Bill Viola au Palazzo Strozzi
Bill Viola au Palazzo Strozzi.
DR
Florence et le vidéaste Bill Viola, c’est déjà une vieille histoire qui date de leur rencontre dans les années 1970. Bill Viola y présenta ses travaux et œuvres au sein du Projekt’74. Aujourd’hui c’est dans les magnifiques espaces du Palais Strozzi qu’il expose la plupart de ses œuvres passées, toujours aussi hypnotiques et interrogatives.
L’eau, incontournablement. Le thème de l’eau, on le sait (souvenir d’enfance), occupe et préoccupe l’artiste. Rien d’étonnant à retrouver ici dès l’entrée, The Crossing (1996). Suivent le célèbre Reflecting Pool et aussi Le déluge qui s’abat comme une catastrophe et emporte les corps jusqu’alors installés dans une marche monotone et insouciante, en écho au Diluvio de Paolo Uccello. Le clou de l’expo étant sans doute le Christ en Pietà de Masolino di Panicale inspirant l’Émergence (2002) de Bill Viola. L’eau, thème récurrent de mort chez Viola, devient ici un élément plus ambigu et provoque une renaissance, en illustration au titre de l’exposition.
Passé, Présent. Bill Viola, depuis la fin des années 1970, accomplit un travail autour du phénomène de la dissolution. Dissolution du temps mais aussi des distances et notamment celle qui sépare les maîtres anciens de la peinture et l’artiste d’aujourd’hui. Après tout, dit-il, les jeunes hommes de l’époque, les Masaccio, Michel-Ange, Raphaël étaient d’abord et aussi des individus ouverts aux révolutions techniques, comme le vidéaste d’aujourd’hui. C’est ce pari du dialogue entre les œuvres qui est ici mis en scène. En écho à la Visitation de Pontormo, Bill Viola propose son Émergence (2002), le polyptique d’Andrea Di Bartolo lui a inspiré sa Catherine’s room (2001), The Path (2002) évoque le dernier épisode du cycle de l’histoire de Nastagio degli Onesti de Boticelli. Les salles aménagées du Palazzo Strozzi, amples et bien conçues, se prêtent parfaitement au cheminement du visiteur, un cheminement esthétique mais d’abord profondément intérieur.
Voyage intérieur. Tout cela serait un brin vain si le talent de Bill Viola n’était pas au service d’un vrai discours, un discours qui n’a pas besoin de mots mais de la simple attention, du simple désir de se faire happer, le mot n’est pas trop fort, par l’œuvre. La signature de l’artiste c’est d’abord sa conception du temps, un temps au ralenti, mais un temps qui passe, inéluctablement. Le visiteur est actif au sens où il doit accepter d’attendre ce qui advient dans chaque vidéo, se surprenant ainsi à regarder ce qui au premier abord n’est rien d’autre qu’une marche (The Path) mais qui n’est évidemment pas que cela. Comme une procession, les promeneurs (mais en sont-ils vraiment ?) interrogent sur le sens de l’œuvre. Métaphore de la finitude ? Allégorie de la chute ? Il faut bien à un moment sortir du cadre de la vidéo : où disparaissent-ils alors ? L’interrogation est métaphysique et existentielle. Comme encore le diptyque fameux inspiré d’Adam et Eve, Men Searching for Immortality/Woman Searching for Eternity.
On ne sort pas indemne de l’exposition. C’est tant mieux. Dehors, la piazza Strozzi et la via Tornabuoni bruissent du bruit des touristes que l’on regarde quelques instants cheminer comme dans une vidéo de Bill Viola. On se dit qu’ils ne savent pas ce qui les attend, à tout moment. Ou que peut-être, en fait, ils savent mais ils se croient immortels. Au loin vers Santa Croce la partie de calcio storico est en train de commencer. La vie est un jeu et une lutte.