Le référendum d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie du 4 novembre 2018 : la nécessaire ouverture d’une nouvelle page de dialogue
Un référendum d’autodétermination vient d’être mis en œuvre en Nouvelle-Calédonie, après trente ans de paix par le dialogue et la négociation entre indépendantistes et non-indépendantistes. Le taux de participation a été remarquable (80,63 %). Quant au rapport des forces en présence, il n’a pas été fondamentalement modifié (56,7 % pour la France contre 43,3 % pour l’indépendance), tout en connaissant une progression du vote indépendantiste. Il convient maintenant de reprendre le dialogue et la recherche de compromis sans omettre de s’attacher aux nécessaires rééquilibrages économiques et sociaux.
« Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? », 56,7 % du corps électoral a répondu non avec un taux de participation de 80,63 %.
Cette collectivité française originale marquée par un passé tumultueux, la conduisant de la colonie à la collectivité spécifique, est autonome dans la République et une partie de sa population aspire à l’indépendance c’est-à-dire, en droit, à la pleine souveraineté. La question référendaire reprend donc ces deux expressions bien qu’elles soient redondantes. Ainsi sont conciliées les demandes des indépendantistes (qui souhaitaient une question évoquant la « souveraineté » – négociable et modulable –) et celles des partisans de la France (qui voulaient le mot « indépendance » plus tranché).
Ce référendum est remarquable d’abord par ce taux de participation exceptionnel. Il est intéressant de noter qu’aux dernières élections provinciales il était de 58,19 % mais ce sont des chiffres peu comparables compte tenu des caractères propres de chacun de ces scrutins. Si l’on compare avec le référendum de 1998 sur l’Accord de Nouméa, la participation y était de 74,23 %, taux important qui pourtant s’accroît encore aujourd’hui. Quant au scrutin d’autodétermination de 1987, elle y était de 59,1 % et si 98,3 % des votants avaient choisi la France, il faut rappeler que ce scrutin avait été boycotté par les indépendantistes.
Quant à la réponse à la question posée, il n’y a pas de surprise à l’égard de la territorialisation du clivage indépendantistes/non-indépendantistes toujours fortement marquée. Les provinces Nord et Îles Loyauté ont voté massivement pour l’indépendance à l’inverse de la province Sud.
Le scrutin est incontestable étant donnée la participation massive : une totale légitimité est ainsi conférée aux résultats de ce vote référendaire. Il est vrai que le rapport de forces entre les deux options politiques ne s’est pas modifié au cours des 30 dernières années, depuis les Accords Matignon et le retour de la paix : aux élections successives il a été imperturbablement de 40 % pour les candidats défendant l’indépendance et 60 % pour les partisans du maintien dans la France. Pour ce scrutin référendaire, avait été annoncée une progression des suffrages favorables au maintien dans la France avec un pourcentage au niveau de 35/65 voire 30/70. Cette évolution ne s’est pas réalisée, au contraire. Le choix de la France reste nettement majoritaire, mais il s’accompagne d’une montée des voix indépendantistes dues notamment à une plus forte mobilisation et à la restriction de la liste électorale spéciale. La liste générale de droit commun compte un peu plus de 210 000 personnes ; la liste spéciale a comporté finalement 174 999 personnes. Ce sont ainsi quelques 35 000 personnes qui sont écartées.
À la mise en œuvre de la démocratie majoritaire les indépendantistes ont perdu mais la paix ne se décrète pas à la majorité. Elle se gagne par un dialogue constant. Le président de la République l’a rappelé au soir même du scrutin. Dès le lendemain, le Premier ministre et la ministre des Outre-mer sont venus en Nouvelle-Calédonie pour s’entretenir avec les représentants des différentes forces politiques calédoniennes. La majorité qui a affirmé sa volonté de maintien dans la France est de 56,7 % des suffrages mais tout le passé de paix depuis l’accord fondateur signé à Matignon en 1988 repose sur la prise en compte de la minorité, qui s’élève aujourd’hui à 43,3 %. Aussi convient-il de renouer le dialogue sans attendre les éventuels deuxième et même troisième référendums dont la possibilité est prévue par l’Accord de Nouméa (tous les deux ans). D’ailleurs, l’Accord dispose que si l’on en est toujours au même point après ces éventuelles années de référendum en référendum (les deux autres peuvent avoir lieu à la demande d’un tiers des membres du congrès, ce qui est acquis pour les indépendantistes qui y représentent actuellement 45 % des sièges), « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ». Voilà qui permet de penser que la sagesse aurait pu être dans la réunion des partenaires politiques avant même tout référendum, afin de négocier, comme en 1998, le meilleur accord possible… ensuite soumis à référendum…
Un référendum est toujours à manier avec d’infinies précautions. Il peut perturber des équilibres qui ont mis des décennies à s’installer si le dialogue n’est pas fermement établi le « jour d’après » faute de l’avoir mis en œuvre les jours d’avant. Il porte en lui un effet couperet et le risque de crispation de chacun sur ses bases. Il faut espérer que vouloir se compter ne crée pas des frustrations insurmontables. D’où l’importance d’organiser les discussions, de chercher des compromis comme cela se fait depuis 30 ans. Les Accords de Matignon et de Nouméa ont organisé un dialogue permanent des forces en présence et des solutions progressives et partagées : un transfert progressif de compétences de l’État à la Nouvelle-Calédonie jusqu’à ce qu’il ne lui reste plus que les compétences régaliennes (justice, ordre public, défense, monnaie, affaires étrangères), le partage du pouvoir avec la provincialisation, un gouvernement constitué à la représentation proportionnelle et la mise en place d’une citoyenneté calédonienne spécifique.
Enfin, ce référendum nous invite à faire un bilan des rééquilibrages en Nouvelle-Calédonie. Rééquilibrer, c’est décoloniser. L’Accord de Nouméa affirme ainsi dans son préambule : « Le passé était le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L’avenir doit être le temps de l’identité, dans un destin commun ». Si les rééquilibrages sont institutionnels pour le partage du pouvoir, on ne saurait oublier qu’ils doivent être aussi économiques et sociaux. La Nouvelle-Calédonie, aujourd’hui collectivité sui generis de la République est chaque jour confrontée aux défis sociaux sur lesquels les rééquilibrages institutionnels achoppent pour une bonne part. La fécondité institutionnelle pourrait très vite tourner court, faute d’assumer pleinement les réalités concrètes du territoire. Il convient de faire front face aux inégalités économiques et sociales particulièrement têtues et à la réalité d’une montée de la délinquance et d’une marginalisation de la jeunesse.
Au demeurant le droit n’est qu’un outil. Il faut de l’intelligence politique, des maîtres d’œuvre et des ouvriers du quotidien. L’État a tout son rôle à jouer car il est plus qu’un arbitre : il est l’une des trois parties prenantes au processus que l’Accord de Nouméa qualifie du mot neutre « d’émancipation ».
Aujourd’hui à nulle autre pareille, la Nouvelle-Calédonie pourrait encore développer ses spécificités. On peut avoir confiance en l’imagination des juristes qui a fait ses preuves, mais les plus belles machineries institutionnelles ne défont pas toujours l’arbitraire. Ce qui est en jeu c’est le destin commun, la paix et le développement ; c’est aussi la coutume, structure sociale kanak, et la relation tradition/modernité ainsi que la place des autorités coutumières. Enfin est en jeu la place de la jeunesse qui s’est enfin prononcée lors de ce référendum.
Il est rassurant de constater que nul ne conteste la légitimité de ce scrutin. Il est paradoxal d’observer que les minoritaires se félicitent et que les majoritaires, déçus, s’inquiètent. Il est urgent de veiller avec vigilance à ce que le dialogue constructif continue entre les trois parties, après les simplifications de la procédure référendaire, peu adaptées aux complexités calédoniennes. L’annonce de la tenue d’un comité des signataires de l’Accord de Nouméa en décembre est un bon signe.