Aller à la grande source du maître

Publié le 14/08/2024

Jean-Baptiste Tenant de Latour (1779-1862) fut nommé en 1846 bibliothécaire du roi Louis-Philippe Ier, au palais de Compiègne. La somme de ses connaissances a été réunie dans ses Mémoires d’un bibliophile, parues en 1861. Cet ouvrage se présente sous forme de lettres à une femme bibliophile (la comtesse de Ranc… [Le Masson de Rancé]), et se compose de nombreuses réflexions sur la bibliophilie, les écrivains et le monde des lettres. Nous poursuivons la publication de la Lettre XIII consacrée à « De Boze » et débutons la XIV qui évoque la consolation que donne l’étude.

« Quelques lignes dénigrantes poursuivirent De Boze dans les deux Académie : « [Il] eut un jour le malheur de dire que Voltaire ne serait jamais un personnage académique. Il était fort permis, assurément, de rire d’une prédiction si singulière, surtout lorsque Voltaire fut devenu, plus tard, le Voltaire que nous connaissons. Mais l’esprit de secte n’entend pas plaisanterie sur certains sacrilèges, et voilà qu’à l’occasion de celui-ci, Condorcet adresse à la mémoire du malheureux de Boze les plus grosses injures, les plus violents sarcasmes que jamais savant ait adressés à un autre savant. Cependant, qui n’a pas eu à revenir, dans le cours de sa vie, sur quelque horoscope littéraire que la suite du temps n’a pas confirmé ? Certes, si de Boze eût vécu quelques années de plus, son malencontreux pronostic ne l’eût pas empêché de réunir dans la bibliothèque qui vient de nous occuper les soixante-douze volumes du grand écrivain, et les meilleures éditions, j’en réponds. Mon Dieu ! quel est celui d’entre nous qui n’a pas, une fois ou l’autre, placé dans la sienne les productions de tel de nos contemporains qu’il était loin de croire un personnage académique, et en se trompant peut-être comme de Boze, quoique non sans doute au même degré ?

Un des écrivains éminents de ce temps-ci m’adressant, un jour, touchant celles de mes lettres qui ont déjà été publiées, de ces paroles d’encouragement dont la supériorité n’est jamais avare, ajoutait une observation particulière sur la jeunesse de cœur qui, disait-il, s’y révélait en toute occasion ; puis, n’osant pas, sans doute, malgré tout bon vouloir, promettre l’immortalité à l’œuvre dont je m’occupe ici avec vous, il me pronostiquait, du moins, l’excellent homme qu’il est, une longue vie matérielle, et, ma foi, c’est toujours cela, quoiqu’il fût possible, à toute rigueur, de choisir un peu mieux l’époque où l’on pourrait désirer de vivre longtemps.

Toutes ces choses gracieuses flattèrent, cependant, moins ma vanité d’auteur, ou le sentiment de conservation si naturel aux gens de mon âge, qu’elles n’appelèrent mon attention sur ce qui, dans mes faibles opuscules, pouvait, politesse banale à part, me les avoir values avec plus ou moins de fondement. Je remontai d’abord à la grande source, au maître qui, avec les règles de la poésie, lesquelles ne me regardent point, a donné aussi les véritables règles du goût, qui regardent tous les hommes appelés à s’occuper des choses de l’intelligence, soit qu’ils écrivent, soit qu’ils n’écrivent pas. » (À suivre)

Plan