Affaire Winckelmann : crime homosexuel ou banale affaire de vol ?

Publié le 12/07/2024

Celui qui est considéré comme le fondateur de l’histoire de l’art, Johan Winckelmann, est mort assassiné dans des circonstances qui demeurent aujourd’hui encore mystérieuses à l’âge de 51 ans, en 1768. Julien Sapori, commissaire divisionnaire honoraire et historien, a décidé de mener l’enquête* sur une affaire qui pose notamment la question de l’homosexualité au siècle des Lumières. 

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Le 8 juin 1768, Johan Winckelmann, est assassiné dans une chambre d’auberge à Trieste. Archéologue, antiquaire, cet érudit passionné de sculpture grecque est considéré comme le fondateur de l’histoire de l’art. Il est l’auteur notamment de L’histoire de l’art de l’antiquité, paru en 1764. Lors d’un voyage en 1768, il est assassiné dans une auberge. L’auteur du crime, Francesco Arcangeli, est un domestique qui cherchait du travail et avec lequel Johan Winckelmann s’était lié d’amitié. Celui-ci sera condamné à mort.

L’hypothèse du crime homosexuel

S’il y a un mystère dans cette affaire, il ne réside ni dans les circonstances,  ni dans l’identité de l’auteur, mais dans le mobile. On a d’abord privilégié l’hypothèse du meurtre crapuleux car l’historien transportait des objets de grande valeur. Mais en publiant Signor Giovanni en 1981, l’écrivain Dominique Fernandez va donner corps à une autre hypothèse beaucoup plus romanesque : Winckelmann, qui était homosexuel, aurait été en réalité assassiné par celui dont il voulait faire son amant.

La réalité du dossier judiciaire

Julien Sapori, commissaire divisionnaire honoraire, historien, spécialiste de Barbey d’Aurevilly, a décidé de mener l’enquête. Est-ce parce qu’il est lui-même originaire de Trieste ? Toujours est-il qu’au fil des pages de  Winckelmann et ses assassins, l’auteur s’attache à décrire les personnages du drame, ainsi que le contexte politique, culturel et religieux de l’époque, notamment au regard de l’homosexualité de Winckelmann. Au fil des pages, Julien Sapori démontre que non, son orientation sexuelle n’était pas un fardeau qui aurait contraint l’intéressé à des relations clandestines et risquées, voire l’aurait poussé à une sorte de suicide par procuration.  Surtout, en s’appuyant sur les pièces du dossier judiciaire, il met en lumière les incohérences de la thèse de Dominique Fernandez.

Contre la réécriture du passé

À travers cet exemple de réécriture d’un fait divers pour l’inscrire dans une vision du monde s’articulant entre les opprimés et les oppresseurs dans laquelle l’homosexuel est forcément une victime, c’est le procès du wokisme qu’instruit Julien Sapori. Il était nécessaire que la double expérience de l’enquêteur et de l’historien rétablisse ici les faits et donne au passage une salutaire leçon de rigueur intellectuelle dans une époque étrangement indifférente, pour ne pas dire réfractaire, au réel. Certains peut-être lui en voudront de briser la légende. On leur répondra par le fameux mot de Bernanos, « Je préfère être d’accord avec les faits qu’avec vous ».

 

*Julien Sapori – Winckelmann et ses assassins -L’Armaque, 100 pages, 18 euros.

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