Château en Suède et La Tempête au Théâtre de poche Montparnasse
Théâtre de poche Montparnasse
Château en Suède est la première des neuf pièces écrites par Françoise Sagan, alors en pleine gloire. Créée en 1960 au théâtre de l’Atelier, mise en scène par André Barsac avec des acteurs vedettes comme Claude Rich, Françoise Brion et Philippe Noiret, elle obtint le premier prix du Brigadier, fut reprise en 1963 et 1967, fit l’objet en 1963 d’un film de Roger Vadim puis tomba dans un certain oubli.
Avec des moyens plus modestes, la Compagnie du Colimaçon, qui s’était fait remarquer au Théâtre de poche dans la pièce Eurydice de Jean Anouilh, reprend ce marivaudage cruel, lui conservant l’humour noir et le joyeux cynisme d’un vaudeville moderne capable d’échapper à l’usure du temps.
Dans un château isolé par la neige quatre mois par an, vit une étrange famille, le propriétaire Hugo, autoritaire et brutal, sa sœur froide et rigide, sa femme Ophélie, cloîtrée, sa concubine Éléonore, séductrice perverse et Sébastien, son frère incestueux. On tente de chasser l’ennui par l’entrelacs des relations ambigües, un jeu insolent en costume d’époque, un entre-soi qui mêle forfanterie et autodérision.
Et lorsqu’arrive de Stockholm le cousin Frédéric devenu prisonnier des neiges, il devient l’otage de cette bande d’excentriques, manipulé par la belle Éléonore qu’il voudrait conquérir. La comédie devient farce cruelle, pouvant tourner à la tragédie, et le suspense donne à la pièce un côté thriller qui relance le récit.
Véronique Viel et Emmanuel Gaury, qui joue un Hugo inquiétant, ont signé la mise en scène. Ils rappellent que Sagan avait écrit cette pièce pour amuser sa bande d’amis et on la reçoit ainsi dans cette petite salle, aimable divertissement que l’on est invité à partager entre soi. L’insolence, la provocation, le goût pour les mots d’esprit, l’ambivalence des personnages et des situations n’ont rien perdu de leur séduction. On est prié de conserver la même désinvolture que l’autrice à l’égard d’une réalité plutôt glauque avec la bigamie, l’inceste et de possibles cadavres. La vie est un jeu, ici rien de grandiose, rien de sérieux, juste une petite musique légère pour aborder la gravité. La troupe est pleine d’allant, notamment Sébastien Romieux dans le rôle du frère oisif et provocateur, dandy emperruqué qui ne quitte pas le cynisme jubilatoire, la raison d’exister des antihéros chers à l’autrice.
On signalera aussi la performance de Stéphanie Tesson qui a traduit et mis en scène La tempête, de William Shakespeare, dont les représentations viennent de se terminer mais qui fera sans doute l’objet de reprise ici ou ailleurs.
Le grand Will laisse exploser toutes les facettes de son imagination créatrice dans cette pièce testamentaire construite autour des pouvoirs magiques de Prospero, duc de Milan, chassé de son trône par son frère et exilé sur une île avec sa fille Miranda. Combat entre le bien et le mal, entre la vengeance et le pardon, entre le pouvoir et la liberté et pari pascalien d’un idéalisme optimiste plus puissant que le désespoir et le nihilisme. Magie avec Ariel et Caliban mais aussi jeux politiques, gentille histoire d’amour, et surtout songes et poésie : « Nous sommes de l’étoffe dont on fait les rêves ».
Dans une mise en scène épurée avec comme décor une fresque de cieux changeants et Purcell comme accompagnement musical, cinq comédiens menés par Pierre Val, impressionnant Prospero, passent d’un personnage à l’autre avec aisance. Tout est maîtrisé pour célébrer celui que Philippe Tesson, auquel le spectacle est dédié, considérait comme « le plus cher, le plus intime, le plus jeune » de ses amis poètes.
Référence : AJU016x5
