Les groupes parlementaires, instruments essentiels mais fragiles du travail parlementaire
L’apparition de deux nouveaux groupes à l’Assemblée nationale en mai 2020 a bénéficié d’un écho médiatique saluant un plus grand pluralisme et un fonctionnement moins autoritaire de la majorité et même de l’Assemblée nationale. Pourtant, la multiplication des groupes parlementaires, rouages essentiels au fonctionnement du Parlement, pourrait constituer un grain de sable entravant à la fois la bonne marche de l’Assemblée nationale et l’expression des oppositions.
En à peine une semaine, un projecteur a été braqué sur des organes méconnus du fonctionnement du Parlement : les groupes parlementaires encore dénommés groupes politiques. En effet, la constitution du groupe Écologie Démocratie Solidarité, le 19 mai 2020, puis celle du groupe AGIR Ensemble le 26 mai 2020 ont abouti à la perte par le groupe de La République en marche (LREM) de la majorité absolue des sièges de députés à l’Assemblée nationale.
Le gouvernement d’Édouard Philippe dispose toujours d’une majorité confortable dans la mesure où il n’est pas soutenu par la seule République en marche, et d’ailleurs ces nouveaux groupes n’entendent pas être dans l’opposition, mais la symbolique est suffisamment forte pour que journalistes et citoyens s’intéressent à cette face cachée du Parlement, pourtant si essentielle à son bon fonctionnement, que sont les groupes parlementaires.
Ceux-ci sont apparus de manière plus ou moins diffuse dès la Révolution. Un parlementaire seul pèse peu dans les débats, mais, s’il est rejoint par d’autres partageant la même opinion, cette dernière a davantage de chances de se faire entendre. Les premiers regroupements de parlementaires sont réalisés en fonction de leur origine géographique avant que la multiplication des « clubs » n’aboutisse à un rassemblement en fonction de leur positionnement politique. Ainsi, Buchez et Roux, auteurs d’une Histoire parlementaire de la Révolution française, puisent-ils l’origine de la distinction droite/gauche au sein du Parlement et la datent du 28 août 1789 lorsque, lors du débat sur le veto royal à la Constituante, les partisans d’un veto absolu se rangèrent à droite du président de séance et ceux d’un veto seulement suspensif à sa gauche. Par la suite, ces rapprochements de parlementaires continuèrent à demeurer assez informels. Finalement leur existence a, en quelque sorte, été rampante jusqu’en 19101. Ils ne pouvaient apparaître au grand jour dans la mesure où ils étaient considérés comme portant atteinte à l’indépendance et à la liberté du parlementaire. Ainsi l’abbé Lemire s’emporte-t-il contre ce qui s’apparenterait, selon lui, à une forme de mandat impératif vis-à-vis d’un parti et le député Joseph-Pierre Massabuau considère même que « ce système est la négation même du Parlement »2. Plus tard, Georges Vedel écrit que : « dans la pureté du principe représentatif, on ne conçoit pas que des groupes politiques aient officiellement leur place dans les assemblées parlementaires. Chaque parlementaire est le représentant de la Nation toute entière, sa mission est de contribuer à l’expression de la volonté nationale par sa parole et son vote, qui, l’un et l’autre, ne relèvent que de sa conscience »3.
Le 1er juillet 1910, la Chambre des députés adopta une résolution prévoyant que, pour la répartition des sièges au sein des commissions, il serait tenu compte des propositions formulées par les bureaux des « groupes ». Par la suite, la Constitution du 27 octobre 1946 les a consacrés constitutionnellement. S’ils ne sont pas mentionnés explicitement par la Constitution en 1958, ils sont très présents dans les règlements dont se dotent les assemblées afin de s’organiser. Ils bénéficient même d’une reconnaissance constitutionnelle implicite puisque le Conseil constitutionnel a censuré une disposition du règlement de l’Assemblée nationale relative aux groupes comme violant l’article 4 de la Constitution relatif aux partis et aux groupements politiques (Cons. const., 22 juin 2006, n° 2006-537 DC). La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 parachève leur intégration dans le système constitutionnel de la Ve République en les mentionnant expressément, et à plusieurs reprises, dans la constitution. Bien que le « respect de la liberté des membres du Parlement dans l’exercice de leur mandat » soit imposé par la Constitution de 1958 (Cons. const., 11 mai 2020, n° 2020-800 DC), les groupes parlementaires sont néanmoins devenus un rouage essentiel du fonctionnement du Parlement. Tant et si bien que rares sont les non-inscrits car ils apparaissent isolés et dépourvus de moyens d’action4. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le nouveau groupe Écologie Démocratie Solidarité est largement issu de non-inscrits anciennement membres du groupe de La République en marche.
Mais la multiplication du nombre de groupes, au moins à l’Assemblée nationale, pose la question de la pérennité d’un système qui repose très largement sur les groupes. Est-il encore viable tel quel ?
Depuis 1910, les règles de constitution et le statut de ces groupes ont grandement évolué et mériteraient sans doute une nouvelle évolution (II) eu égard à l’importance de leurs prérogatives dans le fonctionnement des assemblées de la Ve République (I).
I – L’importance grandissante des groupes politiques
L’importance accrue des groupes politiques au sein des assemblées tient, d’une part, aux nombreuses prérogatives qui leur ont été progressivement accordées (A) ainsi qu’à l’organisation dont ils se sont dotés, tournée vers l’efficacité (B).
A – Du fait des prérogatives qui leur sont accordées
Il n’est nul besoin de dresser un catalogue à la Prévert de l’ensemble des motifs qui justifient l’intervention des groupes5. On n’en mentionnera que quelques-uns.
Ils interviennent s’agissant de la structuration des assemblées. À l’origine, ils n’avaient pour compétence que de proposer la liste de leurs membres pour siéger au sein de chacune des commissions. C’est toujours le cas6. D’ailleurs, si un parlementaire quitte son groupe, comme cela s’est produit avec la constitution des groupes Écologie Démocratie Solidarité et AGIR Ensemble, il cesse d’appartenir à la commission dont il faisait partie au nom du groupe. Une réattribution des places en commission a donc immédiatement suivi la création de ces nouveaux groupes parlementaires. Ils attribuent aussi les places au sein de l’hémicycle, ce qui peut donner lieu à des tensions importantes entre les groupes, comme lors de la constitution du huitième groupe, Libertés et Territoires, sous la XVe législature7.
Ils participent à la fonction législative des assemblées dans la mesure où les présidents de groupes participent aux réunions des conférences des présidents qui arrêtent l’ordre du jour des assemblées (règl. AN, art. 47 ; règl. Sénat, art. 29), où ils peuvent demander la création d’une commission spéciale (règl. AN, art. 31 ; règl. Sénat, art. 16 bis) et où le président d’un groupe peut demander ou s’opposer à la mise en œuvre de la procédure de législation en commission (règl. AN, art. 107-1 ; règl. Sénat, art. 47 ter).
En réalité, c’est l’article 51-1 de la constitution, issu de la révision du 23 juillet 2008, qui a participé à l’accroissement des compétences des groupes en reconnaissant que les règlements des assemblées peuvent attribuer des droits spécifiques aux groupes d’opposition et aux groupes minoritaires. Cela se traduit en matière législative par la fixation de l’ordre du jour, par ces groupes minoritaires et d’opposition, d’un jour de séance par mois et par de nombreuses compétences en matière de contrôle.
C’est ainsi que les groupes d’opposition et les groupes minoritaires bénéficient d’un droit de tirage leur permettant d’obtenir, de droit, la création d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information par session8. À l’Assemblée nationale, le temps des questions orales est partagé pour moitié entre le groupe majoritaire et les groupes d’opposition et minoritaires, tandis que le temps des questions au gouvernement du mardi après-midi est largement favorable à ces derniers (22 questions sont posées par les membres des groupes minoritaires et d’opposition et seulement 8 le sont par des membres du groupe majoritaire chaque semaine).
Ainsi les groupes ont-ils pu devenir des acteurs indispensables du fonctionnement des assemblées. Ils sont devenus des rouages de l’organisation du travail parlementaire, les interlocuteurs des services des assemblées dans la mesure où ce sont eux qui fournissent les noms des orateurs, qui transmettent les amendements, les propositions de loi, ce qui facilite grandement le travail des administrations parlementaires. Mais ils ont aussi accompagné cette importance grandissante en se structurant méthodiquement.
B – Du fait de leur organisation interne
Depuis 2014 à l’Assemblée nationale et 2015 au Sénat, les groupes parlementaires sont constitués sous le régime juridique d’une association, ce qui a clarifié leurs relations avec l’assemblée au sein de laquelle ils exercent leur activité et vis-à-vis de leurs collaborateurs. Cela n’est pas sans conséquence sur leur importance grandissante. En effet, les assemblées versent une contribution aux frais de secrétariat des groupes qui est loin d’être négligeable (AN : 11,2 M€ en 20189 ; Sénat : 10,4 M€ en 201810) et qui s’ajoute aux cotisations de leurs membres. Ces ressources permettent de recruter des collaborateurs de groupe travaillant pour l’ensemble de ses membres. En réalité, il est possible de se demander si le travail réalisé par eux n’est pas un moyen pour la majorité du groupe si ce n’est d’imposer, du moins de convaincre, qu’une seule ligne politique peut être adoptée sur un texte. Ces moyens matériels dont dispose le groupe, on l’aura compris, participent d’une forme d’unité de vote du groupe grâce aux analyses, aux argumentaires et autres éléments de langage distribués aux membres du groupe.
En outre, les groupes se structurent11, autour d’un président, d’un secrétaire général et de divers autres parlementaires cherchant à créer une harmonie au sein du groupe. La réunion hebdomadaire du groupe est un moment capital, si bien qu’il a été positionné dans la semaine au moment le plus favorable, le mardi matin, avant la séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale. Ponctuellement sur des textes précis, le président et le secrétaire d’un groupe s’adjoindront les services d’un parlementaire tête de file sur un texte afin de tenter de dégager une position commune du groupe sur le texte en question. En outre, le groupe, au moins s’il est majoritaire, désigne un whip au sein de chaque commission dont le rôle est de convaincre les parlementaires du groupe de voter de manière unanime.
Ainsi donc les groupes participent-ils de la discipline de vote que l’on constate régulièrement tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Si l’on note, voire l’on raille, celle des députés de la majorité (les « godillots », les « playmobil »), les analyses de Dorothée Reignier montrent bien que celle-ci ne se limite pas à ces seuls députés et que les membres des groupes d’opposition et des groupes minoritaires y sont sensibles également12. Ainsi les groupes contribuent-ils de manière considérable au fait majoritaire, mais aussi au développement d’une opposition structurée.
L’importance des groupes est ainsi devenue une donnée fondamentale du système politique de la Ve République. Mais la multiplication des groupes au sein de l’Assemblée nationale interroge sur les règles de leur création et leur nécessaire évolution.
II – L’évolution inachevée des règles de constitution d’un groupe parlementaire
Les règles constitutives d’un groupe parlementaire ont largement évolué au fil des ans (A) mais cette évolution paraît inachevée aujourd’hui (B).
A – Une évolution sensible
Il n’existe finalement que deux grandes règles à respecter pour constituer un groupe.
La première consiste en la signature d’une déclaration commune par les différents membres du groupe. Apparue à la Chambre des députés en 193213, cette condition est assez peu contraignante pour les parlementaires. D’abord en ce que ce texte, souvent assez court, paraît, à bien des égards, assez formel sachant que le Conseil constitutionnel a, dès 1959, interdit aux assemblées d’en contrôler le contenu (Cons. const., 24 juin 1959, n° 59-2 DC). Ainsi la déclaration du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) ne compte-t-elle que 1 632 caractères espaces compris et celle de La France insoumise (LFI) 1 907. On y retrouve systématiquement les références à la laïcité, à la justice et à la solidarité et désormais de plus en plus souvent au respect de l’environnement. Formelle aussi, parce qu’elle peut être modifiée ; ainsi le groupe Union des démocrates et indépendants (UDI) qui se déclarait d’opposition dans sa déclaration a-t-il retiré sa déclaration d’appartenance à l’opposition le 27 septembre 2019. Enfin, cette déclaration est peu contraignante en ce qu’un parlementaire peut quitter un groupe aisément y compris pour se rattacher immédiatement, à condition d’y être accepté, à un autre groupe dont la déclaration politique diffère, certes souvent légèrement. Au Royaume-Uni on a même vu en plein discours du Premier ministre à la Chambre des communes un député conservateur, Philip Lee, aller s’asseoir sur les bancs travaillistes manifestant par là son changement de groupe14. Cette liberté n’est d’ailleurs pas reconnue partout aux parlementaires ou sans aucune limite ; ainsi en Israël, un député quittant le groupe auquel il appartient en cours de législature ne pourrait pas candidater à sa succession15.
La deuxième règle pour pouvoir constituer un groupe est de réunir un seuil minimal de parlementaires signataires de la déclaration. Un seuil élevé participera à la rationalisation du travail parlementaire en limitant l’expression de la diversité des parlementaires dans le but de stabiliser le gouvernement ; un seuil bas concourra au pluralisme de l’expression politique. Apparue au début de la IVe République, cette exigence a été d’intensité variable. Au début de la Ve République, 30 députés ou 11 sénateurs étaient nécessaires à la création d’un groupe. À l’Assemblée nationale ce seuil n’a fait que diminuer, à 20 en 1988, pour permettre aux communistes de disposer d’un groupe, puis à 15 en 2009, résultat d’une promesse de Nicolas Sarkozy pour convaincre les parlementaires centristes et écologistes de voter la révision du 23 juillet 2008. Au Sénat l’évolution est plus erratique puisqu’il remonte à 15 en 1971 avant de descendre à 10 en 2011. L’existence d’un seuil aboutit parfois à des situations curieuses afin de permettre à une sensibilité de l’atteindre pour l’autoriser à disposer d’un groupe. On pense immédiatement au rattachement extrêmement opportun du socialiste Hervé Poher au groupe écologiste du Sénat à la suite de la nomination de Jean-Vincent Placé au gouvernement, afin de permettre aux écologistes de conserver un groupe parlementaire alors que le suivant de liste de Jean-Vincent Placé allait siéger au sein du groupe communiste. On peut aussi se demander si le Conseil constitutionnel ne s’est pas montré bienveillant en ne prononçant pas l’inéligibilité de Gabriel Serville en 2013, ce qui permettait aux communistes de continuer à disposer d’un groupe16.
Finalement, une troisième règle est imposée aux groupes après la révision du 23 juillet 2008. Cette révision prévoyant des droits spécifiques pour les groupes minoritaires et les groupes d’opposition, il s’agit désormais de les identifier. Les groupes « d’opposition » sont le résultat d’une déclaration expresse en ce sens dans les deux assemblées (règl. AN, art. 19, al. 2 ; règl. Sénat, art. 5, al. 3). À ce jour, sont ainsi groupes d’opposition à l’Assemblée nationale les groupes Les Républicains (LR), Socialistes, LFI et GDR ; au Sénat, seul le groupe Socialiste et républicain (SOCR) s’est déclaré d’opposition ! Quant aux groupes minoritaires, il s’agit au Sénat de ceux qui se sont déclarés comme tels, tandis qu’à l’Assemblée nationale il s’agit de tous les groupes, à l’exception de celui ayant l’effectif le plus important, qui ne se sont pas déclarés comme groupes d’opposition. Il y a donc désormais cinq groupes minoritaires au Sénat et à l’Assemblée nationale, mais les uns se sont déclarés et pas les autres. On notera que la « majorité » n’est pas définie si ce n’est de manière négative, comme étant, à l’Assemblée nationale, le groupe comprenant le plus grand nombre de parlementaires et ne s’étant pas déclaré d’opposition17 (au Sénat le groupe ne s’étant déclaré ni d’opposition, ni minoritaire).
Le nombre de ces groupes interpelle et appelle à une nouvelle évolution de leurs règles de constitution ou de leurs droits.
B – Une évolution encore nécessaire
Si le nombre de groupes sénatoriaux demeure relativement stable, le nombre de groupes politiques à l’Assemblée nationale inquiète. Depuis le début de la Ve République, il n’avait jamais été supérieur à 6 et atteint désormais 10 depuis le 26 mai 2020. On constate que le seuil de députés nécessaire à la constitution d’un groupe a été divisé par deux à l’Assemblée tandis que le nombre de députés a, quant à lui, augmenté pour passer de 491 à 577 en 198618. Mathématiquement, il était inéluctable que le nombre de groupes croisse. Pourtant, ce n’est le cas que depuis cette législature.
Cela tient d’abord à des causes politiques, la large majorité LREM, composée qui plus est de nombreux novices en politique, a pu susciter des convoitises ou des envies en son sein que le groupe n’a pu satisfaire (peu de places au bureau, peu de présidences de commissions, etc.). Le groupe majoritaire a pu aussi désespérer certains parlementaires en raison de ses prises de position politique sur certains dossiers (retraites, écologie, etc.) et de la stricte discipline de vote qu’il impose, sous peine d’exclusion. La volonté d’être plus exposé médiatiquement que dans l’anonymat d’un groupe rassemblant plus de 300 députés explique aussi cette rupture19. Enfin, parmi les causes politiques de l’augmentation du nombre de groupes on peut aussi compter un plus grand fractionnement de l’offre politique et un affaissement des partis traditionnels qui aboutissent à une représentation plus différenciée (il y avait déjà huit groupes avant que le groupe LREM ne connaisse une déperdition de ses députés). Il y a également une explication plus juridique, c’est la multiplication des droits et prérogatives accordés aux groupes, notamment minoritaires, qui fait effet d’un appel d’air pour ceux qui ne trouvent pas leur place au sein d’un groupe.
Si l’on peut se féliciter de ce que la multiplication du nombre de groupes entraîne une meilleure représentation de différentes sensibilités politiques au sein de l’Assemblée nationale, on peut aussi relever que les droits conférés aux groupes d’opposition et minoritaires vont rendre, dans ce contexte, le travail des députés particulièrement délicat. On mentionnera : une mise en œuvre plus délicate de la procédure d’examen simplifié des lois ou de la nouvelle procédure de législation en commission ; une répartition du temps de parole entre les groupes beaucoup plus complexe à réaliser ; un risque d’allongement du temps consacré à différentes procédures, etc. On peut craindre une désorganisation du travail parlementaire du fait de cette « atomisation du Palais Bourbon »20 qui renvoie au (dys)fonctionnement de la Chambre des députés dans les années 1930.
Et si la majorité peut en pâtir, ce sont surtout les groupes d’opposition et minoritaires qui en paieront le prix. La journée mensuelle réservée à l’examen de l’ordre du jour fixé par les groupes d’opposition et minoritaires devra être partagée en un si grand nombre de groupes que chacun n’en bénéficiera que peu. Le nombre de questions au gouvernement posées par les députés de l’opposition et des groupes minoritaires devra être partagé entre un nombre plus important de groupes. Le temps dont disposent ces groupes dans le cadre du temps législatif programmé devra, lui aussi, être davantage partagé…
Pour toutes ces raisons, il serait sans doute souhaitable ou préférable de limiter la création de groupes nouveaux en relevant le seuil de parlementaires nécessaire. Mais qui osera prendre une telle initiative sera inévitablement taxé de porter atteinte à l’expression démocratique et au pluralisme et en paiera le prix politique, alors même qu’une telle réforme pourrait être favorable aux groupes d’opposition et minoritaires.
Une autre voie pourrait être de ne faire bénéficier de droits spécifiques que les groupes d’opposition et non les groupes minoritaires. Mais pour cela il serait nécessaire de réviser la constitution.
Ainsi, le choix paraît-il presque impossible entre une réforme aisée juridiquement à faire passer mais politiquement mortifère pour ses auteurs et une réforme peut-être plus acceptable par l’opinion mais très complexe à réaliser eu égard aux conditions de majorité nécessaires.
Finalement, le temps jouera peut-être en faveur d’une évolution si les difficultés rencontrées en montrent le caractère nécessaire.
Notes de bas de pages
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1.
Damien Connil évoque une « histoire embrouillée et clandestine ». Connil D., Les groupes parlementaires en France, 2016, LGDJ, Systèmes, p. 23 et s.
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2.
Séance du 1er juillet 1910 : JO, 2 juill. 1910, Débats, Chambre des députés, p. 2372. Cité par Connil D., Les groupes parlementaires en France, 2016, LGDJ, Systèmes, p. 28. Rétrospectivement il est savoureux de constater que la base de données des députés français depuis 1789 place ce député comme membre du groupe « Action libérale » dès 1898, à une date où ces groupes ne sont pas encore officiellement reconnus. Jules Lemire, quant à lui, y est indiqué comme « non inscrit » jusqu’au début de la XIIe législature de la IIIe République, http://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/recherche.
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3.
Vedel G., Manuel élémentaire de droit constitutionnel, 1949, Sirey, rééd. Dalloz, 2002, p. 415.
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4.
Jean Waline note que cet « isolement diminue par trop la situation politique du parlementaire ». Waline J., « Les groupes parlementaires en France », RDP 1961, p. 1192.
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5.
Pour en avoir une vision exhaustive, v. Avril P., Gicquel J. et Gicquel J.-E., Droit parlementaire, 5e éd., 2014, LGDJ, Domat Droit public.
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6.
Règl. AN, art. 37 et 38, et règl. Sénat, art. 8 concernant les commissions permanentes ; règl. AN, art. 34 et règl. Sénat, art. 8 bis concernant les commissions spéciales.
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7.
Fourmont A., « Un nouveau groupe politique à l’Assemblée : les places ou la place ? », LPA 23 mai 2019, n° 144r1, p. 10 et s.
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8.
Règl. AN, art. 141 et 145 ; règl. Sénat, art. 6 bis. Au Sénat, le groupe majoritaire dispose aussi, curieusement, de ce droit de tirage.
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9.
Rapport du collège des questeurs à la commission spéciale chargée de vérifier et d’apurer les comptes de l’Assemblée nationale, 2018, p. 32. Le groupe LREM a ainsi obtenu 4,93 M€, le groupe LR 2,07 M€ : http://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/80645/896010/version/1/file/2019+05+23+Rapport+Questeurs+2018+validé+CPZ+%28complet%29.pdf.
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10.
Rapport d’information n° 513 au nom de la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne sur les comptes du Sénat de l’exercice 2018, p. 43 : http://www.senat.fr/rap/r18-513/r18-5131.pdf.
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11.
V. Reignier D., « L’organisation interne des groupes parlementaires », RFDC 2013, p. 415-436.
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12.
Reignier D., La discipline de vote dans les assemblées parlementaires sous la Ve République, thèse, dactyl., 2011, Université Lille 2. Les groupes qui se créent en cours de législature affirment le plus souvent la liberté de vote de leurs membres qu’ils portent en étendard afin de se démarquer des groupes « traditionnels ». Mais l’analyse des scrutins montre vite qu’ils sont aussi disciplinés que les autres.
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13.
Résolution du 10 juin 1932.
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14.
Courrier international en ligne, 3 sept. 2019, https://www.courrierinternational.com/article/coup-de-theatre-un-depute-britannique-quitte-le-parti-conservateur-en-pleine-seance-johnson.
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15.
Loi fondamentale, art. 6A. Navot S., « Israël », in Derosier J.-P. (dir.), Les partis politiques, 2019, LexisNexis, Les cahiers du ForInCIP, n° 4, p. 191. Pour d’autres exemples, v. Savonitto F., « Le nomadisme politique », in Poirmeur Y. (dir.), La régulation des partis politiques, 2019, LGDJ, Systèmes, p. 107 et s.
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16.
Cons. const., 12 avr. 2013, n° 2013-4845 AN : le compte de campagne ayant été abondé par un prêt d’honneur consenti par l’Assemblée nationale à hauteur de 10 000 € postérieurement à l’élection, il n’y a pas lieu de prononcer l’inéligibilité, contrairement à la décision de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).
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17.
Situation que Guy Carcassonne qualifiait d’« insolite ». Carcassonne G., La Constitution, 11e éd., 2013, Le Seuil, Points, p. 255.
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18.
Sous la première législature, il est vrai que l’Assemblée nationale comportait 579 députés, mais ce nombre a, par la suite, été diminué en raison de l’indépendance des colonies.
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19.
Cette médiatisation importante constitue, pour Maxime Torrente, si ce n’est la principale, du moins l’une des motivations essentielles de la création de ces nouveaux groupes : https://www.lemonde.fr/blog/cuisines-assemblee/2020/05/27/groupes-parlementaires-un-dixieme-pour-la-route/?fbclid=IwAR0oZeKy3fCA8QBgOwEJkOj7ForsopKkH1XaITYT9iayBJq8tD2iWtdMDZ0.
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20.
L’expression est employée par Alexis Fourmont alors même qu’était créé un huitième groupe à l’Assemblée nationale ; aujourd’hui il y en a 10… Fourmont A., « Un nouveau groupe politique à l’Assemblée : les places ou la place ? », LPA 23 mai 2019, n° 144r1, p. 10 et s.