Conte de Noël, la bénédiction des gargouilles
Là-haut, derrière le vitrail de la Charité, on distingue des ombres d’agiter
BGF
L’archevêque de Paris, vêtu de la chasuble blanche, coiffé de la calotte violette, chargé de son précieux fardeau, se penche sur la mangeoire installée entre le bœuf et l’âne entourés par tous les personnages de la crèche. Au moment où il va placer l’Enfant Jésus, il voit, ou plutôt il devine la petite main se lever et désigner quelque chose à l’opposé de lui. Le prélat, sans réfléchir à cette étrange manifestation, suit du regard ce qu’indique l’effigie. Là-haut, en effet, derrière le vitrail de la Charité, il distingue des ombres s’agiter. Les fidèles surpris à leur tour par l’attitude de l’officiant, se figent et tentent de deviner ce qui l’intrigue. La chorale, suspend le Il est né le divin Enfant. L’organiste, sans désemparer, continue de jouer sa partition, sans s’apercevoir tout de suite qu’il est seul.
L’assistante chuchote, les clercs murmurent, les choristes se taisent, les enfants ricanent. Pas tous, les plus sérieux ou les plus rêveurs, enfin ceux qui voient tout, surtout lors d’une soirée de Noël, commencent à comprendre ce qui se passe. Est-ce Raphaël, Armel ou Victoria qui, le premier s’écrie en montrant du doigt les ombres qui s’agitent de l’autre côté du vitrail : « Le Diable ! » Leur cri retentit entre les piliers et se répercute sous les voûtes. Tous sont saisis d’effroi. Ils voient distinctement ces êtres difformes, grimaçant qui s’agitent. Hurlent-ils ? On ne les entend pas. Chacun se bouscule autant pour tenter de voir ce phénomène que pour le fuir. « Le Diable ! », répètent entre eux les trois enfants. L’archevêque se détourne et reporte son regard vers l’Enfant Jésus. Dans la crèche, les personnages n’ont pas bougé, seule la figurine sacrée a changé de position. Elle s’est légèrement soulevée, le bras droit levé, la main ouverte comme une offrande. Raphaël, le plus âgé des trois, fronce les sourcils et regarde plus attentivement ces ombres maléfiques. « Non, ce n’est pas le Diable, constate-t-il. Ce sont les gargouilles et les chimères. » À l’énoncé de cette réalité de l’Enfant Jésus, lève cette fois ses deux petites mains et les tend vers le vitrail, comme pour bénir la horde de pierre. Et l’on entend, cette fois, distinctement des grognements, des ronronnements plutôt, de satisfaction. L’archevêque discerne dans le visage de l’Enfant Jésus un clignement d’œil, comme un acquiescement. Il se retourne alors vers le vitrail de la Charité et dans un geste large, trace le signe de croix. Une lumière vive suit l’intervention de l’évêque et l’on entend une clameur venue de l’extérieur.
Les gargouilles et les chimères ont repris leur place autour de la cathédrale. Elles ont abandonné leur position de décor, elles sont devenues leur gardienne. Depuis, chaque année, lors de la nuit de Noël, elles se réunissent de l’autre côté d’un nouveau vitrail contemplent la crèche et reçoivent le signe d’amour de l’Enfant Jésus. (Fin)
Référence : AJU016p3