Des désaccords en matière de goût littéraire

Publié le 21/07/2021

Jean-Baptiste Tenant de Latour (1779-1862) fut nommé en 1846 bibliothécaire du roi Louis-Philippe Ier, au palais de Compiègne. La somme de ses connaissances a été réunie dans ses Mémoires d’un bibliophile, livre paru en 1861. Cet ouvrage se présente sous forme de lettres à une femme bibliophile (la comtesse de Ranc… [Le Masson de Rancé]), et se compose de nombreuses réflexions sur la bibliophilie, les écrivains et le monde des Lettres. Nous reprenons cet été la publication de la Lettre X consacrée aux « Écrivains du XVIIIe et commencement du XIXe ».

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« Si j’ai pu omettre, quelquefois involontairement, quelquefois très volontairement, le nom de tel auteur du XVIIe siècle, quoique possesseur de ses ouvrages, de pareilles omissions, c’est-à-dire volontaires ou involontaires, ont dû se reproduire bien plus fréquemment encore pour le XVIIIe siècle et pour la première moitié du XIXe, deux périodes pendant lesquelles l’on a tant écrit, si bien écrit, si mal écrit. En tout, je suis fort loin de vous avoir nommé la totalité de mes livres, ou seulement tous ceux qui ne sont pas sans prix à mes yeux. Il est même très possible que tel lecteur préférât, de beaucoup, quelques-uns des écrivains omis volontairement ici, à d’autres que telle ou telle impression personnelle m’a fait mentionner honorablement. Mon Dieu ! Il en est presque toujours ainsi des jugements humains. Ils sont généralement si divers, quelquefois si opposés que, surtout en littérature, il n’est pas rare de rencontrer un grand désaccord entre des juges d’un goût également sûr. Au reste, jamais, dans le monde bibliographique, la possession d’un livre quelconque ne supposa l’approbation absolue du possesseur. Il importe fort que cela soit reconnu comme cela l’est, en effet, et, en ce qui me concerne, je l’ai répété assez souvent ici pour éloigner de moi toute fâcheuse responsabilité.

Il ne me reste plus maintenant, Madame, qu’à vous exposer, en général aussi, les traductions de tout genre qui existent dans mon cabinet. Malheureusement cette partie de ma revue aura un inconvénient inévitable, mais trop réel, celui d’entendre parler encore, quoique dans une situation nouvelle, de noms, de choses dont il a déjà été parlé. Cet inconvénient, du reste, je me trouve en position de le diminuer quelque peu. Des obligations beaucoup moins douces que celle de causer avec vous vont me forcer de m’absenter pendant une saison entière, et lorsque nous reprendrons le cours de nos lettres, vous vous trouverez par là un peu moins sous l’impression de noms si souvent prononcés. Ce repos, Madame, sera précieux pour vous, sans doute, mais il le sera surtout pour moi, car, pour peu qu’on ait le sentiment de ce qui convient en toutes choses, l’on est, assurément, beaucoup plus malheureux d’ennuyer les autres que d’en être soi-même ennuyé. Agréez, etc. ». (À suivre)

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