Questions sur la modification du régime électoral parlementaire
Les mesures figurant dans les lois organique et ordinaire « Pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » inscrites à l’ordre du jour du conseil des ministres du 23 mai 2018 complètent, sur le plan électoral, le projet de loi constitutionnel déposé deux semaines plus tôt. Si elles prospèrent, elles transformeront sensiblement les règles de composition de l’institution parlementaire. Elles soulèvent toute une série de questions constitutionnelles, politiques et pratiques.
Que penser de l’introduction de la proportionnelle à l’Assemblée nationale ?
L’introduction d’une dose de proportionnelle à l’AN suscite plusieurs interrogations, constitutionnelles ou d’opportunité.
1. Tout d’abord quelle proportionnelle ? Veut-on un système correctif ou, plus simplement, un scrutin de liste au niveau national, avec répartition des sièges à la plus forte moyenne ? Comment l’articuler avec le scrutin majoritaire ? Vote double (comme en Allemagne1) ou vote unique (système de la Nouvelle-Zélande) ?
La solution adoptée est la solution simple (scrutin de liste national, avec répartition à la plus forte moyenne ; seuil de 5 % ; deux bulletins au premier tour). Combinée à un effectif modeste (15 % des sièges, soit 61 députés), cette solution limite le coup de pouce donné à la représentation des sensibilités minoritaires comme le FN, la France insoumise, les écologistes ou… le Modem.
Et ce, d’autant que ces formations auront sans doute moins d’élus qu’aujourd’hui au scrutin majoritaire. Le quasi-doublement de la taille des circonscriptions comporte en effet une « prime majoritaire », comme l’ont montré deux chercheurs au moyen d’une simulation réalisée en février dernier2.
L’effet global pourrait être marginal pour des complications maximales. Much ado about nothing.
2. Pose problème, au regard de l’esprit de l’article 3 de la constitution (« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum/ Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice »), la coexistence, au sein de l’Assemblée nationale, de deux types de députés dont les uns ont obtenu, sur leur personne, la confiance d’une majorité d’électeurs et les autres n’ont été que suffisamment bien placés sur une liste nationale par un parti éligible à la répartition proportionnelle.
La « volonté générale » peut-elle s’exprimer avec la même force au travers d’élus présentant un lien si différent avec les citoyens ? L’élu direct, adoubé par une majorité (au moins au second tour), a nécessairement une vision plus universelle de son mandat. L’élu issu de la proportionnelle a une vision de sa fonction plus partisane : son mandat est par nature plus « sectionnaire ».
Une autre différence, potentiellement porteuse d’inégalité, est que les députés élus en circonscription auront à entretenir des liens avec celle-ci, tant en y assurant des permanences qu’en les parcourant, tandis que les députés élus à la proportionnelle pourront être beaucoup plus présents au Palais Bourbon. On peut en outre conjecturer que les moyens supplémentaires dont disposeront les députés (par suite de la réduction de leur nombre) seront davantage employés par les députés élus au scrutin majoritaire à leur activité territoriale (d’autant que les circonscriptions seront presque deux fois plus étendues qu’aujourd’hui) qu’au travail législatif ou au contrôle de l’exécutif. Ce ne sera pas le cas des députés élus à la proportionnelle : leur influence relative s’en trouvera accrue.
L’analogie avec les sénateurs n’est pas pleinement convaincante dès lors que ceux-ci restent élus dans un cadre départemental (où le scrutin est de l’une ou de l’autre sorte) et que, en tout état de cause, leur élection procède du suffrage indirect.
Nous sommes là, il est vrai, à la frontière de la science politique et du droit constitutionnel, plus du côté de la première que du second. L’instillation de la proportionnelle n’a d’ailleurs pas offusqué le Conseil d’État.
3. S’il est limité ici par le choix d’une dose raisonnable de proportionnelle, il faut rappeler le risque inhérent à l’introduction de celle-ci.
Il semble a priori légitime de vouloir concilier :
-
d’une part, l’impératif de gouvernance (qui suppose un mode de scrutin capable de transformer en majorité absolue en sièges une majorité relative en voix et de prévenir ainsi blocages, instabilité et coalitions bancales, dont nous avons de multiples exemples sous les yeux) ;
-
d’autre part, le souci de permettre à chacun de se sentir représenté, facteur d’adhésion et de participation, qui appelle une dose minimale de scrutin proportionnel.
Légitime, mais périlleux : l’exemple de l’Allemagne montre que le « mixage » des deux modes de scrutin, s’il fait la part trop belle à la proportionnelle, peut compromettre la formation d’une coalition majoritaire ou, tout au moins, la fragiliser.
4. L’introduction de la proportionnelle pouvait s’exposer à une critique constitutionnelle, tirée de la disparité des poids démographiques entre les deux types de députés.
S’il y a une soixantaine de députés élus à la proportionnelle nationale, chacun d’entre eux « pèsera » un peu plus d’un million d’habitants. Pour sa part, chaque député issu du scrutin uninominal majoritaire sera élu en moyenne par environ 200 000 habitants. Arithmétiquement, un tel écart excède de beaucoup les fourchettes admises par la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux bases démographiques de l’élection des membres d’une même assemblée.
Comme le rappelle en effet la décision n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009 (loi relative à la commission prévue à l’article 25 de la constitution et à l’élection des députés) : « Il résulte de l’article premier de la constitution, du premier alinéa de son article 3 et du troisième alinéa de son article 24 que l’Assemblée nationale, désignée au suffrage universel direct, doit être élue sur des bases essentiellement démographiques selon une répartition des sièges de députés et une délimitation des circonscriptions législatives respectant au mieux l’égalité devant le suffrage. Si le législateur peut tenir compte d’impératifs d’intérêt général susceptibles d’atténuer la portée de cette règle fondamentale, il ne saurait le faire que dans une mesure limitée ».
L’application littérale de cette jurisprudence ferait obstacle à l’introduction de la proportionnelle, sauf à en augmenter dangereusement la dose au regard des impératifs de gouvernance.
Mais, précisément, peut-on faire une application littérale de cette jurisprudence en l’espèce ? Il n’est pas interdit d’en douter dès lors que chaque électeur concourt également (et à égalité avec les autres électeurs) à deux scrutins distincts : l’un pour désigner un représentant proche, l’autre pour choisir entre listes porteuses des programmes nationaux de groupements et partis politiques qui, en vertu de l’article 4 de la constitution, « concourent à l’expression du suffrage ».
S’agissant d’égalité démographique devant le suffrage, les modalités de désignation des deux types de députés ne sont pas inter-comparables. C’est ce qu’a admis le Conseil d’État.
Cette non inter-comparabilité plaide cependant pour un vote double plutôt qu’unique au premier tour.
5. Autres problèmes posés par l’introduction de la proportionnelle à l’Assemblée nationale : comment adapter aux députés élus au scrutin de liste national les règles prévues pour les députés élus en circonscription ?
Il est clair que la solution doit être spécifique pour certains sujets (déclarations de candidature, parité, propagande, financement et plafonnement des dépenses électorales, recensement des votes, contentieux, parrainage des candidats à l’élection présidentielle). Pour d’autres, une simple transposition est tentante, mais elle ne va pas non plus de soi.
Ainsi :
-
comme le note le Conseil d’État dans son avis du 17 mai 2018, le choix d’étendre au scrutin de liste national, sans adaptation, les inéligibilités prévues aux articles LO 129 et LO 132 du Code électoral, qui sont circonscrites aux circonscriptions comprises en tout ou partie dans les ressorts dans lesquels les titulaires visés ont exercé leurs fonctions, peut être regardé comme limitant trop strictement le droit d’éligibilité. Dans le cadre d’un scrutin national, les titulaires visés ne feraient pas nécessairement campagne dans le ressort dans lequel ils ont exercé et, en tout état de cause, ils font partie d’une liste ce qui, par rapport au scrutin uninominal, atténue le risque de personnalisation ;
-
le projet de loi organique transpose au scrutin de liste national les dispositions de l’article LO 135 du code électoral, qui interdisent au suppléant ayant remplacé le député titulaire nommé membre du gouvernement de faire acte de candidature contre lui lors de l’élection suivante. Comme le souligne le Conseil d’État, il est difficile de justifier l’application de cette prohibition au suivant de liste dans un scrutin de liste national ;
-
pour les députés élus au scrutin majoritaire, les déclarations de situation patrimoniale sont tenues à la disposition des électeurs à la préfecture de leur département d’élection. N’est-il pas excessif (même si on en comprend la logique) de prévoir que celles des députés élus au scrutin de liste national sont accessibles dans chaque préfecture et « outre-mer, dans chaque service du représentant de l’État » ?
Quels problèmes pose la réduction du nombre de sièges de députés ?
La réduction du nombre de députés (- 30 %) fera passer l’effectif total à 404 (577 x 0,7). L’introduction de la proportionnelle (15 % des sièges) créera 61 sièges de députés élus au scrutin de liste national (404 x 0,3). Les députés représentant les Français établis hors de France, élus au scrutin de liste pour l’ensemble de l’étranger, seront au nombre de 8. Le nombre de députés élus au scrutin majoritaire uninominal de circonscription s’établira donc à 335 (404 – 61 – 8).
L’effet combiné de ces changements ne concourt pas à la proximité entre le représentant et l’électeur :
-
les députés élus au scrutin proportionnel sont distants de l’électeur par définition ;
-
les autres en seront environ deux fois plus distants qu’aujourd’hui, car, en moyenne, les circonscriptions seront presque deux fois plus peuplées.
La distance dont nous parlons est psychologique autant que géographique.
La remarque n’est pas d’ordre constitutionnel, mais elle prend tout son sens à une époque où la perte de confiance dans les institutions se nourrit du sentiment qu’a l’électeur que les élus nationaux sont inaccessibles, les maires et conseillers municipaux étant significativement exonérés de ce reproche.
Avec 116 000 habitants par député, la France se situe à un niveau de représentation comparable à celui de ses grands voisins3. Un tiers de députés en moins élèverait ce ratio au point de faire de la France le pays le plus sous-représenté parmi les grandes démocraties européennes.
La quasi division par deux du nombre des circonscriptions pose un problème particulier pour les huit députés (les deux tiers des onze actuels arrondis à l’entier supérieur) représentant les Français établis hors de France, dont les circonscriptions sont déjà très vastes, souvent continentales. Le choix qui a été fait (c’était sans doute le seul possible) est de les réunir dans une seule circonscription et de les élire à la proportionnelle. Du coup, leur nombre s’ajoute aux 61. L’élection de 17 % des députés (et non plus seulement de 15 %, comme annoncé) échappe au scrutin majoritaire uninominal. Un député sur six.
Que penser de la réduction du nombre de sièges de sénateurs ?
Comme le montre une simulation récemment réalisée par Guillaume Jacquot et François Vignal pour Public Sénat, la réduction du nombre de sénateurs va sensiblement accroître :
-
le nombre de départements ou collectivité d’outre-mer n’élisant qu’un sénateur (il passera de 7 à 41), avec des effets probables sur la parité, la personnalisation des élections et le nombre de candidatures dissidentes ;
-
la proportion des scrutins majoritaires (le nombre de départements et collectivités élisant leurs sénateurs au scrutin majoritaire passera de 46 à 68 ; la proportion des sénateurs élus au scrutin majoritaire, quant à elle, augmentera dans une proportion plus modeste, passant de 25 % à 30 %. La proportionnelle apparaît donc à l’AN, mais régresse quelque peu au Sénat…).
Si, du fait de la réduction du nombre de sénateurs et du maintien à un du nombre minimal de sénateurs par département, de nouveaux et importants écarts démographiques survenaient, pourrait-on critiquer la mesure au nom de l’égalité démographique ? Mais alors, ce serait toute la réforme qui serait remise en cause, car réduire le nombre de députés ne se conçoit guère sans réduction homothétique du nombre de sénateurs. Faute de respecter la dimension relative de l’AN par rapport au Sénat, divers équilibres institutionnels4 seraient en effet perturbés.
Selon l’étude de Public Sénat, l’abaissement du nombre de sénateurs semble cependant réduire la proportion des départements présentant un écart relatif important à la moyenne nationale (population totale/nombre total de sénateurs, soit 67 000 000/244 = 275 000 habitants). Aujourd’hui 56 départements se situent dans la fourchette -/+ 20 % par rapport à la moyenne nationale (un sénateur pour 204 800 habitants). Après la réduction, 69 départements respecteraient cette fourchette. Mais les écarts s’accroissent peut-être pour la trentaine de départements et collectivités hors fourchette -/+ 20 %. La transformation de la dispersion peut en effet combiner deux aspects : concentration au centre et écartement des extrêmes.
Faut-il conserver la règle selon laquelle il y a au moins un député par département (ou collectivité assimilée) ?
Le maintien du cadre départemental, pour la délimitation des circonscriptions législatives, joint à la réduction du nombre de circonscriptions, accroîtra encore l’écart démographique entre les petits départements élisant un seul député et les autres.
Or le maintien du cadre départemental n’a pas été regardé par le Conseil constitutionnel, en 2009, comme une considération d’intérêt général justifiant le maintien de deux députés en Lozère ou dans la Creuse.
Rappelons l’évolution de cette jurisprudence.
Examinant en 1986 le tableau de répartition des sièges de députés entre départements, le Conseil constitutionnel juge « qu’en réservant à chaque département une représentation d’au moins deux députés, le législateur a entendu assurer un lien étroit entre l’élu d’une circonscription et les électeurs ; qu’eu égard, d’une part, à la répartition de la population sur le territoire national telle qu’elle résulte du dernier recensement général connu et, d’autre part, au nombre très restreint de départements pour lesquels le choix ainsi fait entraîne un écart de représentation en leur faveur, les dispositions du deuxième alinéa de l’article 5 de la loi ne sont pas, par elles-mêmes, contraires à la Constitution ; qu’elles impliquent, toutefois, que les inégalités de représentation qui en résultent ne puissent être sensiblement accrues par le biais des règles qui président à la délimitation des circonscriptions à l’intérieur d’un même département »5.
En 2009, le Conseil constitutionnel revoit sa position de 1986 au vu d’un changement de circonstances résultant notamment de la création de sièges de députés pour les représentants des Français établis hors de France, du plafonnement à 577 du nombre de députés et de l’augmentation de la population (7,6 millions depuis le dernier recensement). Il juge que « eu égard à l’importante modification de ces circonstances de droit et de fait, le maintien d’un minimum de deux députés pour chaque département n’est plus justifié par un impératif d’intérêt général susceptible d’atténuer la portée de la règle fondamentale selon laquelle l’Assemblée nationale doit être élue sur des bases essentiellement démographiques »6.
Le commentaire officiel de la décision de 2009 ajoute qu’en censurant la règle des deux députés au moins par département, « le Conseil constitutionnel n’a toutefois pas remis en cause le cadre départemental de l’élection des députés… Le Conseil constitutionnel a implicitement mais nécessairement admis, en l’état, que chaque département puisse avoir au moins un député ».
« En l’état », qu’est-ce à dire ? La réduction de moitié du nombre des circonscriptions remet-elle tout en cause ?
À propos des élections législatives à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, le Conseil constitutionnel n’a-t-il pas considéré, dans cette même décision de janvier 2009, qu’« aucun impératif d’intérêt général n’impose que toute collectivité d’outre-mer constitue au moins une circonscription électorale (…). Il ne peut en aller autrement, si la population de cette collectivité est très faible, qu’en raison de son particulier éloignement d’un département ou d’une collectivité d’outre-mer » ?
Remettre en cause le cadre départemental poserait des problèmes ardus : prendre la région pour base ? La délimitation n’en serait pas facilitée. Plus le champ opératoire est vaste, plus nombreuses sont les possibilités de découpage et plus sérieux les risque d’arbitraire ou de reproche d’arbitraire ; par ailleurs, la maille cantonale variera d’un département à l’autre d’une même région, compliquant le redécoupage. Le choc culturel d’un tel changement serait disproportionné par rapport à son enjeu démographique.
Le plus sûr serait d’inscrire dans la constitution le principe selon lequel il y a au moins un député dans chaque département ou collectivité assimilée. Il n’y a rien d’intolérable à ce que la Lozère, Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon continuent à élire un député, ni même à ce que soient élus un député à Saint-Barthélemy et un autre à Saint-Martin au lieu d’un député commun aux deux îles comme aujourd’hui.
L’élection des sénateurs doit-elle encore se faire dans le cadre départemental ?
L’augmentation du nombre de départements surreprésentés (du fait du minimum d’un siège), à l’Assemblée nationale comme au Sénat, incite, par souci de sécurité juridique, à inscrire le cadre départemental de l’élection dans la constitution.
L’intangibilité du cadre départemental, pour l’élection des sénateurs, semble cependant résulter indirectement du dernier alinéa de l’article 25 de la constitution, aux termes duquel : « Une commission indépendante, dont la loi fixe la composition et les règles d’organisation et de fonctionnement, se prononce par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs ».
Cette disposition n’envisage en effet la délimitation des circonscriptions (et la consultation corrélative de la commission) que pour les députés. Pour les sénateurs, la circonscription est donc tenue pour immuable : c’est, comme depuis toujours, le département (ou la collectivité assimilée outre-mer).
Les travaux préparatoires de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République confirment cette interprétation.
La réduction de la durée du mandat des sénateurs élus en 2017 est-elle contraire à la constitution ?
En vertu du projet de loi organique, la première série, élue en septembre 2017, se verrait retrancher 2 ans, la seconde, élue en septembre 2014, ajouter un an, afin qu’un renouvellement intégral ait lieu en septembre 2021. Celui-ci se ferait sur les nouvelles bases, par un collège électoral renouvelé aux mois de mars 2020 et 2021. Serait ainsi respectée l’équivalence quantitative entre les deux séries, l’une de celles-ci n’étant élue en 2021 que pour 3 ans afin de réamorcer le renouvellement triennal par moitié.
Le renouvellement partiel du Sénat a un fondement constitutionnel. Le second alinéa de l’article 32 de la constitution dispose en effet que « le président du Sénat est élu après chaque renouvellement partiel ». Ses articles 25 et 68-2 font référence au « renouvellement général ou partiel de chaque assemblée », le second adjectif ne pouvant se rapporter qu’au Sénat.
Le renouvellement intégral du Sénat prévu en 2021 pose donc a priori problème. On peut cependant l’admettre, parce qu’il constitue une mesure transitoire de la réduction du nombre de sénateurs. Ce renouvellement intégral est exceptionnel et le mécanisme des deux séries immédiatement réenclenché.
On peut également admettre la modification de la durée des mandats en cours (réduction de 2 ans pour une série, allongement d’un an pour l’autre). Selon une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, la modification (qu’il s’agisse d’une réduction ou d’un allongement) de la durée de mandats en cours) déroge à la volonté des électeurs et doit être justifiée par un but d’intérêt général, proportionnée à ce but et conserver un caractère transitoire et exceptionnel.
En l’espèce, ces conditions paraissent remplies :
-
le but d’intérêt général est ici la réduction du nombre de sièges. Cette réduction est permise par la constitution, elle a été promise pendant la campagne et en sont attendus (à tort ou à raison, c’est une autre affaire) des avantages en termes d’efficacité des institutions ;
-
le réajustement prévu du calendrier électoral sénatorial est proportionné à la réalisation de ce but (avec le souci de maintenir à tout moment l’équilibre des deux séries et la prise en compte du renouvellement du collège électoral sénatorial qui sera réalisé aux mois de mars 2020 et 2021) ;
-
la mesure est transitoire et exceptionnelle.
Dans son avis, le Conseil d’État estime que le renouvellement intégral exceptionnel du Sénat en 2021 est justifié par la nécessité de maintenir l’importance approximativement égale des deux séries, prévue par l’article LO 276 du Code électoral, lequel tire les conséquences (pour un renouvellement triennal par moitié) du principe constitutionnel du renouvellement partiel du Sénat. En l’absence de dispositions transitoires, la série n° 2, renouvelée en 2020 et qui serait la première à se voir appliquer la diminution du nombre de sénateurs, serait beaucoup moins importante que la série n° 1 élue 3 ans auparavant et qui ne serait renouvelée qu’en 2023. Les effectifs des deux séries seraient donc déséquilibrés pendant 3 ans.
Y a-t-il dans le projet de loi organique des dispositions relatives au Sénat et qui appelleraient donc un vote dans les mêmes termes par les deux assemblées ?
La limitation à trois du nombre de mandats consécutifs de sénateur ne semble pas être une « disposition organique relative au Sénat », au sens de l’article 46 de la constitution, car elle s’applique pareillement aux députés et sénateurs. Une fois posée la règle d’inéligibilité énoncée explicitement pour les députés au nouvel article LO 127-1 du Code électoral, elle s’applique implicitement, mais nécessairement, aux sénateurs en vertu du renvoi figurant au deuxième alinéa de l’article LO 296 du même code (« Les autres conditions d’éligibilité et les inéligibilités sont les mêmes que pour l’élection à l’Assemblée nationale »).
L’insertion de l’articles LO 127-1 dans le Code électoral produit donc les mêmes effets sur les députés et les sénateurs. En pareil cas, le Conseil constitutionnel ne considère pas qu’il se trouve, au sens de l’article 46 de la constitution, devant des dispositions organiques relatives au Sénat7.
En revanche, la réduction du nombre de sièges de sénateurs et la mesure transitoire qui lui est associée sont des « dispositions organiques relatives au Sénat » au sens de l’article 46 de la constitution. Sans doute la réduction du nombre de sièges se fait-elle dans les mêmes proportions à l’Assemblée nationale et au Sénat, par la volonté des auteurs du projet. Mais elle ne procède pas de la même disposition : pour les députés, on modifie l’article LO 119 du Code électoral ; pour les sénateurs, on modifie son article LO 274. Les deux articles sont autonomes l’un par rapport à l’autre. La réduction du nombre de sénateurs corrélative à la réduction du nombre des députés ne procède pas non plus d’une exigence constitutionnelle, car la constitution n’impose pas un rapport constant entre nombre de députés et nombre de sénateurs. Du point de vue formel et logique, comme du point de vue constitutionnel, chacune des deux réductions pourrait se faire indépendamment de l’autre, voire sans l’autre. N’affecte en rien cette indépendance formelle, logique et juridique entre les deux mesures de réduction de sièges le fait que la modification de l’article LO 119 et celle de l’article LO 274 figurent au même article du projet de loi organique (art 1er, I et II).
En vertu de l’avant-dernier alinéa de l’article 46 de la constitution (« Les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées »), la réduction du nombre de sénateurs impose donc l’accord du Sénat.
C’est ce qu’a d’ailleurs précisé le Conseil d’État au point 7 de l’avis rendu le 17 mai 2018 : « Le nombre de sénateurs sera réduit de 348 à 244. Le Conseil d’État observe qu’une telle disposition doit, dans le cadre de l’article 46 de la constitution, être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées ».
On peut en tirer une conséquence politique majeure : au travers du nombre de sièges de sénateurs (qui tient presque tout le reste de la réforme en l’état), le Sénat dispose d’un pouvoir de veto sur l’essentiel des mesures électorales contenues dans les deux projets de loi. Il n’est donc pas étonnant que l’on songe à surmonter son opposition éventuelle par référendum.
Précisément, les dispositions législatives mettant en œuvre cette réforme peuvent-elles être soumises au référendum ?
On discerne deux obstacles : le premier est juridique, le second politique.
Problème juridique d’abord : certaines des dispositions en cause (réduction du nombre des députés et des sénateurs ; limitation à trois du nombre de mandats consécutifs de députés, de sénateurs et d’exécutifs locaux dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la constitution et en Nouvelle-Calédonie) sont de nature organique. Or il n’est nullement évident qu’une loi organique puisse être soumise au référendum.
Quoique cela soit moins clair que pour l’article 89 s’agissant d’une loi constitutionnelle, l’article 46 de la constitution semble devoir être lu comme excluant qu’une loi organique soit adoptée par un référendum de l’article 11. En effet, le recours au référendum court-circuiterait le contrôle obligatoire du Conseil constitutionnel, ce dernier ne s’estimant pas compétent pour examiner une loi approuvée par le peuple.
On répondra que, si l’existence d’un titre XVI de la constitution, intitulé « De la révision », exclut incontestablement toute autre voie de révision, l’article 46 n’implique pas aussi incontestablement la même exclusivité pour une loi organique. On ajoutera qu’il convient de donner un contenu suffisant à la notion d’« organisation des pouvoirs publics » mentionnée à l’article 118. Si ce contenu ne peut être constitutionnel, il doit pouvoir être organique tant les matières afférentes à l’organisation des pouvoirs publics se trouvent souvent renvoyées à la loi organique par la constitution. Enfin, on pourra relever que la distinction opérée par l’arrêt Sarran et Levacher du 30 octobre 1998 sur le recours au référendum (« soit en matière législative dans les cas prévus par l’article 11 de la constitution, soit en matière constitutionnelle comme le prévoit l’article 89 ») évoque de manière générale le domaine législatif et non les seules lois ordinaires pour ce qui est de l’article 11.
Si forts soient-ils ces arguments pourraient cependant peser moins lourd que l’impératif de garantir, dès avant leur entrée en vigueur, l’absolue conformité constitutionnelle des lois organiques, ces décrets d’application de la constitution.
Problème politique ensuite. L’entreprise serait hasardeuse : polémiques, abstention massive, impression donnée qu’on délaisse les problèmes réels, tensions avec le Sénat…
À quoi il faut ajouter que les textes soumis au référendum (la loi organique comme la loi ordinaire), sauf à les « désosser » (mais comment ?), ne seraient ni brefs ni simples, car les innovations principales (proportionnelle, plafonnement du nombre de mandats consécutifs) appellent, pour leur mise en œuvre, un luxe de précisions et d’ajustements dans le Code électoral (dépôt des candidatures ; financement de la campagne et propagande ; opérations de vote et de recensement des votes ; inéligibilités, incompatibilités et règles de remplacement ; application dans les différentes collectivités métropolitaines, outre-mer et aux Français établis hors de France ; habilitation à répartir les députés et sénateurs entre départements et collectivités assimilées ; habilitation à redécouper les circonscriptions législatives ; sans oublier de multiples dispositions transitoires, y compris la modification de la durée des mandats sénatoriaux en cours…).
Or on se souvient de l’effet rébarbatif produit par la longueur et la technicité du projet de « constitution pour l’Europe » soumis aux électeurs en 2005.
Certains éléments de la réforme des élections parlementaires ne devraient-ils pas se trouver dans le projet de loi constitutionnelle plutôt que dans des projets de loi organique ou de loi ordinaire ?
C’est déjà le cas dans le projet présenté au Conseil des ministres du 9 mai 2018, mais il s’agit d’une partie limitée de la réforme et de ses effets plutôt que de ses prémisses.
Le projet de loi constitutionnelle modifie les conditions dans lesquelles les parlementaires peuvent saisir le Conseil constitutionnel. Il faut aujourd’hui réunir soixante députés ou soixante sénateurs, qu’il s’agisse de le faire se prononcer sur la constitutionnalité d’un traité international9 ou d’une loi10 ou sur le fait de savoir si les conditions demeurent réunies pour la poursuite de la mise en œuvre de l’article 16 de la constitution. Ce seuil sera ramené à quarante députés ou quarante sénateurs. Par coordination, la loi constitutionnelle prévoit le même seuil pour que les parlementaires puissent saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’un acte législatif européen violant le principe de subsidiarité11.
Ce faisant, le projet de loi constitutionnelle tire les conséquences de la réduction du nombre de parlementaires décidée par la loi organique. Il peut paraître paradoxal que ce soit à la norme suprême de mettre en œuvre la norme subordonnée. En principe, c’est à la loi organique de tirer les conséquences des dispositions constitutionnelles. Mais c’est ce qu’implique en l’espèce la ventilation constitutionnelle des matières dans la hiérarchie des normes.
Par ailleurs, c’est moins surprenant, la loi ordinaire, en prévoyant un redécoupage, tire les conséquences de la réduction du nombre de députés voulue par la loi organique.
Il faudra donc coordonner la discussion des trois textes au Parlement : loi constitutionnelle, loi organique et loi ordinaire. La loi organique doit être la première adoptée.
Un autre élément de la réforme pourrait trouver sa place dans la loi constitutionnelle : le plafonnement du nombre de mandats consécutifs.
La limitation à trois du nombre de mandats consécutifs au Parlement, au Parlement européen, dans les exécutifs locaux ou à la présidence des assemblées délibérantes locales est une règle d’inéligibilité qui, comme toutes les règles d’inéligibilité aux mandats électifs de caractère politique, ne serait justifiée que pour des raisons impérieuses. En effet, aux termes de l’article 6 de la déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».
Or, selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, la loi ne saurait priver un citoyen du droit d’éligibilité́ dont il jouit en vertu de l’article 6 de la déclaration de 1789 que dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur12. Sont ainsi justifiées les inéligibilités liées à l’existence de condamnations antérieures, à la nature des fonctions occupées par le candidat ou encore au risque de conflits d’intérêts, qui visent à renforcer les garanties de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants13.
Où serait la nécessité de la limitation en l’espèce ? Au nom de quel impératif supérieur empêcher la carrière parlementaire d’un Clémenceau ou d’un Mendès-France ? Dira-t-on qu’en privant de son droit d’éligibilité l’élu qui, par trois fois, a obtenu la confiance de ses électeurs et en interdisant à ceux-ci de lui renouveler cette confiance une quatrième fois, on assure mieux le respect de l’égalité devant le suffrage ? ou qu’on préserve mieux la liberté de l’électeur ? ou que la probité et l’engagement de l’élu se corrodent inévitablement au bout de trois mandats ?
En quoi les restrictions qui seraient apportées au droit d’éligibilité aux fonctions exécutives locales ou à la présidence d’assemblées territoriales garantiraient-elles la confiance de l’électeur ou préserveraient-elles sa liberté ? Ces considérations ne plaideraient-elles pas plutôt pour qu’un lien solidement tissé entre une population et ses édiles ne soit pas artificiellement rompu, pour qu’une bonne gestion se poursuive, pour qu’une expérience accumulée produise ses fruits ?
C’est au demeurant par égard à la hiérarchie des normes que, en 2008, la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels successifs a été placée dans la constitution plutôt que dans une loi organique, alors que les conditions d’éligibilité de l’élection du président de la République avaient toujours été fixées par la loi organique14. Il a été considéré, dès la préparation du projet (notamment au Conseil d’État), comme au cours du débat parlementaire, que l’interdiction d’un troisième mandat procédait d’une autre logique que les inéligibilités ordinaires et ne pouvait être édictée que par le constituant.
C’est, au moins en partie, pour ces mêmes motifs que des amendements limitant à trois le nombre de mandats parlementaires successifs ont été rejetés en 2013, au cours du débat parlementaire sur le projet de loi organique interdisant le cumul des fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur. Ainsi, pour Marie-Françoise Bechtel, députée de la 4e circonscription de l’Aisne : « Même si ces amendements portent une idée intéressante, je suis pour ma part persuadée qu’ils sont inconstitutionnels. Il a fallu une révision de la constitution pour limiter le nombre de mandats pouvant être exercés successivement par le président de la République. Il n’y a aucune raison de traiter différemment les parlementaires »15.
La limitation des mandats dans le temps, telle qu’elle avait été évoquée pendant la campagne présidentielle, soulevait en outre toutes sortes de questions de cohérence :
-
vaudrait-elle seulement pour les mandats de même nature ? Autrement dit : une suite de 4 mandats de député serait-elle interdite, mais une suite de 3 mandats de député, puis de 3 mandats de sénateur permise ?
-
serait-il permis ou interdit d’effectuer trois mandats de maire dans une commune A immédiatement suivis d’un mandat de maire dans la commune B ?
-
si je démissionne de mon mandat 5 mois avant la fin de mon troisième mandat, cette césure me permettrait-elle de briguer un quatrième mandat ?
-
que faire dans les communes de taille modeste, pauvres en ressources humaines ?
-
les mandats accomplis ou commencés avant la publication de la nouvelle règle entreraient-ils dans le décompte ?
Ces questions sont tranchées par le projet du gouvernement soumis au Conseil d’État en « limitant la limitation » à trois mandats « identiques, complets et consécutifs » et en plaçant hors champ les communes de moins de 9 000 habitants, ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de moins de 25 000 habitants. Sont toutefois comptés les mandats incomplets si la durée pendant laquelle ils n’ont pas été exercés est inférieure à 12 mois. Enfin, ne sont pas comptés les mandats accomplis avant la publication de la loi constitutionnelle (les mandats en cours sont les premiers à entrer dans le décompte).
Ces concessions bienvenues au réalisme ne suffisent cependant pas à écarter les objections constitutionnelles.
Le gouvernement pouvait être tenté, pour couper court à ces objections, de placer d’emblée cette limitation dans la constitution elle-même. Le projet de loi constitutionnelle inscrit au Conseil des ministres du 9 mai 2018 n’en fait cependant pas mention.
Dans son avis du 17 mai 2018, le Conseil d’État souligne le caractère inédit de cette cause d’inéligibilité et relève l’« incertitude » constitutionnelle qui lui est inhérente. Il ne juge pas nécessaire pour autant d’inviter le gouvernement à transférer la mesure de limitation dans le projet de loi constitutionnelle. Le débat ouvert au Palais-Royal n’est cependant pas clos.
Comment se présentera le redécoupage des circonscriptions législatives ?
Les circonscriptions seront presque deux fois plus grosses qu’en 2009. Mais il en ira de même de la brique de la délimitation qu’est le canton. Depuis le redécoupage de 2013-2014, en effet, les cantons sont deux fois moins nombreux qu’en 2009 et, chose capitale, leurs populations ont été considérablement rapprochées au sein d’un même département.
Le rapport entre nombre de circonscriptions et nombre de cantons est donc à peu près le même qu’en 2009 (numérateur et dénominateur tous deux divisés par deux), mais la maille cantonale est régularisée. On peut en déduire intuitivement que le redécoupage ne sera pas plus difficile qu’en 2009, sans doute même plus aisé.
Avec une population recensée de 67 millions d’habitants, le quotient électoral est de 200 000 habitants (67 000 000/335).
Or la population moyenne d’un canton (au niveau national) est de 33 000 habitants. En moyenne, chaque circonscription sera donc composée de six cantons (200 000/33 000).
Ce n’est qu’une indication globale car la population cantonale moyenne varie beaucoup d’un département à l’autre, compte tenu de la manière dont a été fixé, dans chaque département, le nombre de cantons16.
Aussi le nombre de cantons que devra comprendre en moyenne chaque circonscription pour rester dans la fourchette variera-t-il d’un département à l’autre :
-
trois dans l’Essonne (population cantonale moyenne de 60 392 habitants) ;
-
sept dans l’Ain (population cantonale moyenne de 27 223 habitants) ;
-
quinze dans la Nièvre (population cantonale moyenne de 12 560 habitants).
Comme en 2009, l’opération de délimitation des circonscriptions comprend deux phases :
-
répartition des députés (autres que ceux élus au scrutin de liste national) entre départements ou collectivités assimilées (les Français établis hors de France formant un département fictif) ;
-
puis redécoupage proprement dit de chaque département ou collectivité élisant plus d’un député.
Faut-il maintenir la méthode traditionnelle de la tranche pour opérer la répartition entre départements ?
La méthode de la tranche (ou méthode d’Adams) consiste à affecter à chaque département ou collectivité assimilée un nombre de sièges égal à sa population divisée par l’amplitude de la tranche, le tout arrondi à l’entier supérieur. Elle garantit qu’il y a au moins un député par département ou collectivité assimilée.
On pourrait aussi attribuer un député à chaque département ou collectivité assimilée, puis répartir le reste des sièges selon la méthode de la plus forte moyenne ou, mieux encore, de Sainte-Lagüe.
Le projet du gouvernement retient la solution classique (la tranche unique, toujours utilisée jusqu’ici pour les députés).
Il impose même la tranche unique au Sénat, alors que, jusqu’ici, la répartition des sièges de sénateurs faisait appel à une tranche progressive.
Pour les députés, la tranche serait proche de 240 000 habitants.
Quelle que soit la méthode suivie, la quasi-division par deux du nombre des circonscriptions législatives, couplée au maintien du cadre départemental et du minimum de un député par département, conduit à un bouleversement de la répartition des députés par départements et collectivités d’outre-mer : le nombre de ceux qui éliront un ou deux députés va doubler par rapport à la ventilation actuelle (53 au lieu de 26) ; inversement, le nombre de ceux qui éliront plus de quatre députés sera divisé par deux (23 au lieu de 51).
Par ailleurs, à quel stade choisir la méthode de répartition (tranche unique ou autre méthode) ? Le projet arrête ce choix dès le dispositif d’habilitation. Cela a le mérite de la clarté, mais détermine mathématiquement la répartition des sièges entre départements, si bien que la commission de l’article 25 de la constitution n’aurait plus qu’à corriger les erreurs de calcul. Aussi l’avis du Conseil d’État recommande-t-il de faire ce choix lors de l’élaboration des futures ordonnances, afin qu’il puisse être examiné par la Commission dans des conditions lui permettant de donner utilement son avis.
Et pour la délimitation des circonscriptions proprement dite, quel rôle doit jouer la commission de l’article 25 de la constitution ?
Il est essentiel. Pour obtenir un résultat satisfaisant et crédible, il faut que la commission de l’article 25 de la constitution soit prise très au sérieux.
Il conviendra que le gouvernement construise le découpage avec elle.
Par rapport à 2009, la coopération devra commencer plus tôt et être plus intense.
Les avis de la commission devront être suivis. Ce fut loin d’être toujours le cas en 2009.
En dehors de l’intervention de la commission, quels garde-fous devront encadrer le redécoupage pour respecter l’égalité démographique et dissiper les soupçons d’arbitraire ?
Sous la forme d’un article d’habilitation, la loi impose une sorte de « cahier des charges » aux auteurs de l’ordonnance de découpage.
Celui de 2009 était le suivant :
-
sauf exception justifiée par la géographie (enclaves, îles, etc.), le territoire de chaque circonscription doit être continu ;
-
sauf à Paris, Lyon et Marseille, et sauf lorsque la population du canton atteint ou dépasse 40 000 habitants, tout canton doit être intégralement inclus dans une circonscription ;
-
même chose pour les communes de moins de 5 000 habitants ;
-
même chose, s’agissant des circonscriptions délimitées pour l’élection des députés représentant les Français de l’étranger, des circonscriptions d’élection de l’Assemblée des Français de l’étranger figurant au tableau n° 2 annexé à la loi du 7 juin 1982, sauf si cette circonscription comprend « des territoires très éloignés les uns des autres » ;
-
la population de toute circonscription d’un département doit être comprise dans une fourchette de – 20 % à + 20 % par rapport à la moyenne des circonscriptions de ce département ;
-
à l’intérieur même de cette dernière fourchette départementale, les écarts de population entre circonscriptions doivent avoir pour seul objet de permettre la prise en compte d’impératifs d’intérêt général.
Le quasi-doublement de la taille des circonscriptions et des cantons depuis l’exercice précédent conduit-il à conserver, le cas échéant en les modifiant, les seuils d’insécabilité des cantons (40 000) et des communes (5 000) ?
Cela ne va pas de soi. Quel est le sens de fixer en valeur absolue un seuil de sécabilité des cantons, alors que, du fait de l’égalisation des populations cantonales au sein d’un même département, un seuil de ce type risque, selon les départements, de ne jamais pouvoir être franchi ou de l’être pour tout canton ?
Quant aux communes, elles seront, dans leur grande majorité, comprises par construction dans un seul canton. Cela tient à la façon dont les cantons ont été délimités en 2013 2014 : toute commune de moins de 3 500 habitants est dans un seul canton et beaucoup de communes de plus de 3 500 habitants aussi (car on n’a pas abusé en 2013 2014 de la possibilité de couper les communes de plus de 3 500 habitants). En exigeant que chaque canton soit inclus dans une seule circonscription, on exige du même coup que les communes le soient, sauf les très grosses qui englobent plusieurs cantons et seront sécables par définition si on retire du cahier des charges la condition d’inclusion de toute la commune dans la circonscription.
Intuitivement, on pourrait ne plus fixer de seuil de sécabilité des cantons et ne plus du tout mentionner les communes (donc se contenter, sauf pour Paris Lyon Marseille, de la règle selon laquelle chaque circonscription comprend un nombre entier de cantons). Il serait intéressant de tester cette intuition, notamment quant à son degré de compatibilité avec la fourchette des 20 %, en effectuant des simulations sur les départements les plus difficiles à découper (a priori : ceux où le nombre de cantons est le plus faible par rapport au nombre de circonscriptions, c’est-à-dire où la granularité est la moins fine).
Plus audacieusement, on peut se demander si, compte tenu du redécoupage cantonal opéré il y a quatre ans, le cahier des charges ne devrait pas être reformulé comme suit (où le tunnel départemental des -20 %, + 20 % est remplacé par l’identité, à l’unité près, du nombre de cantons par circonscription) :
-
sauf exception justifiée par la géographie (enclaves, îles, etc.), le territoire de chaque circonscription doit être continu ;
-
sauf à Paris, Lyon et Marseille, tout canton doit être intégralement inclus dans une circonscription ;
-
dans un même département, aucune circonscription ne doit contenir plus d’un canton de plus qu’une autre circonscription ;
-
dans la mesure de ce qui est possible en respectant les règles précédentes, la population de chaque circonscription ne doit pas s’écarter de plus de 20 % de la moyenne nationale.
Il était cependant douteux que le gouvernement ose trop modifier le cahier des charges de 2009. On a la confirmation de cette prudence dans le dispositif d’habilitation figurant dans la loi inscrite au Conseil des ministres du 23 mai 2018.
La fourchette de – 20 % + 20 % par rapport à la moyenne pourra-t-elle être toujours respectée ?
Le « tunnel » des – 20 % + 20 % par rapport à la moyenne départementale sera aisé à respecter et même, sauf dans les départements où le ratio cantons/circonscriptions est faible (granularité insuffisante), le tunnel intradépartemental – 10 % + 10 %.
Celui de – 20 % + 20 % par rapport à la moyenne nationale (200 000) ne semble pas trop difficile à respecter dans la grande majorité des cas. Pour ce faire, chaque circonscription devrait avoir une population comprise entre 160 000 et 240 000 habitants.
Mais un écart inférieur à 20 % par rapport à la moyenne nationale ne peut être obtenu pour toutes les circonscriptions :
-
d’abord, parce que, en dehors même du cas atypique que représente la Lozère (77 000 habitants, soit moins que la demi-tranche), un certain nombre de départements métropolitains, qui n’éliront qu’un député, ont une population inférieure au bas de la fourchette nationale, soit 160 000 habitants (Creuse, Cantal, Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Ariège, Territoire de Belfort) ;
-
ensuite, parce que, sauf à renoncer à la règle de l’inclusion de chaque canton dans une seule circonscription, une granularité insuffisante dans un département donné peut faire sortir certaines de ses circonscriptions du tunnel national (v. annexe 2) ;
-
enfin et surtout, parce que l’application de la méthode de la tranche conduit par elle-même à des écarts importants de la moyenne départementale par rapport à la moyenne nationale en cas de surreprésentation du département : – 50 % pour un département situé juste au-dessus de la première tranche, – 33 % pour un département situé juste au-dessus de la deuxième, – 25 % pour un département situé juste au-dessus de la troisième etc. Le découpage du département ne permet pas de réduire ces écarts, au contraire, puisqu’il faudra leur ajouter ceux que présentent, par rapport à la moyenne départementale, les circonscriptions les mieux représentées du département.
L’augmentation de la tranche (avec l’augmentation corrélative des départements et collectivités élisant un seul député, qui sont de populations très inégales entre eux), jointe aux éventuels problèmes de granularité insuffisante, joue dans le sens de la dispersion des populations des circonscriptions.
Pourquoi chercher à respecter une fourchette au niveau national alors que la loi de 2009 (comme l’actuel projet) n’imposent explicitement qu’un « tunnel » départemental ?
Comme le juge le Conseil constitutionnel, la recherche de l’égalité démographique au niveau national s’impose, dès lors que tous les députés siègent dans la même assemblée17 et que chaque député représente la Nation tout entière.
L’égalité démographique au niveau national est en revanche indifférente pour les conseillers départementaux, car ils siègent dans des conseils départementaux différents.
Or, en combinant :
-
la méthode de la tranche pour répartir les sièges entre départements, qui peut conduire à des écarts démographiques de 1 à 2 entre moyennes départementales, hors départements et collectivités « atypiques » (c’est-à-dire dont la population est inférieure à une demi-tranche, comme la Lozère et les petites collectivités d’outre-mer),
-
et une pleine utilisation de la marge de 20 % autour de la moyenne départementale (qui peut aboutir à un écart intradépartemental de 1 à 1,5),
on pourrait arriver à un écart démographique de 1 à 3 au niveau national, sans même compter les départements et collectivités « atypiques ».
En cherchant le plus souvent possible à rester en dessous de 10 % (au lieu de 20 %) par rapport à la moyenne départementale, dans chaque département, on abaisse déjà l’écart démographique maximal au niveau national.
En 2009, en se tenant dans un tunnel intradépartemental de – 10 % + 10 % toutes les fois que possible, on était arrivé à un écart de 1 à 2,4 (hors collectivités atypiques) au niveau national. Pour 95 % des circonscriptions, l’écart était de 1 à 1,5.
Des écarts (sur le plan national) aussi satisfaisants ou presque aussi satisfaisants qu’en 2009 ne devraient pas être hors de portée cette fois-ci.
Notes de bas de pages
-
1.
Le bulletin comprend deux colonnes. Dans la colonne de gauche (« Erststimme »), les électeurs choisissent un candidat de leur circonscription en cochant son nom (il y a 299 circonscriptions en Allemagne). Le candidat qui obtient le meilleur score de sa circonscription siègera directement au Bundestag. Dans la colonne de droite (« Zweitstimme »), les électeurs votent pour une liste présentée par un parti. Un parti doit dépasser 5 % au niveau national pour avoir des élus au Bundestag. La totalité des sièges est répartie à la proportionnelle des secondes voix. Le nombre des élus directs d’un parti (« Direktmandate ») s’impute sur la part des sièges revenant à ce parti à la proportionnelle. Si le nombre d’élus directs d’un parti excède le nombre de sièges qui lui revient à la proportionnelle, des sièges supplémentaires sont attribués (« Überhangmandate »).
-
2.
Ehrhard T. et Rozenberg O., « Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques », 2018, LIEPP working paper, Sciences Po.
-
3.
En 2017, la France compte 925 parlementaires (577 députés et 348 sénateurs) pour une population de 67 millions d’habitants, soit un parlementaire pour 72 423 habitants. Ce ratio se situe dans la moyenne (73 836 habitants) de neuf autres pays développés : Allemagne, Espagne, Israël, Italie, Japon, Portugal, Norvège, Royaume-Uni et Suisse.
-
4.
Ainsi, députés et sénateurs participent à un certain nombre de votes conjoints : adoption d’un projet de loi constitutionnelle en Congrès (art. 89 de la constitution), destitution du président de la République par la haute Cour (art. 68), dépôt d’une proposition de loi référendaire (art. 11), veto contre une nomination envisagée par le président de la République (art. 13).
-
5.
Cons. const., 2 juill. 1986, n° 86-208 DC.
-
6.
Cons. const., 8 janv. 2009, n° 2008-573 DC.
-
7.
Cons. const., 13 févr. 2014, n° 2014-689 DC, loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, cons. 4 et 5 ; Cons. const., 8 sept. 2017, n° 2017-753 DC, loi organique pour la confiance dans la vie politique, § 64.
-
8.
« Le président de la République (…) peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. »
-
9.
Constitution, art. 54.
-
10.
Constitution, art. 61.
-
11.
Constitution, art. 88-6.
-
12.
Cons. const., 12 avr. 2011, n° 2011-628 DC, loi organique relative à l’élection des députés et des sénateurs, cons. 5 : « Si le législateur organique est compétent, en vertu du premier alinéa de l’article 25 de la constitution, pour fixer les conditions d’éligibilité aux assemblées parlementaires, il ne saurait priver un citoyen du droit d’éligibilité dont il jouit en vertu de l’article 6 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 que dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur ».
-
13.
Cons. const., 8 sept. 2017, n° 2017-752 DC, loi pour la confiance dans la vie politique, § 8.
-
14.
L. n° 62-1292, 6 nov. 1962, art. 3, relative à l’élection du président de la République au suffrage universel qui renvoie à cet égard à C. élect., art. LO 127.
-
15.
Commission des lois (25 juin 2013) et séance publique (4 juillet 2013).
-
16.
C. élect., art. L. 191-1.
-
17.
Cons. const., 9 déc. 2010, n° 2010-618 DC ; Cons. const., 16 mai 2013, n° 2013-667 DC.
-
18.
Ainsi, le Conseil constitutionnel a censuré dans sa décision n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010 (loi de réforme des collectivités territoriales) la répartition des sièges de conseillers territoriaux entre départements au sein de six régions : Lorraine (Meuse), Auvergne (Cantal), Midi-Pyrénées (Haute-Garonne), Languedoc-Roussillon (Aude), Pays de la Loire (Mayenne) et Rhône-Alpes (Savoie). La valorisation invoquée des territoires ruraux, a-t-il estimé, ne pouvait, en elle-même, justifier les atteintes au principe d’égalité démographique. Voir aussi le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel de la décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013 (loi relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires).