Correspondances, voyages et philosophie
Cornette de Saint-Cyr
Lettres d’une vie
L’auteur des Stèles (1912) laissa au moment de sa mort, à 41 ans, une œuvre importante. Une mort prématurée, accidentelle (peut-être un suicide). Victor Segalen, médecin de marine, parcourut les mers. Il avait une passion pour la Chine et la Polynésie. Lors d’une mission, s’étant trouvé à proximité des îles Marquises ; il souhaita rendre visite à Gauguin, mais quand il arriva, il était trop tard. Le peintre était mort depuis quelques jours. Alors Segalen se contenta de visiter le dernier lieu de vie et de création du peintre, et il sauva de la dispersion les œuvres qui s’y trouvaient. Il repartit ensuite pour la Chine en passant par Aden, où planait toujours le souvenir de Rimbaud. Segalen, comme poète, fut influencé par ce dernier et Mallarmé. Son œuvre est imprégnée de mysticisme oriental, et elle est un itinéraire à la fois géographique et intérieur.
Les Lettres d’une vie forment une anthologie de correspondances qui retracent les différentes périodes de la vie de Segalen et ses voyages.
Nietzsche et la « race »
Pendant des décennies, on a considéré Nietzsche comme un précurseur de l’idéologie nazie et un antisémitique notoire. Les mauvaises interprétations de ses textes ont été tenaces. Il faut dire que sa sœur, Elisabeth Förster, construisit autour du philosophe un profil qui n’était aucunement le sien, en organisant le mausolée-musée des archives Nietzsche de Weimar. Elle fabriqua en effet de toutes pièces un Nietzsche, avec le concept de « la volonté de puissance », détourné, qui ne pouvait que plaire aux idéologues du nazisme, Alfred Rosenberg et Alfred Baümler, qui prônaient un germanisme belliqueux, dominateur et raciste. Cependant, ce concept signifiait-il chez Nietzsche une force physique et dominatrice, dont les figures des légendes germaniques sont parées, ou une volonté mystique, héroïque et transcendante, que nous trouvons chez les romantiques ? Il y a évidemment une ambiguïté quand on parle de « volonté de puissance », et ceux qui souhaitent détourner une pensée philosophique à des fins totalitaires, se jettent dessus.
L’examen des textes de Nietzsche que nous donne Marc de Launay permet de souligner combien le concept nietzschéen de « volonté de puissance » n’est aucunement racial ni raciste. Nietzsche parle de « race », un terme pour lui culturel, synonyme de « peuple », de « nation ». Il ne renvoie aucunement à une idée génétique.
Marc de Launay, traducteur de textes de Nietzsche et responsable de l’édition de ses œuvres dans « La Pléiade », nous donne de nombreuses citations pour qu’il n’y ait plus d’ambiguïté. Certes, la pensée du philosophe demeure dérangeante, peut être mal interprétée, mais le caricaturer en pré-nazi est une calomnie.