Le Conseil constitutionnel veille à la sérénité des débats judiciaires

Publié le 10/12/2019

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 qui interdit « l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image » dans les salles d’audience, le Conseil constitutionnel, par la décision n° 2019-817 QPC, du 6 décembre 2019, conclut à sa conformité. Emmanuel Derieux, Professeur à l’Université, Panthéon-Assas (Paris 2) et auteur de Droit des médias. Droit français, européen et international, (LGDJ) décrypte la décision. 

Le Conseil constitutionnel veille à la sérénité des débats judiciaires
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L’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881, « sur la liberté de la presse » (et de tout autre mode d’expression ou support de communication publique), dispose que, « dès l’ouverture de l’audience des juridictions (…) l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image est interdit ». L’est également « la cession ou la publication (…) de tout enregistrement ou document » ainsi obtenu. Une telle infraction est passible d’« amende » et de « la confiscation du matériel ayant servi » à la commettre et des éléments ainsi obtenus.

Á titre de dérogation, le même article prévoit cependant que, « sur demande présentée avant l’audience, le président peut autoriser des prises de vue quand les débats ne sont pas commencés et à la condition que les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent ».

Ces dispositions restrictives de la liberté d’information ont été introduites, dans la loi de 1881, par la loi n° 54-1218, du 6 décembre 1954, en raison de l’atteinte à la sérénité des débats causée par l’utilisation de matériels de photographie et d’enregistrement qui ne permettaient pas, à l’époque, de procéder de façon aussi discrète que cela est possible aujourd’hui. Robert Badinter écrit : « J’avais connu, jeune avocat, l’éclat des flashes dans les prétoires, si aveuglants que les photographes avaient été bannis des audiences  » (Les épines et les roses, Fayard, 2011, p. 150)

Ayant fait l’objet d’une condamnation sur la base de cet article, la directrice de la publication intéressée en a, par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), contesté la conformité à la Constitution.

Il convient donc de considérer les motifs de la contestation et ceux de la validation de l’article en cause et de formuler, à cet égard, quelques éléments d’appréciation.

Une atteinte à la liberté de communication ?

Devant la Cour de cassation, était soulevée la question de savoir si les dispositions de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 portent « atteinte au principe de nécessité des délits et des peines, garanti aux articles 5 et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » (DDHC) et si elles limitent « la liberté de communication, garantie à l’article 11 de ce texte, de manière nécessaire, adaptée et proportionnée, alors qu’elles érigent en infraction pénale la captation de sons et d’images effectuée par des journalistes, au cours d’un procès », pratique qui serait pourtant désormais « susceptible d’être effectuée sans troubler la sérénité des débats, sans porter une atteinte excessive aux droits des parties, ni menacer l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

La Haute juridiction constate que « la disposition critiquée prohibe de façon générale tout enregistrement, fixation ou transmission, de la parole ou de l’image après l’ouverture de l’audience (…) et leur cession ou leur publication » ; que parallèlement « des exceptions à cette prohibition ont été introduites » à l’article 308 du Code de procédure pénale (CPP) et « aux articles L. 221-1 du Code du patrimoine » (C. patr.), mais qu’elles « poursuivent des fins étrangères au droit à l’information du public ». Elle estime qu’il convient que « le Conseil constitutionnel puisse dire si la disposition critiquée, initialement instituée en vue de préserver la sérénité des débats devant les juridictions, protéger les droits des parties au procès et garantir l’autorité et l’impartialité de la justice, n’est pas devenue, au regard de l’évolution des techniques de communication, susceptible de constituer une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ».

Protéger la sérénité des débats

Examinant la question notamment au regard de l’article 11 DDHC, qui consacre le principe de liberté de communication, le Conseil constitutionnel retient que, en instaurant l’interdiction en cause, « le législateur a, d’une part, entendu garantir la sérénité des débats vis-à-vis des risques de perturbations », poursuivant ainsi « l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice », et qu’il a, d’autre part, « également entendu prévenir les atteintes que la diffusion des images ou des enregistrements (…) pourrait porter au droit au respect de la vie privée des parties au procès et des personnes participant aux débats, à la sécurité des acteurs judiciaires et, en matière pénale, à la présomption d’innocence ».

Ledit Conseil retient encore que, même « s’il est possible d’utiliser des dispositifs de captation et d’enregistrement qui ne perturbent pas en eux-mêmes le déroulement des débats (…) l’évolution des moyens de communication est susceptible de conférer à cette diffusion un retentissement important qui amplifie le risque qu’il soit porté atteinte aux intérêts précités ».

Il ajoute que l’interdiction, « à laquelle il a pu être fait exception, ne prive pas le public qui assiste aux audiences, en particulier les journalistes, de la possibilité de rendre compte des débats par tout autre moyen, y compris pendant leur déroulement ».

De tout cela, il conclut que « l’atteinte à l’exercice de la liberté d’expression (…) est nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis » et, par voie de conséquence, que « le grief tiré de la méconnaissance de l’article 11 » DDHC « doit donc être écarté ».

Le « principe de nécessité des délits et des peines » n’étant pas davantage méconnu, les dispositions contestées sont « déclarées conformes à la Constitution ».

Le « poids des mots » plutôt que le « choc des photos »

La question de l’ouverture des salles d’audience aux micros et caméras est controversée. Différents arguments s’opposent. Le droit français n’y fait pas totalement obstacle. D’aucuns, notamment parmi les journalistes, voudraient que cela soit fait plus largement, sinon parvenir à la levée de l’interdiction.

Comme précédemment indiqué, l’article 38 ter de la loi de 1881 détermine lui-même une dérogation à cette interdiction, « quand les débats ne sont pas commencés ».

Peuvent également être mentionnées les dispositions de l’article 308 CPP. Posant, en des termes quelque peu différents de ceux de la loi de 1881, que, « dès l’ouverture de l’audience, l’emploi de tout appareil d’enregistrement ou de diffusion sonore, de caméra de télévision ou de cinéma, d’appareils photographiques est interdit », le même article envisage cependant les conditions dans lesquelles, à l’usage de la justice, « les débats de la Cour d’assises font l’objet d’un enregistrement sonore ».

Comme relevé également, les articles L. 221-1 et suivants C. patr., introduits par la loi du 11 juillet 1985, encadrent les conditions dans lesquelles, aux fins de constitution d’archives audiovisuelles de la justice, certains procès peuvent désormais être filmés, et dans lesquelles il est possible d’accéder à de tels enregistrements et d’en assurer la diffusion. Pour Robert Badinter,« l’approche du procès Barbie commandait que fût votée sans délai la loi permettant d’enregistrer les débats judiciaires » (Les épines et les roses, Fayard, 2011, p. 206). Envisagée, à l’époque, pour des procès, notamment pour crime contre l’humanité, présentant un intérêt particulier, une telle pratique aurait pu être considérée comme constitutive d’une expérimentation pouvant éventuellement aboutir à son élargissement, sinon à l’abrogation de l’interdiction.

En dehors de toute exception légalement prévue, et donc, de ce fait, de façon plus gênante sinon contestable, des autorisations sont occasionnellement données, par les autorités judiciaires, pour la réalisation de reportages et de documentaires audiovisuels. Leur exploitation n’étant pas contemporaine du procès lui-même, les risques d’influence sur le déroulement de celui-ci sont moindres. Il n’est pas exclu cependant que, même si les techniques actuelles peuvent être discrètes et ne pas matériellement troubler les audiences, l’attitude de certains des participants, se sachant filmés, en soit quelque peu modifiée.

Faisant état de la fixation et de la diffusion de « la parole » ou de « l’image », et  établissant ainsi une distinction entre « le poids des mots et le choc des photos », les dispositions de l’article 38 ter de la loi de 1881 ne s’opposent pas aux comptes rendus d’audience faits, par écrit, en direct, à travers les services de communication au public en ligne. Outre le fait qu’ils ne permettent pas la prise de distance qu’impose le différé, ils sont assurément de nature à peser sur le comportement des participants à la procédure et qui sont susceptibles d’en avoir connaissance.

Tant qu’un procès est en cours, il convient de veiller à ne pas risquer de peser, par quelque moyen d’information que ce soit, sur son bon déroulement.

Même à considérer, comme le fait le Conseil constitutionnel, que, par les interdictions qu’il pose, l’article 38 ter de la loi de 1881 n’est pas contraire au principe fondamental de la liberté de communication, son application a cependant actuellement pour effet, de manière contestable, d’amener certaines des parties ou leurs avocats, contournant la mesure, à faire des déclarations sinon à plaider à nouveau, devant les micros et les caméras, à la sortie des salles d’audience. De cela, on ne peut pas être satisfait ! Peut-on cependant penser que, si les procès étaient filmés, ils s’en abstiendraient ?

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