Et si l’université entrait – vraiment – dans la Constitution ?

Publié le 30/12/2020
Entrée du Conseil constitutionnel
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Et si l’université entrait enfin et vraiment dans la Constitution ? Telle est la question que se pose l’auteur alors que la loi dite LPR, de programmation de la recherche, vient d’être votée et s’est retrouvée doublement déférée au Conseil constitutionnel tant par les sénateurs que par les députés de l’opposition. Inquiet des dérives que connaît depuis plus d’une décade l’université, le professeur propose par deux biais et deux notions (la fonction publique et le service public) d’ancrer durablement l’université dans la Constitution.

« Entre ici »… université, « avec ton terrible cortège » académique des opposants, certes conjoncturels, à la future LPR (i. e. loi de programmation de la recherche (pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur)). « Entre ici », pourrait dire le Conseil constitutionnel (par exemple dans sa future décision n° 2020-810 DC précisément relative à la LPR1) si l’occasion lui en était donnée.

« Entre ici », au cœur de ce « bloc de constitutionnalité » français. « Entre ici » et vraiment au cœur de la plus haute des normes nationales : la Constitution. « Entre ici », proposons-nous ici d’affirmer au regard de quatre considérations successives marquant les liens entre université et Constitution.

I – L’université formellement absente du texte constitutionnel ?

« Lacune française ? ». Une lecture rapide du texte constitutionnel national, tel qu’il résulte non seulement de l’acte formel voté et promulgué le 4 octobre 1958 mais encore après intégration prétorienne des éléments composant l’ensemble des normes reconnues à valeur constitutionnelle, ne permet pas immédiatement d’entrevoir la place qu’occupe pourtant l’université au cœur de la Constitution française2. Voilà pourquoi certains collègues évoquent à juste titre une véritable3 « lacune française » quand d’autres regrettent, à juste titre, que les principes éventuellement identifiables soient relatifs et bien peu prescriptifs4. En effet, aucun article n’est explicitement consacré à l’université mais l’on peut relever deux principes constitutionnels qui l’impliquent directement : le principe de gratuité (et de laïcité) de l’enseignement public et celui d’indépendance des enseignants-chercheurs.

Une constitutionnalisation par la gratuité et la laïcité. S’agissant du premier principe, il est révélé à l’alinéa 13 du préambule à la Constitution du 27 octobre 1946, reconnu depuis 1971 comme ayant toujours valeur constitutionnelle positive5. Il dispose que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture » puis que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ». « À tous les degrés », ce qui implique bien que l’enseignement supérieur et donc l’université sont concernés, ce qu’a par ailleurs explicitement rappelé récemment le Conseil constitutionnel. Interrogés, au moyen d’une question prioritaire de constitutionnalité, les juges ont effectivement réaffirmé la constitutionnalité du principe de gratuité d’accès à l’université6. Cette affirmation théorique du principe n’empêche, cela dit, pas l’application politique de distinctions et conséquemment d’accès tarifaires différenciés (au détriment direct des étudiants non européens en particulier), ce qu’a acté le Conseil d’État le 1er juillet7.

Une constitutionnalisation par l’indépendance. Par ailleurs, alors que vraisemblablement personne ou presque ne s’y attendait, le Conseil constitutionnel a même consacré un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR), spécialement relatif aux enseignants-chercheurs de l’enseignement supérieur. Il se raconte alors que c’est à l’autorité et même à l’initiative du doyen Georges Vedel, alors membre du Conseil constitutionnel depuis mars 1980, que l’on doit cette « reconnaissance » normative qui précise que « les fonctions d’enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l’intérêt même du service, que la libre expression et l’indépendance des personnels soient garanties par les dispositions qui leur sont applicables »8 et « qu’en ce qui concerne les professeurs, (…) la garantie de l’indépendance résulte en outre d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République ».

II – Matérialité de l’indépendance constitutionnelle des enseignants-chercheurs

Deux questions nous semblent primer pour cerner le principe précité d’indépendance académique : à qui s’applique-t-il et en quoi ou comment concrètement ?

Qui protège-t-il d’abord ? Tous les membres de la communauté universitaire ? Non ! L’indépendance garantie par la Constitution s’applique aux agents titulaires ou pérennes, ce qui inclut nécessairement les agents uniquement chercheurs (comme le corps des directeurs de recherche) mais aussi les enseignants-chercheurs (comme celui des maîtres de conférences), même si a priori seuls les « professeurs » ont d’abord été explicitement désignés comme tels. Il va sans dire, mais cela ira mieux en l’écrivant, que cette protection garantit tant l’activité de recherche (d’où l’inclusion des chercheurs non-enseignants) que l’activité d’enseignement supérieur. Par ailleurs, alors que certains semblaient le voir (ou le vouloir) réservé aux seuls agrégés, le Conseil constitutionnel a également affirmé que le principe d’indépendance englobait – évidemment – les corps des professeurs (au sens strict) et des maîtres de conférences, c’est-à-dire l’ensemble des professeurs universitaires (au sens large)9. Cela dit, et ainsi qu’il en ressort des décisions en incompatibilités10, le juge constitutionnel considère que la protection envisagée est réservée aux « titulaires de chaire » et non à l’ensemble de la communauté académique. Certes, il n’existe formellement plus véritablement de « chaires » ni même a priori de « facultés » mais respectivement des postes d’emploi et des unités de formation et de recherche (UFR), mais l’important est ici l’usage du terme « titulaire », ce qui exclut directement les agents non pérennes et/ou non permanents, c’est-à-dire concrètement, et quels que soient leurs diplômes, formations ou leur « valeur », les contractuels et autres vacataires, et ce y compris pour les (parfois) prestigieux professeurs et maîtres de conférences associés (incompatibilités parlementaires)11.

En quoi le principe constitutionnel d’indépendance des enseignants-chercheurs les protège-t-il ? Comme nous l’écrivions en 201012, plusieurs importantes applications ou composantes ont déjà été tirées du principe. D’abord, en complément de l’article 11 de le Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC), c’est la liberté de communication (opinion et expression) des universitaires qui a été réaffirmée. Pour assurer leur mission, il faut effectivement, dans les limites posées par le droit pénal, que les universitaires soient libres de leurs propos et qu’ils puissent critiquer et proposer sans craindre de représailles. Et c’est, au quotidien, le plus important.

D’autre part, l’indépendance ne peut s’exercer que par une « représentation propre et authentique » des universitaires. Or c’est à cet égard que la décision n° 2010-20/21 QPC aurait pu être plus généreuse. En effet, si l’on peut aux côtés de la doctrine autorisée des Cahiers du Conseil constitutionnel se réjouir de l’extension du principe non seulement (depuis 1984) lors de l’exercice même de l’activité universitaire mais encore au stade du recrutement, cette extension peut apparaître formelle sinon platonique. Ainsi, dès le 6e considérant de la décision n° 2010-20/21, le juge signalait-il « que, si le principe d’indépendance (…) implique que les professeurs et maîtres de conférences soient associés au choix de leurs pairs, il n’impose pas que toutes les personnes intervenant dans la procédure de sélection soient elles-mêmes des enseignants-chercheurs d’un grade au moins égal à celui de l’emploi à pourvoir ». Autrement dit, il suffit qu’à un moment donné de la procédure des représentants des universitaires puissent participer au recrutement pour que celui-ci soit réputé réalisé en toute indépendance. Ce recrutement des universitaires par leurs pairs est en effet la première traduction de la liberté académique « comme protection contre des pouvoirs extérieurs », relève en ce sens le professeur Olivier Beaud13. Une difficulté peut néanmoins surgir lorsque, à cette protection minimale ou première faisant intervenir les pairs des universitaires, s’opposent les pouvoirs, toujours plus importants depuis la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (dite LRU) n° 2007-1199 du 10 août 2007, des présidences d’universités. « Dans ces conditions », relève à juste titre le professeur Jean Morange14 : « La garantie d’indépendance [peut perdre] toute consistance réelle ». Ce que l’on craint alors, disons-le simplement mais directement, ce sont celles que le professeur Fabrice Melleray15 qualifie si justement de « réécritures neutralisantes » du principe d’indépendance16. Jusqu’où s’applique-t-il donc vraiment ? « Quiconque est investi d’une indépendance » a récemment réaffirmé le professeur Didier Truchet17, « doit bénéficier d’une protection » et c’est précisément cette protection qui est aujourd’hui en jeu(x) lorsque se pose la question de savoir où elle commence et où elle s’achève. L’indépendance en effet se matérialise, on l’a rappelé, non seulement lors du recrutement des agents (c’est-à-dire lors de l’entrée dans les corps de fonctions publiques par un contrôle exercé par les pairs eux-mêmes et non par une autorité extérieure) mais encore pendant l’exercice professionnel pour permettre aux agents protégés d’enseigner et de chercher librement sans pressions, sans dépendance(s) ni économique, ni spirituelle, ni syndicale, ni politique, ni religieuse, etc.

Il n’est alors d’enseignant-chercheur que d’universitaire libre et indépendant. Il est ainsi – heureusement – impensable de façon contemporaine et en France qu’un universitaire n’ait pas la possibilité d’effectuer les recherches qui lui semblent dignes d’intérêt ou soit tenu, sous pression politique ou financière, de ne réaliser que les études que des politiques, des administrateurs ou toute autre personne lui indiquerait. Il n’est d’enseignant-chercheur que d’universitaire libre et indépendant.

III – Un corollaire de l’indépendance constitutionnalisée, la non-contractualisation des enseignants-chercheurs permanents !

Cela dit, l’indépendance reconnue constitutionnelle ne vaut pas, on l’a dit, pour tous les agents intervenant de près ou de loin dans l’enseignement supérieur18. Ne sont concernés que les « titulaires », c’est-à-dire les fonctionnaires statutaires d’État avec cette particularité, certes, qu’ils ont, comme les magistrats du fait de l’article 64 de la Constitution de 1958, une protection singulière du fait de leurs fonctions jugées indispensables et indispensablement libres et indépendantes. Ainsi, bien que fonctionnaires étatiques, les universitaires ne subissent-ils pas, comme tous les autres agents publics, l’existence concrète et directe d’un pouvoir hiérarchique les contrôlant : ils ne peuvent ni ne doivent subir d’influence ou de pression de quiconque pour assurer sereinement leurs missions. Seuls leurs pairs les encadrent et peuvent actionner à leur égard des actions de promotions ou encore des sanctions à l’instar de procédures disciplinaires. La justice, par ailleurs, les place aussi dans le respect des lois au-dessus desquelles ils ne sont évidemment pas. Ceci entraîne à nos yeux deux conséquences : d’abord, cela ne signifie nullement qu’il est impossible aux universités de recruter par contrat, en particulier, des agents notamment vacataires pour des missions, même d’enseignement ou de recherche, courtes ou temporaires, mais ces missions courtes répondant à des besoins spéciaux ne sont pas couvertes par le principe constitutionnel d’indépendance propre aux « titulaires ». En revanche, cela implique que si la mission ou l’engagement d’un chercheur ou d’un enseignant-chercheur se veut pérenne et/ou permanente, elle doit être et ne peut être réalisée que par un universitaire indépendant.

D’un PFRLR, l’autre… Or avons-nous développé dans la contribution extérieure, il nous semble que l’on peut déduire sinon induire du PFRLR d’indépendance des enseignants-chercheurs français soit une composante liminaire soit un PFRLR corollaire : celui d’un accès, par concours et hors contrat, à la fonction publique indépendante des chercheurs et enseignants-chercheurs.

La constitutionnalité fort douteuse des « chaires junior ». Ce raisonnement est né de la confrontation au bloc de constitutionnalité de l’article 4 de la LPR, qui crée en effet deux modes d’accès contractuels à des corps de fonctionnaires statutaires (respectivement) de directeur de recherche et de professeur des universités. Il est en effet proposé par le législateur « en marche » de « recruter en qualité d’agent contractuel de droit public » des chercheurs et des enseignants-chercheurs qui auront vocation à la titularisation dans les corps précités. Pendant leur période contractuelle, de plusieurs mois jusqu’à 6 années au maximum (pour éviter une transformation de leurs contrats en contrats à durée indéterminée au sens de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012), les agents (que l’on dit alors placés à la tête de « chaires junior ») auront comme autorité professionnelle et comme employeur direct un chef d’établissement alors que les enseignants-chercheurs et chercheurs fonctionnaires, même gérés à un niveau local d’établissement, demeurent des agents appartenant à la fonction publique étatique sous la seule autorité de leurs pairs.

Surtout, on relèvera que ces nouvelles « chaires » ne répondent pas, comme la plupart des contrats de recherche et d’enseignement, à des besoins ponctuels (tout à fait audibles pour mener à bien une mission singulière ou pour pallier par exemple une défaillance ponctuelle de personnels que des recrutements contractuels temporaires peuvent contrer). Au contraire, elles traduisent l’existence de besoins pérennes et permanents emportant, d’ailleurs, titularisation (en cas de satisfaction donnée à l’employeur) dans les corps précités de fonctions publiques, et ce en contrariété avec l’un des premiers articles de toutes les lois statutaires de fonctions publiques : les « emplois civils permanents » (de l’État, des collectivités et de leurs établissements) sont occupés (et n’ont pas seulement vocation à l’être) par des fonctionnaires (et non par des contractuels)19. Ainsi, même s’il est précisé aux débuts des deux alinéas concernant les deux profils contractuels qu’ils répondent « à un besoin spécifique », ce qui pourrait laisser entendre qu’il s’agit (comme aux art. 9 et 10 de la LPR) d’un contrat précis de projet ou d’une mission courte, le fait que chaque contrat donne lieu « chaque année et pour chaque corps » à des recrutements potentiels et entraîne des titularisations possibles démontre au contraire la réponse à un besoin permanent.

Il n’est d’enseignant-chercheur que d’universitaire libre et indépendant. Or on craint véritablement que ces « chaires junior » et ces contrats nouveaux ne créent des chercheurs et enseignants-chercheurs sous cloche et sous dépendance directe, quand bien même serait-elle temporaire, non de leurs pairs mais des établissements, et donc in fine des présidences, qui vont les recruter et leur faire miroiter, s’ils donnent satisfaction – c’est-à-dire s’ils acceptent de « dépendre » –, une titularisation. Concrètement, si l’article 4 s’applique, il ouvrira le risque que pendant des années des collègues soient tenus et obligés, dépendants et prêts à plaire et à donner satisfaction, alors qu’on les qualifiera pourtant de chercheurs et d’enseignants-chercheurs, mais ce sans leur donner la protection conséquente. C’est une véritable précarisation à laquelle on assistera, avec une mise au pas des futurs collègues que l’on sommera, fut-ce implicitement, d’obéir et/ou de faire les recherches qu’on leur confiera (pourquoi pas dans un sens donné qui plus est). En étant contractuels pendant une durée temporaire mais potentiellement pluriannuelle, ces enseignants-chercheurs seront nécessairement dépendants de leur employeur local (et non jugés et évalués par leurs seuls pairs). C’est à l’établissement local employeur qu’ils devront donner satisfaction pour espérer une titularisation au bon vouloir dudit employeur, qui réunira et formera (selon son plaisir et malgré quelques garanties formelles) une commission de titularisation. Tel que le prévoit l’article 4 de la LPR, il paraît certain que la précarisation qu’entraînera la signature de tels contrats, conférera aux employeurs un droit de regard sur les activités de l’agent, droit de regard leur permettant d’exercer une pression hors de toute indépendance.

Comme l’a si bien démontré notre ami (et néanmoins collègue) Arnaud Lami20 dans sa thèse, magistrale, sur la tutelle de l’État sur les universités, la plus grande crainte qui menace aujourd’hui les universités au quotidien n’est en effet plus l’appareil étatique mais bien la gouvernance locale et, en particulier, sa présidence universitaire. Ce que l’on craint, c’est effectivement la place de plus en plus conséquente de la territorialisation21 et de la déconcentration du service public, pourtant toujours affirmé national, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Voilà pourquoi nous avons proposé la reconnaissance d’un PFRLR corollaire (celui de l’accès, par concours et hors contrat, à la fonction publique indépendante des chercheurs et enseignants-chercheurs) qui, s’il était reconnu, permettrait aisément de sanctionner la création desdites « chaires junior ».

Formellement, ce PFRLR n’existe pas encore. Certes, au 27 novembre 2020, jour de la première saisine sénatoriale du Conseil constitutionnel, comme au 30 novembre suivant lorsque plus de 60 députés également ont saisi les juges de l’examen de la constitutionnalité de la LPR, le principe que nous visons n’a formellement pas encore été reconnu.

Matériellement, ce PFRLR existe peut-être déjà. En effet, non seulement on peut soutenir que ce principe d’indépendance des enseignants-chercheurs est intégré ou déduit du PFRLR précité et déjà reconnu explicitement ou encore constater, avec nous, que les éléments matériels de sa reconnaissance sont réunis. Ainsi, sauf omission, jamais, pour un emploi pérenne et indépendant, d’enseignant-chercheur ou de chercheur, le législateur français n’a permis que des personnes soient recrutées par contrat hors concours. Sous la Ve République, la loi dite Savary22 dispose explicitement en son article 54 que « le personnel enseignant comprend des enseignants-chercheurs appartenant à l’enseignement supérieur, d’autres enseignants ayant également la qualité de fonctionnaires » ainsi que d’autres personnels qui, eux, peuvent être contractuels. Toutefois, les chercheurs et enseignants-chercheurs engagés de façon permanente sont uniquement des fonctionnaires. À la Libération, l’ordonnance n° 45-2631 du 2 novembre 1945 en atteste également. En prévoyant en effet la « nomination des professeurs des universités », elle ne met en avant que des nominations successives à des concours, et ce pour intégration des « titulaires de chaires », notamment dans la fonction publique étatique. Sous la IIIe République, il n’existe pas, de manière principielle, d’enseignants du supérieur et/ou de chercheurs recrutés de façon pérenne autrement que par concours. Tous sont des fonctionnaires publics et aucun des multiples corps de professeurs de chaire, d’agrégés, de chargés de cours, de suppléants, etc., n’a été appréhendé de façon contractuelle, même au titre des « employés ». Dès la Restauration, du reste, alors que commencent à se forger les théories statutaires des fonctions publiques en opposition à la notion de contrat, une réflexion – en doctrine23 – s’est formée pour reconnaître l’évidence de l’appartenance de certains corps aux seules fonctions publiques accessibles par concours (locaux ou nationaux) hors contrats : les professeurs d’université étaient de ceux-ci. Toute la législation compilée dans le Recueil dit de Beauchamp24 en témoigne : pour un recrutement ponctuel ou temporaire, les contrats sont autorisés ; pour un recrutement pérenne, seul un concours emportant intégration à la fonction publique étatique se matérialise, et ce que le concours soit local ou national avec exceptionnellement une nomination directe hors concours lors de créations. Il en est ainsi par exemple de l’arrêté du 23 juillet 1896 (à propos de l’agrégation des facultés de droit), du décret du 28 décembre 1885 (pour les professeurs d’université), etc. L’évidence du concours est ainsi consubstantielle à la création même de l’université qui, par ses libertés académiques, même reconnues sous les Empires, implique que « nul ne pourra » y être professeur « s’il n’a préalablement été admis au concours »25. La tradition comme les normes académiques le consacrent : un emploi permanent dans l’enseignement supérieur et la recherche relève d’un concours (même local) et emporte intégration, hors contrat, dans la fonction publique étatique.

Ce que ce PFRLR nouveau n’est pas. Le principe ici envisagé n’est en rien celui d’une obligation de recruter par concours tout fonctionnaire. La jurisprudence constitutionnelle est en effet explicite à cet égard26 : il n’existe pas de principe constitutionnel au recrutement des fonctionnaires par concours ; seul s’impose (via notamment DDHC, art. 6) un constitutionnel et égal accès aux fonctions publiques en fonction des vertus et des talents des candidats, mais l’utilisation de contrats n’est pas, par principe, contraire a priori à la Constitution. Il y aurait donc bien ici une spécificité académique et non la volonté d’affirmer que tout recrutement pérenne d’un agent public devrait se passer hors contrat par concours avec obligation de titularisation.

Par ailleurs, le principe que nous visons rejoint en partie (sans être le même) celui reconnu par notre collègue la professeure Véronique Champeil-Desplats27 lorsqu’elle propose d’identifier « l’exigence de qualification nationale pour accéder aux corps des enseignants-chercheurs » comme un PFRLR propre ou, comme celui que nous envisageons, découlant également du PFRLR d’indépendance. En effet, notre collègue insiste ici surtout sur l’exigence d’une qualification nationale et notamment sur l’apport, désormais fondamental, du Conseil national des universités (CNU). En résumé, écrit-elle : « Il n’est pas infondé de soutenir que l’exigence d’une procédure de qualification nationale opérée par une institution indépendante pour accéder aux corps d’enseignants-chercheurs de l’enseignement supérieur, sous réserve du concours national de l’agrégation pour l’accès au corps des professeurs prévu pour les disciplines juridiques, économiques et de sciences politiques, soit au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». On en partage sans difficultés l’idée puisqu’elle serait intégrée au principe, plus large, que nous identifions : celui d’un accès par concours (qu’il s’agisse de l’agrégation pour les sciences juridiques, économiques et politiques ou de la maîtrise de conférences après qualification par le CNU), hors contrat, et emportant intégration à la fonction publique.

IV – Un service public constitutionnel et des libertés académiques consacrées ?

Quand on évoque l’université et ses droits, l’expression de « libertés académiques » rejoint vraisemblablement celle d’indépendance. Nombreux sont même les auteurs qui évoquent l’hypothèse de « franchises universitaires » dont on retrouve effectivement des traces et des traditions dès l’Ancien Régime, lorsque les premières universités s’affranchirent, en indépendance et à l’époque grâce à l’Église, de la tutelle étatique royale. Ces mêmes franchises, qui emportent notamment une protection des locaux universitaires, ont-elles également vocation à rejoindre l’espace constitutionnel ? Les recherches contemporaines28 semblent davantage y déceler des principes législatifs. En revanche, voilà une autre et dernière piste de constitutionnalisation qui s’ouvre à nous : celle du service public constitutionnel.

Un service public universitaire constitutionnel ? En reprenant notamment les études du professeur Esplugas-Labatut29, à l’aune de la jurisprudence notamment exprimée en 198630, « un service public devient “constitutionnel” si l’on peut le déduire d’un droit ou principe constitutionnel ». Il ne nous a alors pas échappé que le Conseil constitutionnel n’avait pas encore eu l’occasion de matérialiser des exemples positifs de cette notion (en la refusant en revanche expressément à plusieurs secteurs). Toutefois, reprenant la thèse de notre collègue toulousain, on croit pouvoir estimer que si un service public met « en œuvre le principe de souveraineté nationale » ou tend « à concrétiser des “droits-créances” tirés du préambule de la Constitution de 1946 », il est constitutionnel. Il importe alors de relever sa présence dans les normes constitutionnelles.

Qu’en est-il alors (sinon quid ?) du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche ? Qu’il s’agisse d’un service public ne fait – heureusement – pas encore défaut, ce dont toute la législation précitée ainsi que les Codes de l’éducation et/ou de la recherche témoignent aisément par des mentions explicites, comme celles de l’article L. 123-4 du premier code, qui dispose que « le service public de l’enseignement supérieur offre des formations à la fois scientifiques, culturelles et professionnelles ». Cela constaté, ne peut-on pas acter que ce service public académique non seulement participe à la souveraineté nationale, ce dont l’existence multiséculaire témoigne sous la direction première de l’État, mais encore est directement visé, ainsi qu’on l’a rappelé à plusieurs reprises à la présente contribution, par plusieurs normes constitutionnelles : l’alinéa 13 du préambule à la Constitution de 1946 mais aussi le ou, espérons-le, les PFRLR précités ? Ainsi, le fait qu’existe en tant que tel un principe constitutionnel d’indépendance des enseignants-chercheurs n’implique-t-il pas nécessairement l’existence d’un service public académique constitutionnel ? Service public qui, réaffirmé, permettrait de lutter contre certaines privatisations larvées ou explicites de certaines de ses branches notamment vétérinaires (comme en atteste l’article 45 de la LPR).

« Entre ici ». De grandes Nations sœurs comme l’Allemagne, le Portugal ou encore la Grèce31 ont osé inscrire explicitement l’université, la « liberté de la science » et leur indépendance au cœur de leurs normes fondamentales. Cela fait déjà plusieurs années que, hélas, nous sommes nombreux à faire état de nos inquiétudes relatives au devenir sombrant de l’université32. Espérons donc qu’une même lumière éclaire la rue de Montpensier ou les prochains constituants pour faire enfin entrer – vraiment – l’université française dans notre Constitution.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const., 11 oct. 2019, n° 2019-809 DC.
  • 2.
    Il faut lire (outre les éléments cités au cœur de cet article) à propos des libertés universitaires et de leurs rapports à la Constitution : Y. Gaudemet, « Les bases constitutionnelles du droit universitaire », RDP 2008, p. 680 et s. ; O. Gohin, « Université et Constitution en France », in Mélanges en l’honneur du professeur Michel Verpeaux, 2020, Paris, Dalloz, p. 307 et s.
  • 3.
    En ce sens écrivent C. Fernandes et C. Fortier dans l’excellent Droit de l’enseignement supérieur (2018, Paris, LGDJ, p. 55), sous la direction des professeurs B. Beignier et D. Truchet et avec les très belles contributions d’A. Lami en particulier.
  • 4.
    S. Mouton, « Les fondements constitutionnels de la liberté de la recherche », in J. Larrieu (dir.), Qu’en est-il du droit de la recherche ?, 2008, Presses de l’université Toulouse 1 Capitole, p. 93 et s.
  • 5.
    Cons. const., 16 juill. 1971, n° 71-44 DC.
  • 6.
    Cons. const., 11 oct. 2019, n° 2019-809 QPC.
  • 7.
    CE, 1er juill. 2020, nos 430121, 431133, 431510 et 431688, Assoc. Unedesep et a. : avec nos obs. au JCP A 2020, 28.
  • 8.
    Cons. const., 20 janv. 1984, n° 83-165 DC, réaffirmée par Cons. const., 28 juill. 1993, n° 93-3225 DC et Cons. const., 6 août 2010, n° 2010-20/21 QPC.
  • 9.
    Cons. const., 10 janv. 1995, n° 94-355 DC.
  • 10.
    Cons. const., 26 févr. 2008, nos 2008-24, 2008-25 et 2008-26.
  • 11.
    Cons. const., 26 févr. 2008, nos 2008-24, 2008-25 et 2008-26.
  • 12.
    « La constitutionnalité de la LRU n’implique pas nécessairement le respect de l’indépendance des universitaires », Gaz. Pal. 8 sept. 2010, n°l2791, p. 14.
  • 13.
    O. Beaud, « Les libertés universitaires », in Université, universités, 2010, Paris, Dalloz, p. 323 et s.
  • 14.
    J. Morange, « La liberté du professeur des facultés de droit », in Mélanges en l’honneur du professeur Jean-François Lachaume, 2007, Paris, Dalloz, p. 755 et s.
  • 15.
    F. Melleray, « Le Conseil constitutionnel au secours de la LRU », D. 2010, p. 2335.
  • 16.
    Cela dit, comme l’a particulièrement bien exposé le professeur Beaud, le Conseil d’État est, malheureusement, rarement en défense dudit principe, qu’il garantit peu en pratique : O. Beaud, Les libertés universitaires à l’abandon, 2010, Paris, Dalloz, p. 147 et s.
  • 17.
    D. Truchet, « Indépendance ! Indépendance ? », in Mélanges en l’honneur du professeur Jean-Marie Pontier, 2020, Marseille, PUAM, p. 658.
  • 18.
    On reprend ici des éléments par nous développés dans la contribution extérieure ou « porte étroite » présentée au Conseil constitutionnel, dans le cadre de l’action collective (que nous avons dirigée) du collectif L’unité du droit pour contester la constitutionnalité de la LPR. Ces éléments sont librement et intégralement consultables en ligne : http://unitedudroit.org/LPR.pdf.
  • 19.
    L. n° 83-634, 13 juill. 1983, art. 3.
  • 20.
    A. Lami, Tutelle et contrôle de l’État sur les universités françaises, mythe et réalité, 2015, Paris, LGDJ.
  • 21.
    Et l’on ne peut à ce sujet que conseiller la lecture de F. Melleray, « Quel avenir pour les corps universitaires ? Brèves remarques sur les évolutions prévisibles de la condition des universitaires », RDP 2008, p. 705 et s.
  • 22.
    L. n° 84-52, 26 janv. 1984.
  • 23.
    En ce sens : E.-V. Foucart, « De la nécessité d’exiger des candidats à la magistrature des conditions spéciales de capacité », Revue de législation et de jurisprudence, 1835, t. I, p. 346 et s.
  • 24.
    A. M. de Beauchamp, Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur : comprenant les décisions de la jurisprudence et les avis des conseils de l’Instruction publique et du Conseil d’État.
  • 25.
    L. 22 ventôse an XII, art. 37, in fine.
  • 26.
    Cons. const., 30 août 1984, n° 87-178 DC.
  • 27.
    V. Champeil-Desplats, « Et si l’exigence de qualification nationale pour accéder aux corps des enseignants-chercheurs était un principe fondamental reconnu par les lois de la République ? », La Revue des droits de l’homme, nov. 2020 : http://journals.openedition.org/revdh/10618.
  • 28.
    Ce que confirment, avec talent, dans la contribution extérieure précitée du 28 novembre 2020 et à propos de la constitutionnalité de l’article 38, nos éminents collègues (et néanmoins amis) C. Cerda-Guzman et C. Bénelbaz.
  • 29.
    En dernier et récent état : « Retour sur les services publics constitutionnels (…) », in Mélanges en l’honneur du professeur Serge Regourd, 2019, Paris, Institut Varenne.
  • 30.
    Cons. const., 26 juin 1986, n° 86-207 DC ; Cons. const., 18 sept. 1986, n° 86-217 DC. V. aussi la loi relative à la liberté de communication.
  • 31.
    Respectivement aux articles 05, 73 et 16 de leurs Constitutions.
  • 32.
    V. en ce sens M. Touzeil-Divina et A. Lami, « Un nouveau Titanic : l’université française ? », JCP G 2018, 25.