’obligation pour les groupes parlementaires de se constituer sous forme d’association afin de renforcer la transparence de leur gestion et de leurs comptes. En 2014, l’Assemblée nationale a adopté une résolution tendant à modifier son règlement afin de doter les groupes parlementaires d’un statut d’association et le Conseil l’a déclaré conforme à la Constitution dans la décision n° 2014-702 DC du 16 octobre 201411. En s’appuyant sur cette déclaration de conformité, les sénateurs ont décidé d’adopter un dispositif similaire.
Comme pour la résolution de l’Assemblée nationale, la décision est rendue au visa de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association et le Conseil estime qu’étant donné que « ces obligations n’emportent aucun contrôle sur la constitution des groupes parlementaires ou de la “réunion administrative” » (cons. 10), les dispositions sont conformes à la Constitution. Un tel contrôle sur la constitution des groupes serait inconstitutionnel12.
B. L’obligation de respecter les limites du pouvoir réglementaire concernant la fixation de l’agenda parlementaire et la publication des avis du Conseil d’État
L’article 1er de la résolution fixe « les jours et horaires auxquels ont lieu, en principe, les réunions de groupe, les travaux des commissions permanentes, les travaux de la commission des affaires européennes et des délégations, ainsi que les réunions des autres instances du Sénat » (cons. 4). La résolution avait exclu de cette liste les réunions des commissions mixtes paritaires car elles « ne sont pas stricto sensu des instances du Sénat uniquement ». Il avait estimé que « le règlement du Sénat ne saurait fixer, même par principe, une plage unique de réunion de ces commissions »13. Ainsi, les « délégations parlementaires communes aux deux assemblées créées par les articles 6 ter et 6 nonies de l’ordonnance du 17 novembre 1958 » (cons. 4) n’étaient probablement pas incluses dans la liste fixée par l’article 1er car elles ne sont pas non plus des instances du Sénat uniquement.
Cependant, le Conseil a jugé nécessaire de les exclure explicitement, au motif que ces délégations « établissent elles-mêmes leur règlement intérieur » (cons. 4) ; le règlement des assemblées est donc incompétent pour les réglementer. Il déclare alors ces dispositions conformes sous cette réserve.
Dans cette décision, le Conseil constitutionnel s’estime, pour la première fois, compétent pour examiner d’office une disposition en vigueur du règlement en cas de changement de circonstances14. Il invoque un changement de circonstances de droit qui résulterait de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Toutefois, depuis cette révision constitutionnelle et le changement de circonstances invoqué, le règlement a été modifié quatre fois15 ce qui était autant d’occasions pour le Conseil de réexaminer les dispositions en cause. Le changement de circonstances de droit semble en réalité être l’évolution jurisprudentielle opérée dans la décision n° 2014-705 DC du 11 décembre 2014 relative à la résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale.
La disposition contrôlée d’office est l’article 32 du règlement qui prévoit, d’une part, les jours de séances et, d’autre part, que « le Sénat peut décider de tenir d’autres jours de séance dans la limite prévue au deuxième alinéa de l’article 28 de la Constitution, à la demande soit de la Conférence des présidents, du gouvernement ou de la commission saisie au fond » (cons. 49). La formulation de cet article laisse ainsi penser que si le gouvernement peut proposer la tenue d’autres jours de séances, la décision finale appartient au Sénat.
Le Conseil constitutionnel rappelle d’abord sa jurisprudence antérieure au 11 décembre 2014. Dans la décision du 15 décembre 199516, au visa de laquelle est rendue la décision commentée, le Conseil avait considéré que « le Constituant a entendu habiliter chaque assemblée non seulement à fixer a priori dans son règlement des jours et horaires de séances mais encore à déterminer des procédures lui permettant de tenir d’autres séances dès lors que leur mise en œuvre demeure subordonnée à la double condition que le plafond de cent-vingt jours de séance fixé par le deuxième alinéa de l’article 28 n’a pas été dépassé, et qu’il s’agit de semaines au cours desquelles chaque assemblée a décidé de tenir séance » (cons. 50).
Dans la décision n° 2014-705 DC précitée, le Conseil avait estimé qu’avec la révision du 23 juillet 2008, « le Constituant a entendu permettre au gouvernement de faire inscrire de droit des textes et des débats à l’ordre du jour de deux semaines de séance sur quatre et assurer ainsi au gouvernement qu’il dispose effectivement de la moitié de l’ordre du jour de la session ordinaire »17. Ainsi, il avait considéré que le règlement de chaque assemblée peut fixer les jours et horaires de séances (art. 28 C, al. 4), mais il « ne saurait faire obstacle au pouvoir que le gouvernement tient du deuxième alinéa de l’article 48 de la Constitution de disposer de l’ordre du jour de la moitié des semaines de séance fixées par chaque assemblée en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l’article 28 de la Constitution »18. Dans la décision commentée, il reprend ce considérant de principe (cons. 51). Il estime alors que la révision constitutionnelle constitue un changement de circonstances de droit justifiant le réexamen des dispositions réglementaires (cons. 51 et 52).
Comme dans la décision n° 2014-705 DC, il estime que les dispositions réglementaires « ne sauraient, sans méconnaître les exigences qui résultent du deuxième alinéa de l’article 48 de la Constitution, avoir pour objet ou pour effet de priver le gouvernement d’obtenir de droit que se tiennent des jours de séance autres que ceux prévus » par le « règlement pour l’examen des textes et des débats dont il demande l’inscription à l’ordre du jour des deux semaines de séance sur quatre qui lui sont réservées par priorité » (cons. 52). Il (re)déclare alors les dispositions conformes à la Constitution sous cette réserve (cons. 52).
L’article 7 de la résolution prévoyait publication de l’avis du Conseil d’État sur les propositions de loi, ce que n’envisageaient ni l’article 39, alinéa 3 de la Constitution ni l’article 4 bis de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Ce dernier prévoit uniquement la communication de l’avis à l’auteur de la proposition.
Le Conseil constitutionnel a estimé que le pouvoir réglementaire n’était pas compétent pour prendre de telles mesures en interprétant strictement l’étendue du pouvoir réglementaire. L’article 39, alinéa 3 de la Constitution prévoit que c’est « dans les conditions prévues par la loi » que « le président d’une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l’un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose ». La publication n’a pas trait aux conditions de soumission de la proposition pour avis au Conseil d’État puisque, lorsque la publication est envisagée, le Conseil d’État a déjà été saisi. Cependant, le Conseil a estimé que « les modalités de communication de l’avis rendu par le Conseil d’État sur une proposition de loi sont, dans leur ensemble, au nombre des conditions que la loi doit fixer en vertu du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution » (cons. 18). Il déclare alors les dispositions inconstitutionnelles car elles « relèvent du domaine de la loi » (cons. 18). Le commentaire autorisé estime que le Conseil fait « lecture stricte des renvois à la compétence du législateur par la Constitution » (p. 12). Il compare cette décision à la censure des dispositions de la résolution de l’Assemblée nationale relatives à la publication de documents d’une commission d’enquête n’ayant pas adopté de rapport. Dans la décision 2014-705 DC19, le Conseil avait estimé que le pouvoir réglementaire était incompétent pour organiser une telle publicité car elle n’était envisagée ni par l’article 51-2, alinéa 2, de la Constitution (qui renvoie à la loi pour déterminer les « règles d’organisation et de fonctionnement » des commissions) ni par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 précitée (qui ne prévoit que la publication du rapport de la commission et des auditions). Le Conseil avait alors déclaré les dispositions de la résolution de l’Assemblée nationale inconstitutionnelles en ce qu’elles dérogeaient aux dispositions de l’ordonnance.
Si le Conseil veille au respect par le pouvoir réglementaire des limites de sa compétence, il opère également un contrôle strict de constitutionnalité en matière de procédure parlementaire.
II. Un contrôle strict de constitutionnalité en matière de procédure parlementaire
Le Conseil a déclaré conforme sous réserve les nouvelles procédures d’amendement et d’examen en commission (A). Il rappelle également de manière insistante les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire (B).
A. Nouvelles procédures d’amendement et d’examen en commission : conformité sous réserve
L’article 6 de la résolution instaure une nouvelle procédure applicable aux amendements présentés en commission. Il prévoit, d’une part, un délai limite pour le dépôt des amendements en commission et, d’autre part, que « le président de la commission contrôle la recevabilité financière des amendements au regard de l’article 40 de la Constitution ».
L’instauration d’un délai pour exercer le droit d’amendement n’est pas inconstitutionnelle mais elle est soumise à la condition que ce délai ne s’applique ni au gouvernement ni aux sous-amendements et qu’il soit « déterminé de façon à ne pas faire obstacle à l’exercice effectif du droit d’amendement »20. En 2009, lorsque l’Assemblée nationale a instauré un délai limite pour le dépôt des amendements, le Conseil a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution en rappelant la nécessité de « garantir le caractère effectif de l’exercice du droit d’amendement conféré aux parlementaires par l’article 44 de la Constitution »21. Il avait également estimé « qu’il appartiendra au président de la commission de concilier cette exigence avec les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire »22. Le rapporteur du projet de résolution soulignait d’ailleurs que « le délai limite retenu pour les amendements de commission répond aux exigences de clarté et de sincérité des débats posées par le Conseil constitutionnel »23. Dans la décision commentée, le Conseil reprend le considérant formulé en 2009 (cons. 12) et déclare le dispositif conforme sous cette réserve (cons. 14).
L’instauration d’un examen systématique de la recevabilité financière des amendements était attendue depuis longtemps et le Conseil avait rappelé à plusieurs reprises cette exigence.
Selon une jurisprudence constante, le Conseil considère que l’article 40 de la Constitution exige, d’une part, un examen systématique et préalable de la recevabilité financière des propositions de loi24 et, d’autre part, la possibilité de constater « au cours de la procédure législative, l’irrecevabilité des propositions qui auraient, à tort, été déclarées recevables au moment où elles étaient formulées »25. Cette jurisprudence a été progressivement étendue aux amendements.
Le Conseil a d’abord estimé que les procédures d’examen de la recevabilité financière « doivent s’exercer au moment du dépôt d’un amendement »26. Cependant, comme il le soulignait en 2006, « une telle procédure n’a[vait] pas encore été instaurée au Sénat »27. Il avait alors considéré qu’en conséquence, la règle du préalable parlementaire ne s’appliquerait pas pour les amendements déposés au Sénat. Ce revirement faisait figure de mise en garde. Le commentaire autorisé prévenait que « désormais, et tant que le Sénat n’aura pas répondu positivement à l’invitation du Conseil, celui-ci pourra donc connaître directement de la méconnaissance, par les amendements sénatoriaux, de l’article 40 de la Constitution (autrement dit comme juge de premier et dernier ressort) »28. En 2009, le Sénat a tenté d’insérer à son règlement, un article 28 ter ayant pour objet de préciser les conditions dans lesquelles la commission saisie au fond examine les amendements et établit son rapport. Le Conseil a alors estimé qu’« il résulte de ces dispositions [article 40 C] et du premier alinéa de l’article 42 de la Constitution précité que chaque assemblée doit avoir mis en œuvre un contrôle de recevabilité effectif et systématique au moment du dépôt des amendements y compris auprès de la commission saisie au fond »29. En conséquence, la procédure permettant l’examen d’amendements « sans exiger un examen préalable de recevabilité »30 fût déclarée inconstitutionnelle. Dans cette même décision, le Conseil a rappelé que les exigences résultant de l’article 40 sont doubles : d’une part, un examen systématique et préalable au dépôt et à la mise en distribution afin que « seul soit accepté le dépôt des propositions et amendements qui, à l’issue de cet examen, n’auront pas été déclarés irrecevables » et, d’autre part, la possibilité de soulever à tout moment l’irrecevabilité financière31.
Le rapporteur de la résolution objet de la décision commentée précisait ainsi que l’instauration d’un contrôle systématique et préalable de la recevabilité financière visait à « tenir compte de la censure prononcée sur ce point par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009 »32. Le Conseil rappelle la double exigence formulée à l’occasion de cette décision (cons. 13). Il souligne ainsi que cette procédure d’examen préalable ne doit pas « avoir pour objet ou pour effet de faire obstacle à ce que l’irrecevabilité financière des amendements et des propositions de loi puisse être soulevée à tout moment lors de leur examen en commission » (cons. 14). Il déclare alors la disposition conforme sous cette réserve.
L’article 13 de la résolution instaure, « jusqu’au prochain renouvellement sénatorial », une procédure d’examen en commission (PEC) : « À la demande du président du Sénat, du président de la commission saisie au fond, d’un président de groupe ou du gouvernement, la Conférence des présidents peut décider que le droit d’amendement des sénateurs et du gouvernement s’exerce uniquement en commission ». Le gouvernement, le président de la commission saisie au fond ou un président de groupe peuvent s’opposer à la mise en œuvre de cette procédure. L’objectif poursuivi, d’après le rapporteur, est de « gagner en temps et en efficacité lors de l’examen d’un certain nombre de textes un peu techniques »33.
Une telle limitation du droit d’amendement avait été jugée inconstitutionnelle en 1990 : le Conseil avait alors estimé que « porte atteinte au droit d’amendement, reconnu à chaque parlementaire par le premier alinéa de l’article 44 de la Constitution, l’interdiction faite à tout membre de l’assemblée saisie du texte de reprendre en séance plénière un amendement relatif à celui-ci au motif que cet amendement aurait été écarté par la commission saisie au fond »34. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 fût l’occasion de revenir sur cette jurisprudence en modifiant l’article 44 de la Constitution qui dispose désormais que le droit d’amendement « s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique » (al. 1er). L’article 16 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution dispose que les règlements des assemblées peuvent « prévoir que le texte adopté par la commission saisie au fond est seul mis en discussion en séance » dans le cadre de la procédure d’examen simplifiée. Il réserve toutefois au gouvernement, au président de la commission saisie au fond et aux présidents de groupe le droit de s’opposer à la mise en œuvre de cette procédure.
Le Conseil, après avoir rappelé ces normes de référence (cons. 34), contrôle la conformité du dispositif à la Constitution. Il relève d’abord que les conditions d’exercice du droit d’amendement seront celles « mentionnées aux alinéas 1 et 2 de l’article 28 ter du règlement » (cons. 35). Ainsi, en application de l’article 28 quater, « cette procédure d’examen en commission ne peut être mise en œuvre que pour les textes autres que les projets de révision constitutionnelle, de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale, auxquels les conditions de l’article 28 ter du règlement ne sont pas applicables » (cons. 35). A contrario, autoriser la PEC pour ces textes serait inconstitutionnel : l’article 42, alinéa 2, de la Constitution prévoit que la discussion en séance de ces projets « porte, en première lecture devant la première assemblée saisie, sur le texte présenté par le gouvernement et, pour les autres lectures, sur le texte transmis par l’autre assemblée ». La PEC est donc impossible pour ces textes mais pas pour les propositions de révision constitutionnelle ou les lois organiques.
Ensuite, la résolution a prévu un droit d’opposition pour le gouvernement, le président de la commission saisie au fond et les présidents de groupe avant l’examen en commission et jusqu’à trois jours après la publication du rapport. Cela permet, selon le Conseil, de satisfaire aux exigences de l’article 16 de la loi organique du 15 avril 2009 (cons. 36). Ce droit d’opposition est maximal (du début à la fin de l’examen en commission) ; il pourrait certainement être plus restreint puisque la loi organique prévoit seulement le droit de s’opposer à la « mise en œuvre » de la procédure simplifiée. La procédure doit également respecter l’exigence d’examen systématique de la recevabilité financière des amendements, le Conseil renvoie à cet égard à la réserve formulée au considérant 1435 (cons. 36). De même, le règlement peut fixer une procédure dérogatoire pour déterminer le délai limite de dépôt des amendements, mais ce délai ne doit pas s’appliquer aux amendements du gouvernement et aux sous-amendements conformément à la procédure ordinaire (cons. 37).
Enfin, la PEC ne permet pas de présenter la question préalable, les motions préjudicielles et les motions de renvoi en commission, mais elle réserve la possibilité de soulever l’exception d’irrecevabilité, c’est-à-dire de contester la constitutionnalité du texte. Le Conseil avait déjà souligné la nécessité de préserver la possibilité effective, pour les parlementaires, de contester la conformité à la Constitution des dispositions d’un texte36 sans pour autant donner le fondement de cette exigence. Il la rappelle à nouveau dans cette décision (cons. 39) et considère cet aspect de la procédure conforme à la Constitution.
Par ailleurs, le Conseil émet deux réserves relatives au respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire (cons. 38 et 40) qui seront examinées ci-après. Le dispositif est donc validé dans l’ensemble sous les réserves et les précisions formulées par le Conseil.
B. Le rappel insistant des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire
Dans la décision commentée, le Conseil rappelle les normes de référence de son contrôle au nombre desquelles figurent les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire (cons. 2), comme il l’avait fait dans sa décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009 précitée. Une liste non exhaustive de ces exigences est donnée dans le commentaire de la décision n° 2009-581 DC précitée : respect des contraintes s’imposant à la discussion des projets de loi de finances, possibilité pour les députés de disposer d’un temps suffisant pour élaborer leurs amendements sur le fondement des explications fournies par le rapport de la commission, possibilité pour la commission d’étudier les amendements et de se forger une opinion avant le début de la séance publique, possibilité pour les députés de prendre connaissance des amendements avant la séance, possibilité pour l’Assemblée de conduire un débat qui puisse être efficace et éclairé, clair et sincère. Cette norme est invoquée à neuf reprises par le Conseil et le conduit à formuler sept réserves d’interprétation.
D’abord, lorsque le règlement permet à la Conférence des présidents de fixer des temps de parole, le Conseil rappelle qu’elle doit cependant respecter les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire. Le 1° de l’article 9 permet à la Conférence des présidents de décider que seul un orateur par groupe et un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe prendront la parole dans la discussion générale, pour des temps qu’elle détermine (cons. 20). Le 2° et le 3° du paragraphe IV de l’article 10 permettent à la Conférence des présidents, pour les prises de parole et les explications de vote sur chaque article et les explications de vote sur l’ensemble, d’« attribuer aux groupes et aux sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe soit un temps forfaitaire soit un temps minimal et un temps à la proportionnelle » et de « prévoir l’intervention, pour des temps qu’elle détermine, d’un seul orateur par groupe et d’un seul sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe » (cons. 30). Le Conseil a déclaré ces dispositions conformes sous réserve que les temps de parole ne soient pas fixés « de telle manière qu’ils privent d’effet les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire » (cons. 21 et 30). Le Conseil avait formulé une réserve similaire, lorsqu’en 2009, l’Assemblée nationale a instauré dans son règlement la possibilité de fixer une durée maximale pour l’examen de l’ensemble d’un texte37.
Ensuite, les dispositions limitant les temps de parole en séance publique doivent également être appliquées en respectant les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire. Le paragraphe I de l’article 10 limite, par défaut, la durée d’intervention d’un sénateur à deux minutes et demie (cons. 23). Le paragraphe II de ce même article réduit à dix minutes les durées d’intervention de vingt et quinze minutes et à deux minutes et demie celles de trois et cinq minutes (cons. 24). Le paragraphe V et le 3° du paragraphe VI de cet article limitent à deux minutes et demie l’intervention du rapporteur pour exprimer l’avis de la commission sur les exceptions, questions, motions ou demandes de priorité et sur chaque amendement (cons. 25). L’article 13 prévoit que les règles du débat public sont applicables en commission pour la PEC, ainsi, les mêmes limitations de temps de parole s’y appliquent (cons. 38). Il prévoit également d’autres limitations de temps de parole pour la séance publique au cours de laquelle est examiné le texte élaboré par la commission (cons. 40). L’article 11 limite à deux minutes et demie l’intervention d’un orateur par groupe et d’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour discuter la proposition de clôture (cons. 32). Le rapporteur avait estimé qu’a priori ces limitations seraient validées par le Conseil : « à titre de comparaison, l’Assemblée nationale, dans la résolution du 27 mai 2009 visant à mettre en œuvre la révision constitutionnelle de juillet 2008, a réduit la plupart de ses temps de parole en séance à deux minutes, ce que le Conseil constitutionnel a validé dans sa décision n° 2009-581 DC du 25 juin 2009 »38. Le Conseil a validé ces restrictions sous la même réserve que celle énoncée pour cette décision : « il appartiendra au président de séance d’appliquer ces différentes limitations du temps de parole en veillant au respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire »39 (cons. 26, 32 et 40).
Enfin, les 1° et 2° du paragraphe IV de l’article 10 supprime la faculté pour un orateur d’opinion contraire d’intervenir juste après la présentation d’un amendement. Le rapporteur soulignait que cette dernière était « tombée en désuétude » et qu’en tout état de cause, « les explications de vote permettent à tout sénateur qui le souhaite d’intervenir pour exprimer son opinion sur un amendement »40. Le Conseil juge que, dans la mesure où « demeurent applicables les dispositions relatives aux explications de vote sur chaque amendement », ces dispositions ne méconnaissent pas les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire (cons. 29). Le 1° du paragraphe IV de l’article 10 supprime « l’octroi de la parole à un “orateur contre” sur chaque amendement » dans le cadre de la procédure du vote bloqué (cons. 28). Comme le relève le commentaire autorisé de la décision, « ces deux dispositions, bien que semblables en apparence, auront des conséquences significativement différentes » (p. 14). Dans le cadre de la procédure du vote bloqué, « l’assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement » (art. 44). Ainsi, les opposants à ces amendements ne pourront plus discuter chacun de ces amendements, la parole n’est plus « accordée sur chaque amendement qu’à un orateur pour, à la commission et au gouvernement » (RS, art. 42, al. 7). Cette situation semble quelque peu déséquilibrée, mais elle a été validée par le Conseil qui a estimé que cette disposition « ne méconnaît pas les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire » car elle « ne peut avoir pour effet de faire obstacle aux explications de vote sur l’ensemble des dispositions faisant l’objet du vote bloqué » (cons. 28).
Il est possible de s’interroger sur la nécessité de multiplier ainsi les réserves d’interprétation sur le fondement des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire. Le Conseil semble formuler automatiquement de telles réserves lorsque des dispositions prévoient des limitations du temps de parole et la fixation d’une durée pour une discussion. Il apparaît alors que de telles dispositions seront déclarées conformes sous réserve ce qui fait perdre le sens même des réserves d’interprétation. Ce n’est plus une certaine interprétation qui est interdite ou commandée mais une simple recommandation générale d’application qui est formulée. Cela conduit à multiplier les réserves d’interprétation et ne facilite pas la lisibilité du texte. Ainsi, il est possible de s’interroger sur l’utilité de telles réserves : ont-elles une autre valeur que purement incantatoire ?
MB
C – Le pouvoir juridictionnel (…)
D – Le pouvoir financier (…)
E – Les collectivités décentralisées (…)
F – La régulation des élections et des référendums
Le contentieux sénatorial se poursuit dans un classicisme certain qui offre néanmoins de nouvelles précisions – par confirmation – des jurisprudences antérieures. Il faut noter une certaine continuité recherchée par le Conseil constitutionnel entre le contentieux des élections législatives et celui des sénatoriales, alignant de son propre office les solutions retenues pour l’un, à l’autre. À cet égard – et pour terminer les remarques générales – on note que le Conseil constitutionnel a fait la sourde oreille à l’argumentation, répandue durant ce contentieux, des candidats faisant état de la particularité du scrutin sénatorial. S’il est indéniable que de nombreux déplacements semblent nécessaires à cet élu d’élus qu’est le sénateur, le Conseil a toutefois refusé de faire de cette particularité une tolérance qui aurait pu notamment s’appliquer au stade des règles – on ne peut plus strictes, comme le contentieux législatif l’avait déjà démontré – de financement.
Après avoir écumé les dernières requêtes mettant en cause l’élection (I), le Conseil a eu à s’interroger – après examen de la CNCCFP – sur la régularité des comptes de campagne (II), rôdant ainsi, plus qu’enrichissant, son office de « second juge ».
I. La contestation du déroulement de la campagne électorale
Il convient de distinguer plusieurs griefs mettant en cause la campagne électorale. Ceux tirés des manœuvres – les plus imagés – qui peuvent être liés à une allégation de méconnaissance des règles de financement, mais également ceux, tout aussi traditionnels, mettant en cause l’organisation du scrutin. Dans les deux cas, ils ont conduit à des rejets attendus41.
L’utilisation d’un papier à en-tête de la présidence du conseil général pour adresser des lettres aux maires du département42, n’était pas de nature à altérer la sincérité du scrutin. Une requête malheureuse a également permis au Conseil constitutionnel de préciser que la publication d’une information électorale jugée tardive n’était pas susceptible de vicier le scrutin dès lors que les dispositions de l’article L. 48-2 du Code électoral (qui interdit les publications tardives) n’ont pas été rendues applicables à l’élection des sénateurs. L’espèce ajoutait toutefois que le grief – de nul effet – n’aurait eu aucune chance d’être accueilli43.
Les différentes décisions démontrent que le contrôle du Conseil est centré sur la liaison entre les différentes manœuvres et le scrutin ; ainsi, dès lors qu’il n’est pas fait état de l’élection (dans un document une réunion, une prise de parole publique ou autres déjeuners…) la question de la confusion des genres que crée la proximité (de date, de personne, de locaux…) de ces différents types d’évènements avec la campagne, sera évacuée par la haute instance comme étant insusceptible d’avoir vicié son bon déroulement. C’est ce même raisonnement qui conduit le Conseil constitutionnel à rejeter les griefs tirés de l’organisation de ces manœuvres en dehors des deniers électoraux. Ainsi, toutes les requêtes prenant pour fondement le deuxième alinéa de l’article L. 52-8 du Code électoral44 ont été rejetées : soit parce que l’organisation d’une réception – alors qu’elle est organisée depuis près de 30 ans en cette période – est d’évidence insusceptible de se rattacher à l’élection45 ; soit encore parce qu’une publication dans le bulletin local qui a pour objet de relayer des questions d’intérêt local, n’a aucunement vocation à intéresser l’élection46, ou encore que cette publication – qui a certes relaté les avantages d’un projet de travaux chers à l’un des candidats – n’a pris aucun parti quant à l’élection future47. L’organisation d’un petit déjeuner48 ou d’un dîner49, quand bien même le premier a été organisé le matin du scrutin et le second autour d’une association proche du maire, est trop éloignée de la campagne dès lors que les élections n’y sont pas même évoquées. Le caractère para-électoral de ces différentes dépenses, ne conduisant, en aucun cas, à ce qu’elles soient réintégrées dans le compte de campagne du candidat, leur évite ainsi un rejet du compte.
Quant aux griefs portant sur le déroulement des opérations de vote, ni le fait que le président du bureau de vote ait refusé de recompter l’ensemble des bulletins, ni une rature au stylo sur un bulletin non retranché du décompte général, n’ont été de nature à modifier les résultats de l’élection, ni même tout simplement de nature à l’affecter par leur irrégularité50.
Une dernière requête semblait susceptible d’être sérieuse puisque l’éligibilité du candidat proclamé élu était mise en cause. Néanmoins les fonctions de directeur de communication de la commune qui lui avaient été attribuées par un premier arrêté du 28 avril 2014, lui avaient été retirées par un arrêté de la même année (l’appellation de ces fonctions ayant été changée en « chargé de mission »). Si ce retrait pouvait sembler à lui seul probant, le Conseil a entendu toutefois exercer un examen attentif des faits – c’est toute la singularité de l’office du juge électoral – avant de conclure qu’« il ne résulte pas de l’instruction que [le candidat attaqué] ait effectivement exercé de telles fonctions »51, ce qui l’a conduit à ne pas déclarer le candidat inéligible.
II. La mise en cause des comptes de campagne
Le contrôle des comptes par la CNCCFP a, dans 28 cas, conduit à une saisine du Conseil constitutionnel en vertu des dispositions de l’article L. 52-2 du Code électoral (c’est l’article L. 308-1 qui est pertinent pour les sénatoriales). Les trois cas de saisine prévus par le texte – non dépôt du compte dans le délai prescrit, compte rejeté ou en dépassement – ont donné au Conseil l’occasion de confirmer des jurisprudences acquises.
Il convient de noter en préambule que – on le verra concrètement – en ce qui concerne l’inéligibilité encourue des candidats maladroits, le Conseil dispose d’une large palette de pouvoirs qu’il lui appartient d’user en faisant œuvre de modulation. Le considérant de principe mérite d’être reproduit intégralement : « que pour apprécier s’il y a lieu, pour lui, de faire usage de la faculté de déclarer un candidat inéligible, il appartient au juge de l’élection de tenir compte de la nature de la règle méconnue, du caractère délibéré ou non du manquement, de l’existence éventuelle d’autres motifs d’irrégularité du compte et du montant des sommes en cause »52. On note donc que le Conseil officie en fonction d’une prise en compte de la « proportionnalité » (qui, comme le démontrent les débats actuels sur le contrôle de la Cour de cassation, s’adapte à tous les juges et tous les contentieux) de la sanction en fonction des manquements. C’est ainsi qu’à une identité de faits ne correspond pas toujours les mêmes qualifications et partant, les mêmes sanctions ; le juge s’efforçant d’adapter son examen en fonction notamment de l’intentionnalité du candidat. En ce sens, un même comportement peut donner lieu à un non-lieu à déclarer l’inéligibilité ou au contraire à une inéligibilité pouvant aller d’un à trois ans – lorsque les circonstances sont aggravées – et qui peut également, si le candidat est déjà élu, conduire à une démission d’office.
A. L’absence de dépôt du compte
La législation est ici adaptée aux circonstances53.
Le Conseil constitutionnel « peut » en effet déclarer inéligible le candidat n’ayant pas déposé à temps son compte de campagne auprès de la commission. Néanmoins, prenant exemple sur le contentieux des législatives de 2012, le Conseil estime que cette absence de dépôt est susceptible de conduire à l’inéligibilité la plus lourde (trois ans), à moins que des « circonstances particulières » n’apparaissent et lui laissent le soin d’amoindrir la sanction (un an). C’est ainsi qu’un considérant de principe bien rôdé, emprunt aux législatives, spécifie que le candidat, qui ne peut méconnaître l’existence de l’obligation de dépôt du compte de campagne compte tenu du caractère capital de cette obligation, mérite d’être déclaré inéligible pour trois ans dès lors qu’aucune circonstance particulière ne justifie cette irrégularité. On notera que le recours aux « circonstances particulières » semble tout à fait obscur puisque le Conseil n’a jamais défini celles-ci. Tout juste offre-t-il comme simple précision « qu’il ne résulte pas de l’instruction » qu’il en existe ; pas un seul indice – même négatif – n’émane donc du considérant de principe. Cinq candidats ont ainsi été déclarés inéligibles pour trois ans54.
Mais le candidat peut échapper à cette inéligibilité de trois ans. En effet, dès lors qu’une attestation d’absence de dépenses et de recettes est établie par le mandataire financier, et déposée auprès de la CNCCFP, la Commission comme le Conseil constitutionnel tolèrent que ce dépôt – même s’il est tardif – conduise à ne pas déclarer le candidat inéligible. Cette règle forgée au cours du contentieux législatif a été importée au contentieux sénatorial55. Néanmoins le dépôt tardif du compte, s’il n’est pas accompagné de cette attestation, fait tout de même encourir au candidat une inéligibilité d’un an, qui est moindre que celle encourue pour le non-dépôt56.
Une exception, illustrant bien le bilan de proportionnalité exercé par le juge soucieux des « circonstances », mérite d’être relevée : le cumul des fautes du candidat peut justifier une inéligibilité alourdie. Ainsi, l’inéligibilité du candidat de l’Aude57 a été aggravée à 3 ans, alors que son compte avait été déposé tardivement et qu’il n’avait pas été présenté par un membre de l’ordre des experts-comptables ; si ces deux irrégularités sont normalement sanctionnées par un an d’inéligibilité58, leur cumul a conduit à une telle aggravation.
La même sévérité des règles s’applique aux candidats ayant réuni moins d’un pour cent des suffrages ; ils sont certes exonérés de toute présentation de compte de campagne mais sous la réserve de retourner à la CNCCFP les « carnets de reçus dons » qui leur ont été remis par la préfecture au moment du dépôt de leur candidature. L’absence de retour de ces carnets par le mandataire à la Commission fait présumer une réception de fonds. Si cette présomption peut être combattue par tous moyens, il n’en demeure pas moins qu’en l’absence d’argumentation produite par le candidat, ce dernier encourt une inéligibilité de trois ans59 équivalant à la sanction du non dépôt du compte de campagne encourue par les candidats ayant obtenu plus de 1 % des suffrages.
On note que la jurisprudence, en proposant différents assouplissements, incite à la recherche de la régularisation spontanée par le candidat. Ainsi, la tolérance permettant de combattre la présomption de réception de dons pour les candidats ayant récolté moins de 1 % des suffrages n’est pas isolée. Au titre des nombreux assouplissements proposés, il convient de citer la possibilité de régulariser un compte présenté en déficit, même a posteriori60, ou encore, pour les candidats ayant obtenu au moins 1 % des suffrages – comme cela a déjà été évoqué – la possibilité de produire une attestation d’absence de dépenses et de recettes de la part du mandataire financier61. De tels aménagements permettent au candidat malheureux d’éviter l’inéligibilité normalement encourue.
B. Les comptes déposés en méconnaissance d’autres règles du Code électoral
Outre le respect des exigences du deuxième alinéa de l’article L. 52-6 relatives à l’intitulé spécial du compte de campagne qui ont conduit à une inéligibilité attendue – le compte ayant été ouvert au nom du candidat et non pas du mandataire financier62 – ce sont les dispositions de l’article L. 52-4 du Code électoral qui ont donné lieu à un contentieux intéressant. En vertu de cet article, seul le mandataire financier est habilité à régler les dépenses engagées en vue de l’élection ; toute dépense effectuée par le candidat lui-même sans passer par le lourd circuit traditionnel du mandataire est à proscrire. Si toutefois ces dépenses directes étaient intervenues avant la désignation du mandataire financier, ce dernier serait tenu de les rembourser au candidat. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs précisé quelle était la date à partir de laquelle le candidat ne pouvait plus acquitter seul les dépenses, soit « à compter du jour où la déclaration (de candidature) a été faite par écrit à la préfecture et non à compter du jour où celle-ci a délivré le récépissé de cette déclaration au candidat »63.
Le considérant de principe sur cette question est assez strict – il a, encore une fois, été transposé directement du contentieux des législatives – et précise que « si, pour des raisons pratiques, il peut être toléré que le candidat règle directement de menues dépenses postérieurement à la désignation de son mandataire, ce n’est que dans la mesure où leur montant global est faible par rapport au total des dépenses du compte campagne et négligeable au regard du plafond de dépenses autorisées fixé par l’article L. 52-11 du Code électoral ». Deux conditions sont ainsi directement spécifiées : les sommes réglées doivent être modiques au regard des sommes engagées sur le compte, et doivent consister en une part négligeable du plafond des dépenses autorisées. La particularité du scrutin sénatorial supposant plus de déplacements de la part du candidat aurait pu conduire à une tolérance en faveur des menues dépenses acquittées directement par lui ; une telle solution n’a pas été retenue par le Conseil. Les commentaires justifient cette jurisprudence par l’alignement complet des textes applicables aux sénatoriales sur les textes pertinents pour les législatives, comme le démontre le paquet électoral du 14 avril 2011.
Il apparaît nettement que le Conseil constitutionnel a développé la même jurisprudence, toute en dégradé de couleurs, que celle des législatives en faisant osciller la sanction au cas par cas, en fonction du montant des dépenses, au regard de ce montant par rapport au plafond et eu égard à la gravité des faits, entre une inéligibilité ou un simple rejet du compte sans inéligibilité.
Lorsque le montant des dépenses acquittées directement par le candidat postérieurement à la désignation du mandataire financier correspond à une proportion de 35,88 % des dépenses et 9,22 % du plafond64, de 29,42 % des dépenses et 7,89 % du plafond des dépenses autorisées65 ou encore de 37,21 % du montant total de ses dépenses et 14,08 % du plafond, quand bien même une part importante de ces dépenses correspondraient à des frais modiques de restauration, ces justifications sont dépourvues d’incidences eu égard à l’irrégularité des dépenses66. L’appréciation du juge électoral a été identique dès lors que les dépenses acquittées directement par le candidat l’étaient avant la désignation du mandataire financier mais que ces sommes n’avaient pas fait l’objet d’une demande de remboursement, les montants étant légèrement plus faibles, la faute semble être appréciée plus strictement67. Quatre de ces déclarations d’inéligibilité ont porté sur des candidats déjà élus sénateurs, ce qui a conduit le Conseil à les déclarer démissionnaires d’office de leurs mandats68.
À l’inverse, lorsque le faible montant des dépenses représentait une part peu importante du plafond, le Conseil a systématiquement confirmé le bienfondé du rejet du compte, sans pour autant prononcer l’inéligibilité du candidat malheureux, au détour d’un considérant classique exprimant tout l’art de la modulation jurisprudentielle : « les dépenses acquittées directement par la candidate, pour un montant de (…), ne représentent que (…) du plafond de dépenses autorisées ; que, dans les circonstances particulières de l’espèce, le manquement n’est pas d’une particulière gravité ; qu’il n’y a pas lieu (…) de prononcer l’inéligibilité »69.
Les sénatoriales ont donc confirmé les législatives, sans que leur particularité n’ait conduit à une adaptation.
ACB
(À suivre)
IV – Les droits et libertés
A – Les libertés
1 – Liberté individuelle, respect de la vie privée
2 – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle
B – Le droit de propriété
LB
C – Le principe d’égalité
1 – Principe d’égalité devant la loi
2 – Principe d’égalité devant les charges publiques
3 – Principe d’égal accès aux emplois publics (…)
D – Les droits sociaux (…)
E – Les principes du droit répressif
1 – Principes de légalité, nécessité et individualisation des délits et des peines (…)
2 – Droits de la défense et respect des garanties procédurales
F – La garantie des droits
1 – Le droit à un recours juridictionnel effectif et le principe d’impartialité et d’indépendance (…)
2 – Le principe de sécurité juridique
Notes de bas de pages
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1.
V. cette chronique, rubrique suivante.
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2.
Cons. const., 25 janv. 1985, n° 85-187 DC, État d’urgence en Nouvelle Calédonie.
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3.
Cons. const., 8 janv. 2009, n° 2008-573 DC.
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4.
Sénat, proposition de résolution, n° 380 (2014-2015).
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5.
V. supra.
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6.
Rapp. Sénat n° 427 (2014-2015) de M. Hyest J.-J., fait au nom de la commission des lois, déposé le 6 mai 2015.
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7.
Rapp. Sénat n° 427 (2014-2015), préc.
-
8.
Ibid.
-
9.
Ibid.
-
10.
Rapp. Sénat n° 427 (2014-2015), préc.
-
11.
V. chron., 4e trimestre 2014.
-
12.
Cons. const., 24 juin 1959, n° 59-2 DC, règlement de l’Assemblée nationale.
-
13.
Rapp. Sénat n° 427 (2014-2015), préc.
-
14.
V. supra.
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15.
Résolutions du 29 oct. 2008, du 2 juin 2009, du 20 déc. 2010 et du 19 déc. 2011.
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16.
Cons. const., 15 déc. 1995, n° 95-368 DC, résolution modifiant le règlement du Sénat.
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17.
Cons. const., 11 déc. 2014, n° 2014-705 DC, préc., cons. 19.
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18.
Ibid.
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19.
Cons. const., 11 déc. 2014, n° 2014-705 DC, préc., cons. 17 à 21. V. chronique du 4e trimestre 2014.
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20.
Cons. const., 7 nov. 1990, n° 90-278 DC, résolution modifiant les articles 16, 24, 29 et 48 du règlement du Sénat et introduisant dans celui-ci des articles 47 ter, 47 quater, 47 quinquies, 47 sexies, 47 septies, 47 octies, 47 nonies et 56 bis A, cons. 9.
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21.
Cons. const., 25 juin 2009, n° 2009-581 DC, résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale, cons. 35.
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22.
Ibid.
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23.
Rapp. Sénat, n° 427 (2014-2015), préc.
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24.
Cons. const., 14 juin 1978, n° 78-94 DC, résolution tendant à modifier les articles 24, 39, 42, 44, 45 et 60 bis du règlement du Sénat, cons. 4 ; Cons. const., 15 janv. 1992, n° 91-301 DC, résolution en date du 18 décembre 1991 rendant le règlement du Sénat conforme aux nouvelles dispositions de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, relatif aux commissions d’enquête et de contrôle parlementaires et modifiant certains de ses articles en vue d’accroître l’efficacité des procédures en vigueur au Sénat, cons. 17.
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25.
Cons. const., 14 juin 1978, n° 78-94 DC, préc., cons. 5.
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26.
Cons. const., 29 juill. 2005, n° 2005-519 DC, loi organique relative aux lois de financement de la Sécurité sociale, cons. 28.
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27.
Cons. const., 14 déc. 2006, n° 2006-544 DC, loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, cons. 13.
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28.
Commentaire de la décision n° 2006-544 DC.
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29.
Cons. const., 25 juin 2009, n° 2009-582 DC, résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour mettre en oeuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat, cons. 20.
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30.
Ibid.
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31.
Cons. const., 25 juin 2009, n° 2009-582 DC, préc., cons. 25.
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32.
Rapp. Sénat n° 427 (2014-2015), préc.
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33.
Sénat, séance publique du 5 mai 2015.
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34.
Cons. const., 7 nov. 1990, n° 90-278 DC, préc., cons. 12.
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35.
V. supra.
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36.
Cons. const., 9 avr. 2003, n° 2003-470 DC, résolution modifiant le règlement de l’Assemnlée nationale (articles 14, 36, 50, 65, 66, 91, 104, 128, 140-1 et 145), cons. 10.
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37.
Cons. const., 25 juin 2009, n° 2009-581 DC, préc., cons. 25.
-
38.
Rapp. Sénat, n° 427 (2014-2015), préc.
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39.
Cons. const., 25 juin 2009, n° 2009-581 DC, préc., cons. 20.
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40.
Rapp. Sénat n° 427 (2014-2015), préc.
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41.
Le plan suivi est volontairement proche de celui proposé par les commentaires aux Cahiers du Conseil relatifs aux sénatoriales. Il permet de classer utilement les jurisprudences en fonction de la législation applicable.
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42.
Cons. const., 18 juin 2015, n° 2014-4908 SEN, Aveyro.
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43.
Cons. const., 7 mai 2015, n° 2014-4905 SEN, Tarn.
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44.
L’article dispose : « Les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ».
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45.
Cons. const., 11 juin 2015, n° 2014-4910 SEN, Calvados.
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46.
Cons. const., 22 mai 2015, n° 2014-4904 SEN, Eure-et-Loir.
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47.
Cons. const., 7 mai 2015, n° 2014-4905 SEN, Tarn.
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48.
Cons. const., 22 avr. 2015, n° 2014-4913 SEN, Territoire de Belfort.
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49.
Cons. const., 7 mai 2015, n° 2014-4906 SEN, Alpes Maritimes.
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50.
Cons. const., 7 mai 2015, n° 2014-4906 SEN, Alpes Maritimes.
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51.
Cons. const., 22 avr. 2015, n° 2014-4913 SEN, Territoire de Belfort.
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52.
Cons. const., 22 mai 2015, n° 2015-4932 SEN, Ariège.
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53.
C. élect., art. L. 52-12.
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54.
Cons. const., 22 avr. 2015, n° 2015-4928 SEN, Aisne ; Cons. const., 22 avr. 2015, n° 2015-4925 SEN, Guyane ; Cons. const., 22 mai 2015, n° 2015-4930 SEN, Creuse ; Cons. const., 22 mai 2015, n° 2015-4929 SEN, Cher ; Cons. const., 22 mai 2015, n° 2015-4933 SEN, Ariège.
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55.
Cons. const., 22 mai 2015, n° 2015-4937 SEN, Aude.
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56.
Cons. const., 22 mai 2015, n° 2015-4936 SEN, Haute-Savoie ; Cons. const., 22 mai 2015, n° 2015-4939 SEN, Aude.
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57.
Cons. const., 22 mai 2015, n° 2015-4938 SEN, Aude, cons. 4.
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58.
Cons. const., 18 juin 2015, n° 2015-4944 SEN, Var, cons. 5.
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59.
Cons. const., 22 avr. 2015, n° 2015-4922 SEN, Polynésie française ; Cons. const., 22 avr. 2015, n° 2015-4923 SEN.
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60.
Cons. const., 18 juin 2015, n° 2015-4945 SEN, Var, cons. 5.
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61.
Cons. const., 22 mai 2015, n° 2015-4937 SEN, Aude.
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62.
Cons. const., 22 mai 2015, n° 2015-4924 SEN, Hérault.
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63.
Cons. const., 18 juin 2015, n° 2015-4921 SEN, Aveyron, cons. 4.
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64.
Cons. const., 11 juin 2015, n° 2015-4926 SEN, Calvados.
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65.
Cons. const., 18 juin 2015, n° 2015-4946 SEN, Saône-et-Loire.
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66.
Cons. const., 18 juin 2015, n° 2015-4920 SEN, Aveyron, où l’écart était de 84,56 % des dépenses et 32,95 % du plafond ; Cons. const., 11 juin 2015, n° 2015-4931 SEN, Gers : 20,80 % des dépenses et 19,46 % du plafond ; Cons. const., 11 juin 2015, n° 2015-4934 SEN, Cantal ; Cons. const., 11 juin 2015, n° 2015-4941 SEN, Saône-et-Loire ; Cons. const., 18 juin 2015, n° 2015-4920 SEN, Aveyron ; Cons. const., 18 juin 2015, n° 2015-4946 SEN, Saône-et-Loire.
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67.
Le seuil était le suivant : 20 % des dépenses et 3,89 % du plafond, par ex. Cons. const., 11 juin 2015, n° 2015-4943 SEN, Ardennes ; Cons. const., 25 juin 2015, n° 2015-4940 SEN, Allier.
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68.
Cons. const., 11 juin 2015, n° 2015-4934 SEN, Cantal, cons. 5 ; Cons. const., 11 juin 2015, n° 2015-4941 SEN, Saône-et-Loire ; Cons. const., 11 juin 2015, n° 2015-4931 SEN, Gers ; Cons. const., 11 juin 2015, n° 2015-4926 SEN, Calvados.
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69.
Cons. const., 18 juin 2015, n° 2015-4919 SEN, Aveyron, cons. 5. ; Cons. const., 18 juin 2015, n° 2015-4921 SEN, Aveyron ; v. par ex. les seuils de 17,18 % des dépenses et 3,31 % du plafond Cons. const., 25 juin 2015, n° 2015-4935 SEN, Haute-Vienne.